Chimio' 2 : ........... -Regarde !
- Vuld Edone
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- Mr. Petch
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Petite précision : pour me mettre dans le bain, j'ai relu les commentaires qu'avait déjà suscitées Chimio' dans un post précédent.
Avant tout, une première impression qui est, j'en suis persuadée, fausse, mais que je tenais à évoquer. D'emblée, ma lecture de Chimio' a été perturbé par l'impression de me trouver face à un texte mal écrit. J'entends par mal écrit le genre de texte qu'écrirait un jeune débutant. Le genre de texte qu'on peut lire à un concours de nouvelles organisées par la médiathèque du quartier, avec son rythme saccadé, ses personnages innombrables, ses vides scénaristiques .... Et puis non. Je connais suffisamment Feurnard. A mesure que je m'interrogeais sur ce qui m'avait d'abord paru des maladresses, je me rendais compte qu'elles avaient un sens pour l'économie du texte. C'est juste à ce moment, en détricotant le texte, que j'ai pu voir qu'il était bien plus complexe qu'il en avait l'air. Et en particulier qu'il y avait un style intéressant, mais là je n'apprends rien à Feurnard.
Bon. J'arrête ma digression et j'embraye.
Quelques remarques sur la saga dans son ensemble :
J'ai été sensibles à deux thèmes principaux. Le premier est celui de la lutte entre les nombres et les mots qui fait écho chez moi à la lutte entre l'homme et la machine, thème de SF classique que, m'a-t-il semblé, tu souhaitais traiter à ta manière, au moins comme arrière-plan. Le monde de Chimio' est un monde d'humains ayant cédé à la machine. Il se raconte sur une base numérique et les nombres sont omniprésents et fondamentaux. Quand ils indiquent l'heure et la date ; quand ils signalent un angle ; quand l'un des personnages lit un rapport. Ces emplois sont "normaux" mais omniprésents. Et je citerais le dernier paragraphe du pénultième chapitre qui montre à merveille comment les nombres dirigent aussi l'action :
L'exemple ici est très marqué, mais tous ces chiffres me donnaient le vertige à la lecture, moi qui ne suit pas du tout un scientifique. J'ai trouvé l'idée de les employer dans un texte tout à fait intéressante.Trois divisions de destroyers ouvrirent le feu en même temps, avec leurs propres missiles Dard contre les obus en approche à quarante kilomètres. Vingt secondes plus tard deux nouvelles salves furent tirées successivement sans parvenir à les devier. Les destroyers brisèrent la ligne et bientôt leurs autocanons de cinquante-sept millimètres, grondant, répercutèrent ces derniers instants contre l'île proche. Un à un les bâtiments de huit milles tonnes éclatèrent comme des fétus de paille. La seconde escadre se retirait de la chaîne des Nores sans chercher à prolonger l'engagement
Le second thème est la prévision "prophétique" de l'action. C'est davantage un thème de fond que de forme : l'idée que l'action que l'on va lire est connue et évaluée d'avance par les ordinateurs, et jusqu'aux décalages et erreurs humaines sont envisagées et intégrées. J'ai tendance à trouver que l'ancrage du texte autour de ce thème oblige son auteur à travailler davantage le style : puisqu'on ne peut plus surprendre le lecteur par les évènements racontés, il faut le surprendre par la façon de les raconter.
Une dernière chose que j'ai aimé : le rythme. Il me semble qu'il y a un vrai rythme, entre des phrases et paragraphes longs et des phrases très courtes qui viennent se plaquer comme un tuba vient ponctuer un mouvement dans un concert.
Mais j'en viens maintenant au style propre de Feurnard. Ton style est volontairement dicté, d'après ce que j'ai compris, par l'économie de moyens. Il faut dire au lecteur le strict minimum, juste ce qui est nécessaire à la compréhension de l'histoire. J'en prends pour preuve les dialogues, que j'ai beaucoup aimé. Tu n'utilises le style direct que quand cela est nécessaire, mais la majorité des dialogues sont restranscrits au style indirect, c'est-à-dire sans voix humaine. Si on détache les bouts de dialogues au style direct du dernier chapitre, on tient un concentré des moments clés de l'action et de ses enjeux :
Economie de moyens dans les descriptions aussi, qui s'en tiennent aux éléments essentiels notamment pour donner vie aux personnages ou pour décrire des paysages, comme ici"Au diable la frontière !"
"Je ne peux pas détruire Roland"
"Commandant, contentez-vous d'obéir"
"Vous vous enfoncez commandant"
"Je ne sais pas/je ne comprends pas/Sa fonction est de me détruire"
"En d'autres termes, c'est la fonction du commandant ici présent que de refuser."
"C'est absurde !"
"Non, c'est programmé."
"Vous vous enfoncez conseillère"
"Roland".
:
Le soir tombait sur le port illuminé, si fort qu'ils ne pouvaient pas voir d'étoiles, la houle allait battre contre les coques et clapotait.
Dire le minimum signifie aussi évacuer ce qui ressort du ressenti et de l'émotion, ou alors de l'exprimer d'une manière très froide.A cet égard, les quelques scènes "sentimentales" sont inattendues. Je pense d'une part à l'obsession du journaliste pour Mélanie Taquenard et d'autre part à l'idylle entre un aide et une infirmière dans le Dominant.
Le défi est en accord avec le thème : la superiorité de l'ordinateur sur l'homme ; d'où l'évacuation du sentimental sur le fonctionnel. Un défi littéraire que je trouve très intéressant, et dont je sais être assez peu capable. Le lecteur est obligé de faire un effort, ce qui n'est pas un mal, pour remettre en place les pièces du puzzle qu'on lui propose. Le lecteur idéal de ce texte serait-il d'ailleurs une machine qui rangerait les informations contenues dans chaque phrase dans des cases pour les analyser et en déduire un sens ?
Il y a donc ce problème de la compréhension et de l'attitude du narrateur face au lecteur. Ton narrateur s'amuse avec lecteur. Il le perd volontairement, il lui cache des informations, il ne lui révèle que ce qu'il veut bien lui révéler. Ton narrateur est un peu pervers, mais en même temps très rationnel. Je ne dirais pas qu'il prend le lecteur de haut mais plutôt qu'il le considère comme plus intelligent qu'il n'est.
Je dois bien avouer que je n'ai pas tout compris à l'action et à ses tenants et aboutissants. Cette économie des mots, qui rend un style très froid (beau, mais froid, dirais-je), m'a étourdi et je me suis fait la réflexion suivante : l'action que tu te proposais de suivre ("l'anecdote", disons) était trop complexe pour permettre le plein épanouissement du projet d'économie et d'automatisme du style. Il y a des moments où, tout de même, après avoir apprécié le style, j'aurais bien aimé savoir ce qui se passait. De même que tu utilises le style indirect pour les dialogues, tu décris certains évènements par l'allusion. Il faut que le lecteur devine, par exemple, que Mélanie Taquenard s'est fait engager par le président ; il faut qu'il devine que tel personnage est un ordinateur est non un humain. Le dernier paragraphe m'a paru justement un bon compromis entre la compréhension et le style, mais il est vrai que quand tu es amené à expliquer l'intrigue, tu perds en partie ton style.
En conclusion : c'est un vrai défi littéraire, et cela, je l'admire. Il demeure quand même que j'ai été dérouté par l'absence de clarté de certains passages. Or, cette clarté est parfois nécessaire, je le crains fort...
Mr Petch
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Lable a son quai des Dalles et Rougevin n'a que peu changé de nom.
Il n'y a pas de supériorité de la machine sur l'homme. C'est une société de grille-pains. Il n'y a pas de lutte entre l'homme et la machine mais plutôt, "un monde d'humains ayant cédé à la machine" tout comme on cède aux sentiments ou à la tentation. Les machines, elles, sont des machines.
Ce qui m'intéresse est derrière le signe.
La seule machine de l'histoire est ce cuirassé, vaisseau d'un autre âge, vieux d'un demi-siècle, qui n'a plus raison d'être, plus sa place, plus de mission. Qui malgré tout accomplit ce pourquoi il a été fait fidèlement, dans des conditions insoutenables, envers et contre tout, et qui sait très bien ne pouvoir aboutir qu'à l'échec.
Car c'est un combat perdu d'avance.
Et en cela l'écart n'est pas si grand.
Je crois mon lecteur intelligent et je ne changerai pas d'avis là-dessus. Même si mon contenu n'avait pas été défectueux, même si j'avais écrit l'histoire que je voulais, au lieu de dévier sans arrêt, j'aurai toujours des attentes élevées du lecteur. S'il ne comprend pas, c'est ma faute, mais s'il comprend, c'est la sienne.
D'où l'économie de style ?
Les sentiments sont toujours là ; ils ne sont juste pas dits. Je crois que Chimiomécanique est l'un des textes où je parle le plus de sentiments. Il faut juste se rappeler que je suis contradictoire.
Je refuse de prendre le lecteur pour un imbécile. Comment j'y parviens, et si j'y parviens, est une autre question.
L'impression que tout cela est amateur, débutant, je l'ai aussi. Mais je crois qu'il y a moyen d'y remédier sans trop perdre de ce style.
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