Les dialogues
- Zarathoustra
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Sa remarque et l’acquiescement tacite de Mr Petch sur ce point laisseraient entendre qu’un récit qui en comprend beaucoup serait de moindre qualité Qu’en pensez-vous ?
Quel moyen alternatif voyez-vous ? Comment les travaillez-vous ? Quel rôle leur donnez-vous ?
Le récit dans lequel je me lance (mais c’est le cas de presque tous mes récits) repose quasiment exclusivement sur une succession de rencontre. C’est une sorte de billard qui fait que les boules s’entrechoquent entre elles et produisent des effets/interactions qui appellent d’autres rencontres.
Donc la question du dialogue devient indirectement centrale. J’y est parfois beaucoup recours. Même si je sais que ce que j’écris n’est pas la version finale, je sais qu’il y a des scènes qui reposent beaucoup sur eux. Ce sont de formidables accélérateurs, des créateurs de tension et de théâtralisation. Et je me rends compte qu’une scène où on explique comment s’est déroulé ou ce qui s’est dit lors d’une rencontre devient très vite laborieuse, inutilement explicative, et à dire vrai souvent très gratuites, sans saveur.
J’ai d’ailleurs essayé de faire attention en relisant des livres (parfois exigeants) qu’il y avait également des dialogues. Mais ceux-ci sont parfois si littéraires qu’ils ne me paraissent pas crédible en tant que tel (ou alors ce sont personnages capables d’intellectualiser de manière hors du commun).
Les éviter le plus possible pour se forcer à penser un traitement différent est effectivement un travail qui peut amener une approche plus littéraire mais n’est-ce pas aussi artificiel que de s’interdire les participe présent sous prétexte que ça fait pas bien, que c’est un tic d’ écrivain amateur ?
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- Mr. Petch
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Sa remarque et l’acquiescement tacite de Mr Petch sur ce point laisseraient entendre qu’un récit qui en comprend beaucoup serait de moindre qualité Qu’en pensez-vous ?
Je ne sais plus comment était amené la chose, mais ce n'est surtout pas une question de qualité. Je peux aimer un texte composé presque uniquement de dialogues (Vuld pourra peut-être vous parler abondamment de Poil de Carotte, qui est un bon exemple à cet égard) et ne pas aimer un texte avec peu de dialogues.
Pour moi, le dialogue est un procédé risqué dans le sens où il peut vite aboutir à une solution de facilité : faire du dialogue pour faire de la ligne. En ce sens, j'ai tendance à considérer que ça peut être, comme tu le dis, un "tic d'écrivain amateur".
Mais, quand il est réellement pensé, le dialogue peut s'avérer très utile et efficace.
Deux exemples sur ce site :
- dans Distant, Feurnard a fait un travail intéressant sur les dialogues en ne faisant parler que l'un des deux protagonistes (l'oncle, en l'occurence), ce qui crée une sorte de vide, et qui renforce l'oppression que peut subir le neveu, le lecteur devant s'identifier à l'oncle et ne vivre les émotions du neveu qu'indirectement
- dans Vers les cimes brûlantes de l'Enfer, j'ai fait un choix proche, même s'il y a une différence importante avec la narration à la première personne. Mon choix, radical, est qu'on entend jamais "parler" le narrateur par des dialogues. Seuls les dialogues des autres apparaissent. Mon objectif était d'obtenir un climat d'étrangeté, et d'accentuer encore davantage le décalage entre le narrateur et son environnement, comme s'il ne faisait qu'entendre les paroles des autres sans forcément les intégrer intellectuellement. Ici, j'ai vraiment cherché à utiliser les modalités du dialogue, le partage entre discours direct/discours indirect pour donner un effet puissant (on jugera après s'il est réussi ou non !). Effet d'autant plus puissant qu'il est contraire aux techniques habituelles de dialogues. Mais on est plus dans l'exercice de style, ici. Il y avait presque une déconstruction du rôle du dialogue par rapport à la narration, par exemple dans la scène du club Rafael (partie 2A), où 19 est dans une salle où il entend des tas de gens qui parlent entre eux mais ne comprend pas ce qui se dit. Il n'y a pas de dialogue au sens où les paroles entendues ne se répondent pas les unes les autres, mais
En fait, pour résumer, quand j'écris, je relis souvent la question du dialogue à celle de l'énonciation : qui parle ? qui entend ? à qui le lecteur doit-il s'identifier.
L'autre aspect est la question du réalisme. De ce point de vue là, je trouve que l'exercice du dialogue est extrêmement difficile dans le sens où il est difficile de recréer par écrit une oralité spontanée. D'emblée, j'ai tendance à esquiver ce problème de deux façons :
- soit en optant pour le discours indirect
- soit en renforçant, à l'inverse, la théâtralité des dialogues, en assumant leur aspect artificiel. Là encore, je prend l'exemple des Cimes. J'ai accentué la théâtralité en donnant une "voix" à chaque personnage, qui a une façon de parler spécifique qui pourrait l'identifier même si on ne précisait pas "untel dit" (je ne le précise d'ailleurs jamais, là aussi volontairement). Alexandra emploie souvent "je", Ilya parle de façon méthodique en expliquant chaque détail, Andropov a un parlé un peu vieillot et très littéraire, une tendance à faire de longues phrases... Ici, le dialogue me sert 1. à caractériser les personnages ; 2. à gérer les rapports des uns avec les autres.
Mais obtenir un "effet de réel" avec des dialogues est très difficile, et j'évite de m'y aventurer, en général. C'est un défi intéressant.
Mais Feurnard aura sans doute beaucoup de choses à dire sur ce point, je pense. Il me semble qu'il a tendance à "sacraliser" le dialogue, à lui donner un rôle symbolique énorme en réduisant au minimum sa présence. Mais je lui laisse expliquer...
Quoi qu'il en soit, tu as raison de soulever ce point, Zara. C'est quelque chose auquel j'accorde un grand intérêt quand j'écris.
Mr Petch
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- Zarathoustra
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J'ai souvent deux temps d'écriture. Le premier jet puis la réecriture. Autant j'ai du mal à trouver l'inspiration pour écrire, autant j'arrive assez facilement à ré-ecrire. Et dans le cadre des dialogues, je me rends compte que je retouche très peu mes premiers jets. Par contre, je fais un travail d'habillage, de mise en scène autour du dialogue, j'insère du texte etc. Les premiers ont une force sur les dialogues qu'il est difficile de travailler.
Pour ce qui est des "voix" des personnages, c'est une question itéressante que je me pose régulièrement. Et je ne pense pas y parvenir, sauf sur des personnages qui sont très typés, sinon je trouve que mes phrases de dialogues sont sans doute trop soutenu. Mais bon, ça vient aussi du fait qu'on ne dialoguise pas une scène du style:
- Bonjour jojo. Ca va?
- Bien, et toi.
- Moi aussi ça va. T'as vu le dernier Harry Poter?
- Ouais. Pas mal même si j'ai préféré le précédent.
- Moi je trouve pas qu'il est moins bon.
- Salut les gars, vous parliez de quoi?
- Salut. On parlait du dernier HP.
etc.
Ecrire dans un style naturel rend le dialogue pléthorique. Donc on ne va pas mettre ce type de scène. On va synthétiser.
"Tandis ue Jojo et Nono parlait du dernier HP, Nenette arriva et s'enquit de leur préférence.
- Pour ma part, je préfère le précédent car je trouve que le réalisateur a parfaitement retranscris le climat oppressant. Même si la dernière scène aurait pu mériter un traitement plus énergétique.
- Tu dis n'importe quoi etc.
Et encore, je ne suis pas sûr que ce type de scène mérite un dialogue. Je partirais carrément sur le moment où ils s'énervent vraiment. Et puis je mettrais un enjeu autour de Nenette car chacun servirait à lui plaire en prouvant qu'il a raison. L'u.en des deux serait faux cul et approuverait ses propos pour la flatter.
Maintenat, la question serait de savoir si le dialogue serait la meilleur façon de travailler la scène si tels sont mes intentions (comme je les ai exposé juste eu dessus). En l'occurence, je dirais oui, mais je reviens à ce que j'ai dit avant. Est-ce par facilité?
Pour moi, c'est pas la "voix" mais plutôt ce qu'il dit et pense qui caractérise mon personnage. Pourtant, j'aimerais que ce soit aussi ses phrases et ses mots. Mais je n'ai pas vraiment essayé. Pourtant, il y a des phrases que je suis persuadé qu'elle ne pourrait pas sortir dans la bouche d'autres. Et j'aimerais penser que si on me disait une phrase d'un de mes dialogues que je puisse en retrouver l'auteur.
Je précise que je n'ai pas vu les deux (ou 3?) derniers HP
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- Vuld Edone
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- Messages : 2178
La règle d'or, simpliste (et donc impossible), est de ne rien dire en dialogue qui ne puisse pas être dit en narration. Ceci pour éviter une bête imitation de l'oral.
Mais même passé ce stade, le dialogue est presque une tentation. Je dois avoir l'excès inverse, en le refusant le plus possible, mais il me vient déjà suffisamment naturellement pour que je n'en aie pas le remords.
Le dialogue peut s'insérer n'importe où, n'importe quand, entre deux paragraphes, entre deux phrases, entre deux mots, à l'inté- "que dit-il ?!" -rieur d'un mot, parce que c'est une parenthèse. Il peut être précédé de n'importe quoi, suivi de n'importe quoi et fournit l'une des transitions les plus efficaces.
Le dialogue n'est pas inutile, loin s'en faut. Il y a un monde entre dire que sa mère était morte et : "Mère est morte." Que le personnage le dise, que le lecteur l'entende (entre guillemets), n'est pas la même chose que de l'expliquer. Et c'est là, à mes yeux, tout l'intérêt sinon le seul intérêt du dialogue, non pas dire ce qui est dit, mais le montrer. J'enfonce une porte ouverte mais c'est aussi cela, ne rien dire en dialogue qui ne puisse pas être dit en narration.
Et en cela couper les salutations, les séquences banales, fait perdre quelque chose au lecteur, ce côté vivant et spontané qui peut avoir énormément de valeur.
Le dialogue, encore, est facile, quand il n'y a que deux personnes ou trois et qu'elles font preuve d'une politesse et d'une coordination exemplaire. Mais pour des groupes de six ou sept, pour la foule, rendre leur parole est impensable, et les disputes en dialogues tiennent de la convention. On n'a pas les moyens de faire parler deux personnes en même temps, sm aê um fe aa rv te ic fu in ca er it mi pf ri oc ve iq su ée el tq du eo cn iq ru ce onstance.
Le lecteur reconstruit l'intonation selon le contenu du dialogue, mais également ce qui est dit du dialogue, et il est intéressant de voir le lecteur changer complètement d'intonation en plein milieu de réplique, à cause d'une onomatopée ou d'un mot de registre différent. Le lecteur est donc engagé dans une tâche d'interprétation qui le rapproche d'autant plus au personnage et l'oblige à s'identifier. Quand bien même nous refusons le discours, pour le temps où il est prononcé, pour qu'il soit prononcé, il nous faut le prendre en charge.
Il y a de nombreux moyens de faire passer l'émotion. Décrire le personnage, expliquer sa situation, réfléchir sur son état, faire une introspection, mais le plus puissant à ma connaissance est le dialogue. La moindre réplique peut être rapidement chargée, et les soudaines colères ne peuvent pas se passer d'un mot sec : "Assez !" Nous pouvons décrire la vacillement de la voûte céleste que la colère d'un titan serait moins forte que celle de l'enfant prononçant ce mot.
C'est cela surtout qu'en général on entend en disant de ne rien dire en dialogue qui ne puisse pas être dit en narration.
Et tout comme les sentiments ne s'expriment nulle part mieux - à mon avis - qu'en dialogue, nulle part ailleurs le personnage ne peut s'exprimer et par là, vivre. On aura beau les décrire, les faire agir, le personnage n'existe vraiment que quand il parle. Il n'est qu'alors, et alors seulement, accessible au lecteur, et le lecteur seulement se rend compte qu'il était bien là.
Un personnage qui ne parle pas est hors du monde.
Parler, c'est s'imposer, c'est un pouvoir, une domination. Celui qui parle décide pour tous, y compris pour le lecteur. Il est, durant le temps où il parle, narrateur, démiurge dans le texte, capable de redéfinir toutes les règles aussi longtemps qu'il a la parole. En tant que parenthèse il a sa propre réalité, sa propre cohérence, sa propre interprétation. Non seulement il peut tout réécrire mais avant qu'il n'ait terminé il est impossible de le discuter, pas sans cesser de lire : c'est une opinion subie.
Le dialogue est d'une focalisation effrayante, alors même qu'il devrait être contenu et soumis à la narration environnante, capable de la contenir et de la soumettre, de faire oublier plusieurs paragraphes précédents, de décider du sens de tous les paragraphes à venir, plus fort que ces mots ou ces phrases isolées, avec cette habitude du dialogue court - autrement quoi il a tendance à devenir lui-même narration - il va retenir toute l'attention et toute la mémoire du lecteur, et la tentation sera immense de mettre le contenu le plus important là, puisque ce sera là que le lecteur regardera en priorité.
Et c'est d'ailleurs assez amusant de voir une scène importante amorcée par du dialogue - ou autre rupture - pour réveiller le lecteur.
Je n'ai... pas vraiment répondu à la question. La réponse est évidente : la quantité de dialogue ne dit rien de la qualité du texte. À mon souvenir le Devin n'avait pas de problème au niveau de ses dialogues et je pense que tu as accumulé dessus bien assez d'expérience. Ce sont peut-être tes repères, comme le sont certains mots pour moi. Qui sait.
J'ai encore tout, personnellement, à découvrir.
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- Zarathoustra
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Je crois que tu dis les choses merveilleusement. C'est exactement ça. Mais c'est également ce pourquoi ils sont une tentation permanente.La moindre réplique peut être rapidement chargée, et les soudaines colères ne peuvent pas se passer d'un mot sec : "Assez !" Nous pouvons décrire la vacillement de la voûte céleste que la colère d'un titan serait moins forte que celle de l'enfant prononçant ce mot.
Une chose que je découvredepuis que je réecris et queje ne faisait pas, c'est de mettre unpeuplus en scène les dialogues. Avanbt, je f'enchainias les tirets. Maintenant, j'insère davantage de texte non dialogué. Bien sûr, ça sape unpeula dynamique qu'a foncirement le dialogue, mais çapermet de travailler l'ambiance, le resenti. Je n'invente rien, c'est juste queje lis un peu plus en regardant comment font les auteurs alors qu'avant je n'étais que lecteur. Et quand j'écrivais, je le faisais en me référant uniquement à mes intuitions ou réflexions personnelles.
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- Monthy3
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En fait, la quantité de dialogues dépend essentiellement de la nature du texte, mais je pense qu'en tout état de cause, trop de dialogues tuent le dialogue en ce sens que l'impact de telle ou telle phrase risque de se noyer au milieu d'une succession de tirets là où, si elle était seule ou bien accompagnée, elle étincèlerait.
Après, bien les mener est encore une autre question. Il est vrai que, comme toi, Zara, j'ai (trop) souvent tendance à être vite satisfait de mes répliques, pendant et même après ! Tandis que je décèle assez aisément, parce qu'il y en a beaucoup, les passages de narration mauvais. Je ne sais pas à quoi cela tient. Je pense simplement qu'il est très facile de s'abandonner aux joies du dialogue : on n'a pas à s'encombrer d'auxiliaires ou guetter des répétitions, désamorcer les "et" trop nombreux, etc.
D'un autre côté, ses atouts sont nombreux : rupture, rythme, solennité...
En fin de compte, je ne dirai rien de plus pertinent que Feurnard :
La réponse est évidente : la quantité de dialogue ne dit rien de la qualité du texte.
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