Les Martyrs de la Vérité - 2.6
- Mr. Petch
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- Vuld Edone
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La raison et simple : on est de son côté. Ses remarques font mouche, on n'aime pas la foule (mais non je ne leur en veux pas d'avoir pendu un acteur) et on se défoule à travers elle.
Agratius, au départ, était contre nous.
Bref.
Cela dit, j'ai retrouvé la phrase qui m'avait particulièrement frappé en écrivant mon éditorial. Et oui j'en ai profité pour faire un peu de mise en page.
Pourquoi cette phrase ?Autour d'Ophélia ils étaient nombreux à s'intercaler, et à s'emmêler les pas dans une danse désordonnée sur le trottoir bétonné du ministère.
Parce que la grande force du texte est, bien plus que la logique de l'univers, l'enchaînement des descriptions. On accumule les termes "complexes", ce qui est déjà un spectacle en soi, mais surtout on enchaîne les phrases, on les entrechoque quasiment dans un véritable carnaval. On ne laisse pas le temps de souffler. Et comme je suis partisan de ce genre d'écriture, forcément, j'ai apprécié.
Il faut l'avouer, les paragraphes sont longs. Et si c'est adapté pour Ophélia, où on n'a pas envie que le discours s'achève, il faut admettre que devoir "subir" le voyage, aussi animé soit-il, fait hésiter. Ces paragraphes-là auraient mérité plus d'étapes, à moins d'être particulièrement pris dans le récit.
Parfois aussi, l'enchaînement ne se justifie pas :
Mh. Je sais que ça se fait à l'oral, et je retrouve ça souvent dans les textes, mais j'avoue que quitte à reprendre le sujet, autant recommencer une nouvelle phrase. À défaut un point virgule.Le peuple des champs était aussi naïf que celui des villes, il acclamait les mêmes contes, se réjouissait des mêmes boniments.
Je voulais citer une autre phrase qui commençait l'enchaînement par un participe présent au lieu d'un "qui", mais je ne la retrouve pas. Grmf.
Il se peut que ce soit à force de lire ou de traduire des textes anglais, mais j'ai de plus en plus de mal avec le participe présent. Il constitue trop souvent l'information principale, celle mise en avant, et ce n'est pas vraiment le rôle de ce temps verbal... mais je n'y ai jamais vraiment réfléchi.
Quoi qu'il en soit, le but ici est l'enchaînement, le florilège, le côté festif qui doit faire tourner la tête.
Et c'est là que cette phrase devient intéressante. Je la reprends :
Les symboles en gras sont de moi. J'ai remarqué, à la lecture, que le "trottoir bétonné du ministère" contrastait. Ce sont surtout ces deux mots, "trottoir" et "bétonné", qui brise le côté festif et produit au contraire une atmosphère très froide, très terre-à-terre.Autour d'Ophélia ils étaient nombreux à s'intercaler, et à s'emmêler les pas dans une danse désordonnée // sur le trottoir bétonné du ministère.
Ce n'était sans doute pas ton attention, pas vraiment de raison de le faire, mais c'est comme si en fin de phrase on avait changé de style.
Cette remarque faite, je ne sais pas bien où je voulais en venir, sinon que le côté festif n'a même pas vraiment besoin de venir de l'enchaînement et de l'accumulation de termes, mais surtout de la nature de ces termes, de la focalisation sur les détails quelconques, sur le clinquant, sur le carnavalesque.
En bref, on ne décrit pas l'herbe sur le chemin, on ne décrit rien de concret. Ce sol bétonné est le seul véritable détail, solide, de toute cette partie -- même le bateau à Nocea est un décor.
Yup... c'est... étrangement tout ce que j'ai à dire. En tout cas pour le moment.
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- Imperator
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Autant le texte fut long et presque douloureux à lire (par sa très haute complexité linguistique), autant le résultat final est jouissif.« Encore ! Encore ! »
« Vivent Agratius et Ophélia ! »
« A bas les extraterrestres ! »
Ce qui est amusant, c'est que j'ai à la fois envie d'être d'accord avec le narrateur sur cette dernière conclusion, autant ça va à l'encontre de tous mes principes moraux et du paradigme de pensée dans lequel j'évolue.Vois, Agratius. Ils ne la comprennent pas. Ils ne la méritent pas. Laissons-les s'amuser. Laissons-les se raconter des histoires, ils ne méritent pas la Vérité. Ce n'est pas nous qui avons échoué : ce sont eux qui préfèrent perdre.
Mais quelque part, c'est parfaitement adapté au ton de l'histoire. J'ai juste peur que l'éventuelle métaphore liant les réactions de cette foule dans ce monde précis avec les réactions populaires dans notre monde à nous ne souffre d'une sensation d'extrême simplification du propose contrastant du reste avec le très haute niveau du langage employé qui apparaîtrait alors comme le rideau du magicien d'Oz aux yeux d'une personne comme moi qui chercherait à comprendre ce que je suis sensé retirer du texte.
Ou dit en d'autres termes: "Comment peut-on attendre de personnes dont on dit qu'elles sont sans éducation et endoctrinées de comprendre un discours aussi élaboré?"
Et puisque les personnages se réfugient derrière la science, j'ai envie d'ajouter: "Cela va à l'encontre du concept de zone proximale de développement avancé par Vigotsky qui est reconnu comme fondamental et l'un des éléments cruciaux pour la mise en place d'un plan d'éducation."
***
Je ne suis pas sur de comprendre cette tournure stylistique.« Oui. Elle est là, dans l'armoire. Je serais prêt. »
L'armoire était fermée.
Le premier degré de lecture dit que l'armoire était fermée, donc qu'on ne pouvait pas voir si l'habit s'y trouve réellement ou pas. Mais on apprend après qu'il a mis l'habit, donc il s'y trouvait. Donc non.
Le second degré de lecture dit que l'armoire était fermée, symbolisant le refus de mettre le costume. Mais on apprend après qu'il met le costume. Donc non.
Le troisième degré de lecture dit que l'armoire représente l'esprit d'Agratius qui reste fermé et son opposition à la mascarade qui va avoir lieu. Mais le parallèle reste faible dans la mesure où seul le terme "fermée" est employé, l'armoire n'ayant aucun lien particulier, ce d'autant plus que l'armoire renferme la mascarade (sous la forme de la tenue) et non pas un symbole de l'esprit d'Agratius.
Après, j'ai un quatrième degré de lecture qui veut que le "Elle est là" face référence à la couturière et non pas à la tenue, l'ambiguïté pouvant être relevée ici, mais ce n'est pas vraiment ce genre de récit à ce qu'il me semble .
***
Bref, le récit est extrêmement bien construit (notamment avec l'introduction de la destruction par l'événement de l'orphelinat, puis sa double reprise pour éviter trop le sentiment de répétition et en permettant de se focaliser sur le pourquoi de chacune des destructions), le style est riche, mais le scénario de fond me paraît un peu simpliste.
Même si je dois reconnaître que le plan d'Agratius a au moins l'avantage de le faire ressortir davantage comme quelqu'un d'intelligent qui comprend qu'il vaut mieux exploiter la situation que comme un adolescent rebelle qui voudrait tenter de convaincre les gens dès le départ dans des circonstances défavorables.
C'est juste que:
- Agratius accepte de jouer le jeu
- Le peuple se comporte stupidement
- Agratius fait un discoure très compliqué qui contraste avec la stupidité du peuple
- Le peuple ne comprend rien parce que le peuple est stupide
Ma foi, c'est un rien simplificateur.
Après, il reste le:
Avec 15% de la population qui, peut-être, créeront une différence sur le long terme dans le reste de l'histoire. À voir.une partie seulement, 15 % selon ce que je peux percevoir,
Mais du coup, ça amènerait à se demander pourquoi Johannes aurait laissé Ophélia faire l'ensemble de son long discours sans réagir (par exemple en coupant le micro). Son inaction est ce qui rend la scène épique, parce que cela donne l'impression qu'il sait que ce petit effort de rébellion est voué à l'échec. Il y a une condescendance jouissive derrière cette idée.
***
Bref, s'il y a deux choses à retenir de tout ça, c'est que:
1) Plus j'avançais dans le chapitre, et plus je voulais découvrir la suite.
2) Le texte m'a suffisamment touché pour provoquer cette réaction de ma part, dont le côté émotionnel m'apparaît assez clairement à présent.
Donc l'un dans l'autre: bien joué .
Impe.
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- Mr. Petch
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Juste une question pour vous : est-ce que vous avez lu juste le chapitre 2.6 ou aussi les précédents ? Je reconnais que c'est un chapitre qui se suffit à lui-même mais je suis curieux de savoir...
Vos remarques m'intéressent parce qu'elles tendent à confirmer mon impression que j'ai réussi, avec Les Martyrs, à aller où je voulais aller, mais que c'est pour le lecteur que le chemin est le plus difficile.
Je pense notamment à le remarque d'Impe :
Ce qui est amusant, c'est que j'ai à la fois envie d'être d'accord avec le narrateur sur cette dernière conclusion, autant ça va à l'encontre de tous mes principes moraux et du paradigme de pensée dans lequel j'évolue.
Et aussi :
Autant le texte fut long et presque douloureux à lire (par sa très haute complexité linguistique), autant le résultat final est jouissif.
En un sens, je suis content de cette remarque car elle me dit que texte a bien l'impact que j'ai voulu sur le lecteur (et ça vaut pour l'ensemble des deux parties des Martyrs) : une lecture difficile, complexe, avec des personnages peu attachants, mais où le lecteur qui est parvenu à aller jusqu'au bout est récompensée de façon ambivalente, puisqu'il est invité à se satisfaire de façon très méprisante, pessimiste, voire nihiliste.
Je reconnais avec le recul que c'est un texte très manipulateur, et aussi en cela il est "malaimable".
le rideau du magicien d'Oz aux yeux d'une personne comme moi qui chercherait à comprendre ce que je suis sensé retirer du texte
J'aime bien l'allusion au magicien d'Oz, je n'y avais pas forcément pensé, mais c'est vrai qu'il y a des parallèles. Je reconnais volontiers qu'il est difficile de comprendre ce qu'il y a derrière le texte, s'il y a un discours sur le monde contemporain... Moi-même, j'avais au début cette intention, mais elle a fini par disparaître devant l'exercice littéraire, ce qui se voit, je pense. Le but a fini par être davantage de brouiller les repères de pensée du lecteur plutôt que de lui suggérer une "Vérité".
En fait écrire ce texte m'a vraiment conduit à m'interroger sur la relation qu'un "écrivain" (un scribouillard dans nos cas !) peut ou doit avoir sur son lecteur. J'ai toujours écrit pour un lecteur idéal hautement intellectuel, complice, presque savant dans sa façon de lire mes textes, mais je me rends compte qu'avec les Martyrs j'ai atteint les limites de cette démarche en la poussant dans ses extrêmités les plus sombres, avec un narrateur qui, sur la fin, devient réellement méprisant. Et en un sens, c'est un vrai questionnement d'auteur, je trouve, que cette relation au lecteur : est-ce qu'on veut ou non lui faciliter la vie ? Je ne sais pas si vous-même vous posez cette question en écrivant...
Pour revenir aux remarque de Feurnard en particulier :
Pour commencer : autant j'ai haï Agratius au chapitre un, autant ici Ophélia est jubilatoire.
La raison et simple : on est de son côté. Ses remarques font mouche, on n'aime pas la foule (mais non je ne leur en veux pas d'avoir pendu un acteur) et on se défoule à travers elle.
Agratius, au départ, était contre nous.
Je suis intéressé par la différence que tu fais entre l'Agratius du début et l'Ophélia de la fin. Pour moi, on est sur un même propos, aussi prétentieux et moralisateur, mais tu sembles dire qu'Ophélia est nettement plus supportable dans cette scène qu'Agratius au début de l'histoire... Est-ce à cause de l'humour, ironique, introduit par les remarques d'Ophélia, là où Agratius demeure un personnage dépourvu de second degré ? Dans tous les cas, j'ai voulu faire en sorte que les premières "paroles" d'Ophélia soit suffisamment marquantes : elle incarne la Vérité. Elle doit secouer tout le monde, et surtout le lecteur.
Sur le reste du récit, oui, c'est un carnaval, voulu comme tel. Et il se peut qu'il y ait des ruptures de rythme, j'ai eu du mal à "composer" cette partie (à partir du départ des beaux quartiers), et j'aurais voulu décrire un crescendo beaucoup plus marqué, alors que là, on est davantage dans des montagnes russes. Ta remarque sur le "trottoir bétonné" montre sans doute les limites de l'exercice : une relecture pourrait permettre donner plus d'impact à l'ensemble en évitant les ruptures.
Ou dit en d'autres termes: "Comment peut-on attendre de personnes dont on dit qu'elles sont sans éducation et endoctrinées de comprendre un discours aussi élaboré?"
C'est amusant parce que j'ai longtemps hésité sur la teneur exacte de la fin de la scène. Au début, il devait y avoir une sorte de révolution, sous l'effet du discours d'Ophélia, sans qu'on sache vraiment si le "peuple" réagissait en pleine conscience, ou toujours par jeu. Et puis au fur et à mesure de l'écriture, une fin plus simple, plus pessimiste aussi, m'est venue, et pas seulement parce que j'avais la flemme d'écrire toute une scène de révolte. Aussi parce que le personnage d'Agratius avait évolué de tel façon qu'il était difficile de le voir comme un leader révolutionnaire. Curieux de constater comme nos personnages nous échappent, parfois... Agratius en a été une excellente illustration.
"Cela va à l'encontre du concept de zone proximale de développement avancé par Vigotsky qui est reconnu comme fondamental et l'un des éléments cruciaux pour la mise en place d'un plan d'éducation."
Je ne l'aurais pas mieux dit !
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- Vuld Edone
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C'est juste qu'au moment de l'éditorial j'ai jeté un oeil au texte et j'ai eu du mal à arrêter.
Cela dit, rappelle-toi du principe d'identification.
Dans le premier chapitre, on s'identifie à Donatien. C'est le personnage qui agit, c'est le personnage qu'on suit, c'est à travers lui qu'on voit les choses. Quand Agratius parle à Donatien, il parle au lecteur à travers l'identification. Et donc Agratius méprise le lecteur à travers Donatien.
Dans ce chapitre, on s'identifie aux enfants. On est spectateur comme eux, on regarde faire la foule de loin et on ne risque pas de sympathiser. Quand Ophélia parle à la foule, on s'identifie donc à Ophélia. Elle ne nous méprise pas, c'est nous qui méprisons. Et encore, on est gentil, on leur donne 13% de chances.
Donc non, rien à voir avec les remarques, c'est plus un effet "Monte-Christo". On a passé un chapitre à désapprouver la foule, donc peu importe si Ophélia est pas gentille, on se défoule.
L'identification est toujours une valeur sûre quand il s'agit de manipuler le lecteur.
Pour la relation entre moi et mes lecteurs...
...
Oui je mets des points de suspension pour faire la séparation.
En CdE, j'ai reparlé de la clarté du texte. Il s'avère, après examen, que je suis toujours viscéralement lié à mon objectif littéraire, c'est-à-dire les trois lectures :
- lecture de surface : interprétation fausse ou absence d'interprétation
- lecture intermédiaire : toutes les interprétations possibles des lecteurs
- lecture profonde : mon interprétation
Mon but est toujours de pousser le lecteur à changer de logique, donc oui, je suis forcé d'être plutôt exigeant envers lui. C'est plus fort que moi. Et j'ai découvert que c'était pour ça que je "cachais" l'information.
Ca va même plus loin.
Il y a un texte où j'ai réussi à faire une lecture de surface qui plairait à Imperator, au sens où elle suffit au lecteur. Tous les lecteurs s'y sont arrêtés et tous les lecteurs trouvent le texte génial, avec quelques nuances mais oui, il est plébiscité. La surface est tellement confortable qu'aucun lecteur n'a regardé les indices pour chercher plus loin.
Je vis ce texte comme un échec.
Donc non, définitivement non : je ne veux pas lui faciliter la vie. Je ne dois pas trop la compliquer non plus, c'est un équilibre, un juste milieu, mais je ne veux définitivement pas qu'il flemmarde au travers de mon texte.
Mon lecteur doit être réveillé et aux aguets, prêt à tout réviser avec la promesse que ça en vaut le coup.
C'est le but en tout cas.
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- Imperator
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Je n'ai lu que le 2.6 et n'ai que le souvenir des anciens deux premiers chapitres. Je manque trop de temps pour plus.Juste une question pour vous : est-ce que vous avez lu juste le chapitre 2.6 ou aussi les précédents ? Je reconnais que c'est un chapitre qui se suffit à lui-même mais je suis curieux de savoir...
Si, j'ai exactement la même question en tête et ce constamment. Ma réponse étant toujours: simplifie, explicite, fais en sorte qu'il comprenne.Et en un sens, c'est un vrai questionnement d'auteur, je trouve, que cette relation au lecteur : est-ce qu'on veut ou non lui faciliter la vie ? Je ne sais pas si vous-même vous posez cette question en écrivant...
Après, je n'arrive que rarement à simplifier suffisamment ce que je veux dire, parce que j'ai l'impression d'insulter l'intelligence du lecteur. C'est ce qui constitue ma limite.
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- Vuld Edone
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Sentiment partagé.Après, je n'arrive que rarement à simplifier suffisamment ce que je veux dire, parce que j'ai l'impression d'insulter l'intelligence du lecteur.
Même si, au niveau de l'efficacité, le lecteur fait preuve d'intelligence. Si comprendre demande trop d'efforts, il ne fera pas l'effort, c'est la chose intelligente à faire.
Au fond, un texte intelligent n'est pas difficile à faire. Comme tu l'as dit, en surface ça doit être confortable, avec des personnalités, de l'humour, du drama... même si tu ne comprends pas, tu passes un bon moment. Et derrière, le texte pose clairement une question, te fournit toute l'information suffisante puis te laisse aboutir à tes conclusions, avant de te fournir (ou pas, question ouverte) ses conclusions.
Si c'était juste une question d'intelligence, je rendrais au moins l'enjeu de mes textes accessible.
Mais mes textes sont bien plus cryptiques, au point que l'enjeu lui-même (les clés de lecture dont parlait Zara' autrefois) est caché. Ce n'est pas juste que je considère mon lecteur intelligent, je considère mon lecteur critique.
Dans mon dernier texte, "Le cours du siècle" (désolé Petch pour le hors-sujet)... je vais le transposer dans l'univers de l'Atasse :
Imagine que le professeur Hauterive soit invité à la cérémonie d'ouverture d'une université. Avant les discours et le ruban, il cause avec le public -- il est célèbre -- et quelqu'un lui dit, anodin, "bon quand même c'est dommage d'avoir fichu deux lampadaires devant l'entrée, ça rend le tout laid".
Et là, Hauterive lui explique la fonction protectrice des lampadaires, l'histoire du mégérévé, ce qui est arrivé à Pontier et l'existence de l'Apocalypse.
Il passe pour un fou.
Personne n'ose vraiment lui dire qu'il est fou parce que bon c'est un professeur célèbre mais on n'en pense pas moins, et quand le professeur doit partir, un collègue vient le trouver et lui fait "non mais vous savez que tout ça c'est faux ?" Et Hauterive, après un moment de silence, admet que oui.
Dans tout le texte, on part de l'idée que le professeur a tort. Tous les personnages sont persuadés que c'est faux et réagissent en conséquence. La narration elle-même souligne l'absurdité du propos. En fait on ne donne que deux choix au lecteur :
- Soit le professeur ment
- Soit le professeur est fou
Mais dans les faits, Hauterive dit vrai. Et sous ma plume son discours serait rigoureux, scientifique. Pas nécessairement vrai mais au moins possible. Il part même d'un fait réel : oui, les lampadaires sont très mal placés. Et il pourrait évoquer un tas d'autres curiosités de ce genre pour appuyer son propos.
Mais les personnages, et le lecteur, sont poussés à ne pas le croire. Tout le texte est dirigé contre Hauterive.
Et ça n'a pas manqué. À la lecture, les lecteurs ont fait "je ne suis pas sûr de comprendre" et, selon l'humeur, l'ont supposé blagueur ou sénile. Aucun n'a envisagé la troisième possibilité, qu'il dise vrai.
Dans les faits, j'ai observé que si je dis au lecteur "eh... tu sais... il a peuuuut-être raison" alors pour moi le texte a déjà échoué.
Je dois lui cacher l'enjeu, je dois lui cacher les indices et je dois croiser les doigts pour qu'il fasse l'effort de dépasser le "préjugé", pour ainsi dire littéralement.
Donc ce n'est pas juste que j'ai besoin d'un lecteur intelligent. Il l'est. J'ai besoin d'un lecteur critique. Prêt à faire un effort au coût démesuré pour le gain supposé. Ce qui est généralement le coût pour dépasser une idée reçue.
Ah, l'humanisme, quel sujet passionnant...
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- Mr. Petch
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Dans mon dernier texte, "Le cours du siècle" (désolé Petch pour le hors-sujet)... je vais le transposer dans l'univers de l'Atasse :
Ce n'est pas hors sujet... A vrai dire, je pense même que c'est un trait que nous partageons dans nos récits...
Je suis d'accord sur la différence entre "intelligent" et "critique", du moins si je comprends "critique" au sens de "doué d'un esprit critique", pas forcément au sens de "critique littéraire". Je relie ça avec un lecteur qui saurait prendre du recul avec sa lecture, et mettre en doute le narrateur. Pour reprendre ton exemple : si je comprends bien, le lecteur critique est celui qui comprend que le narrateur du texte veut nous amener à croire que Hauterive ne dit pas la vérité, et du coup se pose la question "et si c'était vrai", et relis le texte à la lumière de cette implication.
En un sens, Les Martyrs a évolué comme un texte qui réfléchit à cette problématique, d'où le personnage Johannes comme auteur/narrateur dont la parole est d'emblée mis en cause comme mensongère.
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- Vuld Edone
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Je suis en train de remarquer que j'ai mis en page le tout premier chapitre mais pas les autres. J'aurai du boulot.
Essentiellement : mettre un espace entre les paragraphes.
Il faudrait que je lise tous les chapitres que j'ai en retard pour le dire vraiment, mais yup, la question de la vérité est en jeu à tous les niveaux du texte.
Le véritable danger, avec les Martyrs, de mémoire, était le manque d'objectif clair à long terme. Il y avait toujours une situation nouvelle, à la manière d'un feuilleton -- tu en avais parlé -- mais on ne savait pas vraiment où on allait, d'où un lecteur forcé à être assez passif, trop spectateur.
Ce qui est en partie le but, les Martyrs sont une déconstruction des récits "habituels", on prend une histoire et on la découd. On est censé traverser l'océan, parler à d'autres peuples, affronter des extraterrestres mais tout cela fait partie d'une histoire fausse. Le véritable travail du lecteur serait de savoir où on va vraiment.
À mon avis c'est là que se jouerait le travail critique.
Bien plus que de savoir qui d'Agratius ou de Johannes (tous deux des menteurs professionnels) dit la vérité. Pour moi l'intérêt est surtout ce qu'implique cette Vérité, ce qu'il veut en faire, son but, son plan. Et l'intérêt du texte serait, au travers de ses décisions, des circonstances qui le forcent à s'adapter, de deviner ses intentions.
Mais à un autre niveau, il resterait à déconstruire la narration tout comme la narration déconstruit les récits de Johannes -- et, au besoin, d'Agratius. Ce qui serait un défi en soi...
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- Mr. Petch
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Mais à un autre niveau, il resterait à déconstruire la narration tout comme la narration déconstruit les récits de Johannes -- et, au besoin, d'Agratius. Ce qui serait un défi en soi...
Tu ne crois pas si bien dire... Attends de lire la suite !
Le véritable danger, avec les Martyrs, de mémoire, était le manque d'objectif clair à long terme. Il y avait toujours une situation nouvelle, à la manière d'un feuilleton -- tu en avais parlé -- mais on ne savait pas vraiment où on allait, d'où un lecteur forcé à être assez passif, trop spectateur.
Je ne sais pas si la réécriture a vraiment réussi à résoudre ce problème, et j'aimerais bien avoir vos avis sur ce point. A vrai dire, je pense surtout avoir réussi à recentrer l'intrigue sur quelques fils, et à éliminer des intrigues parallèles qui nuisaient à la compréhension.
Mais en relisant cette question :
Ce qui est en partie le but, les Martyrs sont une déconstruction des récits "habituels", on prend une histoire et on la découd. On est censé traverser l'océan, parler à d'autres peuples, affronter des extraterrestres mais tout cela fait partie d'une histoire fausse. Le véritable travail du lecteur serait de savoir où on va vraiment.
Je ne pas vraiment l'impression d'avoir réussi à clarifier l'enjeu du texte, sauf si on considère que dire au lecteur "attention, la Vérité n'est pas ce que tu crois" est un enjeu, mais c'est plus un moyen qu'un enjeu. A vous de me dire, mais je pense en être resté à ce moyen, donc à un texte "en suspens" et aux multiples interprétations, peut-être trop hermétique.
En fait, en travaillant sur les ebooks et en relisant Weaving de Demosthène, qui est une merveille de classicisme et de clarté du propos, j'entrevois un peu mieux cette question de l'enjeu. Demosthène parvient à imposer dès le départ du texte un enjeu ("Le capitaine Weaving fait la course avec le capitaine Barthélemy" et à ne pas en dévier, et pourtant il parvient à créer des effets de suspense, de surprise. Moi, j'ai l'impression que pour créer ces mêmes effets, j'ai besoin de d'abord perdre le lecteur.
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- Zarathoustra
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Le texte a clairement deux parties.
La première faite constituée d’une succession de description plus ou moins répétitive nécessite effectivement un effort dans le sens où on n’a pas de vraie motivation à lire. On sait ce qui va se passer et on lit en se disant que ce n’est pas aussi nécessaire d’en mettre à ce point autant.
J’ai moi aussi été intrigué par :
« Oui. Elle est là, dans l’armoire. Je serais prêt. »
L’armoire était fermée.
J’ignore pourquoi, mais elle a un réel impact que n’ont pas les autres. Elle a sa logique et son mystère. Elle crée une tension énorme qui manque un peu dans cette première partie. « Elle est fermée » laisse entendre qu’il y a quelque chose de pas normal, qu’on nous cache quelque chose.
Pour ce qui est des description, j’avoue qu’elles m’ont un peu saturé. Tu as exprimé tes intentions, mais je pense que tu avais matière à « distraire » davantage le lecteur. Nous sommes dans une position très passive, de spectateur un peu contraint à suivre toute une séquence qu’il n’a pas envie de lire. Et d’ailleurs, cela te joue même des tours dans la mesure où tes inventions stylistiques finissent par glisser sans qu’on les distingue vraiment.
Un exemple que j’aurais travaillé la scène où la foule détruit par surprise l’orphelinat. Ici, on a droit à un non évènement traité comme le reste, alors qu’il s’agit de quelque chose d’imprévu. Du coup, on ne se pose aucune question. Je sais que c’est un peu le but du texte de nous donner du spectacle qui est censé empêcher la réflexion mais ton thème est aussi le divertissement.
D’ailleurs, vos remarques sur la relation entre le lecteur, l’auteur et les intentions du texte m’ont vraiment interpelé. Il y a une dimension que je vois et qui ne doit pas être incompatible avec votre motivation qui serait de « distraire » le lecteur. Et d’ailleurs, pour moi, la distraction serait même une clé d’écriture. J’ai parfois besoin de distraire le lecteur de ce qui est important, un peu comme quand on veut piquer une frite à son voisin en lui disant de regarder ailleurs. On doit vraiment lui donner envie de regarder ailleurs pour mieux lui piquer sa frite tranquillement à son insu.
Si je continue mon allégorie, le lecteur a eu envie de regarder ailleurs là où je le lui ai dit. Et puis, à un moment, il sera en droit de se demander pourquoi. Mais ce sera à lui de compter ses frites après. Soit il comprend qu’il en a fait les frais, soit il reprend son assiette sans s’en soucier. Mais là aussi, c’est intéressant dans la mesure où le lecteur aime manger des frites.
Bref, en guise de conclusion, je dirais donc que ta première partie manque de frites.
Pour la seconde partie, c’est une autre affaire. Alors que je redoutai mon affrontement de la séquence du discours, j’ai été enchanté. D’abord, c’est clairement drôle, le message est clair (heu… oui, enfin, je me comprends ) et il fourmille d’artifices subtiles pour créer une sorte de suspense. Autant dans la première partie, je me disais que tu avais du courage et du talent et de la volonté pour te confronter à un tel exercice de style sur tes descriptions, mais en me refusant d’admettre que je m’ennuyais, autant ici, on est littéralement capté dès la première phrase. J’ai moi aussi été frappé par les mêmes questions qu’Imperator sur la complexité du texte et sa destination ainsi que l’absence de réaction de Johannes.
Quant au dénouement et l’aparté final, ils font froid dans le dos et relance tous les enjeux du texte. Cependant, sur le fond de ton propos, J’ai du mal à adhérer. Tu traites l’humanité comme une foule uniforme, alors que je l’envisage comme une somme d’individu. Même au plus fort du nazisme, il y avait des opposants. Et en abordant la foule de manière aussi compacte, tu occultes me semble-t-il le point essentiel qui est de savoir comment des individus en viennent se fondre dans une foule et comment et pourquoi un être humain abandonnerait-il son individualisme, son libre arbitre pour de soi-disant divertissements ?
C’est vrai que ton texte est ingrat, sans doute volontairement, que tu as là une gageure que j’admire, mais il est parfois difficile d’y adhérer de bout en bout. Et c’est difficile pour nous, parce qu’on sait qu’on est comme des cobayes dans tes pattes, et qu’on se dit qu’on n’a pas le droit de juger ton texte parce que , quelque part, toutes les critiques qu’on ressent sont « fait exprès ». A mon sens, d’ailleurs, ton ultime défi serait de nous divertir même quand ton intention serait le contraire.
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- Mr. Petch
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Je commence par la fin :
C’est vrai que ton texte est ingrat, sans doute volontairement, que tu as là une gageure que j’admire, mais il est parfois difficile d’y adhérer de bout en bout. Et c’est difficile pour nous, parce qu’on sait qu’on est comme des cobayes dans tes pattes, et qu’on se dit qu’on n’a pas le droit de juger ton texte parce que , quelque part, toutes les critiques qu’on ressent sont « fait exprès ». A mon sens, d’ailleurs, ton ultime défi serait de nous divertir même quand ton intention serait le contraire.
Là-dessus, j'ai tendance à penser que justifier tel ou tel choix contestable en disant "c'est fait exprès" a toujours été un mauvais argument. Donc je vais commencer par appliquer ce raisonnement à moi-même et ne pas répondre "c'est fait exprès".
En fait, on en a déjà beaucoup parlé ci-dessus, mais il y a une vraie question de ce qu'on peut "infliger" ou non au lecteur. En tant que lecteur, j'adore les textes compliqués grammaticalement et narrativement (je suis un grand fan de Butor et Robbe-Grillet) et je m'ennuie devant certains textes linéaires. Forcément, ça se ressent quand j'écris : je n'aime pas écrire de façon "évidente".
Ceci dit, ta dernière phrase est très juste : la réussite réelle serait de divertir le lecteur en lui faisant lire un texte qui va à l'encontre de l'idée du roman comme divertissement. Et de ce point de vue là Les Martyrs n'est pas réellement réussi, ou en tout cas j'ai interrompu mon défi d'écriture à "écrire un texte qui va à l'encontre de l'idée du roman comme divertissement".
Du coup quand tu dis :
D’ailleurs, vos remarques sur la relation entre le lecteur, l’auteur et les intentions du texte m’ont vraiment interpelé. Il y a une dimension que je vois et qui ne doit pas être incompatible avec votre motivation qui serait de « distraire » le lecteur. Et d’ailleurs, pour moi, la distraction serait même une clé d’écriture.
Puis la métaphore de la frite... Tu pointes du doigt ce qui manque : concilier un récit captivant et une complexité d'écriture. Mais là c'est un défi difficile, et je ne pense pas que je le retenterai.
Ce qui est intéressant, c'est qu'en écrivant Les Martyrs, j'ai eu la sensation d'atteindre les limites de ce que je pouvais infliger au lecteur et m'infliger à moi dans l'écriture. ça se ressent dans la troisième partie où, au contraire, j'essaye de prendre du recul par rapport à cette écriture complexe en trichant sur le narrateur.
Pour le dire autrement, j'ai voulu aborder par ce texte une question beaucoup plus politique sur l'éducation des foules qui me travaille beaucoup : est-ce au lecteur ou à l'auteur (qu'il soit littéraire ou non) de faire un effort pour comprendre la complexité du monde ? C'est le sens du discours d'Ophélia : si vous voulez vraiment atteindre la Vérité, il faut que vous fassiez un effort. Mais dans le fond, toi Zara tu retournes le problème en disant : est-ce que ce n'est pas plutôt à l'auteur de faire l'effort de présenter la complexité de façon simple...
Je ne suis pas si je suis clair, mais c'est comme ça que je comprends ta réflexion.
Nous sommes dans une position très passive, de spectateur un peu contraint à suivre toute une séquence qu’il n’a pas envie de lire.
Là par exemple, je trouve que tu pointes bien la question qui est : comment impliquer le lecteur dans la lecture ? Et pour moi c'est une vraie difficulté, cette question. Elle revient à se demander si on prend le lecteur de haut ou pas... Et donc on en revient à cette question de l'éducation des foules.
Quant au dénouement et l’aparté final, ils font froid dans le dos et relance tous les enjeux du texte. Cependant, sur le fond de ton propos, J’ai du mal à adhérer. Tu traites l’humanité comme une foule uniforme, alors que je l’envisage comme une somme d’individu.
Pour le coup, j'ai écrit ce texte à un moment où j'étais plutôt d'une humeur sombre et désespéré par l'humanité, et a posteriori ça se ressent dans les réactions d'Ophélia et de la foule (dans une autre version, la foule se rebellait effectivement contre la Firme). Mais je t'accorde que c'est plutôt ma façon de voir la foule, même si maintenant je serais beaucoup plus nuancé. Dans le même temps, dans ce dénouement (comme dans le dénouement des Cimes) j'essaye de reproduire l'effet que m'avait fait la lecture de la fin de 1984 d'Orwell.
Et en abordant la foule de manière aussi compacte, tu occultes me semble-t-il le point essentiel qui est de savoir comment des individus en viennent se fondre dans une foule et comment et pourquoi un être humain abandonnerait-il son individualisme, son libre arbitre pour de soi-disant divertissements ?
Là-dessus, sans trop rentrer dans le débat politique (mais je suis ravi que mon texte soulève ces réflexions, car c'est aussi mon but !), je développe dans Les Martyrs une conception politique qui est très marquée par la première moitié du XXe siècle, le totalitarisme, le stalinisme, le marxisme-léninisme, le nazisme, où l'individualité, qui est un concept plutôt récent, n'a pas lieu d'être. Je voulais donner cette coloration un peu "rétro" au texte. Là où tu pointes un problème c'est que dans le fond, on comprend mal comment "la foule" en est venue à ce comportement d'aveuglement extremiste. A aucun moment je ne justifie vraiment ce comportement.
Pour la seconde partie, c’est une autre affaire. Alors que je redoutai mon affrontement de la séquence du discours, j’ai été enchanté. D’abord, c’est clairement drôle, le message est clair (heu… oui, enfin, je me comprends ) et il fourmille d’artifices subtiles pour créer une sorte de suspense.
C'est amusant parce que c'est aussi un texte que j'ai eu un grand plaisir à écrire. Ceci dit, je suis persuadé que s'il n'y avait pas avant toutes les descriptions laborieuses, le plaisir du lecteur (et de l'auteur) n'aurait pas été si grand. A mon sens, c'est le décalage qui fait que cette séquence fonctionne.
On sait ce qui va se passer et on lit en se disant que ce n’est pas aussi nécessaire d’en mettre à ce point autant.
Fichue manie... Je crois que je suis accro aux descriptions !
**
Bref, en conclusion, je suis content de ces remarques pour toutes les questions qu'elles posent, du positionnement de l'auteur par rapport au lecteur, de la nature du message qu'on souhaite faire passer... C'est aussi pour réfléchir à ces questions (à "comment on écrit") que j'aime écrire. De ce point de vue là Les Martyrs m'a forcé à infléchir ma position, d'être moins cruel avec le lecteur. Et j'admire vraiment certains auteurs, comme Orwell justement qui parviennent à être à la fois très clair et profonds. Mais y a du boulot !
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- Zarathoustra
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Pour ta défense, je n'ai pas lu le texte dans un contexte aussi immersif que lorsque je lis un livre. D'abord la lecture est beaucoup plus fragmentée et mon esprit n'était pas forcément prêt à la lecture qu'il impliquait. Donc je te donne les impressions d'un lecteur un peu biaisé. Quand tu lis du Robbe-Grillet, tu sais à quoi t'attendre, et tu l'abordes en étant disposé. Quand on lit un texte ici, on ne sait pas à quoi s'attendre. C'est vrai, quoi, que ce toi, Feurnard, Imperator, et même Jeagend, on ne sait jamais à quoi s'attendre. C'est ce que j'aime. Mais c'est aussi parfois difficile parce que justement on n'a pas forcément l'esprit prêt à tout à chaque fois.Et de ce point de vue là Les Martyrs n'est pas réellement réussi, ou en tout cas j'ai interrompu mon défi d'écriture à "écrire un texte qui va à l'encontre de l'idée du roman comme divertissement".
Et pour te dire la vérité, j'ai lu le texte entre midi et deux au travail (comme je le fais souvent), parce que j'aime me reconnecter à un monde très différent de la banque pour m'apporter un certain équilibre. Mais parfois, certains textes que je trouve ici mériterai plutôt que je les lise le soir (seulement actuellement je lis assez peu le soir).
En fait, non. Robbe-Grillet n'écrit pas pour tout le monde. Ce conseil fonctionnerait dans la mesure où l'on souhaite être lu du plus grand nombre (tout reste relatif). Ce que je veux dire, c'est qu'il me parait difficile de vouloir apprendre à écrire comme nous sans avoir cette intention. Si c'est pour toucher uniquement une élite parisienne, quelque part, ça voudrait dire qu'on sait écrire et qu'on n'a juste à trouver une maison d'édition...Ceci dit, ta dernière phrase est très juste : la réussite réelle serait de divertir le lecteur en lui faisant lire un texte qui va à l'encontre de l'idée du roman comme divertissement.
Oui, c'est difficile. Mais je ne suis pas sûr non plus que ça manque totalement. Tu y parviens, mais parfois je ressent l'effort (comme dans ta première partie) alors que je ressens aussi le plaisir d'écrire comme dans ta seconde. Je diras que dans un cas, je vois plus la volonté d'une discipline un peu forcée, dans l'autre un vrai naturel jubilatoire au cours duquel je me disais "ça, c'est vraiment le Petch que j'aime lire".Tu pointes du doigt ce qui manque : concilier un récit captivant et une complexité d'écriture. Mais là c'est un défi difficile, et je ne pense pas que je le retenterai.
J'admire ta volonté et ton courage d'avoir mené jusqu'au bout un tel projet qui a dû te poser beaucoup de problèmes. Et pour lequel tu as dû trouver en toi des solutions. Tout ce travail que tu as mené a forcément un impact sur ton écriture à venir. Je suis certain qu'il y aura un avant et un après.
Je crois que tu as formidablement résumé ma vision des choses. Le texte que je suis en train de terminer pourrait en être une illustration. Il contenait certains passage très abstraits. Je n'ai pas arrêté de les simplifier. Je cherche un style qui rende la lecture la plus lisse possible. J'ignore si j'y parviendrais. Et l'autre axe de travail est d'essayer de faire disparaître tous mes efforts pour obtenir le résultat souhaité. J'aimerais qu'on ne voit pas à quel point certains passages ont été travaillés et retravaillés. Et si en le lisant, on ne voit rien, alors je me dis que j'aurais réussi. Mais à la différence de toi, j'aborde plus frontalement le contenu abstrait du texte. J'en fais ouvertement mon sujet même si j'ai essayé de tout faire disparaître par le style. Disons qu'entre ce que vous lirez et ce qu'il y avait au départ, j'ai considérablement allégé (sans pour autant baisser mes exigences) car il m'est très facile de basculer dans l'abstraction indigeste avec des phrases artificiellement complexes.Mais dans le fond, toi Zara tu retournes le problème en disant : est-ce que ce n'est pas plutôt à l'auteur de faire l'effort de présenter la complexité de façon simple...
Je ne suis pas si je suis clair, mais c'est comme ça que je comprends ta réflexion.
Oui, j'ai bien vu cette volonté. Et c'est marrant que tu cites Orwell, parce qu'en te critiquant, je pensais en même temps à lui en contre-exemple de ce que je te disais...Là-dessus, sans trop rentrer dans le débat politique (mais je suis ravi que mon texte soulève ces réflexions, car c'est aussi mon but !), je développe dans Les Martyrs une conception politique qui est très marquée par la première moitié du XXe siècle, le totalitarisme, le stalinisme, le marxisme-léninisme, le nazisme, où l'individualité, qui est un concept plutôt récent, n'a pas lieu d'être.
Ta théorie sur le "tout divertissement" comme moyen d'aliéner un peuple est intéressante. Et parfois, je me dis que je la partage. Je suis affligé de voir la volonté des politiques de niveler par le bas, y compris sur la culture, dès le moment où on s'adresse au grand publique. Est-ce le peuple qui veut ça ou est-ce les dirigeants qui nous l'imposent? Quand on voit toute les chaînes dont on dispose et les toutes dernières à être entrer sur la TNT, on se demande pourquoi on a empêché des créations de chaînes vraiment culturelles ou cinéphiles qui n'existent quasiment pas (sauf à payer) pour nous offrir 3 ou 4 autres déclinaisons de ce qu'on n'avait déjà sous toutes les formes...
Donc ton approche est très pertinente, seulement, effectivement, tu places tous tes protagonistes hors de cette foule. Tous portent un regard hautain sur elle sans jamais s'y intéresser. Et du coup, la noirceur du texte est à la fois saisissante, mais je la trouve aussi un peu injuste. Mais y a des jours où je la partagerais presque...
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