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il y a 12 ans 3 mois #17934 par Demosthene
Abordage a été créé par Demosthene
** Ce sujet traite du contenu de l'article: Abordage **

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il y a 12 ans 3 mois #17935 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet Re:Abordage
Il est tard et j'ai encore deux cent dix pages devant moi, mais cette escapade en mer et cette canonnade m'ont remis d'aplomb.
C'est entendu, tu maîtrises ce genre de récit.

Comme une perle de roche et de verdure lâchée au milieu d'une mer turquoise ridée de vagues, la petite île de Battowia détachait sa côte dentelée dans un ciel bleu parsemé de nuages. Ne contenant qu’une seule baie convenablement abritée et orientée au sud, elle servait principalement de relais aux estafettes anglaises.

Le début de la seconde phrase, avec son participe, provoque une forme de répétition. J'avais véritablement eu l'impression que trois participes s'étaient succédés, alors même qu'il n'y en a qu'un : les deux autres sont "comme une perle de roche..." et "dans un ciel bleu...". En fait la description qui s'achève à la première phrase recommence à la seconde, et j'ai du coup l'impression de relire la première phrase malgré une information différente.
C'est un point de détail.

Il fallait en connaître chaque fond, chaque alignement de rocher, chaque tronc où tourner une pointe, chaque repère et anfractuosité.

Je note ceci particulièrement : ce qui fait réussir cette énumération, pour moi, c'est "où tourner une pointe". Je ne sais pas si c'est une variation à l'intérieur, qui brise quelque part la monotonie d'une liste, ou bien le fait de motiver cette connaissance de chaque x, en expliquant que les troncs servent à "tourner une pointe". Je n'ai même pas besoin de savoir ce que ça signifie - je ne le sais pas - tant qu'on me montre que c'est utile.

Il donnait une vue parfaite sur Church bay, et surtout sur la sortie de la passe de Battowia, l’île anglaise. [...] Une salve de vingt pièces fut tirée à mesure que la cible passait dans leur ligne de mire.

Et c'est ici que je pourrai dire - c'est autant un compliment en général qu'une critique venant de moi - que ton style est classique. "L'île anglaise" est redondant, à ce stade du récit le lecteur doit savoir spontanément ce qu'est Battowia.
J'ai aussi réagi au "fut tirée", tout simplement neutre et sans effet au milieu d'une scène riche en détails. Dire qu'on tire n'est pas suffisant, je veux savoir comment. "Souffla", "gronda", "fit écho aux vagues", on sent mon ignorance des choses de la mer... "secoua le pont", "surgit des enfers" ou sans être aussi romantique, "s'égrenait", "ponctuait le temps", je ne sais pas.
Ce sont ces détails qui me font remarquer à quel point tu ne prends aucun risque pour renseigner tes lecteurs sur ce qui se passe. Un peu le contraire de moi.

Je dois par contre dire que j'ai été enchanté par les voiles de poursuite, déjà qu'il y en ait, et surtout que ce soient celles de l'Aubaine. Si la personnalité de Weaving a du mal à se construire - ce n'est jamais qu'un capitaine difficile à détacher de n'importe quel modèle de capitaine (je devrais peut-être y revenir ?) - cette cohérence entre ses différentes aventures fait plaisir, et l'Anubis gagne nettement en caractère.
Ainsi, que ce soit l'attente ou la poursuite, la canonnade et la reddition, tout va posément et de façon très convaincante. Je sais exactement quelles impatiences auraient pris le débutant, à commencer par des manoeuvres bien plus spectaculaires, alors même que les simples effets que tu réserves retiennent l'attention.
Mais là-dessus je laisserai Petch s'exprimer, il est habitué des récits d'aventure.
Il y a tout de même deux scènes qui m'ont dérangé. La bataille du pont, malgré toute sa pertinence dans l'attente, m'a parue déplacée. Il y avait bien d'autres manières d'exprimer la frustration de l'attente - et cette observation encore moderne que l'ennui pousse à, disons, l'action - et cette dispute n'était pas le meilleur. On nous fait planer une menace à laquelle personne ne croit (surtout parce qu'on s'attend à un abordage, il ne risque pas d'y avoir une mutinerie avant). En somme, c'est assez hors-sujet.
La seconde scène est un détail, mais qui m'a frappé, quand Weaving est allé se suspendre au mât. Il est extrêmement difficile d'imaginer un capitaine jouer les singes parmi les voiles, quand bien même il serait pirate. C'est le moment d'invraisemblance, quand bien même ce serait historiquement vérifié : en tant que lecteur néophyte je ne crois pas que les capitaines se suspendent aux mâts. Et c'est à ce détail qu'on mesure le nombre d'écueils que tu as évité, puisque tout le reste est vraisemblable.

Une remarque encore, il t'arrive de dénombrer les marins avec des chiffres. Ma préférence va à utiliser des lettres. "Quatre" au lieu de "4". Ici je fais mon normaliste.

Avant de reprendre sur Weaving, et quand bien même je me laisse prendre à ces récits et leur souci du détail, il me faut faire une remontrance. Passé la dispute sur le pont qui, comme je l'ai dit, était hors de sujet, le texte ne réserve pas de surprise. Même quand Weaving nous promet une partie de poker, au final tout va "according to the plan" et le navire anglais n'offre pas de résistance. On pourrait me raconter, avec la même minutie de détail, un accident de la route ou un achat au magasin, et je me laisserais prendre aussi mais tout de même.
Il manque des rebondissements, il manque du suspense. Même si l'éditorial d'Impe' m'avait intrigué... mais quelque part, à l'instant où la frégate est repérée - et peut-être avant, tous les petits accidents que tu places, la coque qui racle, le louvoiement et la décharge de canon, tout cela est accessoire. À aucun moment la proie ne semble difficile, et on se contente d'attendre la fin. Il n'y a même pas la possibilité - qui est mon habitude - de se sentir solidaire des anglais.
J'avoue que, pour tenter de remplir ce manque d'aventure et d'extraordinaire - et ce pourrait être lier à ce "classicisme" où il n'y a finalement que peu de risques - j'aurais des solutions toute amateures. Ajouter une escorte à la frégate, ou au moment du louvoiement, rendre son capitaine sensible à la ruse. J'aurais probablement amené un second échange de canon, tout ce qui aurait pu ébranler Weaving et le lecteur dans sa conviction d'une prise facile.

Mais le plus important reste que tu arrives à faire vivre ce bateau bien plus que Weaving, et j'y viens.

Dans l'Aubaine, Weaving était un amoureux des navires, calme et raisonnable, qui surprenait quand il criait et presque un idéaliste. Avec Abordage, Weaving devient beaucoup plus brutal et en cela il est difficile de le cerner, de lui assurer une cohérence. On peut, au final, s'attendre à peu près à tout de lui, du moins tout ce qu'on attendrait d'un capitaine de vaisseau.
Son trait dans l'Aubaine était bien cet amour des bateaux que personne ne partageait sur l'île, et qui le rendait donc unique. Cela ne fonctionnerait déjà plus dans Abordage, où tout capitaine est censé aimer son navire. Et du reste, on se focalise bien plus sur les navires que sur les capitaines - pense à la description sensuelle que tu fais de l'Anubis. Il ne lui reste donc aucun trait remarquable, ni dans son comportement, ni même dans son physique, puisque je serais incapable de dire à quoi il ressemble.
Je ne demanderai - surtout - pas un Jack Sparrow, et l'originalité tuerait la valeur de tes récits, qui sont leur vraisemblance solide. Mais il faudrait travailler la personnalité de Weaving, la rendre beaucoup plus repérable et familière au lecteur. Lui donner un point de repère pour que, face à une situation, il se dise "Weaving va faire ça". Et qu'ensuite le texte le récompense ou le déçoive, mais ne le laisse pas insensible.
Quelque part, et j'y reviens toujours, j'ai l'impression que tu préfèrerais jeter par-dessus bord tout l'équipage, et te satisfaire du bâtiment seul. Tu serais même sans doute très confortable avec un bâtiment spatial entièrement robotisé, dont le seul maître à bord serait un ordinateur central. Car enfin, qu'on mette Weaving à terre, il redevient un homme parmi les autres. Et c'est dommage.

Je ne vais pas le cacher, j'ai cette déception de ne pas pouvoir commenter parce que le texte est maîtrisé, et clairement maîtrisé. Je n'y trouve pas l'expérimentation du scribouillard, de l'écrivant sur internet, qui ne maîtrisant rien tente tout, souvent échoue mais tente.
En somme, je t'invite à la prise de risque.

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il y a 12 ans 3 mois #17936 par Demosthene
Réponse de Demosthene sur le sujet Re:Abordage
Je pense que je vois bien ce que tu veux dire, sur un peu tous les plans. Et j'apprécie cette critique plutôt positive.

J'ai corrigé la canonnade qui "fut tirée", ainsi que les chiffres au lieux des lettres, c'est de l'ordre du détail mais c'est important.

Pour le reste, oui, Weaving est accessoire par rapport à L'Anubis, et je comprends ce que tu veux dire en parlant de cohérence vis à vis du lecteur. Je tâcherais de travailler ça, peut être par une aventure introductrice, mais je ne voudrais pas faire redondant avec les infos que j'ai déjà donné. Je vais étudier la question.

La prise de risque, j'y viendrais maintenant que j'ai validé mes classiques, mais sans doutes pas avec Weaving, ou alors pas tout de suite. J'ai deux autres aventures en tête avant ça.

Merci beaucoup pour ton analyse.

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il y a 12 ans 2 mois #18036 par Zarathoustra
Réponse de Zarathoustra sur le sujet Re:Abordage
Difficile de âsser après Vuld, car il a balayé tout ce que je voulais dire et a pris le temps d'argumenter finement la chose.
J'ai moi aussi été charmé par ce récit d'aventure par son classicisme qui est à la fois un atout et une faiblesse. On sent que tu possède parfaitement ton sujet, ton vocabulaire est prècis et riches.
Mais si on suit ce récit avec plaisir, il y a également une certaine frustration à ne pas avoir d'étincelle. A aucun moment, on ne sent le bouillonnement de la vie et son côté imprévisible. En fait, tout ceci est fort bien raconté mais on ne vit finalement que ce qui a été déjà vécu en tant que spectateur de films (mais pas en tan que lecteur il est vrai). Et c'est bien là la faiblesse du texte. Si tu arrives à écrire parfaitement tes scènes, parfois en les scénarisant méthodiquement et habilement (je trouve moi aussi la scène d'approche bien rendu), tu es confronté à la mémoire des lecteurs qui ont vu des films de pirates, je fais partie de ceux qui en ont vu pas mal étant enfant car bercé par la dernière scéance du mardi soir et à une époque où Jack Sparrow ne sévissait pas encore sur nos mers des petits et grands écrans. Et du coup, il manque indégnablement de surprise.
Disons que tu as réussi un bel exercice de style, mais que ce récit manque de romanesque. Il n'y a pas véritablement de personnages creusés. Seul le capitaine est traité. Mais pour son malheur, il n'a pas de véritables protagonistes qui permettraient de le mettre en valeur. Autour de lui, il n'y a que des faire-valoire. Et lui même manque de personnalité. On te sent héistant à son sujet, comme si tu ne voulais pas basculer dans le grands méchants pirates mais que tu ne voulais pas assumer l'incohérence à le rendre finalement si humain. On le voit plus corsaire que pirate, ce qui dans la réalité n'avait en fait pas de sens. Or par rapport à un film, un récit permet justement de creuser les personnages puisque tu peux nous donner ses pensées, ses humeurs, ses hémotions finalement de manière beaucoup plus riche qu'un acteur. Or c'est bien ce que tu ne traites pas, tu en fait plus un acteur qu'un personnage.

La manque de romanesque est aussi dans l'intrigue elle-même. Plus le récit avance, et plus on est impatient de savoir que ce récit ne va pas aller là où on devine qu'il va arriver. Or, malheureusement, il arrive exactement là où on l'attendait quasiment dès le départ. Il y a quelques scènes qui paraissent bien fades et pas très utiles (la scène de la bagarre qui manque cruellement de tension), elle n'est là que pour montrer que le capitane n'est pas gentil, mais elle montre surtout qu'il n'est pas méchant.
C'est très surpenant car à plusieurs reprises tu as un véritable don pour donner des détails pour rendre crédible ton récit. Des détails sur la vie sur le bateau notamment. Mais il n'y a aucun détail pour créer des effets de surprises.

nfin, je pense que ce qui manque le plus, c'est une intrigue avec une tension ou un enjeun qui crerait un vrai suspense. Une sorte de "méta-intrigue" qui nous ferait comprendre que ce que nous lisons fait partie d'un tout plus vaste et que ce que nous lisons nous permettra de comprendre la suite ou permet d'entrouvrir les perspectives du récit.

Donc je finis moi aussi sur la même conclusion: à toi de prendre des risques. Je pense qu'en écrivant ce récit que tu savais que tu en étais capable, peut-être que tu as été surris par la longueur final, mais c'est au bout du compte soit trop court soit trop long pour le résultat final. Pour une nouvelle, il n'y pas de surprise final, pas d'aboutissement. Pour un grand récit, nous n'avons pas vraiment de resort pour donner envie de continuer car ce qu'on lit débouche sur quelque chose d'assez fermé.
Donc comme tu le vois, je n'ai pas dit grand chose de plus que notre renard.

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Modérateurs: SanKundïnZarathoustra
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