Choisir son adjectif.
- Vuld Edone
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Comment déterminez-vous vos objets ?
Je sais que cela varie selon le contexte, mais arriveriez-vous à répéter la démarche qui vous a fait préférer tel mot à tel mot, telle tournure à telle tournure, les raisons qui vous y ont motivé, vos préférences ?
Pourquoi ce nom ?
Pourquoi des adjectifs / des prépositions / autres ?
Pourquoi avant, après, coordonnés, subordonnés ?
Je pose la question car il m'est arrivé voilà peu de m'énoncer à voix basse chaque étape du choix d'un adjectif, et que je l'ai conservé en tête. C'est suffisamment rare pour que j'en profite.
La situation - vous la découvrirez dans le second chapitre de la saga que j'écris actuellement pour la prochaine MàJ - est la suivante : mon personnage a soudain le besoin de se rendre à un rendez-vous auquel il risque d'être en retard. C'est pourquoi il doit regarder sa montre.
Je voulais (je le déduis après coup) que le geste produise deux effets : la violence et l'instantané. Voilà donc le cheminement :
1. "Il regarda sa montre."
2. "Il jeta sur sa montre un regard _"
3. "Il jeta sur sa montre un regard de faucon."
4. "Il jeta sur sa montre un regard fauve."
5. "Il jeta sur sa montre un regard bestial."
6. "Il jeta sur sa montre un regard sauvage."
Je n'ai jamais vraiment réfléchi au plus simple, "il regarda sa montre". Avec le contexte adéquat, il suffirait, mais je ne sais pas écrire, je suis donc allé plus loin.
Je me suis donné un premier énoncé, où si je détache l'expression "jeter un regard sur", c'est pour déterminer le regard. J'y attache l'autre expression, "oeil (ou regard) de faucon". Maintenant que j'y repense, toutes ces expressions ont le problème de faire croire qu'il en veut à sa montre, ce qui n'est pas très sensé.
Mais au moment où je choisissais, ce qui me bloquait surtout avec "faucon" était que cela déterminerait le personnage. J'animalise tous mes personnages, je leur donne des attributs animaux. Ici, j'aurais eu un oiseau, ce qui était loin de convenir. Si je veux un prédateur, je veux un loup.
Des regards de loup, je n'en connais aucun, j'ai donc choisi un terme plus neutre, qui conserve uniquement l'idée d'animal (prédateur), soit "fauve". Mais "fauve" chez moi désigne aussi une couleur (le rouge) et cette couleur n'avait rien à faire avec la situation.
J'ai donc cherché ce qui pourrait exprimer "fauve" sans exprimer la couleur. Mes choix viraient entre "bestial" et "animal". Il faut être particulièrement dérangé pour porter sur sa montre un "regard bestial". Je devais affaiblir.
À ce stade, je devais exprimer un animal prédateur impliquant violence et instantané. Le dernier adjectif de mon maigre lexique était "sauvage", qui a l'autre avantage de connoter une certaine nature de l'homme. Mon choix s'est porté dessus (sachant qu'il s'y cache un hypallage, et autres...)
C'est étape par étape le raisonnement que je me suis tenu pour décider de mon adjectif, sachant que je tenais absolument à un adjectif. Le tout m'a pris je pense à peu près une minute.
Y ayant repensé consciemment, je me demandais comment vous décidiez vous-mêmes de vos déterminations.
Alors ? Comment ?
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- Krycek
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J'ai pour habitude dans ces cas là de passer par l'anglais, ici glance ou stare et voir les synonymes anglais pour revenir en français.
C'est un peu étendre le champ lexical... de manière capilo tracte.
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- Monthy3
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Quand je vois ton cheminement, j'ai l'impression d'être dans le dilettantisme le plus total s'agissant de l'écriture, ce qui n'est pas totalement faux. En somme, je prends les adjectifs qui me viennent directement à l'esprit et qui collent plus ou moins à la situation. Là est l'énorme différence, à mon niveau : tu cherches, toi, le terme exact, quand je me contente du "cohérent", du "qui va bien".
En fait, je me rends maintenant compte (merci au sujet !) que je donne du sens à mes phrases par leur agencement, leur placement, sans leur en donner véritablement par les mots qu'elle comporte, parce que ces mots-là sont neutres. Prise de conscience tardive, tiens. Va falloir que je me penche sur la question (et là, le pauvre Monthy se désespère devant les innombrables lacunes qu'il couve en écriture ).
Cela dit, dans l'exemple que tu donnes, j'aurais privilégié le seul "il jeta un regard à sa montre", le verbe "jeter" traduisant à mon avis ce que tu veux faire passer sans alourdir la phrase. M'enfin bon, c'est une question de goût et de style. Au moins, le tien est reconnaissable
Bon, j'élargis maintenant un peu :
Cela dépend énormément du contexte. De manière générale, j'aime jouer avec les sonorités et je fais donc en sorte de caser des allitérations ou des assonances. Du coup, mon choix est évidemment dicté par la sonorité des mots.Je sais que cela varie selon le contexte, mais arriveriez-vous à répéter la démarche qui vous a fait préférer tel mot à tel mot, telle tournure à telle tournure, les raisons qui vous y ont motivé, vos préférences ?
En revanche, parfois, je prête une attention vraiment soutenue au rythme et, généralement, c'est dans ce cas-là un rythme assez virevoltant, fait d'envolées et de coupures brutales. Dans ce cas-là, j'aime bâtir des oppositions franches mais cohérentes. Pour illustrer mon propos, voici quelques extraits d'un des chapitres de l'Echiquier (très lointain et récemment écrit) :
Ou encore :Ses traits ne transpercent pas les hommes mais leurs stratégies. Ses rets n’empêtrent pas les jambes mais l’espoir. Il est inestimable.
Il est insignifiant. Ce n’est qu’une araignée qui rampe dans l’ombre, au corps translucide si confortable.
Je pense que c'est assez clair. J'aurais aimé écrire tous mes chapitres comme celui-ci - vous ne reconnaîtriez peut-être plus le style basique que j'use, ce qui ne serait pas plus mal...Il est enchaîné. Adorateur. Je connais sa valeur ; je connais aussi sa béance.
Voilà pour mes deux sous de contribution.
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- Vuld Edone
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Mais avant, juste un mot. Je m'en suis tenu à la seule phrase mais effectivement, pour décrire la situation, c'est un discours qui joue. En l'occurrence : "Il réagit au nom de Taquenard ; il regarda sa montre."
Dans l'agencement, la phrase la plus simple en double et avec point-virgule provoque toute l'instantanéité désirée pour le moins de frais. Si je savais écrire, je m'arrêterais là.
Mais à propos du rythme, c'est la dimension dans l'écriture qui m'échappe le plus complètement. Surtout, quand on se concentre sur les mots, on perd le recul de la phrase - et du texte.
Je me rends bien compte que je suis passé à côté de ton style et c'est bien qu'aucune théorie ni aucune pratique n'a jamais pu me familiariser avec le rythme. S'il compte tant, j'aimerais savoir comment tu le reconnais, tu le calcules et le construis.
Dans ta seconde citation (la plus courte), pourrais-tu m'expliquer ton raisonnement ? Comment as-tu mesuré le rythme ?
Et aussi, peut-on vraiment déterminer un objet par le "rythme" ? Mais ça, c'est juste pour éviter le hors-sujet.
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- Monthy3
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- Messages : 673
Je me dois de te détromper d'emblée. Comme je te l'ai dit, de manière générale, j'écris nonchalamment, sans réflexion particulièrement poussée, avec parfois certains endroits où je me fais plaisir - et cela passe généralement par des jeux de sonorité.Je me rends bien compte que je suis passé à côté de ton style et c'est bien qu'aucune théorie ni aucune pratique n'a jamais pu me familiariser avec le rythme.
En fait, j'ai fait plus attention au "rythme" dans un chapitre récent écrit de façon plutôt différente (à commencer par le style de narration, puisqu'il s'agit d'un chapitre écrit à la 1ère personne), et je le conçois notamment par transposition de la poésie à la prose. Illustration simple (celle que tu me demandes) :
Il suffit tout bonnement de compter les syllabes, à partir d'"adorateur" - auquel le "vers" suivant est directement relié par la sonorité "eur". On distingue donc 4 temps, dont l'un est facultatif :Il est enchaîné. Adorateur. Je connais sa valeur ; je connais aussi sa béance.
1 - "Il est enchaîné." C'est la base d'où la phrase va prendre son envol. Le "." à la fin permet notamment de marquer le détachement avec la suite, la rupture.
2 - "Adorateur." 4 syllabes. C'est l'envol, dont le lien avec la suite est assuré par le jeu de sonorités.
3 - "Je connais sa valeur ;" 6 syllabes. Il est dans la continuité du "vers" précédent malgré le point grâce à la sonorité (oui, je radote).
4 - "Je connais aussi sa béance." 8 syllabes. Ainsi, jusque là, la progression est régulière et devrait logiquement être fluide à la lecture. Note aussi que la sonorité de fin, "-ance", se prolonge dans l'air, laisse planer le vers final.
Ces remarques concernaient la forme, mais elle est évidemment liée au sens. Je pense particulièrement aux termes "adorateur" et "valeur". Le premier est plutôt neutre (en ce sens qu'il n'est pas naturellement négatif), voire dépréciatif ; le deuxième, lui, est plutôt mélioratif. Lorsqu'on dit de quelqu'un qu'on connaît sa valeur, on a coutume de le dire dans un sens positif. Le lecteur peut donc s'attendre à ce que la troisième terme soit encore plus laudatif, puisque la progression des syllabes est régulière. Or, c'est l'inverse : on passe directement à une "béance". De deux choses l'une : soit on considère qu'il y a là une rupture avec le propos précédent, soit que la phrase "je connais sa valeur" était en réalité ironique et que la progression était logique ; et, dans les deux cas, l'ironie caractéristique du personnage est bien présente.
Voilà ce qu'on peut faire avec du rythme.
Laisse-moi enfin lever toute ambiguïté : je n'ai certainement pas réfléchi à tout cela au moment même où j'ai écrit ce tronçon de paragraphe. J'ai rédigé ces phrases instinctivement, à l'oreille, avec toutefois cette réelle volonté de donner du rythme, de la vivacité au récit, bref tout simplement de jouer avec la longueur, le son et les tournures comme je peux le faire en poésie.
Donc, lorsque tu me demandes cela :
Je ne peux t'apporter aucune réponse satisfaisante - "j'écris à l'instinct" n'en étant pas une.S'il compte tant, j'aimerais savoir comment tu le reconnais, tu le calcules et le construis.
Personne d'autre pour se lancer dans l'arène ?
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- dude
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- Messages : 624
C'est une façon de faire assez contraignante et pas forcément très productive. Alors pourquoi la garder me direz-vous? Bonne question... En fait, je suis en général peu satisfait du résultat que j'obtiens, et j'ai tendance à vouloir en faire trop, de trop compliquer la chose là où la simplicité serait la clé.
Mais j'apprends... lentement mais j'apprends.
J'essaie surtout de garder à l'esprit ce que je veux réellement faire passer, ne pas trahir le personnage, utiliser le bon vocabulaire. Il ne faut pas qu'une phrase trop recherchée vienne perturber la narration ou semer involontairement le lecteur.
Je fonctionne parfois comme Monthy3 (avec un travail moins poussé je pense) sur la sonorité. Je me fis souvent à ce critère. Est-ce que cette phrase "sonne" bien? Mais hélas, je n'ai pas toujours l'oreille très musicale.
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