file MdT - L'atmosphère

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il y a 11 ans 2 mois #18535 par Vuld Edone
MdT - L'atmosphère a été créé par Vuld Edone
Hi'.

Alors je ne pensais pas aborder ce point - en tout cas pas avant longtemps - mais forcément la pratique en a décidé autrement.
Imaginez que vous tombiez sur un texte en apparence bien écrit, avec une histoire tout à fait acceptable, vous en avez lu une centaine d'autres sans broncher et vous vous lancez dans celui-là. Et là, après dix minutes, vous. Ne. Pouvez. Plus. Continuer. Vous êtes mort d'ennui, à regarder votre écran l'envie de bailler ou d'aller trier vos chaussettes et vous devez commenter ce texte.
Ça ne vient pas du fond. Dans le fond on a des combats de dragons, des catastrophes naturelles, des démons d'outre-tombe cachés dans des livres donc bon... normalement rien que le contenu devrait nous intéresser. Et très franchement dans mon cas je voulais continuer à lire. C'est juste que je ne pouvais pas.
Ça vient de la forme.

La pluie tombait dans la rue. La voiture passa. Elle s'arrêta et une personne en descendit. Il tenait à sa main une valise. La voiture repartit. Il regarda l'immeuble, le numéro deux cent douze. C'était sa destination.

Ça. Pendant. Six pages.
Et là j'en profite pour répondre à Imperator. Pourquoi développer ? La réponse ici. Il y a toute l'information utile, rien que l'information utile. On est dans un polar' noir et blanc avec l'homme en ciré bien mystérieux type mafieux ou agent secret, on devine sa cigarette et son regard alerte, on entend quasiment le moteur ronronner dans la rue déserte sous cette légère bruine du soir vous savez ?
Donc il n'y a rien à ajouter, tout est là. Et il n'y a rien à enlever parce que ça risque de rendre le texte confus (salut le renard). Maintenant je vous promets que dix minutes de ça, en permanence, ça vous endort un grizzli à jeun dans une fosse de viande fraîche.

Alors qu'est-ce qui ne va pas ?

La première remarque, la plus évidente, est le côté scolaire. Les phrases sont toutes de modèle "sujet verbe complément" et il y a une phrase par proposition. C'est terriblement répétitif est barbant, on a ouvert un manuel de géographie, pas un roman. Ça, au moins, le scribouillard peut le comprendre (même si c'est décourageant de se recevoir ce genre de critique dans les gencives, je compatis sincèrement).
Donc la première chose à faire est de casser ces phrases scolaires, de jouer avec la syntaxe :

La pluie tombait dans la rue, sur la voiture de passage qui s'arrêta. Une personne en descendit, valise en main et la voiture repartit. Il regarda l'immeuble, le numéro deux cent douze. Sa destination.

On est donc venu avec un marteau et un burin, on a pulvérisé le cadre scolaire pour essayer de secouer un minimum la narration. On pourrait parler de "fluidifier" le texte, que ce soit en coupant des mots comme "c'était" ou "une" pour la valise et ainsi de suite, ou que ce soit en les changeant de place, en remplaçant des points par des connecteurs et ainsi de suite. Le but, que le lecteur n'ait pas à s'arrêter entre deux propositions, soit plus ou moins toutes les deux secondes maximum.

Maintenant, vous avez lu l'extrait et vous devriez sentir que ça ne va toujours pas. Qu'en fait c'est peut-être pire qu'avant.

Avant d'entrer de plein pied dans l'idée d'une "atmosphère" ou d'une "ambiance" en soi, je ferai une seconde remarque. Comme je l'ai dit, ce style, on va se le manger pendant dix minutes. Cela signifie qu'il ne varie pas, il est constamment le même peu importe la situation. Simple causette au pied d'un arbre ? Course-poursuite effrénée ? Même une fois venue la prière du plus grand péril, le ton reste identique, monotone.
Et cette répétition est probablement ce qui épuise le plus.
Le problème est alors que la forme ne correspond pas au fond, puisque la forme est constamment la même. Résultat, on ne sent pas le changement et on a du mal à rentrer dans le texte. (Là, ça commence.) Il faut donc expliquer au scribouillard qu'il doit "varier".
Je fais ça comment ?
En l'occurrence, dans notre exemple, le plus probable est que le mouvement du texte devrait suivre celui de la voiture. Quand elle roule, le texte se déroule rapidement, lecture tout aussi fluide. Quand elle s'arrête, on revient aux phrases courtes et nettes, à l'arrêt. Quand elle repart, on rallonge mais de façon un peu plus pénible, et on fait sentir la lourdeur en regardant l'immeuble.
Bref.

La pluie tombait dans la rue, sur la voiture de passage dont les phares effrayaient le bitume et arrachaient aux pare-brises mettons de furieux éclats. Le moteur grondait solitaire, un peu plus fort en ralentissant, les pneus tapèrent sur le trottoir. Elle roula encore quelques mètres avant de s'immobiliser, et sa masse noire se détachait toujours aux éclats des phares parce que.
Enfin, la portière s'ouvrit. Une personne en descendit. À sa main, une valise. Il claqua la portière. La voiture redémarra, alla gronder sur la route et lui, se tournant vers l'immeuble...

Je m'excuse pour l'exemple un peu long mais c'était un peu le but, donner vraiment l'impression qu'il y a une voiture qui roule sur nos écrans. J'ai d'ailleurs bien souligné la différence par un saut de paragraphe, pour rappeler que les paragraphes ne servent pas qu'à aérer le texte, et la différence est nette dans le deuxième paragraphe entre une ponctuation à points et une à virgules. Tout cela nous est familier.

Ça, c'est déjà difficile à expliquer au débutant. Mais c'est toujours pas assez. Parce que ça, on a beau faire, c'est du cliché et c'est pas très passionnant non plus. Et il aura beau varier, on le sent le remplissage.

Donc toute la question est de savoir ce qu'est une "ambiance".
En l'occurrence on a tendance à parler de rendre le texte "vivant", de "faire vivre", d'immersion, de "plonger le lecteur" et toutes ces idées. La grande question, c'est comment on fait. Non seulement il y a des textes très travaillés qui sont juste insipides, et qui donnent plus envie de fuir qu'autre chose - y compris de grandes oeuvres - mais il y a des textes amateurs, extrêmement, mais alors extrêmement simplistes et qui accumulent toutes les "erreurs" du manuel à chaque chapitre, qui ont une ambiance simplement étourdissante.
Et là j'avoue n'avoir pas de réponse.
La seule réponse que j'aie pu donner, jusqu'à présent, c'est le détail. C'est encore fragmentaire mais j'ai fait observer à quelqu'un dont le personnage était allé boire un verre à l'évier (trois fois) que s'il avait placé une tasse avec un motif dessus, juste à côté de l'évier, il aurait déjà pu créer de l'ambiance. Je lui avais dit quelque chose comme "on est déjà entré dans l'intimité de la famille".
Je l'ai dit aussi parce que, très souvent, pour débuter ou continuer un texte j'ai besoin de "détails". C'est ce détail qui va rendre la scène vivante et me permettre d'enchaîner. Le problème étant que si je dis ça à un débutant, lui il va comprendre "fais du remplissage".

"José s'installa au volant de sa voiture. La petite peluche attachée au rétroviseur le regarda..."
"José s'installa au volant de sa voiture. Il y avait une peluche attachée au rétroviseur."

La différence ? Techniquement, aucune. Au mieux dans le premier cas la peluche est active, vaguement humanisée et si on était dans mes textes on aurait toutes les raisons de s'inquiéter. Mais on n'est pas dans mes textes, et les inférences les plus probables sont que José a encore un côté enfantin.
La différence vient en fait du rapport établi entre José, la voiture et la peluche. Dans le premier cas ce rapport est donné explicitement... je reprends, ce rapport est donné implicitement, on parle de la peluche parce qu'il s'est installé dans la voiture. Quelle que soit la raison qui l'ait fait prendre le volant, la peluche est une sorte de réponse. Par exemple mettons que José doive aller sauver son ami, si cet ami lui avait offert cette peluche, ben voilà.
Dans le second cas peu importe que ce soit José, Gertrude ou Ludovic qui prend le volant, lave la vitre ou joue de l'harmonica à deux heures dans un métro. Il se trouve que la caméra est dans la voiture, par hasard, et donc on va décrire l'environnement. Il y a un autoradio, un volant, des pédales, des photographies de vacances et une peluche. Dans le second cas on nous a fait un inventaire à un objet de l'intérieur et la description-liste, c'est nul.
On en parlera quand on abordera la description.

L'atmosphère fait partie de ces choses compliquées, avec l'émotion et pas mal d'autres histoires de ce genre, et ce n'est pas vraiment un problème de débutant. Mais c'est un problème que je rencontre et qui est pénible à expliquer.
- Le texte est trop scolaire
- Le texte est trop monotone
- Le texte n'a pas d'ambiance
En l'occurrence pour ce dernier point, je n'ai absolument aucune idée de la manière dont je peux expliquer qu'une tasse à café peut changer toute une scène, la rendre vivante et prenante, mais que la même tasse à café, juste posée là pour remplissage, est au contraire un gros boulet de fonte dans la série de cailloux de ce pénitencier qu'est le texte, et qu'on s'en serait bien passé.

Donc si vous avez une idée, pendant que je reprends mon souffle...

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il y a 11 ans 2 mois #18536 par Zarathoustra
Réponse de Zarathoustra sur le sujet Re:MdT - L'atmosphère
C’est très intéressant, cette notion d’atmosphère. Pour moi, c’est plutôt une question de style. Et pourtant, tu as raison, il y a certainement à l’intérieur du style quelque chose de plus.
Qu’est-ce qu’une atmosphère ? Et bien, je dirais que c’est tout ce qui n’est pas strictement explicite dans un texte. Qui fait que quand on voit la peluche, ce n’est pas une peluche banale. C’est ce qui transfigure la réalité.
C’est aussi ce qui permet justement au lecteur de s’immerger dans le texte. Dans l’exemple qui débute ton exposé, on est dans une lecture mécanique qui nous repousse paradoxalement hors du texte. On bute dessus comme si les mots eux-mêmes n’étaient que des lettres.
Donc l’atmosphère va relier les mots entre eux et leur donner vie.

Maintenant, comment crée-t-on une atmosphère ?
Ca, c’est difficile. Mais effectivement, je partage ton avis. C’est bien dans les détails. Je dirais même dans une sorte de gratuité. C’est tout ce qui n’est pas nécessaire (et qui tu appelles développement) qui fait qu’on ne lit pas un résumé. Or le premier exemple est effectivement une sorte de résumé de ce que l’auteur doit écrire.
Pour ma part, il y a une notion qui est parallèle au style et à l’atmosphère, que j’appellerais la mise en scène. C’est à dore la façon dont on déroule une scène et qui fait que, tout comme les films, on peut raconter la même chose sans pourtant lire la même chose. Je dirais que la mise en scène est l’un des procédés qui autorise une atmosphère.

L’un des autres procédés serait bien sur le style lui-même, ou peut-être plus précisément, les effets de style. Tu évoques le rythme des phrases, on est déjà dans le style. Donc tout ce qui est césure, inversion, inversion, paraphrase, répétition peut créer une atmopshère. Mais si on essaie d’éviter le style, alors il reste le vocabulaire et tout particulièrement le registre des adjectifs. Si on rajouté par exemple « verte » à peluche, on a soudain une image qui n’est plus celle du gros nounours. Et plus on va s’attarder sur la peluche et plus effectivement on va créer une atmosphère.

Maintenant si on parle d’atmosphère, il faut aussi que l’auteur l’est défini dans sa tête. Fantastique (la peluche est inquiétante, semble prendre vie), inquiétante (il lui manque un œil et elle a été transpercée ou lacérée par endroit), enfantine (un mouchoir a été fixé autour de son cou pour lui donner une allure de cowboy) etc.
Donc l’atmosphère, c’est ce qu’a voulu mettre l’auteur qui va effectivement dépasser le cadre formel du résumé. Un résumé ne peut pas transcrire l’atmosphère d’un texte sauf à décrire l’atmosphère (mais on est plus vraiment dans un résumé). C’est ce que va donner des sensations au lecteur. L’atmosphère est un peu le lien de complicité du lecteur et de l’auteur. L’auteur « piège » le lecteur.

Mais c'est parti pour être un sujet sans fin, non?

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il y a 11 ans 2 mois - il y a 11 ans 2 mois #18537 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet Re:MdT - L'atmosphère
Tant qu'on a quelque chose à dire sur le sujet. Oui, c'est sans fin, mais on va aussi très vite s'épuiser, se désintéresser et passer à autre chose.
Vois ça comme un brainstorming.

À noter que la première forme d'atmosphère alors, chez un débutant, est l'intervention du narrateur. C'est le narrateur qui va rendre le texte "vivant" en intervenant, en donnant son avis, en faisant des remarques au lecteur de type :
"René courait dans les couloirs - ce qui n'était pas bien malin de sa part - quand..."
Avec ou sans parenthèses, ces remarques sont les premières couleurs dans un texte amateur. Je dis souvent aux gens de s'en passer sans vraiment bien réaliser que s'ils n'ont plus cette ressource, leur texte devient passablement creux et ennuyeux, pour eux comme pour moi. Tant qu'ils n'ont rien pour le remplacer...
C'est aussi pour ça que l'humour a la cote.
Par contre, au niveau des adjectifs et ainsi de suite, il y a une méprise à ne pas risquer avec le jeune auteur : il n'a pas de repère, il ne sait pas quand s'arrêter. On peut facilement avoir des "il vit la grande maison bleu ciel avec des rideaux jaune orangé" et toi tu es là à faire de grands gestes avec ton panneau stop. À un moment donné trop de détails tue le détail.
D'ailleurs j'avais expérimenté ça en travaillant mes brouillons de romance - car vi', je n'ai pas abandonné le défi - avec l'amoureux qui se décrit sa belle, et euh... ça en devient vite ridicule.
Quant à dire que le détail est gratuit... mh on risque de retomber dans le cas de la peluche dans la voiture, elle est là c'est bien gentil mais à part m'avoir fait perdre mon temps... Au risque d'entrer dans une guerre des styles et des visions du texte, je pense que mettre des détails ne suffit pas, qu'il faut vraiment montrer au lecteur qu'il y a un rapport entre ce détail et la situation, et laisser le lecteur s'inventer ensuite ce qu'il veut sur ce rapport.
Après, je n'ai pas testé.

Sur une autre note, même si j'aurais préféré aborder ça en parlant de narration - quelque part on est déjà dedans... - je dis souvent aux scribouillards un peu plus aguerris d'expérimenter, de "jouer" avec le texte, de profiter des ressources qu'offre l'écrit et ainsi de suite.
Ouais.
C'est vague comme conseil.
Alors forcément chez moi c'est simple, ça fait des années que je le fais. Mais quand je dois leur donner des exemples, je retombe dans la théorie : déplacer, remplacer, supprimer, ajouter des mots... jouer avec la syntaxe, mélanger les phrases... quelque part je suis incapable de leur donner les "repères" qui nous permettent à nous, les vieux croulants, de savoir ce qui coince et comment corriger ça.

Enfin... je dois avouer que sur la question de l'ambiance, ou de la narration en général, je n'ai pas beaucoup de pratique, au sens où le problème se pose assez peu, est relativement secondaire dans les textes débutants. Soit le gaillard a d'autres défauts plus graves et je me concentre là-dessus (et c'est plus facile pour moi) soit il n'en est pas encore au stade où ça a de l'importance, et aborder ce point avec lui serait prématuré.
Du coup la discussion est tellement vaste que je ne sais pas si elle aboutira à quelque chose, mais ça mérite au moins un peu de réflexion.

EDIT: Et au passage, que je parvienne à réécrire la méthode ou pas, en attendant ces réflexions sont déjà une discussion utile pour les jeunes pousses.

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Modérateurs: SanKundïnZarathoustra
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