Voilà plus d'une semaine que je voulais commenter ce texte.
Imperator devrait apprécier puisqu'il s'agit de la même histoire répétée trois fois - différemment et avec du contenu ajouté - et puisque le style même emploie des répétitions de structure. Au premier diseur on ne comprend rien, c'est "l'algèbre littéral", mais on retrouve les mêmes éléments au second et cela commence à faire sens, et le troisième diseur explique tout. L'impression est quelque part que le second diseur est déjà commentateur du premier et le troisième ne se prive pas même de parler du récit de leurs trois récits.
Il n'y a au fond que très peu sinon pas de descriptions dans ce texte. Certes, beaucoup d'éléments sont introduits (par exemple les pierres équarries) mais même détaillés ils restent détachés et simples. En fait la seule description, il me semble, est dans une parenthèse :
(un chêne solide et fier planté au milieu d'un grand champ de chardons sauvages)
Tandis qu'il est assez difficile de se figurer le canal ou l'enfant, l'image du chêne vient sans peine - aussi parce que c'est assez traditionnel - et cela me semble possible parce qu'il est inséré dans un décor plus large, le champ de chardons. En quelque sorte il y trouve sa place et même si je ne suis pas sûr d'à quoi ressemble un champ de chardons, j'arrive à me le figurer plus aisément qu'un pont.
...
Ce qui mérite réflexion.
Le passage du pont rappelle assez bien le syndrome du pistolet dont parle souvent Impe', à savoir décrire un objet que tout le monde connaît comme si nous ne le connaissions pas :
Mais en un endroit, le chemin de rochers équarris osait franchir le fleuve, et les pierres lévitaient au-dessus des eaux avant de poursuivre vers l'amont. Le pont intrigua les plus vieux des hommes d'Arkan...
Chez moi cependant l'effet a été assez différent. Quand j'ai lu que les pierres lévitaient, j'ai réellement imaginé des pierres en lévitation, de sorte que sans "le pont" qui suit j'aurais eu là un phénomène inexplicable. J'ai même été un peu déçu de m'être trompé.
Les gens peuvent être plus perspicaces que moi et comprendre directement que c'est un pont. Je ne me suis pas adonné à ce jeu. Je ne sais pas d'ailleurs s'il y a quoi que ce soit à changer à ce passage, peut-être corriger la description du pont pour le rendre plus reconnaissable mais je préfère l'accomplissement de la lévitation qui justifie vraiment la fascination des hommes.
En tout cas, nommer directement l'objet après l'avoir introduit de façon étrangère a un effet remarquable.
J'ai aussi remarqué tout un vocabulaire pour le bruit, qui va parfois jusqu'à l'excès. Notamment "tintamarre", "brouhaha" et peut-être aussi "sarabande". J'ai l'impression que leur registre n'a pas sa place dans le texte, que leur connotation change le ton du récit. Ce sont des mots sans doute trop familiers dans un texte qui se veut grave - et religieux.
J'avais cru remarquer, au cours de ma première lecture (qui date bientôt d'une semaine), quelques tournures également familières que je n'arrive plus à retrouver. Dans une récitation à caractère cérémonial, des expressions de tous les jours seraient particulièrement remarquables. Je m'étais dit alors que c'était une manière de rendre le récit plus agréable à la lecture, et que je tenais peut-être enfin l'une des clés qui font la force de ton style... peine perdue.
Mais je crois aussi qu'il y a des touches d'humour. Le premier paragraphe est frappant à cet égard, avec les différentes manières de nommer une montagne dont le troisième est complètement différent et presque improbable. Humour quand les gens d'Arkan vont se réfugier dans l'arbre, un peu d'humour aussi quand le fils baptise les hommes et ainsi de suite. C'est au fond une histoire qu'on suppose grave - puisque le ton est grave - abordée légèrement. D'ailleurs un humour particulier est l'emploi des pavés lors de la dispute, et cette dispute elle-même étant au fond assez simple peut être abordée simplement.
Le fond du récit semble être la reconstruction du sens - ou de la parole - avec sa justification en toute fin, et quelque part le texte montre comment se forgent des symboles comme l'oiseau sagesse, au gré des événements.
Et là, c'est rentrer dans la discussion de l'histoire.