file La focalisation

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il y a 10 ans 9 mois #18722 par Vuld Edone
La focalisation a été créé par Vuld Edone
Hi'.

Je me suis retrouvé je-ne-sais-pas-comment à parler de focalisation dans un texte, et le développement que j'en ai fait était... intéressant.
Donc je vous propose de parler de focalisation, mais aussi - vous verrez pourquoi - d'attente et de tension.

D'abord, qu'est-ce que j'entends par "focalisation" ?

La focalisation, c'est ce sur quoi le texte attire l'attention. Ce à quoi le lecteur va s'intéresser.
Pour ceux qui s'en souviennent, cela correspond au principe de "l'importance/insistance", à savoir que plus on insiste sur quelque chose, plus c'est censé être important.

Avant d'exemplifier, on dira qu'il y a deux manières d'attirer l'attention du lecteur, donc, de "focaliser" :
1.- La syntaxe
2.- La sémantique
Voilà j'ai jeté des mots qui font peur mais s'il vous plait, tenez bon deux secondes.

La syntaxe, c'est comme la grammaire, c'est la forme de sa phrase, sa structure, la manière dont les choses sont dites. Par exemple :
(1) Gérard attendit son frère en ouvrant son courrier.
(2) Gérard ouvrit son courrier en attendant son frère.
Voilà, donc l'information est exactement la même, la question c'est sur quoi se portera l'attention du lecteur. Alors bon, l'information qui arrive en dernier sera donc la plus récente dans sa mémoire et donc celle qu'il aura le plus facilement en tête. Ca, c'est le cas par défaut.
Mais à côté on a par exemple la proposition principale et les subordonnées : par exemple "Gérard attendit son frère" est la principale, là où "en ouvrant son courrier" est un complément, subordonné, secondaire. Comme l'indiquent leurs noms, la syntaxe porte l'attention sur la principale. Donc en (1) le lecteur prêtera plus facilement attention à l'attente du frère et en (2) à l'ouverture du courrier.

La sémantique, c'est le contenu même du texte, l'information qui s'y trouve et qui explique pourquoi vous devriez être en train de râler en disant "ouais mais non tu racontes n'importe quoi raclure, moi je prête attention à [insérez le frère ou le courrier]".
En bref, là on n'a pas de contexte. Sans contexte, les deux actes sont complètement génériques. Ouvrir son courrier fait partie de la vie de tous les jours, attendre sur quelqu'un quelque part aussi.
Donc on va faciliter les choses :
(3) Gérard attendit son frère en ouvrant la lettre au sceau étrange.
(4) Son frère ne revenait pas, se dit Gérard en ouvrant le courrier.
Alors en (3), à moins d'être vraiment paranoïaque la question ne se pose pas : ce n'est plus du courrier mais une lettre suspecte, qui recèle certainement des informations capitales pour l'intrigue.
En (4), c'est un peu l'inverse. On prête un peu attention au courrier mais la syntaxe porte notre attention sur l'absence du frère, et tout de suite cette information prend une importance démesurée. Pourquoi ? Parce qu'on peut facilement conclure que : 1) Il lui est arrivé quelque chose 2) ça ne va pas tarder à nous tomber dessus 3) c'est forcément lié à l'intrigue. On en vient même à se dire que le courrier va parler du frère.
En fait, le lecteur va porter son attention, va se "focaliser" sur l'information qui va lui permettre de conclure le plus de choses.

Et c'est là qu'interviennent l'attente et la tension.

L'attente, c'est ce que le texte a promis au lecteur. On reprend l'exemple (2), "en attendant son frère" nous dit que le frère va arriver, on s'attend donc à ce qu'il... ben, arrive. Plus avant, pour que son arrivée ne soit pas anecdotique, on s'attend à ce que l'arrivée du frère apporte quelque chose... c'est aussi une attente, plus imprécise.
Plus une information provoque d'attentes, plus elle est intéressante, plus le lecteur va se focaliser dessus.
La tension, ce sont ces attentes. À très court terme c'est "que contient le courrier", "quand le frère va arriver", "qu'est-ce qu'il va apporter"... ce sont des informations que le lecteur veut savoir, des choses que le texte lui a promis et dont il attend que ça se fasse. La tension est ce qui pousse le lecteur à continuer.

Donc reprenons, et imaginons que ceci est le début d'un texte :

(5) Le quartier était tranquille. Gérard se réveilla, frotta la tête contre l'oreiller, grommela un peu. Le réveil posé près de lui grésillait un peu...

Stop. Jusqu'à "grommela un peu" il n'y a pas la moindre tension. On ne sait rien de ce quartier, si ça se trouve c'est un texte de fantasy, là tout ce qu'on nous dit c'est qu'il est tranquille donc on s'en fiche. Pour comparaison :
(6) Le quartier était en fête...
Paf fête, donc quelque chose à fêter, de l'activité, quelque chose !
(7) Le quartier était en flammes...
Ouais bof, encore un énième massacre où que le héros orphelin de six ans va mettre la pâtée au dragon. Suivant...
Bref, il suffit d'un mot pour changer la portée du texte. Ici en (5) on a un quartier tranquille, c'est l'état "par défaut" et donc aucune raison de s'arrêter dessus. Là le narrateur est juste en train de poser le décor.
Ensuite Gérard se réveille, a des gestes de mec qui se réveille, il a un nom et il grommelle, à la limite ça lui donne un peu de personnalité mais une fois encore ça ne fait pas avancer l'histoire.
Et là paf.
"Le réveil posé près de lui" est toujours aussi anecdotique, tout au plus on sait désormais que le texte n'est pas fantasy et à la limite qu'on va nous donner l'heure. C'est passionnant. Mais : "grésillait un peu", s'il peut passer inaperçu, est une information cruciale. Parce que si on fait "grésillait + tranquille" on obtient une ambiance tellement silencieuse qu'on arrive à entendre grésiller les appareils électriques. Et un réveil c'est très, très silencieux.
Conclusion, le quartier est trop tranquille, il se passe quelque chose.

Mais le texte ne s'est pas focalisé là-dessus, et cette déduction peut parfaitement être manquée par le lecteur. Après tout c'est juste une description banale question de remplir le quota de détails "pour rendre vivant".
On peut jouer avec ça sans fin.

Donc voilà. Ma réflexion sur la focalisation, sans aborder justement ce qu'on peut faire avec, et qui m'a permis d'expliquer à travers ce que j'entendais par la "tension" d'un texte.

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il y a 10 ans 9 mois #18750 par Mr. Petch
Réponse de Mr. Petch sur le sujet Re:La focalisation
J'aime bien ton dernier exemple avec le réveil, mais je trouve qu'il y a un point, de sémantique justement, que tu aurais pu ajouter : c'est le choix de l'adverbe "un peu" après "grésillait". Ce qui est intéressant, c'est, comme tu le dis, on arrive à créer

une ambiance tellement silencieuse qu'on arrive à entendre grésiller les appareils électriques


, mais dans le même temps, la seule évocation du réveil fait suspecter qu'il va se passer quelque chose, et pourtant l'adverbe "un peu" en rajoute une couche dans le peu d'importance à donner à ce fait. Autrement dit, l'information que donne la phrase, c'est : "il se passe quelque chose, c'est insignifiant (un réveil qui grésille), mais quand même, il se passe quelque chose (mais c'est insignifiant) !".
L'exemple que tu donnes est intéressant sur la façon dont la sémantique manipule le lecteur. La phrase aurait été tout autre si tu avais écris :

Le quartier était tranquille. Gérard se réveilla, frotta la tête contre l'oreiller, grommela un peu. Le réveil posé près de lui sonna brusquement...


Dans ce second exemple, l'arrivée de l'action est directe, il n'y a pas de réelle tension, on s'attend à être plongé tout de suite dans l'aventure. Alors qu'avec le premier exemple, l'aventure peut arriver petit à petit, insidieusement.

Ton discours sur la sémantique m'intéresse, car il rejoint une de mes préoccupations quand j'écris (quand j'essaie d'écrire !) qui est de choisir un vocabulaire qui tranche, qui fasse que le lecteur se demande, vraiment, "pourquoi a-t-il utilisé ce mot-là ?". Donc ma question, pour compléter ce que tu dis sur la "focalisation" est de savoir comment tu vois le rôle du narrateur (au sens de "celui qui choisit les mots pour décrire l'histoire") dans tout ça ? Ne crois-tu pas que le choix de la sémantique détermine certes la compréhension par le lecteur de l'intrigue, mais surtout la compréhension par le lecteur de la nature du narrateur.
Pour reprendre l'exemple du réveil, dans le premier cas on aurait un narrateur "insidieux", qui veut créer l'attente, et dans le second cas un narrateur "franc", sans ambiguité.

Mr Petch

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il y a 10 ans 9 mois #18751 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet Re:La focalisation

Le quartier était totalement silencieux. Gérard se réveilla. Il se frotta la tête contre l'oreiller. Il grommela, soudain le réveil qui se trouvait près de lui se mit à sonner...

La remarque sur "un peu" est exacte, et il y a effectivement des stratégies d'écriture.
Maintenant, il ne faut pas oublier que les textes à ma disposition pour faire ces observations ne sont pas ceux de professionnels. Ce sont des débutants, aux stratégies répétitives, classiques.
J'ai écrit ci-dessus ce que donne un auteur "franc", tel que je les rencontre - et honnêtement ce sont les "insidieux" qui sont rares... - pour comprendre en quoi je ne peux pas vraiment étudier le narrateur. Et oui, ils mettent "soudain" comme ça, après une virgule.

Le narrateur, chez le débutant, c'est quand la narration prend littéralement la parole, quand il y a explicitement un "je" qui parle, un personnage. Soit l'auteur lui-même, pour les textes "délirants", soit le personnage principal en général, pour euh... d'obscures raisons... vu qu'on a déjà toutes ses pensées étalées quand le texte est à la troisième personne...
Ni le débutant ni le lecteur (normal) n'ont véritablement conscience du narrateur, et tous ces petits détails qui donnent le "ton" du texte - la manière dont le texte s'exprime, dont le narrateur raconte - leur échappent complètement.

Ce qui signifie aussi que le lecteur ne se "focalise" "jamais" sur le narrateur. C'est en partie une réponse à ta question : on décrit moins un type de narrateur qu'un type d'ambiance.

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