Qu'est-ce qu'écrire ?
- ZikL
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je ne sais plus qui disait "la bêtise est de se croire sage mais le summum de l'idiotie est de se revendiquer comme tel".
Je trouve cette citation assez juste. Et si l'on était parfait au point de ne plus avoir à apprendre, où serait l'intérêt?
Et il est à l'honneur de chacun d'avouer apprendre encore et encore!
et je suppose que si chacun vient sur les chroniques ce n'est pas pour se faire valoir mais bel et bien pour apprendre. Comme je l'ai dis en peu de temps j'ai déjà beaucoup appris parmi vous et c'est un réel bonheur!
Mais oui je suis d'accord. On transmet une pensée mais ce n'est PAS de la télépathie.
Et en plus nuançons! On s'EFFORCE de TENTER de passer une pensée... ce qui même face à face en se connaissant bien l'un l'autre n'est pas simple ni gagné d'avance.
Quand à la manière d'écrire je cherche encore la mienne donc je garderais mes leçons pour moi. Ce que je peux dire en revanche c'est qu'effectivement sans plan, avec ma mémoire, à la fin il manque plein de choses.
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- Mr. Petch
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Pourquoi ?
Parce que la pensée n'est pas faite de mots écrits, mais, justement de "pensées", pas vraiment matérialisées, et pas vraiment organisées. Entre le cerveau de Stephen King et son lecteur, il y a les mots qu'il emploie.
Or, pour prendre en exemple, dans un élan de prétention incommensurable, mon propre cas, ce passage par le mot écrit est essentiel, et selon moi pour deux raisons.
1. Quand je conçois une histoire, cela passe souvent d'abord par des images qui me viennent et que j'ai envie de transmettre (là, oui pour transmettre). J'ai donc l'idée d'une image, ou d'une ambiance, et, quand je me mets à mon ordinateur, pas moyen de trouver les mots pour la transcrire (c'est exactement ce que je suis en train de vivre en me remettant sur les cimes brulantes de l'Enfer). Il y a un décalage entre ma pensée initiale, telle qu'elle existe dans ma tête, et le moment où je dois la mettre en mots.
2. Or, et c'est la deuxième raison, ce phénomène n'est pas mauvais, au contraire, il est l'essence même de l'écriture : trouver les mots pour rendre intelligible ce qui est dans ma tête est la raison pour laquelle j'aime écrire. Avec tout un tas de mécanismes dont Feurnard pourrait parler pendant des heures. Comment faire en sorte, avec un ensemble d'outils (les mots) pour construire mon texte ? Qui, au final, s'avérera être bien différent de ce que j'avais en tête. Un musicien est confronté au même problème, sauf que lui manipule des sons. L'une des clés fondamentales de l'écriture est la grammaire. Mais il y en a d'autres, évidemment. Ce sont ces mécanismes de mise en mots qui sont importants dans l'acte d'écrire, et ce sont d'eux dont King pourrait nous faire profiter.
Ce que je veux dire par là, c'est aussi un message pour kalystah : tu ne dois pas désespérer des réponses de Feurnard, bien au contraire. Il sait (et il le sait bien) que le plaisir de l'écriture est justement dans cet effort que nous faisons de mettre en mots. C'est cela qui, en tant que scribouillards, nous apporte du plaisir. Sinon on dicterait nos histoires directement sur dictaphone et on serait diseur au lieu d'être écrivain, comme à l'époque d'Homère, ou des troubadours.
Soyons clair : je n'ai pas vraiment l'impression de révolutionner la théorie de la communication textuelle en disant cela. Des gens comme Barthes et Genette l'ont fait bien mieux que moi et c'est vers eux qu'il faudrait se reporter pour creuser le sujet. Maintenant, dans le cadre de ce mini-débat de notre micro-communauté, telle est mon humble contribution sur qu'est-ce qu'écrire.
Mr Petch
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- ZikL
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L'une des clés fondamentales de l'écriture est la grammaire. Mais il y en a d'autres, évidemment. Ce sont ces mécanismes de mise en mots qui sont importants dans l'acte d'écrire, et ce sont d'eux dont King pourrait nous faire profiter.
Mr Petch
là je suis totalement d'accord.
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- Ignit
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dire que c'est une transmission n'est pas forcément faux mais est imprécis.
L'écriture, c'est un langage, c'est-à-dire, au sens de Saussure, un système de signes (aka des signes qui n'ont de sens qu'au sens de la relation qui les unit ; au sein de ce système, donc). Le signe linguistique (dans le langage en général) va avoir un signifié (image mentale, représentation psychique) et un signifiant (image acoustique, dans le cas de l'écriture, en quelque sorte, sa forme écrite).
A partir de là, l'écriture en tant que langage m'apparaît comme un outil de communication. Est-ce que l'écriture (et le langage plus généralement) exprime simplement la pensée, je ne le pense pas ; elle aide également à la construire. Toujours est-il que par l'écriture, on va véhiculer des idées, des images ; le lecteur va à la fois trouver un sens et ressentir ce dont on parle, puisque l'écriture va pouvoir faire référence aux différents sens.
Il y a donc une transmission mais celle-ci n'est pas directe. Il y a un passage à l'écrit, pour l'écrivain, dans une relation complexe. Traduire, c'est trahir, disait je ne sais plus qui, peut-être Carnap. Et là, il y a traduction de l'écrivain à son texte, puis du texte au lecteur. Résumer à une transmission, c'est donc oublier totalement l'enjeu de fidélité entre ce que l'écrivain veut exprimer, ce qu'il exprime, ce que le lecteur comprend.
Bref, tout ça me semble très compliqué et le résumé de Stephen King me semble plus qu'approximatif.
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- Vuld Edone
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Et je confirme le drame, en même temps l'émulation qu'il y a dans l'inadéquation entre les mots et la pensée. On pourrait expliquer le "syndrome de la page blanche" de cette manière, même s'il relève de bien des facteurs. J'ai une perception légèrement différente du même phénomène, à savoir que depuis un peu plus d'un mois, quand je tente d'écrire mes textes, j'ai l'impression que les mots écrits sont vides de sens. Ce sont beau être les phrases que je me suis dictées dans ma tête, et répétées, une fois sur l'écran elles perdent toute la force que j'espérais d'elles.
Au fond une théorie de l'écriture n'a pas à être conforme à la réalité, tant qu'elle est conforme à nos expériences. Et je crois encore juste et justifié de dire qu'il s'agit de télépathie, si notre rapport à l'écriture, notre manière d'écrire et les retours que nous avons sont conformes à cette vision. Surtout si cela au final nous permet d'écrire. Parfois notre façon de voir cette activité naît des difficultés rencontrées, et du reste on ne comprend certaines nuances qu'une fois la difficulté vécue - ce que j'expérimente en logique surtout, dans les autres sciences également.
L'écriture a au moins un avantage, là encore je parle bien plus dû à mes travaux d'études qu'à mes exercices littéraires : il s'agit de devoir figer nos idées une fois pour toutes. Notre village, une fois décrit, sera ce village. Notre personnages, une fois posé, sera ce personnage. Et même si au cours de l'histoire tout peut évoluer, changer, s'adapter, les contraintes liées à l'écriture - diverses pour chacun - nous contraignent à décider, le moment venu, d'une forme donnée, qui nous oblige à expliciter ce qui n'était encore qu'informel, et qui nous fait apparaître ce qu'il y a réellement derrière nos pensées, aussi convaincantes soient-elles.
L'exercice est alors intéressant, malgré ces contraintes, d'écrire une pensée laissée libre, en évolution, et que cela se ressente dans le récit sans être une gêne. À voir si c'est faisable, et si c'est intéressant.
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- kalystah
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- Imperator
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Je voulais juste ajouter une anecdote qui me revient à l'esprit en lisant tout ça, au sujet de la manière d'écrire, de l'instinct contre le réfléchi.
Un enseignant nous racontait, il y a de cela bien des années, qu'on avait interrogé de nombreux écrivains avec une seule question: "Pourquoi écrivez-vous?".
La réponse, sous de nombreuses formes mais très claire, qui revint le plus souvent fut la suivante:
"Sais faire que ça..."
Il y a indéniablement une technique de l'écriture, tout comme il y a une technique de foot (je n'ai pas suivi l'exemple) ou une (et même de nombreuses) technique de peinture. Cependant, certaines personnes semblent pouvoir écrire instinctivement en employant ces techniques (et je pense à certaines personnes présentes en ces lieux) alors que d'autres sont obligées de se casser la tête pour mettre en place une structure cohérente et obtenir le résultat imaginé (ça c'est moi ).
Impe, en essayant de garder mon commentaire aussi court que possible.
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- SoK
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Je plussoie Impe, à vrai dire depuis que je me suis rendu compte que j'étais pas mauvais dans un certain nombre d'autres domaines, j'écris bien moins.
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- Zarathoustra
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Lorsque M Petch parle des footballeurs, je pense pas que ce soit le travail qui fait la grandeur des joueurs, elle l’amplifie mais il ne les rend pas hors du commun. Ceci veut dire qu’il y a des aptitudes plus ou moins fortes qui font partie sans doute du patrimoine génétique et/ou qui ont été amplifiées par un milieu social (un apprentissage en quelque sorte).
Je peux faire un autre parallèle. Je fréquente professionnellement des artisans. Certains ont un bagage d’ingénieur et d’autre un BEP. Un vieil artisan qui vendait son entreprise à un ingénieur me faisait la réflexion suivante : en gros, en voyant le chantier, son « pif » lui disait qu’en gros, ça allait couter tant ; de son côté, l’ingénieur avait pris des mesures, utilisé des coefficients multiplicateurs, des tables de références etc et était arrivé à peu de chose près au même prix et ça amusait beaucoup le vieil artisan de voir son acheteur passer autant de temps et être si studieux là où lui "sentait" les choses. Peut-être aussi parce qu'il avait une faculté de synthétiser plus dinformations dans son esprit? Que l'expérience lui donnait des repères?
Tout ça pour dire que sans forcément vanter une méthode plutôt qu’une autre, ce qui compte est bien le résultat.
Pour revenir aux écrivains, vous avez des Flaubert ou des Mallarmé qui reprenaient sans cesse dans un laborieux et douloureux processus leurs écrits. De l’autre, vous aviez des Stendhal (j’ai toujours entendu que Stendhal dictait d’un trait sans se reprendre ses romans, c’est ce que montrait a priori ses manuscrits) qui pouvaient se lancer et synthétiser précisément tout ce qu’ils avaient en tête. Et ailleurs, vous aviez les surréalistes qui prônaient l’écriture automatique. Quand on parle de King, vu le nombre de pages qu’il peut écrire, je doute qu’il soit dans la même logique que Flaubert. Donc son approche n’est certainement pas universelle.
On peut théoriser l’écriture à l’infini, mais je ne crois pas qu’il y ait de règles. Ou si, il y a des règles, mais beaucoup d’écrivains les utilisent mêmes sans les connaître, parce qu’ils ont une intuition ou une sensibilité plus forte en la matière.
Pour revenir entre la planification de l’écriture notamment dans un roman, je vois surtout une lutte entre réflexion et création. La planification est un travail qui organise or l’acte créatif est de l’ordre de l’intuition. Dès lors, écrire un roman peut se faire de plein de façon différente et pour certains, même s’il n’y a pas de plan « écrit », ce qui est dans leur esprit est tellement clair qu’ils n’en ont pas besoin.
Il m’est d’ailleurs arrivé d’écrire certains textes (courts bien sûr) dans cet état de profonde clareté. J’avais tout en tête, les phrases, les enchainements et surtout la phrase finale.
Enfin, je dirais que les deux systèmes cohabitent certainement en permanence. Pour ma part, j’aime me lancer sans trop de planification même si j’ai beaucoup de choses précises en moi (ce que je veux y mettre, mes objectifs, les thèmes, un dénouement (qui peut d’ailleurs changé si je recadre mes problématiques). Mais il y a ensuite un travail important de réecriture qui lui est un travail de réflexion et qui ne laisse plus beaucoup de place à l’intuition. Mais pour que ce travail de réecriture existe, il faut un premier jet que j’aime être le fruit de l’intuition. Et il n’y a rien de plus intéressant que de voir naitre des choses qui sont parfois plus belles et plus intéressantes que ce qu’on voulait y mettre en premier car la matière s’enrichit d’élément qui, un peu à la manière des surréalistes, complètent merveilleusement le propos, apportent des solutions qu’on n’avait pas prévues. Il faut par contre savoir revenir en arrière pour éviter les choses bancales. Je sais que certains de mes écrits (comme le Chant des Pierres) mériteraient d’être à nouveau repris depuis le début pour tenir comptes des effets de la tectonique des plaques qu’implique ma façon de travailler.
On commence un texte pour aller de A à C en passant par B. Mais parfois, il arrive qu’on finisse par B ou par D et qu’on se rende compte que C n’était pas bon, car incomplet, pas intéressant ou plus exactement que D offre beaucoup plus que C. Faut-il se priver de D parce que notre raison nous avait dit d’aller à C ? C’est un peu ce que dirait Feurnard (permet-moi de garder encore un peu ton ancien pseudo, le temps que je m’habitue). Il dirait que si on avait bien planifié et réfléchit, on aurait dû savoir qu’il fallait aller à D. Et c’est là où je ne serais tout à fait d’accord, la réflexion ne peut pas embrasser tout ce que peut produire l’intuition. L’intuition donne même quand elle est la plus belle et la plus grande une sorte de pensée pure. La réflexion donnera plus le comment, mais l’idée, elle, ne me parait pas venir d’un découlement logique, planifié. Elle surgit d’un coup, de manière parfois fulgurante et imprévisible. Et parfois, cela revient à se rendre compte qu’il ne faut pas partir de A mais de A’ ou de F etc.
Et je plaide justement pour ces idées puissent venir nous perturber car parfois elles offrent de plus belles perspectives que ce qui était planifié (parfois laborieusement).
L’équilibre à obtenir dans l’écriture est bien entre le laborieux nécessaire car force organisatrice et la spontanéité fertile car force créative. Et il y a un point qui n’est pas vraiment abordé et qui influence énormément l’écriture et son processus, je dirais qu’il y a également la sensibilité de l’écrivain.
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- Vuld Edone
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Soit, l'artisan après des années, des décades d'expérience a intériorisé la tâche d'évaluation des coûts, complexe au demeurant, et l'a automatisé à l'état de "au pif". Est-ce que pour autant l'ingénieur - qui dans mon exemple sera une jeune pintade fraîchement débarquée - doit tenter la même chose alors qu'il ne dispose même pas des techniques de base ?
Et supposons qu'un joueur de football soit méritoire grâce à ses gênes ou à son milieu social. Ce n'est pas transmissible. Et je me vois mal conseiller à quelqu'un d'espérer se réincarner dans une autre vie pour être bon en écriture.
Car mon optique est bien que tout le monde peut écrire, et bien écrire, et pour y arriver on ne peut ni espérer tirer le génie à la loterie des naissances, ni patienter une moitié de vie que tombe par inadvertance l'expérience du "flair".
Reste la méthode, la méthode rigoureuse, la méthode sans coeur, la méthode froide puisque derrière tourne de toute manière le chaud moteur de notre passion.
Trop de méthode, bien sûr, donnant un texte glacial, etc... il faut que le moteur tourne derrière.
Et oui, je tiens bien à dire qu'il fallait savoir qu'on voulait aller au point D, mais pas pour les raisons que tu crois. Plus précisément je tiens à dire que, si nous avons pris la décision d'aller au point C, ce devrait être un crime au moins comparable à l'inachèvement d'un récit que de changer d'avis en cours de route. Et je ne dis pas cela par méthode mais par passion.
Un texte, quoi qu'il advienne, doit dire ce qu'il a à dire, dans un grand ensemble F(A-B-C) et si C a été planifié, c'est qu'il permet d'exprimer cette idée F. Je ne tolèrerais pas qu'un parasite D détourne le projet du texte et nous donne un abominable F(A-B-)G(D) apte à tuer les efforts déployés au départ, et qu'une distraction a trahis en chemin.
Évidemment, si F n'existe pas ou si D convient à F, F(D), la substitution ne pose pas véritablement de problème : F(A-B-D). Et j'ai moi-même hésité entre plusieurs fins pour Chimiomécanique avant de la fixer, tout comme un plan peut changer, mais jamais, jamais, ne doit trahir le message qui a motivé le texte en premier lieu.
Les idées nouvelles sont belles, et le seraient dans d'autres textes, mais ont trop tendance à assassiner celles qu'on avait déjà tant de mal à exprimer.
Avis personnel.
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- Zarathoustra
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Il y a deux approches, l'une qui est fondé sur une approche très rationnelle (lingénieur), à qui on a inculqué une rigueur et une méthodolgie et qui continuera certainement à travailler ainsi me^me avec l'expérience parce qu'il sait que ça marche, pour moi ce serait l'écrivain qui a reçu une formation littéraire.Est-ce que pour autant l'ingénieur - qui dans mon exemple sera une jeune pintade fraîchement débarquée - doit tenter la même chose alors qu'il ne dispose même pas des techniques de base ?
L'autre qui fonctionne de manière intuitive en autodidacte. Il ne "sait" pas et pourtant de manière miracleuse, il sait quand même. Ce serait un écrivain qui ne se préoccupe pas des bonnes manières et qui écrit comme ça vient.
Dans tous les arts, il y a des artistes qui arrivent à créer sans réellement comprendre ce qui se passe en eux et ce qu'ils projettent. D'ailleurs, certains se refusent à s'analyser de peur de casser leur processus créatif.
Bref, il n'y aurait pour moi pas de bon profil. Par contre, quelqu'un qui n'a pas de facilités devra certainement passer plus de temps, travailler plus méthodiquement. Mais cela dit, est-ce que le lecteur n'attend pas justement autre chose? Quelque chose qui lui dirait que même avec plein de travail il n'arriverait pas à faire pareil? Cela revient à reparler des footballeurs. Tu peux t'entrainer 10h par jour depuis que tu as 6 ans. Cela ne voudra pas dire que tu finiras au real de Madrid.
Je ne pense pas que ce soit une seule question d'envie, de volonté ou de travail. Malheureusement.
En fait, on est certainement d'accord. Il y a des fins qui ne modifient en rien le projet initial si on est sur le plan purement scénaristique. Un message, ou des intentions peuvent passer pareillement avec des fins différentes. D'ailleurs, c'est assez symptomatique dans le cinéma où Holywood prône le "happy end", teste plusieurs fins pour voir celle qui plait le plus au publique.Évidemment, si F n'existe pas ou si D convient à F, F(D), la substitution ne pose pas véritablement de problème : F(A-B-D). Et j'ai moi-même hésité entre plusieurs fins pour Chimiomécanique avant de la fixer, tout comme un plan peut changer, mais jamais, jamais, ne doit trahir le message qui a motivé le texte en premier lieu.
Il y a des cas où l'auteur s'insurge, mais c'est de plus en plus rare (il faut qu'il ait le "final cut"). On a parfois les "vrais" fins dans les suppléments ou dans des version uncut. Un film qui est assez symptomatique de ça est Blade Runner pour lequel il existe plusiers versions.
Et il est toujours possible de faire passer un message jusqu'au bout même si la fin change (ou a été imposé par des studios si on continue l'analogie avec les studios de cinéma). Certains films rendent la fin tellement énorme que le spectateur sait que le film dit le contraire, ou il suffit parfois d'un plan rajouté pour créer une profonde ambiguité sur cette soit-disant happy end.
Bref, où il faut être rigoureux, ce serait plus sur les intentions de départ.
En fait,le problème, c'est que parfois on a deux projets en un. C'est ce qui m'est arrivé avec le Devin qui est devenu Le Chant des Pierres. Je suis partie d'un portrait puis je suis arrivé à une histoire. Mais les deux ont fini par avoir deux logiques différentes. Reste effectivement que mon "histoire" est parfois piégé par sa forme initiel sur les premiers chapitres qui n'avait pas été travaillé pour aller si loin.Je ne tolèrerais pas qu'un parasite D détourne le projet du texte et nous donne un abominable F(A-B-)G(D) apte à tuer les efforts déployés au départ, et qu'une distraction a trahis en chemin
Et je pense que les deux versions ont toutes leurs raisons d'exister de manière à part entière.
J'ai souvenir de Kafka qui utilisait certaines nouvelles dans ces romans (un passage du Porcès notamment).
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- Vuld Edone
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- Messages : 2178
Pour l'approche je prendrai un exemple personnel.
J'ai fait du tir en stand, cinquante mètres. J'étais plus ou moins doué au départ, une fois la base apprise (respirer, trois secondes, la position...) je pouvais assez souvent moucher des dix et faire des scores honnêtes. Je n'ai du reste jamais senti le besoin de dépasser ce stade, tant que je pouvais tirer.
À côté, j'avais des passionnés pour qui 91/100 n'était de loin pas suffisant et qui cherchaient vraiment à s'améliorer par l'entraînement constant mais aussi en cherchant des techniques, en travaillant la position, en travaillant les respirations, en testant ce qui fonctionnait, ce qui ne fonctionnait pas, en réfléchissant sur leurs différents choix. Ca ne les empêchait pas de parfois faire pire que moi mais sur le long terme, ils s'amélioraient. Moi je stagnais et ça me convenait très bien.
Voilà la différence.
Il y aura peut-être un écrivain qui, gênes, milieu lettré, facilité à s'exprimer ou génie rimbaldien, arrivera à écrire du premier coup comme un demi-dieu.
Grand bien lui fasse.
Pour les autres, pauvres mortels que nous sommes, soit c'est un passe-temps et un divertissement, un hobby tranquille où ils se font plaisir et c'est leur droit, et ils écrivent comme ils l'entendent ; soit c'est une passion qui prend aux tripes et là l'approche "au pif" n'est juste pas tenable, il faut réfléchir, travailler, suer et sacrifier une bonne partie de spontanéité à la technique.
Ce qui n'empêche pas, entre deux séances de prise de tête, de revenir à de l'écriture paisible sur les sentiers de l'imagination, avant de se replonger dans des questions de méthode.
Et surtout, une fois ta méthode en place - ou tes automatismes - plus rien ne t'empêche de laisser libre cours à ton improvisation.
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- Zarathoustra
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Selon ton raisonnement, la maitrise liée à l'entrainement et à l'expérience rendrait les joueurs meilleurs. Cela voudrait dire que des joueurs de 50 ans écraserait le jeune brésilien de 20 qui est dans l'équipe nationnale?
Même chose pour les écrivains. Ce qu'un écrivain a écri à 20 ou 30 ans serait moins bons que ce qu'il écrit à 60 ans?
Ce qui est sans doute vrai, c'est que c'est techinquement plus maitrisé, mais que les qualités inhérentes à l'écriture à chacune de ses périodes sont différentes.
C'est le cas de tous les arts. Les oeuvres de jeunesse des peintres ou des musiciens ont des qualités que le vieux musiciens ou peintres n'arrivent plus à retrouver (mais parfois qui ne l'intéressent plus à exprimer également).
Oui, mais il y a un vrai risque de pilotage automatique ou de créer des choses par "facilités", sans enjeu parce qu'on a cette maîtrise.Et surtout, une fois ta méthode en place - ou tes automatismes - plus rien ne t'empêche de laisser libre cours à ton improvisation.
Ce qui fait la grandeur d'un texte n'est sans doute pas dans la méthode. Mais je ne nie pas que les grands textes ont été fait avec méthode. Seulement, il y a encore autre chose qu'on appelle de noms différents mais que généralement ont qualifie de "génie".
Tu emploies le terme de "improvisation", ce n'est pas tout à fait ça, je pense que l'on est parfois plus réceptif à écrire à certains moments plutôt que d'autres. Il y a des pages qui ne viennent pas pendant des jours ou semaines (ou mois ou années pour moi ) et qui d'un coup sorte toutes seules et qui contiennent tout ce qu'on avait en soi et qu'on voulait coucher sur papier, c'est comme si la gestation difficile avait permi une synthèse miraculeuse.. Il y a des jours ou ce qui sort est terne même si méthodiquement correct parce qu'il n'y a pas la petite flamme qui fait que ce qui se trouve sur le papier ne peut être écri par personne d'autres.
La différence entre un vrai "écrivain" et les autres est certainement qu'il y a moins d'espaces entre ces périodes. Et qu'ils ont certainement cette petite flamme en quasi permanence là où nous l'avons peut-être (ou croyons l'avoir) de manière fugace.
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- Vuld Edone
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Rimbauld avait dix-sept ans quand il a surpris le monde, mais Rimbaud avait une solide instruction. Qu'il ait pu en remontrer à ses aînés n'enlève rien à la méthode qu'il lui a fallu acquérir. Les grands peintres à la Picasso ont appris l'art le plus froid et le plus classique avant d'oeuvrer à leurs compositions. Et l'exemple que j'aime le moins, mais le journal d'Anne Franck commence avec le style le plus pauvre et acquiert, au fil du temps, la meilleure expression, processus d'un travail lent, certainement pas théorique, mais l'acquisition d'une méthode néanmoins, très sensible aux dernières pages.
Ce que j'appelle méthode n'est pas la science des universités, un savoir inscrit dans les livres. Ce que j'appelle méthode est l'acquisition de techniques, conscientes ou inconscientes, automatisées avec le temps. Ce sont des compétences qui ne tombent pas du ciel mais s'acquièrent : qu'un milieu lettré le favorise, comme pour Rimbaud, qu'une compétence sociale le privilégie, pourquoi pas, qu'il s'agisse d'un savoir scolaire et théorique comme Renoir ou bien la force des circonstances comme Anne Franck, la méthode est là et à mes yeux indéniable, sans quoi le texte volerait en éclats.
Les gens acquièrent une méthode, par tâtonnements, par réflexions, par habitude, mais ils l'acquièrent, et quand ensuite ils conseillent aux gens qui débutent de regarder en l'air et de prier les nuages et les fleurs brillantes que ce miracle leur tombe des nues, je ne peux que gronder, mais gronder fort.
Je dis aussi que si nous écrivons sans une raison d'écrire, nos écrits seront mauvais, et ce que j'appelle passion, et ce que tu appelles flamme, se doit de brûler évidemment. Mais je tiens à cette analogie du front qui fait que les recrues les plus passionnées, capables de terrasser les plus grands vétérans, seront toujours perdants face aux balles, tout comme la plume d'un écrivain aussi fébrile soit-elle se brisera finalement à la réalité, et le premier combat passé, ne pourra plus s'en remettre à la chance mais à la lente maturation et de son style et de sa volonté.
Et cela me donne une terrible envie d'écrire Brouillard de guerre, si seulement je savais mon style assez sûr pour mener ce projet à bien, parce qu'il te répondrait immédiatement : l'héroïsme littéraire et l'héroïsme du champ de bataille, est une belle idée qui convient à trop peu de gens.
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- Zarathoustra
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Tu parles de style et tu t'interroges sur le tien, mais rien que dans ta dernière réponse, il y a tout ce que tu revendiques. Et y as-tu mis de la méthode tel que tu la développes?
Je pense que non (du moins pas autant que dans ce que tu envisages du travail des écrivains). Et pourtant, tu as écris certainement là quelque chose qui approche quelque chose de littéraire malgré toi.
Une remarque en passant, c'est aussi pourquoi j'aime bien écrire des récits à la première personne parce que sans avoir l'air, il y a une matière a priori ingrate mais qui offre un immense champ des possibles. Imagines ta dernière réponse dans un tout qui soit malgré tout pensé et organisé. C'est typiquement ce type d'idées qui peut me faire changé de chemin dans mes projets. Je me rends compte que je tiens quelque chose d'intéressant mais que je dois reconsidérer plein de choses pour l'intégrer. J'imagine ses répercutions en amont et en aval sur ce que j'ai fait et à faire, et parfois je me dis que ça vaut le coup. J'ai l'ipression que c'est là où nous divergeons principalement, j'aime être surpris par ce que je fais, et j'aime donné sa chance à ces idées qui viennent parfois par hasard.
C'est pourquoi mes récits sont faits des fois de plein de temps mort, de choses qui se trouvent rarement dans les récits des chroniqueurs, que certains trouvent certainement inutile. Je dis pas que c'est bien, c'est juste que j'ai pris souvent plus de plaisir à les écrire que le reste. C'est juste qu'ils apportent des interférences avec mon projet initial et central que je trouve créatrice de sens, d'émotions ou d'épaisseur. Et c'est là où je suis en désaccord avec une planification détaillée du récit. J'aime avoir dans mes trames un espace de liberté qui me permette d'être réceptif à cet imprévu. Mais il est vrai que c'est peut-être ça qui parfois m'empêche d'écrire régulièrement (même si je pense que c'est surtout mon travail et mes loisirs...)
Pour ce qui est des grands peintres, Picasso est certainement un cas très à part, car s'il a été révolutionnaire, il est resté très classique malgré tout, il n'a jamais basculé dans l'abstraction. Je ne suis pas sûr que les peintres modernes aient sa maîtrise. Et cela ne les empêche pas d'être de grands peintres.
Tentons une analogie avec le rock. Le Punk a simplement montré qu'on pouvait écrire des chansons sans forcément être un grand technicien en tant que musicien. Derrière le cliché de leur musique bruyante, il y avait de grandes chansons. Et cette simplicité qui les rend magiques. Tout le monde est capable de les jouer, de les écrire avec 2 ou 3 mois de pratique. Mais le miracle, c'est que personne ne les avait écrite avant. C'est la même chose avec beaucoup des classiques de la musique pop-rock (des beatles à oasis en passant par le Velvet ou les Libertines). Leurs chansons sont universelles et elles reposent sur rien d'extra-ordinaires en terme technique: 2 ou 3 accords, un couplet, un refrain puis pont et pis c'est tout.
Certes Wagner a écrit des symphonies et on a du mal à les mettre sur le même plans. Mais tout comme le peintres qui ont fait Carré Blanc sur Fond Blanc (Malevitch?) n'ont pas la même quote que De Vinci. Pourtant tous font de l'art qui leur a survécu.
Et en littérature, il y a également certainement ces 2 aspects. Et c'est quelque chose que tu sembles nier.
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- Vuld Edone
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La première est que je travaille mes messages et que je les réécris plusieurs fois avant de les valider : ils sont travaillés et je n'hésite pas à réfléchir à la formule, à ajouter et retrancher une phrase, à tenter d'équilibrer les paraphes - et jusqu'au choix des mots.
Ce que tu vois dans mes messages est un ancien style que je me suis interdit voilà longtemps de reproduire dans mes textes : mes personnages ont eu droit au pathos, voilà longtemps, et mon narrateur à l'expression.
Ce n'est pas la méthode que je développe à présent, c'est la méthode que j'ai abandonnée et qui tantôt, quand je reconstruis mon personnage vulpien, revient s'immiscer dans la nonchalance des conversations.
Donc oui.
La seconde est que tu disposes toi-même d'une méthode, faite d'expérience et de routines. La technique, assimilée depuis longtemps, te permet sans peine cette marge dans tes récits, de t'aventurer au gré des surprises.
Mais ce loisir qu'une telle pratique te permet, pour le débutant, est exclue. Et j'ai vu des histoires mourir à cause de cela. Toutes les reconsidérations que tu t'offres, tous n'ont pas les moyens de les faire, et se perdent. Et cela m'oblige encore à un exemple.
Beaucoup d'étudiants, pour un exposé oral, rédigent un texte qu'ils liront à la lettre devant la classe. Je travaille personnellement à partir de mes seules notes brutes. Vais-je pour autant leur dire qu'ils sont ridicules de ne pas faire comme moi, juste parce qu'en dix ans de pratique cela m'est devenu naturel ?
Il est facile de conseiller ce qu'on fait, quand on oublie le prix pour y parvenir. Et quand nous cherchons à nous surpasser, arrivés dans ces nouvelles terres d'inconnu, les techniques qui nous ont si bien servi se révèlent soudain insuffisantes. On ne peint pas si aisément un carré blanc sur fond blanc.
Peut-être que les grandes personnes nagent sans peine, mais je donnerai toujours des manchons aux enfants, et au moment où le navire sombre, personne ne refusera de bouée.
L'enjeu est de ne pas mentir, écrire s'apprend.
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