Le guide de l'écriture
- Iggy Grunnson
- Auteur du sujet
- Hors Ligne
- Messages : 418
Voilà la première partie, qui concerne assez logiquement les idées qui nous poussent à écrire. Bonne lecture!
Au commencement de tout : les idées…
Sans doute la partie sur laquelle l'auteur a le moins de contrôle, mais c'est aussi la plus importante : c'est elle, qui, pour l'essentiel, conditionne votre envie d'écrire. Si l'inspiration ne vous vient pas, pas besoin d'insister, la feuille blanche ne vas pas se remplir d'elle-même. Personnellement, mes idées peuvent venir de différentes sources : livres, films, musique - et œuvres d'art en général, tout dépend de votre sensibilité - peuvent servir pour s'aventurer sur de nouvelles pistes, de même que les événements du quotidiens, les rêves que vous avez faits peuvent vous inspirer des histoires.
A ce stade, il convient toutefois d'effectuer un tri préliminaire : certaines idées ne passeront jamais à l'écrit, et ce pour différentes raisons. S'inspirer d'œuvres anciennes, par exemples, peut mener au simple plagiat, et il est bon de s'assurer de l'originalité de son idée avant d'aller plus loin. De même, il est bon de mettre en parallèle l'ambition de votre histoire et le temps que vous avez à y consacrer : inutile de se lancer dans une grande saga si vous n'avez aucune chance de la terminer. Il s'agit aussi de faire preuve de réalisme : si votre idée est trop ténue (un seul rebondissement par exemple), il vaut mieux attendre plutôt que de se lancer tête baissée dans la rédaction.
Dans l'ensemble, il faut comprendre qu'une seule idée, aussi forte soit elle, ne fait pas un récit : si vous construisez une histoire autour d'une seule scène, la motivation risque de vous quitter une fois ce moment fort écrit, voire même avant. D'autres idées peuvent même surgir, et parasiter votre projet si vous vous êtes lancés trop vite : c'est le syndrome bien connu du récit inachevé, qui voit l'auteur se lancer à chaque nouvelle inspiration dans un nouveau récit, qu'il n'a bien sûr aucune chance de mener à bien. Dans l'ensemble, il est préférable de " stocker " un certain nombre d'idées différentes avant de se lancer : ainsi, votre récit reposera sur de nombreuses ressources différentes, et votre intérêt n'en sera que plus grand. Plutôt que de se lancer dans un western, puis passer à une histoire de vengeance pour enfin raconter les histoires de votre héros préféré, pourquoi ne pas réunir tous ces éléments dans un seul et même projet ? La difficulté, qui est aussi une partie intéressante du travail, consiste justement à former un tout cohérent à partir d'idées différentes, comme nous le verrons plus tard.
Enfin, une dernière remarque : à ce stade, inutile de vous préoccuper des goûts de vos lecteurs. La recherche d'inspiration est une des phases où l'auteur se doit d'être le plus fidèle à lui-même : il doit suivre ses propres idées, aussi atypiques lui semblent elles. Car si le projet dans lequel vous vous lancez ne vous tient pas absolument à cœur, le découragement vous gagnera à un moment ou un autre. D'ailleurs, il serait présomptueux d'anticiper sur les attentes des lecteurs en leur proposant ce que vous pensez qu'ils attendent : je pars toujours du principe que le lectorat est composé d'individus intelligents, à même décider de ce qui leur plaît ou non. Plutôt que de tergiverser sur ce qui peut plaire ou non, lancez vous, et gardez à l'esprit que l'accueil fait à votre travail, en définitive, ne dépend plus de vous.
Iggy
Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.
- Iggy Grunnson
- Auteur du sujet
- Hors Ligne
- Messages : 418
Soyons Cartésiens : élaboration du plan
A ce stade du projet, un certain nombre d'idées sont déjà en place : il s'agit donc de les associer au sein d'un tout cohérent. Cette tâche, à bien des égards, ressemble à celle d'un scénariste lors de la conception d'un film ; c'est aussi celle qui pose le plus de problèmes aux novices. En réalité, le problème est simple : il faut trouver un juste équilibre pour obtenir une trame solide qui vous permettra de rédiger sans encombre, sans que pour autant vous ayez l'impression de brider votre liberté créatrice
A mes débuts, comme tout le monde je suppose, je me suis passé purement et simplement de plan. Quatre aventuriers arrivent dans un petit village : voilà le début de " La Confrérie du nouvel ordre ", et c'est à vrai dire tout ce que je connaissais de l'histoire lorsque j'ai commencé à l'écrire. Le défaut de cette méthode est évident : assez rapidement, les incohérences s'accumulent, certains personnages sont sous-exploités, et, au final, tellement de difficultés narratives imprévues apparaissent qu'il semble bien difficile de mener à bien son récit. C'est sans doute la principale raison pour laquelle en débutant, il est difficile de venir à bout d'un projet : les problèmes de continuité sont une difficulté loin d'être négligeable, et il est bon d'y avoir réfléchi à l'avance.
L'autre excès, par lequel je suis aussi passé, et de planifier le récit de manière trop précise. Les inconvénients de cette méthode sont multiples : en premier lieu, vous bridez votre imagination, puisque toutes les idées que vous pourriez avoir par la suite seront difficiles à insérer dans le récit du fait de la faible marge de manœuvre que vous vous êtes laissé. Le risque de se bloquer, de tuer toute créativité dans l'œuf, est bien réel. Le deuxième - et principal, à vrai dire - défaut de cette méthode, c'est qu'à la fin, la rédaction à proprement parler du récit devient un simple exercice de dactylographie : il s'agit de mettre en forme un texte qui, pour l'essentiel, a déjà été écrit. Pour cette raison, je considère comme superflue l'écriture de plusieurs plans successifs, chacun plus détaillé que le précédent : il est à mon humble avis préférable de s'en tenir à une esquisse qui pose des solutions face aux principaux nœuds scénaristiques, et qui laisse quand même une marge de liberté pour la phase de l'écriture à proprement parler. Les indications qui portent sur le plan formel (le style, notamment) sont un autre piège, qu'il vaut mieux éviter dans l'absolu.
A ce stade là toutefois, il est très important de prendre en compte le lecteur. Posez-vous les bonnes questions : est-ce que par exemple, l'enchaînement entre les différents rebondissements est cohérent, compréhensible ? Le rythme du récit est-il satisfaisant ? Ceci est encore plus vrai pour un récit de fantasy, ou, de manière générale, lorsque vos personnages évoluent dans un univers imaginaire : le lecteur doit avoir suffisamment de repères pour s'y retrouver, il faut s'assurer qu'il a toutes les cartes en main pour comprendre le récit. Le cas échéant, votre histoire ne sera qu'une œuvre " autiste ", qui ne peut être comprise que par son auteur. Encore une fois, il s'agit d'une question d'équilibre : si vous abreuvez trop le lecteur d'informations, si vous soulignez chaque péripétie, vous vous retrouvez dans une espèce d'infantilisation du public, très fréquente dans les films hollywoodiens où même le spectateur le moins attentif est tenu par la main pour ne rien rater de l'histoire, et tant pis pour les autres, qui souffrent de la lourdeur de la narration. En fait, c'est avant tout une question d'exigence intellectuelle vis-à-vis de vos lecteurs, il n'y a pas de solution miracle !
A propos de la fin
Pour beaucoup d'auteurs, le fait d'avoir en tête une idée de la manière dont ils vont achever leur récit est capital lors du processus de planification ; et, effectivement, il est important d'avoir une idée, même vague, de la conclusion d'une histoire assez tôt dans sa rédaction afin de ne pas se retrouver dans une impasse. A mon humble avis toutefois, il est important de se laisser une marge de liberté à chaque climax de l'intrigue : car ce sont ces moments là, sans conteste, qui sont les plus significatifs de l'histoire. Lorsque j'ai écrit " Corazon de Oro " par exemple, je n'avais pas idée de la manière dont allait se terminer le face à face Amphitryon/Black Belt Joe, et c'est ce choix, effectué au dernier moment, qui a pour beaucoup déterminé le caractère du héros. Dans l'ensemble, j'essaie décrire les fins les plus émouvantes possibles, et je pense que conserver une certaine spontanéité à ce niveau peut être une solution.
Une question d'honnêteté
Une chose qu'il est important, à mon avis, de retenir, c'est que dans tous les cas vous devez conserver une certaine honnêteté vis-à-vis du lecteur. Rien ne vous interdit de plonger un personnage dans une position périlleuse, mais si cette situation s'avère impossible, alors le personnage en question ne peut pas s'en échapper. Le cas échéant, le lecteur est dès lors convaincu de l'invincibilité des héros et la tension narrative n'a plus de chance véritable de repartir. Cette notion d'honnêteté intellectuelle est encore plus prégnante si vous comptez utiliser vos récits pour diffuser, en sous-texte, vos idées. Il faut retenir qu'en termes de fiction, c'est l'auteur qui décide des règles du jeu : rien de plus simple, dès lors que vous contrôlez les événements, de démontrer que votre thèse est la meilleure. En fait, même si j'apprécie de pouvoir révéler quelques-unes de mes réflexions à travers mes histoires, je pense que pour ceux d'entre vous qui s'intéressent plus précisément aux questionnements philosophiques, votre ambition devrait être d'écrire un essai plutôt qu'un roman ou une nouvelle. S'adjuger une forme d'objectivité (l'auteur ne fait que conter les événements, à priori) alors que celle-ci est impossible à atteindre (puisque celui qui raconte décide in fine des événements) rend caduque toute tentative de démonstration rigoureuse dans le cadre d'un récit de fiction.
Iggy
Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.
- Gulix
- Hors Ligne
- Messages : 1531
Tu abordes des questions simples, sans pour autant révéler des recettes magiques inconnues du grand public, mais ce guide est un bon mémo à relire de temps en temps, histoire de se remettre les idées en place
Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.
- Krycek
- Hors Ligne
- Messages : 2935
Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.
- Vuld Edone
- Hors Ligne
- Messages : 2178
Mais bon, les réflexions sont quand même utiles, donc une publication en SPIP, effectivement, ne déplairait pas.
Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.
- Iggy Grunnson
- Auteur du sujet
- Hors Ligne
- Messages : 418
Je ne m'attendais pas à ce que les réflexions s'arrêtent là...
Ne vous inquietez pas, il en reste beaucoup à venir! J'ai préféré poster l'article morceau par morceau, parce que tout d'un coup ça fait un peu long à lire et ça n'est pas forcément ce qui pousse le plus aux réactions.
il y a encore énormément à dire simplement sur les fondements.
C'est vrai, mais je n'ai pas non plus la prétention d'être exhaustif. Simplement, il s'agit de quelques pistes de réflexions qui ne me semblent pas completement dénuées d'intérêt. D'ailleurs, si à ton avis il y a des manques flagrant, n'hésites pas à nous en faire part; c'est bien le but du sujet!
Ce guide serait d'autant mieux placé s'il était publié sur SPIP.
Le guide est déjà disponible sous forme d'article sur mon propre site, et même s'il n'est pas exclu que je le mette à terme sur les chroniques, j'étais surtout intéressé par avoir dans un premier temps vos avis sur les sujets que j'ai abordés.
Allez, la suite
Une question d'honnêteté
Une chose qu'il est important, à mon avis, de retenir, c'est que dans tous les cas vous devez conserver une certaine honnêteté vis-à-vis du lecteur. Rien ne vous interdit de plonger un personnage dans une position périlleuse, mais si cette situation s'avère impossible, alors le personnage en question ne peut pas s'en échapper. Le cas échéant, le lecteur est dès lors convaincu de l'invincibilité des héros et la tension narrative n'a plus de chance véritable de repartir. Cette notion d'honnêteté intellectuelle est encore plus prégnante si vous comptez utiliser vos récits pour diffuser, en sous-texte, vos idées. Il faut retenir qu'en termes de fiction, c'est l'auteur qui décide des règles du jeu : rien de plus simple, dès lors que vous contrôlez les événements, de démontrer que votre thèse est la meilleure. En fait, même si j'apprécie de pouvoir révéler quelques-unes de mes réflexions à travers mes histoires, je pense que pour ceux d'entre vous qui s'intéressent plus précisément aux questionnements philosophiques, votre ambition devrait être d'écrire un essai plutôt qu'un roman ou une nouvelle. S'adjuger une forme d'objectivité (l'auteur ne fait que conter les événements, à priori) alors que celle-ci est impossible à atteindre (puisque celui qui raconte décide in fine des événements) rend caduque toute tentative de démonstration rigoureuse dans le cadre d'un récit de fiction.
Les stéréotypes : pour ou contre ?
Faut-il ou non utiliser des stéréotypes dans un récit ? Disons que tout dépend du type de récit, et de l'importance du personnage concerné. Bien sûr, il est très décevant pour un lecteur de voir un histoire retomber dans les lieux communs après un début prometteur, et apporter une dose d'originalité à vos héros peut aussi leur donner une forme d'humanité. Pour les seconds rôles toutefois, l'utilisation de caricatures n'est pas nécessairement un mal, surtout lorsqu'il s'agit de récits courts. Inutile de perdre deux pages à décrire quelqu'un que l'on ne reverra pas par la suite, si cela ralentit le rythme du récit ; glisser au contraire quelques traits distinctifs d'un stéréotype particulier peut permettre de conférer rapidement une personnalité à des seconds rôles qui sinon manqueraient de profondeur. Après tout, rien n'est pire qu'un personnage qui reste dans le flou, mal défini ; faire appel au bagage culturel du lecteur peut être une solution pour caractériser certains personnages, puisque chacun, en fonction de ses références, pourra inconsciemment plaquer ce qu'il veut sur ce dernier. Enfin, ayez à l'esprit que l'utilisation de tels clichés apporte à votre propre récit la patine des œuvres auxquelles vous faites référence, ce qui peut selon ce que vous en faites s'avérer un atout ou un piège.
Le " je " de l'ego
La narration à la première personne est un choix que font beaucoup d'auteurs à leurs débuts ; mais je pense qu'elle n'est pas toujours adaptée. En termes d'histoire, ce simple choix peut complètement bouleverser la façon de progresser dans le récit : il est bien sûr plus facile d'exposer les motivations du protagoniste principal, mais les autres personnages vont par contre rester plus dans le flou, tandis que certaines informations - que le héros n'est pas censé connaître - ne pourront pas non plus être connues du lecteur, quand bien même elles lui seraient utiles. Si ce choix de narration est ainsi privilégié pour des histoires policières, c'est justement parce que le lecteur doit rester dans l'expectative aussi longtemps que possible. Un bon exemple des possibilités qu'offre la narration à la première personne, mais aussi de ses limites : L'Ombre de Morrslieb, écrit par Dude et disponible sur les chroniques.
Faut-il à l'inverse multiplier les points de vue au fur et à mesure de l'histoire, en suivant successivement différents personnages ? Cette solution, que j'ai tendance à préférer, permet de dynamiser le récit puisque les informations importantes pour l'intrigues sont délivrées dès que le besoin s'en fait sentir, quel que soit celui qui les détient. Mais si le rythme de l'intrigue s'accélère, le lecteur doit faire preuve d'une plus grande attention pour assimiler tout ce qui arrive. Utiliser simplement la troisième personne du singulier pour la narration est sans doute, en définitive, le choix le plus adapté pour un auteur débutant, dans le mesure où c'est la solution la moins contraignante. Quant aux autres, ils devront mûrement réfléchir leur décision pour ne pas commettre d'erreur…
Iggy
Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.
- Krycek
- Hors Ligne
- Messages : 2935
Je sais bien que tu n'attends pas qu'on te dise qu'on l'a lu mais une critique (ouh là si Feurnard voit cette phrase !!!)... J'ai beaucoup à faire mais ça viendra assurément.
Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.
- Iggy Grunnson
- Auteur du sujet
- Hors Ligne
- Messages : 418
J'avais lu cet article la première fois que je suis allé sur ton site et récemment pour un problème dans un de mes textes...
Et bien ma foi, c'est plutot flatteur
En fait, je n'attends pas franchement une critique. Comme l'a fait remarqué Feurnard, il y a encore beaucoup à dire sur les sujets que j'ai abordés jusqu'ici: c'est bien la vocation de ce "guide" de l'écriture, à savoir d'alimenter le débat et de faire naître des réflexions plutôt que de livrer quelque chose de figé. Bref, s'il y a un sujet qui vous inspire, ou si vous voyez quelque chose à ajouter, n'hésitez pas!
Un peu de lecture supplémentaire pour les braves...
Le style : rythme et clarté
Votre récit est maintenant bien planifié, et n'attend que de prendre forme sur le papier. A ce stade, il s'agit de faire preuve de jugeote : votre état d'esprit doit être à mi-chemin entre celui qui était le vôtre lors de l'élaboration du plan (la rigueur seule permettra d'obtenir un récit percutant et clair) et lors de la mise en place des idées (vous ne devez en aucun cas brimer votre style personnel, ce qui vient du plus profond de vous-même). Il n'y a aucune règle précise qui puisse guider vos pas, aussi je me contenterai de quelques remarques d'ordre général.
Un premier mot, d'abord : plus que dans toute autre partie du processus créatif, la culture générale peut ici s'avérer capitale. Plus vous lirez d'autres auteurs, plus vous pourrez enrichir votre vocabulaire, et donc vos descriptions ; de même, vous découvrirez d'autres structures syntaxiques que celles auxquelles vous êtes habitué, ce qui vous permettra de varier la construction de vos phrases. Le rythme est, à mon avis, primordial du point de vue de l'auteur. En jouant sur la ponctuation, l'objectif est de plonger le lecteur au cœur du récit, en lui faisant partager les sensations du récit. Quelques exemples ? Dans Brouillard de guerre, l'agonie d'Amphitryon est décrite à l'aide de prépositions qui se juxtaposent dans le désordre, comme les pensées du héros ; au fur et à mesure qu'il sombre, les espaces se font plus grands, car il est plongé peu à peu dans l'inconscience. A l'inverse, la plupart des scènes d'actions sont décrites en de courtes prépositions séparées par des points-virgules (cf. l'abordage dans Corazon de oro) : le rythme obtenu est à la fois dynamique et haché, et le lecteur se trouve contraint à lire sans pouvoir reprendre son souffle, ce qui le rapproche d'autant des personnages. Ce genre d'expérimentations me paraît intéressant, mais c'est à vous, encore une fois, de trouver votre voix. Les deux qualités formelles que se doit d'avoir un texte réussi sont à mon avis le rythme adéquat et la clarté du style, que vous devez toujours garder en tête.
Action !
Contrairement aux idées reçues, il y a bien plus dans une scène d'action qu'une simple logique (et quand bien même celle-ci n'a rien de dévalorisante) triviale de divertissement. En tant qu'auteur, je considère les scènes de combat comme l'un des challenges formels les plus stimulants qui m'aient étés proposés ; et si décrire platement un enchaînement de coups est à la portée du premier venu, écrire une scène d'action est un exercice qui recèle bien d'autres difficultés. Le fait est qu'un combat est souvent l'occasion d'un grand nombre de péripéties complexes, qui mettent en jeu un grand nombre d'interactions entre les personnages, le tout dans un enchaînement rapide et généralement chaotique. En résumé, un vrai défi pour l'écrivain qui plus que jamais doit garder en tête les deux mots d'ordre rythme et clarté (voir l'article consacré au style). Une fois n'est pas coutume, j'ai décidé, afin d'illustrer mon point de vue, de procéder à une étude comparative entre deux de mes récits : d'une part Duel, et de l'autre Le Fantôme des choses à venir. Rentrons donc enfin dans le vif du sujet…
A priori, il faut bien reconnaître que ces deux textes sont relativement similaires. Dans chaque cas, il s'agit de l'opposition individuelle entre deux personnages dont les motifs restent vagues, au cœur d'un décor naturel oublié de la civilisation. Une différence majeure, pourtant : la où Duel a été conçu comme un exercice formel tendant vers l'abstraction, Le Fantôme des choses à venir, en tant qu'introduction de L'Ombre du passé, est partie intégrante d'une histoire plus ambitieuse.
Une nuance qui s'avère décisive dans le rendu final de la scène. Car c'est bien là que réside tout l'intérêt des scènes d'action : expliciter, voire même résoudre les enjeux, quels qu'ils soient, d'un récit par le seul biais des agissements physiques des personnages. Une démarche qui s'avère vitale dès lors que l'on touche au récit d'aventure où les protagonistes, sont définis principalement par leurs capacités dans l'action. Une longue tirade de la part d'un aventurier taciturne sonne parfois comme l'aveu d'échec d'un écrivain qui se résout à trahir l'essence de son personnage pour conclure son intrigue de la manière la plus basique qui soit. Car utiliser systématiquement le dialogue pour faire avancer le déroulement de l'histoire, c'est une façon de tenir par la main le lecteur, de s'assurer qu'il garde le fil de la narration ; une démarche pas forcément déplacée mais qui contraint le lecteur à la passivité. Ainsi, en dépit de ce que l'on pourrait croire, les scènes d'actions sont parmi les formes les plus subtiles de la littérature, en ceci qu'elles poussent le lecteur à créer un lien presque sensitif avec le récit, à saisir les enjeux de la narration qui se dessinent en filigrane derrière l'avalanche de péripéties.
Pour en revenir à Duel, il est bien compréhensible que pour ce récit individuel peu d'éléments ressortent du combat : les deux personnages restent, de même que leurs motivations, nimbés de mystère. Je me suis rendu compte lors de l'écriture de ce texte que, si l'absence d'intrigue véritable était une des contraintes que je m'étais d'office imposées, elle imposait de même à l'histoire d'être d'une certaine façon vidée de substance. Au contraire, Le Fantôme des choses à venir ; dans lequel les détails même les plus infimes font sens. Depuis la manière dont Amphitryon est présenté (la figure de l'étranger par excellence, foncièrement menaçante) depuis les styles de combat des deux protagonistes, jusqu'au regard épouvanté que jette Jones vers le précipice où a disparu son ennemi, il y a beaucoup à dire sur ces éléments qui font écho a des aspects du récit qui seront développés par la suite.
Un autre point sur lequel les deux récit se rejoignent pourtant est le style spectaculaire des affrontements, et que l'on peut dans une certaine mesure comparer aux fastes du cinéma martial de Hong-Kong. Ce qui m'amène à un autre aspect intéressant de la description d'une scène d'action : le soucis de renouvellement et d'originalité.
Bien sûr, il est très facile pour un auteur de décrire un enchaînement sans fin de coups, en abusant de clichés et de lieux communs, en faisant appel au background culturel du lecteur pour combler les insuffisances de l'histoire. En un mot, le risque est de laisser le lecteur imaginer à votre place la scène d'action en fonction des maigres directives qui lui sont données et des références qui lui sont propres. L'important est donc de ne pas se reposer sur ces acquis, mais bien au contraire la recherche systématique de nouvelles péripéties originales, d'interactions toujours plus complexes entre les personnages, mais aussi, entre autres, avec les éléments du décor. Choisir le théâtre d'une scène d'action en fonction des possibilités qu'il offre, établir une topographie précise des lieux afin de gérer au mieux le déroulement de la scène : voilà deux impératifs que doit garder en tête un auteur qui se lance dans un passage d'action pure. De même, et à condition de ne pas tomber dans une description trop technique (rapidement hermétique au novice) du combat, il est intéressant de définir le style de chacun des protagonistes ; une remarque qui vaut surtout, il est vrai, pour les duels à l'arme blanche ou au corps à corps. Ce n'est qu'à travers une réflexion sur ces différents aspects que vous pourrez espérer aboutir à un résultat original.
A nouveau, les limites rencontrées sur Duel m'ont fait prendre conscience des choix à faire pour écrire Le Fantôme des choses à venir. L'absence de décor dans le premier récit a fortement limité les possibilités de rebondissements ; et quoique dès le départ je me sois imposé d'écrire cette histoire sur une seule page, je me rends compte que, à cours d'idées, j'aurais eu bien du mal à faire plus long. Au contraire, Le Fantôme des choses à venir s'étale sur près de trois pages, et multiplie des péripéties visuelles autrement plus audacieuses. Bien que le décor du pont soit relativement rudimentaire, il permet une bien plus grande interaction avec les personnages, et à mon goût participe pour beaucoup au charme de la scène.
Il est bien d'autres aspects dont j'aurais pu parler ici, notamment sur la difficulté de gérer les combats en groupe, et j'espère bien pouvoir y revenir à un moment ou à un autre. En attendant, je crois avoir quand même apporté quelques éléments intéressants au débat, et permis peut-être à certains de revoir leurs positions. Pour ceux qui seraient encore à convaincre, je pense qu'il ne serait pas inutile de relire Brouillard de Guerre avec cette même logique d'analyse. Je crois en effet que c'est sans doute le récit où j'ai le mieux mis en pratique les différentes propositions que j'ai exposées ici.
Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.