L'effet "snif snif"
- Vuld Edone
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Comme l'indique le titre, je ne compte pas être objectif ici. Mais derrière ce qui va être au final une certaine dose de râlage, je propose de revenir sur les deux notions que sont la "cohérence" et la "vraisemblance".
Et on va parler sentiments.
L'effet "snif snif", c'est le pathos, le sentiment - ou l'émotion pour embêter Zara' - c'est tout ce qui va faire vibrer le lecteur, que ce soit le rire avec la comédie ou les larmes avec le drame, généralement archétype du sentiment et donc ce que j'appelle l'effet "snif snif" : quand il y a du sentiment sans rien derrière.
Commençons par la "cohérence".
La "cohérence" est, d'un point de vue logique, la nécessité d'un monde possible non-contradictoire. Cela signifie que le texte ne doit pas se contredire. L'exemple le plus récent d'incohérence que j'aie eu était une petite fille modèle qui, en dix secondes, se transforme en rebelle complète.
L'incohérence, contrairement aux apparences, n'est pas dans ce changement. Après tout, dans Starship Troopers (le film), les soldats commencent par ne pas pouvoir abattre un simple parasite alors qu'ils sont dix à le mitrailler, et à la fin un seul soldat en abat des dizaines parce que voilà. C'est invraisemblable (on y viendra) mais c'est cohérent.
Dans le cas de la fille modèle devenue sauvage, le problème n'est pas qu'elle se révolte sur un coup de tête. Le problème est qu'elle a vécu toute sa vie en enfant modèle, et dès lors on est en droit d'attendre deux choses :
- qu'elle ne sache pas comment se rebeller
- qu'il reste au moins des traces de son éducation
Ce sont des déductions du fait, une fois encore, qu'elle a passé sa vie à jouer la bonne petite. Ces déductions sont piétinées par le texte et c'est alors "comme si la petite n'avait jamais été enfant modèle". En effet cette donnée du texte ne joue plus aucun rôle aussitôt l'enfant devenue rebelle, c'est comme si elle l'avait toujours été. Le texte s'est, quelque part, contredit.
Venons-en à la "vraisemblance".
Généralement on dit de la vraisemblance que c'est ce que le lecteur est prêt à croire. Personnellement j'ai du mal à croire que deux robots se battent à coups de galaxies. Il est donc intéressant de noter que des fictions invraisemblables sont tout à fait acceptables et on est prêt à y "croire", à regarder, une fois encore parce que c'est cohérent.
Dès lors, pourquoi se préoccuper encore de la vraisemblance ?
Techniquement, la vraisemblance changera d'un lecteur à l'autre et dépendra moins de sa lecture que de ses goûts. L'auteur pas plus que le critique n'a de contrôle dessus et traiter un texte d'invraisemblable est alors une absurdité. Par ailleurs, on l'a dit, la cohérence permet de passer outre n'importe quelle invraisemblance - on le verra bien assez par la suite.
Ce qui m'intéresse, c'est que la forme du texte va rendre le même contenu, identique, tantôt vraisemblable et tantôt invraisemblable, selon la manière dont il est présenté. J'ai une pensée à cette occasion pour le Papillon des étoiles et ses bicyclettes mais passons.
Ici, l'exemple ne sera pas littéraire.
Un journaliste, nouveau dans le métier, décrit dans un entretien qu'on n'avait pas l'impression dans ses articles qu'il était "sur place". Le journaliste s'était bien déplacé, avait assisté aux événements et rendu compte parfois depuis là-bas mais parce qu'il n'y avait pas de petit détail de type "il fait beau" ou "petite pluie" ou "la route est déserte", l'article donnait l'impression qu'il était resté au bureau.
La vraisemblance n'a, de ce point de vue, absolument rien à voir avec l'information donnée. Elle consiste purement et simplement à donner assez d'informations - et sous une certaine forme - pour persuader le lecteur que l'information est vraie. Ce peut être en donnant des détails gratuits, en détaillant les pensées ou par des doses bien senties de pathos.
Et là je donnerai deux exemples.
Le premier est la parfaite démonstration de ce qui me hérisse le poil. Il est tellement flagrant, tellement évident mais en même temps personne ne l'a vu.
Ce sont deux amis vivant dans la même ville. L'histoire va son train, un jour ils se disputent et l'un des amis fait soudain : "je quitte la ville, je n'ai plus aucune raison de rester."
Revenons une seconde sur le contexte, et nous verrons que cette réaction est cohérente : il s'agit d'une dispute importante, le texte se focalise sur la relation entre ces deux amis et donc tout ce qui sera propre à souligner l'importance de la rupture sera justifié par la situation. Objectivement, on a affaire à une exagération, j'aurais dit courant dans les récits "jeunes" si je n'avais pas vu à peu près la même réplique dans une oeuvre professionnelle...
Maintenant, j'aimerais souligner à quel point cette réaction est absurde : c'est supposer que la personne va abandonner son travail, ses connaissances, son habitat et bref sa vie pour s'exiler à cause d'une dispute. Je peux assurer que rien, absolument rien dans le texte ne justifie une réaction aussi extrême.
Il me faut aussi répéter à quel point personne n'a prêté d'attention à ce détail. Sans chercher à l'expliquer, je constate simplement que la logique de la situation est secondaire face au "drama".
La situation est incohérente - ce type a une vie, il est donc absurde qu'il s'en aille pour si peu - mais elle est rendue vraisemblable par l'accentuation de la rupture ; inversement la situation est donc cohérente, puisqu'il s'agit d'une dispute, mais elle est invraisemblable quand on y réfléchit deux secondes.
Selon la définition que l'on donne de "cohérence" et "vraisemblance".
J'aimerais à présent exposer un second exemple un peu plus long.
Le texte nous met dans la peau d'un explorateur arrivant sur une base coloniale dont les occupants ont tous été massacrés. On découvre à mesure du texte, à travers le personnage, que ce sont les systèmes de la base, contrôlés à distance par la planète colonisatrice, qui ont tué tout le monde. Le héros découvre massacre après massacre et enrage devant ces carnages.
- Déjà là, arrêtons-nous deux secondes. Rien que de la Terre à Mars si j'ai bon souvenir il faut plusieurs heures pour envoyer un message radio. Là on parle d'une colonie à des années-lumière. Je laisse juger la faisabilité de la chose.
- Mais aussi, admirons la passivité du personnel dont le texte dit explicitement qu'il contient des experts y compris en robotique et qui donc, sur des mois, n'est pas fichu de prendre le contrôle ou, à défaut, de démolir les systèmes type tourelles automatiques. Champions.
Puis le texte nous apprend que finalement il n'y avait pas de communication à distance, tout était dirigé par un superordinateur, je cite, "capable de créativité et d'apprentissage", qui s'est mis à tuer les résidents pour réguler la population suite à une pièce défectueuse, à mesure qu'elle se détériore. Et le héros apprenant cela désespère.
...
- C'est une base coloniale ! Elle est conçue pour une population destinée à croître et y vivre pendant des décennies sinon des siècles, le temps de la terraformation. La pièce à peine endommagée, il faut tuer des gens ? C'est quoi cette régulation de clochard !
- En disant que ce soit la base la plus mal foutue de toute la science-fiction, c'est quand même une base coloniale ! Avec, une fois encore, une tonne d'experts, du matériel partout et des mois au minimum pour réparer, remplacer ou trouver une alternative à cette fichue pièce ! Et ça parce que bien sûr il n'y a pas de pièce de rechange...
- Mais mettons qu'on soit face à l'un des cas d'incompétence les plus prononcés de l'humanité : c'est quoi, une fois encore, cette régulation de clochard ?! En disant qu'il faille tuer des gens, pourquoi les mitrailler ou les tuer à l'acide alors qu'il suffit de couper l'air pendant qu'ils dorment ?
Et je passe bien sûr sur l'intelligence du superordinateur qui sauve des gens en tuant des gens - y compris une fois que la pièce lâche totalement - parce que clairement la machine était capable d'apprendre. Sûr. Superordinateur à deux sous oui...
Et des exemples comme celui-là, je pourrais en donner beaucoup.
De tête, dans une histoire de guerre, on nous précise bien que la base X a un canon tel et tel - sur point d'ancrage, fixe, en défense. Puis on attaque la base Y et à l'intérieur il y a un robot géant qu'on ne peut pas vaincre. Là un personnage réussit, en pleine bataille, à faire l'aller-retour entre les deux bases après s'être équipé du canon (ouais...) pour détruire le robot.
Il est difficile de trancher entre incohérence et invraisemblance, c'est-à-dire entre ce que dit le texte - que le personnage a pu faire l'aller-retour à temps - et ce que je pense - si Apollo 13 a pu bricoler quelque chose, une base coloniale le peut aussi. Mais les cas que je donne sont typiquement ceux où ce sont les sentiments du héros, ou de la situation, qui évitent au lecteur de penser seulement aux détails discutables de la situation.
Dans mon premier exemple, j'avais dit que c'était la dispute ; dans mon second exemple, c'est la colère puis le désespoir du héros ; dans le dernier, c'est ce sentiment bien connu de triomphe.
Les sentiments sont ce que recherche généralement le lecteur, ce qui fait la richesse, la qualité d'un texte. On demande à vibrer, à s'émouvoir. Et tant que les sentiments sont cohérents avec la situation, la situation n'a pas à être cohérente avec elle-même. Si on jubile, on se fiche de savoir d'où sort ce canon. Si on s'attriste, on se moque de connaître les alternatives à la régulation d'une base.
Et je n'écarte pas l'hypothèse que ce soit le rejet d'un sentiment qui peut me donner l'envie de démonter le texte - signifiant que le texte a été efficace pour moi et qu'en cherchant à le contredire, je ne fais que confirmer sa réussite. Le problème étant qu'on m'a donné des cours d'analyse du discours et de la manipulation et que bon... il aurait suffi de mieux préparer le texte - mieux introduire le déplacement du canon, mieux justifier les carnages, etc... - pour obtenir les mêmes sentiments. C'est donc plus un vaste gâchis qu'autre chose.
L'effet "snif snif", que je mentionne dans mes commentaires sous le terme péjoratif de "pathos", c'est une situation incohérente, rendue vraisemblable presque uniquement par les sentiments, quand ce ne sont pas les sentiments qui justifient de causer ces incohérences.
Parfois, ces incohérences sont inévitables, soit par manque d'information - un enfant n'a aucune idée de la vitesse et des manoeuvres pour une rentrée atmosphérique - soit parce que voilà il faut bien que l'histoire ait lieu, le meilleur exemple étant le héros qui refuse de mourir alors qu'il y a six grenades qui ont explosé à deux mètres de lui : je trouve cela totalement invraisemblable, le texte ne le justifie en rien mais impossible de faire autrement, ce n'est donc pas quelque chose que je discuterais en commentaire. C'est de bonne guerre et sur le moment, si j'en ris, cela ne m'empêche pas d'apprécier le texte.
Mais le plus souvent c'est juste de la facilité, l'envie du plus grand effet à moindre effort (l'exact opposé du principe de pertinence) et c'est énervant de voir la logique sacrifiée au nom des bons sentiments. L'effet "snif snif", c'est quand on me demande de m'attendrir pour rien.
Et c'est l'une des causes qui fait que mes commentaires sont généralement totalement à l'ouest des réactions majoritaires : moi, j'ai besoin qu'il y ait quelque chose derrière.
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- Zarathoustra
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Tu cherches à expliquer pourquoi une émotion ne fonctionne pas ? Ou pourquoi ça ne touche pas ? Ou que c’est inutile ?
Pour apporter quelques éléments sur ton sujet :
Je pense que tu insistes sur un point principal. Dans un récit, il y a des choses qui s’adressent à la raison (donc à la logique) et l’émotion ne fonctionne surtout pas sur le mode « logique », mais avec notre affectif.
Donc tu dis que dans certains cas, la logique étant bafouée, l’émotion ne passe pas. Je t’avoue que le cas du gars qui découvre peu à peu que c’est l’ordinateur qui a tout fait est intéressant. Franchement, moi, que ce ne soit pas « logique », ça me parait secondaire. Cette scène est au contraire un prétexte pour vivre les sentiments du personnage. Et en soi, la situation est intéressante (même si illogiquement présenté). Ce que vivrait un humain dans tel sentiment est crédible, et c’est ça qui m’importe. Et c’est assez intéressant à travailler parce qu’on peut se projeter. Il s’agit de vivre une horreur et de se rendre compte à la fois de l’injustice et de jouer sur le contraste de la dimension dramatique et de la froideur implacable de l’exécutant..
Dans le cas de la brouille de deux amis, je te rejoins, il y a quelque chose d’extrême qui rend les sentiments pas crédibles. Et je dirais même que ce n’est pas très intéressant en soi.
Maintenant, on a un cas intéressant et un cas pas intéressant. Mais on ne dit rien si on ne parle pas du résultat final. Pourquoi l’auteur n’arriverait pas à nous toucher dans le 2eme cas , indépendamment de ça ? A contrario, l’inverse est possible.
Donc pour moi, l’effet « sniff sniff » qu’il faut étudier, c’est au-delà de la situation elle-même. Qu’est-ce qui fait qu’on puisse être touché au-delà de la crédibilité d’une situation ou de sa banalité. Parce que, à un moment, il y a aussi la banalité des situations. Oui, parce qu’il y a plein de textes, de grands textes, qui parlent de chose basique, de situations mille fois écrite : la perte d’un être cher, une rupture etc.
Pour moi, l’affectif fonctionnera d’autant plus fort qu’il y aura identification aux personnages. Pour toucher un lecteur, il faut qu’il se projette non pas dans la situation mais dans le personnage. Et cette identification permet aussi de se projeter dans la situation. Donc, le sujet, ce serait : comment fait-on pour qu’un lecteur s’identifie à un personnage ?
Tu es d’accord ou j’ai mal compris ton objectif ?
Et si c'est ça, je dirais que c'est intéressant, car il y aurait quelque chose d'universel dans ce travail (même si chacun peut resentir plus ou moins fortement une émotion, voire dans certains cas passer à côté).
Et il y a un autre aspect. Il y a l'émotion exteroisé du texte. C'est celle que vit le ersonnage. Mais il y a aussi une émotion qui est parfois dissimulée. Soit parce qu'elle n'est pas explicite volontairement (c'est le cas dans certains de textes), soit parce qu'elle contribue à l'ambiance générale du texte.
Autre enjeu: comment fait-on passer d'un sentiment à un autre sans que le lecteur se sente balloter? Est-ce possible et comment? On arrive parfois à passer du rire aux larmes. Et l'inverse. Je me dis que ça, c'est très fort.
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- Vuld Edone
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Les exemples sont tirés de textes ayant eu des centaines, sinon des milliers de lecteurs, des dizaines voire des centaines de retours positifs. En terme de popularité ce sont des succès incontestables - à l'échelle de la fanfiction - qui ont largement démontré qu'ils savaient produire du sentiment.
Donc bon.
J'aimerais aussi revenir sur ton idée que l'émotion ne fonctionne pas sur le mode de la logique :
Le texte ne donnera rien de plus, aucun marquage émotif, il passe très vite à autre chose. Pour dégager une émotion, tu es forcé, à partir de cette dernière remarque, de réviser l'information, et à partir de cette révision, en accord avec le reste des informations, de déduire - non de reconstruire - la vie de celui qui a écrit la lettre. C'est ce travail logique qui produira une émotion puissante.Dans un monde post-apocalyptique, il y a un message cloué sur une porte. Le message date d'avant-guerre. C'est une longue lettre laissée par le résident qui explique à un ami qu'il doit s'absenter, il ne sait pas combien de temps, tout ça. À la toute fin de la lettre il dit à cet ami de laisser la commande habituelle, "trois bouteilles de lait et une barquette de beurre", sur le pas de la porte.
J'ai aussi en tête une histoire lue voilà bien bien bien longtemps à l'école, où les moulins à vent étaient peu à peu remplacés par les moulins à vapeur. Seul un moulin résiste et un jour des enfants y entrent, pour découvrir qu'il moud de la pierre. Il y a certes une mise en scène, indéniable, mais c'est véritablement la logique de la situation qui causera l'émotion.
Et je pourrais en dire autant des tragédies, si seulement on voulait bien oublier deux secondes les cris et les larmes : quand une reine supplie un roi de sauver son mari, c'est le fait que le mari est déjà mort qui rend la scène troublante, pas les cris.
Enfin, tu dis que "cette scène est au contraire un prétexte pour..." comme si c'était positif.
Tu connais mon avis sur la gratuité dans les textes.
Objectivement, tu as raison, tant qu'on a du sentiment au bout du compte, rien d'autre ne compte, tout le monde est content. Sauf moi. Je n'ai pas envie d'être objectif ici, j'ai envie de dire pourquoi là où tout le monde trouve ça bien, moi je montre les crocs.
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- Zarathoustra
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Non, je lis ce texte et il ne se passe rien. Par contre, je lis ce texte et je mets à imaginer la vie, oui, il se passe quelque chose. Mais ça ne passe pas par le texte mais par mon ressenti personnel. Ce texte n'est pas un travail d'écriture. Il crée les conditions de départ à l'émotion.C'est ce travail logique qui produira une émotion puissante.
Quand je lis la vie tragique d'une personne célèbre dans une encyclopédie, je ressens la même émotion. Et tu voudrais dire qu'on a de la littérature?
Tu t'en remets au vécu du lecteur. Donc c'est pas de la logique. On est à nouveau dans l'affect et non dans la raison. Tu doudrais écrire un texte avec a+b+c= rire ou larmes? Je suis d'accord que le raisonnement ou la logique a un rôle. Mais contrairement à toi, je ne crois pas que ce soit nécessaire. On peut faire des analogies avec les films. Tu crois que c'est le scenario qui crée l'émotion? Non, c'est le jeu des acteurs, le montage, la musique. Et un excellent scénario qui aura tout pour créer une belle émotion peut échouer et l'inverse pareil.
.Seul un moulin résiste et un jour des enfants y entrent, pour découvrir qu'il moud de la pierre. Il y a certes une mise en scène, indéniable, mais c'est véritablement la logique de la situation qui causera l'émotion
On est d'accord. J'ai dit qu'il y a une émotion "hors champ", hors cri et pleurs. Elle est souterraine ou situationnelle. Mais est-ce cette émotion qui fera pleurer le lecteur? Ou rire le lecteur? Parce qu'on parle de larme et de tragédie, mais la joie, on parle de la même chose.
Mais non, ce n'est pas gratuit, puisqu'en l'occurence, c'est bien cette raison qui a motivé le récit. Et dans ton histoire de moulin, en quoi c'est moins gratuit? Bien sûr, il y a un "sens", on est dans la métaphore. Mais pour l'ordinateur qui zigouille tout le monde, tu crois pas qu'il y a aussi une métaphore, un sens qui fait qu'on n'est pas dans la gratuité?Tu connais mon avis sur la gratuité dans les textes.
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- Vuld Edone
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Tu sais pourquoi ?
Parce que c'est une révision, une dissonance, une "¬i" parce que le texte t'a donné une information sur laquelle il te force à revenir et que sans ce mécanisme logique, tu n'aurais jamais envisagé de t'intéresser à l'histoire du type qui écrit une lettre à son laitier.
Alors oui, par a+b on a poussé le lecteur a avoir une émotion.
Dire le contraire, c'est nier un demi-siècle de pragmatique.
Aussi, nous n'avons pas le même sens de la gratuité. Tu parles de métaphore, de message, de sens ou que sais-je. Je parle de cohérence. De nécessité.
Il n'y avait aucune gratuité à broyer de la pierre, c'était nécessaire à l'histoire ; il y a une totale gratuité à massacrer le personnel de la base, et même de la facilité à rendre ce personnel totalement passif.
C'était juste "pour le drame".
La première histoire repose sur mes neurones pour produire ses effets : la seconde me demande de "débrancher mon cerveau". Et je ne fais pas que railler, je cite ce qu'on m'a dit de faire pour apprécier ce genre d'histoire. Trouves-tu normal qu'il faille ne pas réfléchir pour profiter d'un texte ?
Un autre exemple, tiens : un pilote de chasse qui a été engagé dans deux combats aériens dans la même mission (parce que voilà) et qui revient victorieux vers sa base. Soudain paf un éclair et l'avion est abattu. Pourquoi ? Il fallait bien que l'avion se fasse abattre. Mais pas par des ennemis parce que le pilote il est génial. Donc on fait intervenir un nuage.
Moi j'appelle ça un deus ex.
Mais avec ta logique, qui subordonne la cohérence à la vraisemblance, et qui fait de l'émotion l'objectif tel qu'une fois atteint il justifie tout, alors ce nuage sorti de nulle part - pas une tempête, pas une goutte de pluie, le ciel sera beau bleu après ça - introduit et développé à aucun moment dans le texte est parfaitement à sa place et remplit admirablement son travail de "oh mon dieu le héros qui ne peut pas mourir est en danger"...
L'effet "snif snif" justifie tout et rien.
Je sais que créer du sentiment est difficile, je l'ai assez dit dans le cadre de la MdT, et objectivement c'est ce que la majorité recherche dans un texte. Mais de là à excuser des incohérences massives au coeur de l'histoire ?
Je vais aller un soupçon plus loin : dans le cadre de la base coloniale, le script dit qu'une pièce devient défectueuse et pour raison inconnue ne peut pas être réparée. En acceptant ce script, la conclusion est que toute la base coloniale est condamnée quoi qu'il arrive. Alors pourquoi un ordinateur, je le répète, "capable de créativité et d'apprentissage", n'est pas foutu de le conclure et de laisser le personnel tranquille jusqu'au bout ?
Que l'histoire ne soit pas logique, déjà je ne le pardonne pas, mais qu'un ordinateur que l'histoire vante comme étant logique ne le soit pas, c'est ajouter la contradiction à la contradiction ! Je trouve difficile à croire qu'on veuille défendre de telles lacunes.
Enfin, je ne suis pas contre l'émotion pour l'émotion. Il m'arrive de vouloir lire un texte simplement pour me changer les idées ou provoquer un état. Et je reconnais depuis longtemps qu'un texte sans émotion peut être considéré comme raté.
Donc oui, il faut y mettre les formes.
Et la réalité te donne raison, pas besoin d'y mettre un fond, une fois encore c'est exactement ce constat qui m'agace. L'effet "snif snif" n'est pas quelque chose qu'il faudrait éviter pour réussir un texte : c'est un effet courant dans les textes à succès. C'est ce qu'il faut viser. J'ai suffisamment observé que c'était ce qui compte.
Quand pour ma part je considère un texte au moins meilleur quand il prend la peine d'avoir (aussi) une histoire. Une vraie.
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- Zarathoustra
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On est d'accord, l'histoire est naze. Mais je ne l'ai pas lu. Je te disais que l'idée final était intéressante.Il n'y avait aucune gratuité à broyer de la pierre, c'était nécessaire à l'histoire ; il y a une totale gratuité à massacrer le personnel de la base, et même de la facilité à rendre ce personnel totalement passif.
C'était juste "pour le drame".
Tiens, prends un exemple sur un film. Sergio Leone, Il était une fois la révolution. Tu connais? Ta scène me fais penser à cette longue scène où le héros mexicain rentre dans son camp caché dans une grotte et découvre une montagne de cadavre au milieu desquels gisent ces enfants.
Pour toi, cette scène, qui n'est pas vraiment nécessaire à l'histoire, ne servirait à rien?
Moi je te rétorque:
1- Pour le vécu du personnage
2- Il y a un sens: la révolution n'épargne personne (mais il ya plein de façons de le montrer et cela l'avait déjà été montré)
3- L'émotion est produite, renforcé par le style et d'autres moyens qu'exploitent parfaitement Leone.
Mais supprime cette scène et le film serait pareil. Donc on rejette? Moi, je dis non. Car souvent, dans la gratuité, chez ceux qui veulent faire une oeuvre, il y a autre chose.
Maintenant, cette scène peut être trop longue, insistante à l'excès. Mais il y a une véritable marque d'auteur. Et je te dis que c'est ça aussi qu'on doit travailler pour atteindre une émotion. On doit sentir l'auteur présent par sa touche personnel. Ce n'est pas la caméra qui a fait la scène, mais bien l'homme qui a pensé et tenu la caméra. C'est la maitrise de la langue, la proximité avec le personnage, l'universalité de ce qui est vécu qui fait que l'émotion dans un récit fait mouche. Et il y a bien un process qui ne se rationnalise pas forcément.Pourquoi une phrase, un personnage nous touche? On peut l'expliquer, mais je pense qu'on oublie aussi une part inconnu et mystérieuse. Et je suis certains qu'un autre texte dans lequel on retrouverait pourtant les mêmes explications ne toucherait pas pareils.
Pour moi, le "snif snif" est également là. Et savoir comment onproduit cette émotion est aussi intéressante que celle qui est "raisonné".
Bon, d'accord, c'est bien amené, il y a un pitch émotionnel. Mais en soi, est-ce "bon"? Non, pas forcément. Si on prend du recul, on est dans un procédé mécanique et c'est du cliché. Pour moi, c'est un procédé, de l'artifice. L'émotion ne peut se réduire à des procédés. Ce n'est pas parce qu'on "sait" faire que c'est bon. Pourquoi les academiciens sont-ils des auteurs qui n'intéressent personne et qui laissent si peu de traces?Parce que c'est une révision, une dissonance, une "¬i" parce que le texte t'a donné une information sur laquelle il te force à revenir et que sans ce mécanisme logique, tu n'aurais jamais envisagé de t'intéresser à l'histoire du type qui écrit une lettre à son laitier
Donc si je comprends, je copie colle le procédé de la feuille sur la porte dans un autre contexte, et je fais un bon texte avec de la belle émotion?
Non, on m'a pas forcé, parce que le texte, tel qu'il est, ne me donne pas envie d'avoir une émotion. Je sens le potentiel de l'amotion plus que je ne la vis. Il faut une immersion que je ne peux avoir parce que trop court. Mais l'idée du texte est bonne.Et effectivement, il y a une habileté, un travail qui m'est assez étranger pour faire surgir l'émotion.Alors oui, par a+b on a poussé le lecteur a avoir une émotion.
Dire le contraire, c'est nier un demi-siècle de pragmatique.
Il y a une chose que ton raisonnement occulte. C'est le partage avec le lecteur de l'émotion qu'un personnage peut avoir. Là, tu sembles avoir des affinités avec une émotion "logique" (pour laquelle on est d'accord), mais je te parle d'autre chose. Je te parle de partager une émotion entre un personnage et le lecteur. Ce sont deux registres différents. Si tu me dis que celle-là fonctionne avec a+b, j'en doute. Cette émotion se véhicule à travers la construction du personnage (qui autorise justement cette fameuse "gratuité" qui t'horrpilie), le style, l'atmosphère etc. Tiens, L'Ecume des Jours de Boris Vian, tu dois détester, non?
..Mais avec ta logique, qui subordonne la cohérence à la vraisemblance, et qui fait de l'émotion l'objectif tel qu'une fois atteint il justifie tout, alors ce nuage sorti de nulle part - pas une tempête, pas une goutte de pluie, le ciel sera beau bleu après ça - introduit et développé à aucun moment dans le texte est parfaitement à sa place et remplit admirablement son travail de "oh mon dieu le héros qui ne peut pas mourir est en danger".
Moi, ce qui m'horripile, parce que je rouve que c'est un aveu d'impuissance, c'est quand tout doit être logique. Les objets doivent avoir une raisonnace dans l'histoire. L'apparence physique idem. La météo doit être au diapason, y compris de l'émotion. Dans Ether, puisqu'indirectement, tu pointes ce qui te dérange dans mon texte, oui, la météo n'a pas de lien logique quand je l'évoque, il pleut, mais il pourrait faire beau. Mais ça a un sens. Exterieurement, on se dit que c'est "gratuit" de parler du temps, mais tu trouveras un sens qui est présent de manière récurrente et qui sous-jacente à la réflexion globale. Qu'on le voit ou pas, je m'en moque, c'est juste un clignotant, accumulé avec d'autres qui font qu'un lecteur un peu attentif finira par se dire qu'il n'y a peut-être pas que des coincidences. Il y a plein de choses qui prendront du sens avec le dénouement final. C'est une longue constuction.
Quant aux scènes "gratuites" qui te dérangent, elles ne le sont pas pour moi parce qu'elles donnent de l'épaisseur aux personnages qui vont agir et peser sur l'histoire. certaines n'ont pas été pensées au départ. Mais elles influencent la suite. Je ne dis pas que tout est nécessaire comme tu le défends. J'ai conscience que c'est loin d'être parfait. On pourrait couper selon tes critères plein de scènes, celles des bugnes notamment. Et pourtant, leur présence apportent une cohérence à l'ensemble.
Je ne sais même pas si on entend la même chose par cohérence. Parce que je me dis que le reproche de gratuité de certaines de mes scènes finissent par ne plus l'être dans l'histoire. Le fameux chapitre que tu ne veux pas lire (si tu veux t'arrêter après, je comprendrais) donne du sens une cohérence à une bonne partie de ce qui précède, selon mes critères. La nécessité que tu évoques devient patente.Aussi, nous n'avons pas le même sens de la gratuité. Tu parles de métaphore, de message, de sens ou que sais-je. Je parle de cohérence. De nécessité.
Enfin, dans ta présentation, on dirait qu'un individu dans une histoire ne devrait vivre qu'à travers un cadre rigoureux et logique. Mais si on veut être vraissemblable et réaliste, la vie n'est pas ainsi. Tiens un autre exemple inspiré du cinéma. Wim Wenders avait fait un film qui s'appelle "au fil du temps", qui parle juste de la naissance de l'amitie entre deux hommes. Et le film dure 3h, et il ne sepasse pour ainsi dire rien. Son idée était de dire que jamais on ne sent la naissance de cette amitié dans un film. Et il montrait en gros ce que tous les autres films occultaient. Et dans ce film, il y a une scène où on voit un personnage défequer au bord d'une route. Ca sert à rien, ni dans l'hsitoire, ni dans l'évolution du personnage. A rien. C'est bien d'ailleurs pourquoi on ne voit jamais ce type de scène dans les films. Alors que justement c'est la raison de la présence de cette scène.
Donc même chose: on fait quoi? On coupe la scène?
Dans ta démarche, il n'y aucune place à la spontanéité. Et que tu le veuilles ou non, je doute que tous les grands écrivains ne laissent pas une place à cette spontanéité. Encore une fois, pourquoi le fait de réfléchir serait gage de supériorité? Alors Verlaine serait nul comparé à Mallarmé? Et Kerouac, il écrivait en rationnalisant chaque phrase? L'écriture n'est pas que intellect.La première histoire repose sur mes neurones pour produire ses effets : la seconde me demande de "débrancher mon cerveau". Et je ne fais pas que railler, je cite ce qu'on m'a dit de faire pour apprécier ce genre d'histoire. Trouves-tu normal qu'il faille ne pas réfléchir pour profiter d'un texte ?
Entendons-nous, je partage beaucoup plus que tu ne le crois ta vision des choses, mais je ne vois pas en quoi il n'y a pas de place à autres choses. Que sous prétexte que ce n'est pas "profond", "réfléchis", que ç n'a aucune valeur. Tiens, Céline, tu crois que toutes les phrases qu'il aligne dans ses romans sont cohérentes et nécessaires? Selon tes critères, on pourrait aisément diviser par 10 la longueur de ses romans. Ce que je veux dire, c'est qu'on n epeut pas enfermer dans un carcan une oeuvre d'art (si on en arrive là). Il y a une part réfléchi et une part instinctive. Et qu'on le veuille ou non, l'émotion a surtout des ressorts instinctifs. Tiens, le tableau Le Cri de Munch (peintre qui n'est presque pas connu autrement) et compare-le à Guernica de Picasso. Ce sont deux approches très différntes de l'émotion. Et l'une n'est pas supérieure à l'autre. L'une parle à la Raison et l'autre a quelque chose primitif et universelle.
Voilà un mot qui aurait justement une place dans l'émotion: il faut trouver les aspects les plus primitifs de l'être humain. Quelque soit le niveau social et la culture de chacun, l'homme resent ses émotions de la même manière, seulement il aura appris plus ou moins à les maitriser. Et l'écrivain qui veut faire vivre une émotion cherche ces choses qu'on a tous enfouies en nous.
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- Vuld Edone
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À commencer par toute la construction dialogique, pas seulement entre citations et réponse mais dans la mise en scène (tout à fait légitime) de mon propre discours : "je te disais que", "tu connais ?", "moi, je dis non" et plus loin "là, tu sembles avoir".
Tout cela, d'un point de vue logique, n'est qu'une nécessité pour que la discussion soit possible. Mais d'un point de vue logique, c'est aussi une série de prises en charge forçant, à la lecture, à résoudre de nombreuses contradictions, constituantes de l'opposition. Le "mais" que j'ai utilisé à la phrase précédente n'a pas le même impacte que le premier "mais" de ta réponse, par contexte et parce que le contexte est logique. En sociolinguistique, nous utiliserions d'autres termes.
Je travaille avec une logique naturelle.
L'émotion n'a rien de mystérieuse. On manque simplement d'outils pour l'expliciter.
Alors oui, l'émotion est obtenue par a+b, et les choix de mise en scène sont aussi des choix logiques. Les scènes finales, de "La vie est belle", sont-elles nécessaires ? Le film aurait-il pu finir autrement ? Oui, bien sûr. Il y avait dix ou mille manières de le présenter, et bien des gens n'ont pas hésité à adapter une oeuvre. Cela n'en rend pas l'adaptation mauvaise.
Mais les choix réalisés par "La vie est belle" sont cohérents. Et que ce soit en masquant la mort ou en montrant le mur de cadavres, les règles instaurées par le film sont respectées.
Il en va de même pour Leone (je suppose), pour Vian (même si effectivement il m'ennuie), pour Wenders et ainsi de suite. Stendhal, en écrivant sa Chartreuse en quarante-deux jours, avec toutes ses coquilles et tous ses commentaires après coup, montre moins de gratuité que de savoir-faire : il a l'habitude, il sait "ce qui marche". Stendhal n'est pas gratuit parce qu'il place son régiment dans une bataille où il n'était pas : il est cohérent, et il coupe quand ça le dessert.
Maintenant compare avec la base coloniale : l'histoire aurait-elle pu aller autrement ? Oui, de mille manières, mais certainement. Il suffisait de justifier : on veut des massacres ? Mais alors que le personnel "résiste", qu'il empêche la machine de réguler et que ce soit pour ça que la machine recourt au massacre. On veut que l'ordinateur soit stupide ? Justifions-le aussi, ancienne génération, mal testée, programmes concurrents, il y avait dix mille possibilités.
Mais ça aurait parasité l'émotion.
Ca aurait compliqué la trame de l'histoire, ça aurait rajouté des détails qui, rendant le tout cohérent, l'aurait rendu invraisemblable car trop compliqué. Et c'est parce que l'histoire a été simplifiée, réduite à des quasi-impulsions "tiens un massacre tiens un autre massacre paf explication" que l'effet est produit. C'est le choc, et le choc n'aime pas les nuances.
Expliquer l'effet "snif snif", surtout avec les outils appropriés, est relativement facile. Réussir l'effet "snif snif", surtout à grande échelle, est relativement difficile, et je reconnais la performance.
Mais ni Leone ni Wenders ne se contrediront, et ne te feront l'insulte d'un tas de cadavres dont on ne sait fichtre pas d'où il a pu venir ni pourquoi il est là et qui aura, au final, eu autant d'impact sur le personnage que n'en a la terre sous ses bottes.
Quelque part on pourrait supprimer Waterloo de la Chartreuse, et le texte serait pareil. Waterloo n'a rien de gratuit pour autant : mais surtout, surtout, Waterloo ne contredit rien, bien au contraire. Le texte demeure cohérent avec lui-même.
Un texte qui se contredit lui-même, juste pour produire de l'émotion ?
Toi aussi, je doute que tu en sois adepte.
EDIT: En relisant ma réponse je me rends à nouveau compte à quel point cette histoire de base coloniale a été un véritable gâchis.
Tu sais que j'aime jouer avec les intelligences artificielles, et que forcément un tel scénario m'intéresse. Maintenant que j'y regarde, je vois qu'il aurait été possible de simplifier la nuance assez pour maintenir voire amplifier l'émotion voulue tout en rendant le déroulement nécessaire -- les incohérences devenant relativement secondaires.
Mais les lecteurs se contentent et se satisfont d'une version incohérente et facile, et bien que je le comprenne, je le supporte mal.
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