[Discussion] Méthode avancée
- Vuld Edone
- Auteur du sujet
- Hors Ligne
Réduire
Plus d'informations
- Messages : 2178
il y a 17 ans 2 semaines #13668
par Vuld Edone
[Discussion] Méthode avancée a été créé par Vuld Edone
Je propose ici la première partie de la méthode avancée.
Elle est beaucoup trop longue, et encore trop technique.
J'aimerais que nous en discutions, pour la simplifier et profiter de vos expériences.
Si vous êtes d'accord.
EDIT : Ah tiens, non, en fait je trouve que la longueur est acceptable... disons qu'au-delà, vous auriez refusé d'en discuter...
----
Pour ceux qui connaissent la Méthode de travail , ceci en est la suite.
Il n'est pas nécessaire, mais utile, de l'avoir lue.
Mon but sera d'abord de vous montrer de quoi est composé le texte, puis de vous montrer comment jouer avec cette composition.
Plan :
Les éléments du texte
1. Pertinence
- Qui / A qui
- Quoi / Quand / Où
- Comment / Pourquoi
2. Prototypes
- Récit / Description
- Argumentation / Explication
- Dialogue
3. Fonctions du style
- Attention
- Imitation
- Connotation
Méthode d'écriture
1. Mots
2. Sens
3. Phrase
4. Rythme
----
Les éléments du texte
"Le chien mange."
1. Pertinence
Qu'est-ce que le lecteur attend de votre texte ?
- Qu'il dise juste assez (maxime de quantité)
- Qu'il dise la vérité (maxime de qualité)
- Qu'il dise à-propos (maxime de relation)
- Qu'il dise clairement (maxime de manière)
Tout cela est résumé simplement : un texte doit être pertinent. (Grice / Sperber & Wilson)
Etre pertinent, c'est pouvoir répondre à des questions fondamentales, à tout moment du texte :
QUI / A QUI / QUOI / QUAND / OÙ / COMMENT / POURQUOI ?
Si une seule réponse manque, votre texte ne sera pas pertinent, et traité de "creux" - "laid" - "nul" - "lourd" - "vide" et tout ce que l'humanité trouvera de plus cruel pour vous traîner dans la boue.
"Je te dis que le chien mange pour se nourrir ici et maintenant."
Ce sont en fait autant de repères pour le lecteur.
Qui / A qui :
La question du personnage.
Vous devez connaître le principe de la focalisation, qui fait qu'on raconte avec le point de vue d'un tel. Ainsi les trois focalisations, zéro (omniscient), externe (personnage témoin), interne ("je" héros).
En fait, l'omniscient est un "je", preuve avec "je te dis que le chien...". Le personnage externe est aussi un jeu, mais il peut plus simplement apparaître en discours direct.
De plus, le personnage qui raconte s'adresse toujours à un personnage, que ce soit lui-même ou un lecteur imaginaire, plus ou moins apparent dans le texte.
En somme, un récit est toujours un personnage qui raconte l'histoire à un autre personnage :
Focalisation zéro : "Le chien mange."
Focalisation externe : "Jean dit que le chien mange" (moi Jean vois le chien manger)
Focalisation interne : "Je mange."
D'après la maxime de qualité, et parce que ça demande beaucoup moins d'efforts, le lecteur admet qu'on lui dit la vérité. C'est pourtant loin d'être le cas. Ainsi, dans "je te dis que le chien mange pour se nourrir ici et maintenant", si "je te dis que... ici et maintenant" est indiscutable, par contre "le chien mange pour se nourrir", rien ne le prouve. Le chien existe-t-il seulement ? Que sais-je de ses motivations ? Y étiez-vous pour savoir s'il mangeait ?
Le personnage qui raconte (le narrateur) est responsable de ce contenu, tout comme le personnage qui écoute (le narrataire) est responsable en cela qu'il le rapporte, et qu'il lui est destiné.
"Soudain, Mirlène s'exclama : "Maman ! Le chien il a mangé mon pain au chocolaaaaaat !""
Nous avons deux récits enchâssés.
Le premier dit que Mirlène s'exclame. C'est un "je" omniscient, donc focal' zéro, qui dit à un "tu" invisible : "Je te dis que soudain, Mirlène s'exclama." Le focal' zéro est une promesse d'objectivité, donc nous ne remettons pas son contenu en question.
Le second dit que le chien a mangé le pain au chocolat. C'est le "je" de Mirlène, donc focal' interne, qui dit à sa mère : "Maman, je te dis que le chien a mangé mon pain au chocolat." En l'occurence, si Mirlène est bien placée pour le dire, elle peut tout aussi bien mentir, pour avoir un autre pain au chocolat, la garce.
On peut imaginer deux autres cas. Dans l'un où le personnage qui raconte ne changerait pas : "Soudain, Mirlène s'exclama (parce) que le chien avait mangé son pain au chocolat (!!)" Enlevez le "parce" (mis en parenthèses) et vous obtenez un discours indirect, où le personnage qui raconte est à nouveau Mirlène.
Dans le second cas, le personnage qui raconte serait la mère : "La mère raconta partout cet incident de la friandise dérobée." Si "la mère raconta" est en focal' zéro, le discours indirect est lui externe, car de la responsabilité de la mère. On notera ici qu'elle ne sait pas de quoi elle parle, ne faisant même pas mention du chien. Qui plus est, elle peut tout à fait mentir, elle aussi, pour se faire valoir ou pour moquer sa fille.
Inutile de dire que les pistes se brouillent affreusement au moment du discours indirect libre, et le cas le plus problématique, au moment de savoir à qui imputer le propos, a été, je cite : "[...] l'un d'eux, quand j'ai payé le jus de fruits que j'avais bu, a dit au patron que c'était pour lui. Je ne voulais pas, mais il a dit, avec l'accent du midi, "qu'il ne manquerait plus que ça que je refuse", et j'ai repris mon argent." (Japrisot, La dame dans l'auto...)
"Mirlène m'a dit que le chien avait encore été méchant avec elle, et si tu savais, il avait mangé son pain au chocolat."
Quoi / Quand / Où :
Le contenu, et le contexte.
Placer les deux ensemble serait prétentieux, mais en fait, toute phrase suit cette relation. En effet, le contexte est de l'information ancienne, tandis que le contenu, au sens hyponyme (voilà, un terme bien technique pour que vous me fichiez la paix), est de l'information nouvelle.
Or, l'information ancienne est appelée "rhème", et l'information nouvelle, "thème". Cela juste pour combattre les anglicismes correspondant, "topic /focus", dans un élan pompeux de défense de la Langue Française.
Pointe d'ironie à part, une phrase contient toujours un rhème et un thème.
"Le chien mange", si je dis "le", c'est que le chien est déjà connu, défini. Le fait qu'il mange, par contre, est nouveau, et c'est là-dessus qu'est portée l'attention. C'est encore plus évident avec "le chien mange une glace", d'autant que vous êtes déjà plutôt familier avec ce chien.
Petite question, est-ce que dans "le chien mange Mirlène", Mirlène est un thème, donc une information ancienne ? En fait, le français fonctionne ainsi : l'information ancienne au début, l'information nouvelle à la fin. Donc oui, Mirlène est bien un thème.
Là où le bât blesse, c'est que dire "un chien surgit alors" implique que le chien n'existait pas avant : tout est nouveau. De même dans "le chien continue à manger", rien n'a changé, tout est ancien. Du moins en apparence, car s'il n'y a pas au moins une information nouvelle, même détournée, implicite, alors votre propos n'est pas pertinent, et votre chien qui mange, gardez-le pour vous. Les gens préfèrent de loin qu'on leur parle du thème que du rhème.
Le contenu est formé de propositions mises dans un ordre chronologique. Cet ordre a son importance, du fait même du "ancien au début, nouveau à la fin". Etant chronologique, ce contenu est soumis au temps, d'où la question du "quand".
D'où toute l'importance déjà des verbes, et par suite des connecteurs. Pour m'intéresser aux verbes uniquement, c'est à ça que tient toute la différence entre le présent et le passé, et la raison pour laquelle on souhaite que vous mainteniez la séparation entre les deux.
En fait, si vous étiez des dieux de l'écriture, vous pourriez écrire tantôt au présent, tantôt à l'imparfait, et même, pourquoi pas, écrire un texte entier au futur. Le problème se trouve au niveau de l'interprétation, où ce mélange demande un effort effroyable, mais certainement le mélange serait possible.
Pour le passé, notons que l'imparfait est réservé aux situations en cours, il n'est pas "borné" dans un temps délimité. Ainsi, avec "le chien mangeait", il peut avoir mangé de tous temps et continuer à manger jusqu'à la nuit des temps. Le passé simple est lui "borné", au moins à droite, c'est-à-dire qu'il est fini. Ainsi, avec "le chien mangea", l'action est déjà terminée.
Le présent offre la même distinction, avec le présent "le chien mange" et le passé composé "le chien a mangé", mais ces repères sont bien plus flous, et on le voit au moment de traduire au passé : de nombreux présents deviennent des passés simples : "Le chien mange, relève soudain la tête" - "Le chien mangeait, releva soudain la tête".
Sans vouloir trop m'avancer, ce peut être pour cette raison que la narration au passé a la préférence sur le présent, cela et parce que les temps du passé ont un prestige historique. Aussi, choisir le présent signifie que l'action se déroule maintenant, au moment où le personnage raconte, avec toutes les conséquences que cela implique : "Je ne sais pas qu'il veut me tromper..."
Pour en terminer, indiquons que le lieu est un repère au même titre que le temps. "Entretemps, le chien mange", signifie au même temps mais en un lieu différent. La bande-dessinée exploite cela, en faisant se dérouler deux événements en deux lieux différent au même moment, sur la même page.
Au moment de changer de lieu, la chronologie du texte laisse entendre que c'est après ce qui a été raconté. Si ce n'est pas le cas, il faut penser à l'indiquer aussi, et rapidement.
"Mirlène m'a dit hier, à l'école, que le chien avait encore été méchant avec elle, et si tu savais, il avait fini par manger son pain au chocolat, dans la cuisine, sous ses yeux."
Comment / Pourquoi :
La modalité.
Complément de ce qui précède, la modalité est votre subjectivité qui intervient dans le texte... du moins, la subjectivité du personnage qui raconte (of course). Durant ces longues séances de torture, vous n'avez vous-même aucun intérêt à décrire longuement l'horreur de la scène, n'est-ce pas ?
J'avais déjà expliqué en quoi décrire plus longuement un objet le rendait important. C'est simplement la maxime de quantité appliquée avec celle de relation : "Il me fatigue avec son chien qui mange, ça doit être important." La modalité sert en partie à mettre en avant tel élément plutôt que tel autre, mais aussi à donner votre avis (celui du personnage qui raconte, "of course") sur cet élément.
"Mais qu'il est mignon !"
En l'occurence non, ce chien est moche, je suis désolé, c'est une serpillière, le poil est rêche, il crache et a sali la moquette. Ici, la modalité exclamative est laudative, elle vante le chien. Si la modalité est visible ici, voyons avec un exemple plus complexe :
"Je mange, moi le chien fidèle, et tu me regardes, mon maître, de ton oeil lourd, sans t'occuper de ta femme, tu me surveilles, prêt à me battre."
C'est le chien qui dit qu'il est fidèle, et même si vous êtes porté à le croire, dites-vous que le maître a certainement toutes les raisons de penser le contraire. Même chose pour l'oeil lourd, un oeil change-t-il vraiment de poids selon l'humeur ? Le surveille-t-il, ou l'admire-t-il, songeur ? Et qu'est-ce qu'on en sait, à la fin, qu'il veut le battre ?!
Tous ces petits détails ont servi à vous faire croire que le chien est oppressé, alors que, je le rappelle, c'est une serpillière, et j'arrêterai là cet humour de bas étage, avant de tomber dans le mauvais vaudeville.
La modalité implique toutes les interjections, onomatopées, exclamations, questions, tous les adjectifs, adverbes, tous les caractérisants en fait. A ce propos, j'aimerais répondre ici à une question longtemps posée (mais pas par vous), sur la différence entre l'antéposition et la postposition de l'adjectif :
"Une voiture rouge."
"Une rouge voiture."
En fait, un caractérisant (ici un adjectif) peut être classifiant (objectif) ou non-classifiant (subjectif). Dans un premier cas il désigne une propriété concrète, limitée, qui se veut précise. Dans le second cas, il désigne une vague appréciation. Ici, la "rouge voiture" est presque un tableau impressionniste.
Donc, entre "le chien fidèle" et "le fidèle chien", il y a une différence. Le premier pose la fidélité comme objective, alors que le second en fait une appréciation, tout comme le ferait "l'aimable chien" ou "ce cabot de canin". La sympathie du lecteur sera plus forte avec l'antéposition, mais l'identification plus forte avec la postposition, du fait que dans le second cas, il est plus porté à y croire.
Notons que la postposition est dite "non-marquée", pas de connotation affective ou axiologique, alors qu'en ancien français, cette place était antéposée, ce qu'on trouve encore en poésie : "ces vertes îles".
Pour avoir observé de nombreuses expériences de manipulation, et même si je suis très mauvais moi-même pour manipuler, je peux dire que le moindre détail peut être essentiel sur l'interprétation. Ainsi, associer une couleur à une certaine situation suffit pour que le lecteur, en retrouvant cette couleur, retrouve l'ambiance de la situation, et s'attende à ce que cette situation ressurgisse.
"Il vit l'oeil lourd, baissa la tête..."
Le comment répond donc au pourquoi, tout comme la forme a toujours donné accès au fond.
""Mirlène, cette garce ! m'a dit hier que son chien aurait encore été méchant, même qu'il lui aurait arraché son précieux pain, dans la cuisine, à force d'être affamé par elle !"
Elle est beaucoup trop longue, et encore trop technique.
J'aimerais que nous en discutions, pour la simplifier et profiter de vos expériences.
Si vous êtes d'accord.
EDIT : Ah tiens, non, en fait je trouve que la longueur est acceptable... disons qu'au-delà, vous auriez refusé d'en discuter...
----
Pour ceux qui connaissent la Méthode de travail , ceci en est la suite.
Il n'est pas nécessaire, mais utile, de l'avoir lue.
Mon but sera d'abord de vous montrer de quoi est composé le texte, puis de vous montrer comment jouer avec cette composition.
Plan :
Les éléments du texte
1. Pertinence
- Qui / A qui
- Quoi / Quand / Où
- Comment / Pourquoi
2. Prototypes
- Récit / Description
- Argumentation / Explication
- Dialogue
3. Fonctions du style
- Attention
- Imitation
- Connotation
Méthode d'écriture
1. Mots
2. Sens
3. Phrase
4. Rythme
----
Les éléments du texte
"Le chien mange."
1. Pertinence
Qu'est-ce que le lecteur attend de votre texte ?
- Qu'il dise juste assez (maxime de quantité)
- Qu'il dise la vérité (maxime de qualité)
- Qu'il dise à-propos (maxime de relation)
- Qu'il dise clairement (maxime de manière)
Tout cela est résumé simplement : un texte doit être pertinent. (Grice / Sperber & Wilson)
Etre pertinent, c'est pouvoir répondre à des questions fondamentales, à tout moment du texte :
QUI / A QUI / QUOI / QUAND / OÙ / COMMENT / POURQUOI ?
Si une seule réponse manque, votre texte ne sera pas pertinent, et traité de "creux" - "laid" - "nul" - "lourd" - "vide" et tout ce que l'humanité trouvera de plus cruel pour vous traîner dans la boue.
"Je te dis que le chien mange pour se nourrir ici et maintenant."
Ce sont en fait autant de repères pour le lecteur.
Qui / A qui :
La question du personnage.
Vous devez connaître le principe de la focalisation, qui fait qu'on raconte avec le point de vue d'un tel. Ainsi les trois focalisations, zéro (omniscient), externe (personnage témoin), interne ("je" héros).
En fait, l'omniscient est un "je", preuve avec "je te dis que le chien...". Le personnage externe est aussi un jeu, mais il peut plus simplement apparaître en discours direct.
De plus, le personnage qui raconte s'adresse toujours à un personnage, que ce soit lui-même ou un lecteur imaginaire, plus ou moins apparent dans le texte.
En somme, un récit est toujours un personnage qui raconte l'histoire à un autre personnage :
Focalisation zéro : "Le chien mange."
Focalisation externe : "Jean dit que le chien mange" (moi Jean vois le chien manger)
Focalisation interne : "Je mange."
D'après la maxime de qualité, et parce que ça demande beaucoup moins d'efforts, le lecteur admet qu'on lui dit la vérité. C'est pourtant loin d'être le cas. Ainsi, dans "je te dis que le chien mange pour se nourrir ici et maintenant", si "je te dis que... ici et maintenant" est indiscutable, par contre "le chien mange pour se nourrir", rien ne le prouve. Le chien existe-t-il seulement ? Que sais-je de ses motivations ? Y étiez-vous pour savoir s'il mangeait ?
Le personnage qui raconte (le narrateur) est responsable de ce contenu, tout comme le personnage qui écoute (le narrataire) est responsable en cela qu'il le rapporte, et qu'il lui est destiné.
"Soudain, Mirlène s'exclama : "Maman ! Le chien il a mangé mon pain au chocolaaaaaat !""
Nous avons deux récits enchâssés.
Le premier dit que Mirlène s'exclame. C'est un "je" omniscient, donc focal' zéro, qui dit à un "tu" invisible : "Je te dis que soudain, Mirlène s'exclama." Le focal' zéro est une promesse d'objectivité, donc nous ne remettons pas son contenu en question.
Le second dit que le chien a mangé le pain au chocolat. C'est le "je" de Mirlène, donc focal' interne, qui dit à sa mère : "Maman, je te dis que le chien a mangé mon pain au chocolat." En l'occurence, si Mirlène est bien placée pour le dire, elle peut tout aussi bien mentir, pour avoir un autre pain au chocolat, la garce.
On peut imaginer deux autres cas. Dans l'un où le personnage qui raconte ne changerait pas : "Soudain, Mirlène s'exclama (parce) que le chien avait mangé son pain au chocolat (!!)" Enlevez le "parce" (mis en parenthèses) et vous obtenez un discours indirect, où le personnage qui raconte est à nouveau Mirlène.
Dans le second cas, le personnage qui raconte serait la mère : "La mère raconta partout cet incident de la friandise dérobée." Si "la mère raconta" est en focal' zéro, le discours indirect est lui externe, car de la responsabilité de la mère. On notera ici qu'elle ne sait pas de quoi elle parle, ne faisant même pas mention du chien. Qui plus est, elle peut tout à fait mentir, elle aussi, pour se faire valoir ou pour moquer sa fille.
Inutile de dire que les pistes se brouillent affreusement au moment du discours indirect libre, et le cas le plus problématique, au moment de savoir à qui imputer le propos, a été, je cite : "[...] l'un d'eux, quand j'ai payé le jus de fruits que j'avais bu, a dit au patron que c'était pour lui. Je ne voulais pas, mais il a dit, avec l'accent du midi, "qu'il ne manquerait plus que ça que je refuse", et j'ai repris mon argent." (Japrisot, La dame dans l'auto...)
"Mirlène m'a dit que le chien avait encore été méchant avec elle, et si tu savais, il avait mangé son pain au chocolat."
Quoi / Quand / Où :
Le contenu, et le contexte.
Placer les deux ensemble serait prétentieux, mais en fait, toute phrase suit cette relation. En effet, le contexte est de l'information ancienne, tandis que le contenu, au sens hyponyme (voilà, un terme bien technique pour que vous me fichiez la paix), est de l'information nouvelle.
Or, l'information ancienne est appelée "rhème", et l'information nouvelle, "thème". Cela juste pour combattre les anglicismes correspondant, "topic /focus", dans un élan pompeux de défense de la Langue Française.
Pointe d'ironie à part, une phrase contient toujours un rhème et un thème.
"Le chien mange", si je dis "le", c'est que le chien est déjà connu, défini. Le fait qu'il mange, par contre, est nouveau, et c'est là-dessus qu'est portée l'attention. C'est encore plus évident avec "le chien mange une glace", d'autant que vous êtes déjà plutôt familier avec ce chien.
Petite question, est-ce que dans "le chien mange Mirlène", Mirlène est un thème, donc une information ancienne ? En fait, le français fonctionne ainsi : l'information ancienne au début, l'information nouvelle à la fin. Donc oui, Mirlène est bien un thème.
Là où le bât blesse, c'est que dire "un chien surgit alors" implique que le chien n'existait pas avant : tout est nouveau. De même dans "le chien continue à manger", rien n'a changé, tout est ancien. Du moins en apparence, car s'il n'y a pas au moins une information nouvelle, même détournée, implicite, alors votre propos n'est pas pertinent, et votre chien qui mange, gardez-le pour vous. Les gens préfèrent de loin qu'on leur parle du thème que du rhème.
Le contenu est formé de propositions mises dans un ordre chronologique. Cet ordre a son importance, du fait même du "ancien au début, nouveau à la fin". Etant chronologique, ce contenu est soumis au temps, d'où la question du "quand".
D'où toute l'importance déjà des verbes, et par suite des connecteurs. Pour m'intéresser aux verbes uniquement, c'est à ça que tient toute la différence entre le présent et le passé, et la raison pour laquelle on souhaite que vous mainteniez la séparation entre les deux.
En fait, si vous étiez des dieux de l'écriture, vous pourriez écrire tantôt au présent, tantôt à l'imparfait, et même, pourquoi pas, écrire un texte entier au futur. Le problème se trouve au niveau de l'interprétation, où ce mélange demande un effort effroyable, mais certainement le mélange serait possible.
Pour le passé, notons que l'imparfait est réservé aux situations en cours, il n'est pas "borné" dans un temps délimité. Ainsi, avec "le chien mangeait", il peut avoir mangé de tous temps et continuer à manger jusqu'à la nuit des temps. Le passé simple est lui "borné", au moins à droite, c'est-à-dire qu'il est fini. Ainsi, avec "le chien mangea", l'action est déjà terminée.
Le présent offre la même distinction, avec le présent "le chien mange" et le passé composé "le chien a mangé", mais ces repères sont bien plus flous, et on le voit au moment de traduire au passé : de nombreux présents deviennent des passés simples : "Le chien mange, relève soudain la tête" - "Le chien mangeait, releva soudain la tête".
Sans vouloir trop m'avancer, ce peut être pour cette raison que la narration au passé a la préférence sur le présent, cela et parce que les temps du passé ont un prestige historique. Aussi, choisir le présent signifie que l'action se déroule maintenant, au moment où le personnage raconte, avec toutes les conséquences que cela implique : "Je ne sais pas qu'il veut me tromper..."
Pour en terminer, indiquons que le lieu est un repère au même titre que le temps. "Entretemps, le chien mange", signifie au même temps mais en un lieu différent. La bande-dessinée exploite cela, en faisant se dérouler deux événements en deux lieux différent au même moment, sur la même page.
Au moment de changer de lieu, la chronologie du texte laisse entendre que c'est après ce qui a été raconté. Si ce n'est pas le cas, il faut penser à l'indiquer aussi, et rapidement.
"Mirlène m'a dit hier, à l'école, que le chien avait encore été méchant avec elle, et si tu savais, il avait fini par manger son pain au chocolat, dans la cuisine, sous ses yeux."
Comment / Pourquoi :
La modalité.
Complément de ce qui précède, la modalité est votre subjectivité qui intervient dans le texte... du moins, la subjectivité du personnage qui raconte (of course). Durant ces longues séances de torture, vous n'avez vous-même aucun intérêt à décrire longuement l'horreur de la scène, n'est-ce pas ?
J'avais déjà expliqué en quoi décrire plus longuement un objet le rendait important. C'est simplement la maxime de quantité appliquée avec celle de relation : "Il me fatigue avec son chien qui mange, ça doit être important." La modalité sert en partie à mettre en avant tel élément plutôt que tel autre, mais aussi à donner votre avis (celui du personnage qui raconte, "of course") sur cet élément.
"Mais qu'il est mignon !"
En l'occurence non, ce chien est moche, je suis désolé, c'est une serpillière, le poil est rêche, il crache et a sali la moquette. Ici, la modalité exclamative est laudative, elle vante le chien. Si la modalité est visible ici, voyons avec un exemple plus complexe :
"Je mange, moi le chien fidèle, et tu me regardes, mon maître, de ton oeil lourd, sans t'occuper de ta femme, tu me surveilles, prêt à me battre."
C'est le chien qui dit qu'il est fidèle, et même si vous êtes porté à le croire, dites-vous que le maître a certainement toutes les raisons de penser le contraire. Même chose pour l'oeil lourd, un oeil change-t-il vraiment de poids selon l'humeur ? Le surveille-t-il, ou l'admire-t-il, songeur ? Et qu'est-ce qu'on en sait, à la fin, qu'il veut le battre ?!
Tous ces petits détails ont servi à vous faire croire que le chien est oppressé, alors que, je le rappelle, c'est une serpillière, et j'arrêterai là cet humour de bas étage, avant de tomber dans le mauvais vaudeville.
La modalité implique toutes les interjections, onomatopées, exclamations, questions, tous les adjectifs, adverbes, tous les caractérisants en fait. A ce propos, j'aimerais répondre ici à une question longtemps posée (mais pas par vous), sur la différence entre l'antéposition et la postposition de l'adjectif :
"Une voiture rouge."
"Une rouge voiture."
En fait, un caractérisant (ici un adjectif) peut être classifiant (objectif) ou non-classifiant (subjectif). Dans un premier cas il désigne une propriété concrète, limitée, qui se veut précise. Dans le second cas, il désigne une vague appréciation. Ici, la "rouge voiture" est presque un tableau impressionniste.
Donc, entre "le chien fidèle" et "le fidèle chien", il y a une différence. Le premier pose la fidélité comme objective, alors que le second en fait une appréciation, tout comme le ferait "l'aimable chien" ou "ce cabot de canin". La sympathie du lecteur sera plus forte avec l'antéposition, mais l'identification plus forte avec la postposition, du fait que dans le second cas, il est plus porté à y croire.
Notons que la postposition est dite "non-marquée", pas de connotation affective ou axiologique, alors qu'en ancien français, cette place était antéposée, ce qu'on trouve encore en poésie : "ces vertes îles".
Pour avoir observé de nombreuses expériences de manipulation, et même si je suis très mauvais moi-même pour manipuler, je peux dire que le moindre détail peut être essentiel sur l'interprétation. Ainsi, associer une couleur à une certaine situation suffit pour que le lecteur, en retrouvant cette couleur, retrouve l'ambiance de la situation, et s'attende à ce que cette situation ressurgisse.
"Il vit l'oeil lourd, baissa la tête..."
Le comment répond donc au pourquoi, tout comme la forme a toujours donné accès au fond.
""Mirlène, cette garce ! m'a dit hier que son chien aurait encore été méchant, même qu'il lui aurait arraché son précieux pain, dans la cuisine, à force d'être affamé par elle !"
Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.
- Post Scriptum
- Hors Ligne
Réduire
Plus d'informations
- Messages : 90
il y a 17 ans 1 semaine #13670
par Post Scriptum
Réponse de Post Scriptum sur le sujet Re: [Discussion] Méthode avancée
Trop longue ? Ce n'est pas un problème.
Trop technique ? On ne l'est jamais assez.
Trop scolaire, aussi. Mais certains repères permettent de ne pas partir trop loin à la dérive. Chirurgie des mots explique le fonctionnement de la vie à partir d'un cadavre. Attention : à trop fréquenter les morgues, à trop disséquer de ses outils affutés les organes vides, on en devient très cohérent, très juste dans sa démarche créatrice, et aussi très détaché de l'essence même de ce qui nous pousse à écrire.
Trop technique ? On ne l'est jamais assez.
Trop scolaire, aussi. Mais certains repères permettent de ne pas partir trop loin à la dérive. Chirurgie des mots explique le fonctionnement de la vie à partir d'un cadavre. Attention : à trop fréquenter les morgues, à trop disséquer de ses outils affutés les organes vides, on en devient très cohérent, très juste dans sa démarche créatrice, et aussi très détaché de l'essence même de ce qui nous pousse à écrire.
Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.
Modérateurs: San, Kundïn, Zarathoustra