file LE STYLE: les pièges du "beau style"

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il y a 11 ans 1 mois #18807 par Zarathoustra
LE STYLE: les pièges du "beau style" a été créé par Zarathoustra
Le Style et Le « Beau » STYLE

Il y a quelques semaines, j’écoutais Francce CULTURE et ils parlaient d’un ouvrage critique sur le style. Et bizarrement, les auteurs critiquaient les effets de style. Ils disaient qu’au contraire, le meilleur style est celui qui sait se faire discret. Et que toute volonté d’écrire bien, de faire « beau », est au contraire comme une apparition déplacée de l’auteur et qu’elles cachent souvent au contraire des écrivains médiocres.
Il y avait aussi une citation couramment admise qui résume un peu ce débat sur le style.
Flaubert savait écrire ; Balzac ne savait pas écrire et STENDHAL n’écrivait pas.
Et l’incarnation de ce qui était décrié était Anatole France qui vantait quant à lui le « beau style » et se voulait l’incarnation.
Et ils rajoutaient à cette phrase le paradoxe de Proust. Et il citait également BATAILLE pour appuyer ce mauvais « beau style » qui, a priori, faisait, quant à lui, exprès d’écrire de manière lourde (et ils s’en amusaient dans la mesure où il y avait un réel travail pour obtenir cet effet de style).
Pour eux, le style devait au contraire s’effacé pour mieux mettre en valeur son propos, les personnages ou les émotions et donc ne pas être dans l’artifice.

Cette discussion m’a bizarrement parlé. Je me suis dit que parfois, je cherchais justement ces effets de style décriées : les comparaisons, les chapitres ou paragraphes qui terminent sur une chute, les multiplications de qualificatifs (même si sur ce point je ne pense pas être trop excessif).
Pour en revenir à nous, j’ai l’impression qu’il y a une étape où effectivement on ne sait pas vraiment écrire, on couche sur le papier ce qui nous vient, sans trop réfléchir. Puis, avec le recul, on commence à savoir comment faire, à oser des effets, à chercher à prouver qu’on sait écrire. Et il nous faudrait une 3eme étape où en fait, il faudrait en quelque sorte « oublier » ce qu’on a fini par apprendre.

Et je trouve que Vuld Eldone a certainement franchi cette étape. Il a montré qu’il « savait » écrire, faire du beau style, mais que cela ne l’intéressait pas ou plus. Et son dernier texte montre d’ailleurs de manière éclairante comment un style très neutre peut produire un effet puissant.
Cela fait longtemps que je voulais sujet ce débat. J’ignore si ça vous parle, mais moi, je sens effectivement qu’il y a sur ce point des passages dans mes textes qui sont clairement mauvais, où j’ai sur-écrit en quelque sorte.
Mais alors, derrière tout ça, je me demande aussi comment expérimenter dans le style ? Si toute tentative de personnaliser son approche de l’écriture est une apparition déplacée de l’écrivain dans le texte, comment obtenir un style qui soit quand même personnel ?
Et cette discussion est certainement réductrice, bien sûr parce que plein de grands auteurs ont un style très marqué (Proust, donc, mais il y a Céline, BURROUGH, Faulkner et plein d’autres) mais dès le moment où on s’inscrit dans une certaine volonté d’écrire un roman « classique », effectivement, je vois beaucoup d’auteurs qui ne recherche pas ce style. Et il m’arrive même fréquemment de me dire que je serais capable sans problème de faire ce type de phrase. Et a contrario, ce que, moi, je voyais comme une certaine ambition d’écriture produit plus des verrues ou un effet médiocre de quelqu’un qui cherche à montrer qu’il ne l’est pas…
Bref, je trouve cette discussion intéressante et très perturbante…


Pour ce qui me concerne, je recherche un style qui correspondrait à la petite voix que j'entends quand j'écris qui est tantôt intérieure et personnelle tantôt celle auquel j'aoocie mon personnage; Et je travaille jusqu'à ce que ça "sonne" de manière cohérente. Il y a une sorte d'équilibre imaginaire à atteindre. Et je sais que parfois j'ai voulu en faire trop, j'ai forcé cette voix. J'ignore si mon approche du style me rapproche ou m'éloigne justement de cette critique du "beau style" et si vous-mêmes vous avez cette voix en vous qui fait que vous sentez ce que vous écrivez comme étant juste.
Les phrases finales doivent en quelques sorte me faire sentir chez moi. Et je ne me vois pas écrire autrement sans cette relation entre les mots et ce que je veux atteindre. Bien sûr parfois, je n'arrive pas à l'atteindre... Ou parfois aussi, je sais que j'aurais pu aller encore plus loin.

Et pour finir, régulièrement, et là ça rejoins ce qui est dit, à force de réécrire, je me demande si je ne finis pas par m'éloigner de quelque chose qui aurait pu être différent et de miuex. Quand on réécrit, on s'enferme finalement dans ce qui est traçé et tout ce qui en resort est conditionné par ce qui a été mis au départ, bon ou mauvais.

Voilà. Il y a plusieurs sujets finalement dans cette intervention. Ce serait bien que tous aient quelques échos à travers vous, non?

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il y a 11 ans 1 mois #18813 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet Re:LE STYLE: les pièges du "beau style"
Comme j'en ai pris l'habitude, je vais commencer par un exemple concret.

J'ai un jeune de 13-14 ans qui veut écrire un récit d'epic fantasy.
J'avais noté ce passage en particulier :

Le blizzard s'était arrêté. La plaine enneigée semblait infini , les rayons du soleil traversaient la neige tentant de la faire fondre , en vain , malgré la chaleur , la neige ne capitula pas. C’était un des spectacles de lumière les plus beaux .

Je précise, pour l'anecdote, qu'au paragraphe d'avant le blizzard était "hurlant".
Ce qu'il y a de notable, c'est qu'il s'agit d'une description. Pas juste une description mais une description faite durant un trajet. C'est très, très, très rare chez les jeunes plumes. En général ils font "X se mirent en route. Ils arrivèrent à Y deux heures plus tard..." mais ici notre auteur a pensé à décrire le paysage durant le trajet.
C'est d'autant plus pertinent que son histoire parle d'un méchant des glaces.
Mais vous ne remarquez rien d'autre ?

les paroles de ce "messager " étaient quelque peu troubles [...] "Mes amis...bon nombre de dangers nous attendent ."

Oui oui, ce sont bien des formules toutes faites, des expressions d'epic fantasy. Mon hypothèse étant que ce jeune homme de treize ans a lu ses livres et retenu ces tournures qu'il cherche à appliquer du mieux qu'il peut.

Est-ce que cette plume a tort ? Honnêtement, son style est maladroit, il applique les formules n'importe comment et c'en est plus comique qu'autre chose. Mais pour moi c'est le contraire : le fait même qu'il emploie des tournures qu'il ne maîtrise pas montre qu'il fait des efforts, et qu'il veut écrire un récit épique.
Et soyons honnêtes, écrire un récit épique en "effaçant le style" serait encore plus ridicule. L'épique demande de l'hyperbole, du grandiose, de l'extrême. La plaine enneigée ne doit pas juste être "vaste" ou "gigantesque", si elle n'est pas minimum "infinie" on nous a trompé sur la marchandise. La neige ne "dure" pas, elle ne "résiste" pas, non, les flocons de neige ont ordre de ne pas capituler ! Je veux mon dragon.
Si vous vous souvenez du tronchage d'orques d'un hiver passé, je suis amateur de récits épiques. Et l'épique demande sa propre narration, qu'il faut bien sûr maîtriser mais qui ne peut s'autoriser d'être humble que par contraste. Les armées couvrent la plaine, les épées fendent la roche et chaque boule de feu doit humilier l'armement nucléaire.

Je vois deux choses chez les jeunes plumes (et leurs lecteurs).
La première est que, quand ils veulent exprimer du sentiment, ils vont toujours exagérer. À ce titre ils suivent le moyen-âge où la princesse n'hésite pas à se pâmer et tomber dans les vapes trois fois d'affilée. À la moindre dispute ça se met à crier, les portes claques et un personnage minimum se met à pleurer.
...
La seconde est que le lecteur aime ça et en redemande. Et si effectivement je m'exténue à leur montrer qu'on peut marquer les coeurs comme les esprits sans faire dans le grandiloquent, le public jeune et moins jeune adore l'expressivité la plus brute et la plus directe. Peu importe le contenu, à ce titre, du moment que les personnages sont déchirés ; ça passera quand même.
Le beau style, à ce titre, a toujours de l'avenir devant lui.

Alors bon, je ne me fatiguerai pas à expliquer la stupidité de France Culture qui dit que le style doit mettre en valeur le propos puis critique Balzac et son projet de Comédie humaine... ou Proust et ses sept niveaux de lecture...
On ne les a pas attendu pour critiquer les "fioritures" et le style "artificiel", où on essaie d'enjoliver pour cacher qu'il n'y a rien derrière. J'en avais fait la remarque dans le même texte épique :
"Bon. D'accord. Là en deux phrases tes personnages sont paniqués, l'un d'eux est en larmes... tout ça parce qu'ils ont cru voir une ombre ?"
Mais cela n'a rien à voir avec les effets de style eux-mêmes. Ce ne sont jamais que des outils, et pour faire une analogie de "gamer", on ne va pas éliminer la manette parce que des gens l'utilisent pour jouer au FPS.

Le débutant n'a de toute manière pas le choix.

Il se doit d'apprendre les outils, et même si cela nuit à son texte, cela montre surtout de l'effort et une volonté d'expérimenter, d'apprendre et de maîtrise à venir.
J'ai même eu un cas où une auteure, après environ huit chapitres à ne pas décrire et à mettre des événements sans la moindre pertinence (du type un tronc d'arbre sur le chemin...) écrit un chapitre exemplaire.
...
...
J'ai l'impression d'être en train de perdre le fil de ma pensée, je vais passer la parole, le temps de m'y retrouver.

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il y a 11 ans 1 mois - il y a 11 ans 1 mois #18816 par Zarathoustra
Réponse de Zarathoustra sur le sujet Re:LE STYLE: les pièges du "beau style"
Je ne pense pas que ce sujet s'adresse au débutant. Il s'adresse à celui qui a déjà écrit depuis plusieurs années et plusieurs récits. Disons à ceux qui commencent à "savoir" comment écrire. Par savoir, j'entends qu'ils ont déjà des réflexes, des astuces. Qui ne sont plus dans la démarche d'écrire comme ça vient mais qui commence à se poser des questions sur ce que c'est qu'écrire.

Le débat sur le style entre les différents auteurs était là pour illustrer de manière anecdotique, même amusé (et d’ailleurs, c’était une citation et non de leur fait). Et la critique de Balzac se faisait aussi en compliment. Elle disait qu’il était capable d’écrire des phrases très mauvaises et lourdes parce que toute son attention était tournée au profit du récit et, en ce sens, il était précurseur des romanciers américains, et donc moderne.

Cette histoire de style « neutre » me parait intéressante notamment parce que parfois, on veut faire un effet « littéraire » pour montrer qu’on est capable d’écrire. Or je crois que c’est justement ça qui est mauvais (quand je dis « on » c’est un peu « je », en fait).
On exploite des procédés qui finalement mettent en valeur notre médiocrité parce qu’ils sautent aux yeux là où un style devrait être fluide, sans anicroche. Soit on est capable de maintenir ce niveau tout le long soit on ne l’est pas et quelque part, ça sert à rien.

Ensuite, ces derniers temps, j’ai lu pas mal de polards. Ou de livres sans ambition littéraire. Et l’écriture est effectivement basique, tourné sur le récit. Et je me dis que ce que je voyais comme une sorte de faiblesse, ne l’est pas. Ecrit autrement, on aurait distrait le lecteur de velléités inutiles.
L’autre question latente, c’est justement le juste équilibre entre le trop et le pas assez. Je pense qu’en apprenant à écrire, le penchant est ensuite d’en faire trop parce qu’on veut montrer ou on veut se faire plaisir, or, quelque part, c’est complétement déplacé. Et dans un second temps, réapprendre à écrire « simplement » me parait aussi être la preuve d’une sorte de maturité. Il faut avoir confiance en soi pour écrire simple en se disant que ce qu’on écrit est bon.

Pour ce qui est du style fantasy. C’est en partie vrai. Mais c’est ce qui m’épuise. Et d’ailleurs je ne suis pas d’accord pour ce qui est expression des sentiments. Je trouve ça puérile. Bien sûr, si c’est un ado qui écrit, c’est normal et même intéressant qu’il fasse ainsi. Mais si c’est un « auteur », c’est typiquement ce qui m’ennuie profondément dans la fantasy. Pour moi, vu l’univers imaginaire qu’on évoque, on devrait au contraire être très crédible dans le traitement des personnages et de leur émotion. Sinon, on fait un personnage de JDR et non un personnage de roman. J’ai trop l’impression de voir des feuilles de perso et non quelqu’un qui vit en chair et en os.
Et le pire, c’est effectivement quand on veut donner de « sentiments » à ce type de perso parce qu’on a l’impression de voir un raisonnement : il a vécu ça, donc il éprouve, donc ça va le modifier comme ça. Et généralement, on confond « profondeur » et « tragédie personnel ». Et c’est tellement artificiel que 5 pages plus loin, il fonctionne pareil, comme si de rien n’était, sauf que, non, on dit que « si ! », il y pense tout le temps et que ça le rend très triste et malheureux. Sauf que désolé, l’écrire ne le fait pas forcément partagé au lecteur.

Bref, pour revenir au sujet. Quand tu parles de l’héroïsme inhérent à la fantasy, c’est un peu une approche de biais. On ne parle pas d’un style de l’auteur, mais d’un style d’un genre. Or ce qui est le sujet, c’est bien sûr le style de l’auteur. Même à l’intérieur de la fantasy héroîque, il y a un espace pour l’auteur.

Tiens, un exemple, la série des « Dames du Lac » (c’est quasiment la seule série fantasy que j’ai lu sans avoir hâte de le finir parce que je me sentais piéger de m’être lancé dans un truc aussi long), je n’ai pas souvenir d’avoir lu quelque chose d’héroïque. Ni d’un style éblouissant. Et pourtant, ce style sans fioriture illustre parfaitement le propos de France Culture. Pour moi, c’était très bon. Y compris sur le traitement des personnages.

Et pourtant, j’ai en moi une volonté d’écrire autre chose que de simple phrase. Pour moi, le style, c’est un peu le souffle de l’auteur. J’ai besoin de me sentir bien dans ma phrase (et c’est pourquoi je réécris). Ca doit coller à une petite voix dans ma tête qui me dit que « ça y est, tu as atteint le point d’équilibre »). Or c’est une perception très subjective, et je me demande du coup, si ce que je rajoute finis par dénaturer le récit. Et parfois je sais que c’est moi qui me fais plaisir… Et c’est bien ce qui était dénoncé : une sorte d’irruption intempestive du « moi » de celui qui écrit.

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il y a 11 ans 1 mois - il y a 11 ans 1 mois #18818 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet Re:LE STYLE: les pièges du "beau style"
La question se pose pour le débutant parce qu'il écrit avec "facilité". Tout comme les policiers, surtout traduits de l'américain (soupir) qui ont toujours la même intrigue et dont le style ne varie pas d'auteur en auteur, et de traducteur en traducteur... c'est de l'usinage, de la facilité.
Mais ce n'est pas basique.
Un débutant écrit de façon basique, avec les moyens qu'il a. Les romans policiers ont étudié un style qu'ils répètent en boucle, ils font littéralement "exprès d'écrire comme ça", j'allais dire "mal" mais c'est familier, confortable et efficace et c'est ce que les gens veulent. Ce n'est pas basique, ce n'est pas simple, c'est "facile".

La question se pose pour le débutant parce qu'on va lui demander de quitter la facilité, et aussitôt qu'il va tenter de nouvelles techniques, justement, des effets "littéraires", il va tomber dans le "compliqué". Plus il expérimentera, plus son texte sera "mauvais". J'ai assez observé que mes conseils, une fois appliqués, faisaient fuir le lecteur.
C'est ça, que je veux souligner.
Pour que le débutant s'améliore il est obligé de faire "compliqué", de quitter la facilité et ça va être destructeur. Il se retrouve dans la position que tu décris : à utiliser des procédés qui ne font que souligner son manque de maîtrise, sa médiocrité. Mais bon sang ça c'est la preuve qu'il essaie, qu'il expérimente et qu'il s'améliore.

Mais ça c'est pour le débutant.
Nous, les vieux grognards, on a le même problème.

Je l'ai déjà dit, j'aime "démolir la grammaire" et je m'ennuie formidablement si on me demande une écriture "simple". Et pour avoir relu des textes du temps où j'expérimentais, Chimio' comme Chao's Theory, certains passages sont illisibles. Bien trop "compliqués".
Je le savais, je le sais encore, j'écrivais pour moi et il fallait tout autant de courage pour se dire que cette écriture compliquée était bonne. Il s'agissait d'un équilibre comme un autre.
De toute manière, pour moi le problème ne se pose pas. Renier est presque un reniement de mon but littéraire, qui est de forcer le lecteur à réfléchir, à "penser autrement". L'écriture simple n'est absolument pas adaptée à ce projet, puisqu'elle peut tout au plus déranger, choquer, mais se doit de tout livrer sur un plateau d'argent. Mon projet m'inscrit d'emblée dans une écriture complexe, faite d'implicite, de contradictions et de pièges référentiels.

L'équilibre, entre "facile" et "compliqué", est une question de pertinence -- l'habituelle adéquation de la forme et du fond.
Je me rappelle d'un texte (amateur) qui avait pour projet la contemplation, et je m'attendais à de grands paysages et de vastes descriptions détaillées, immersives... et non. Le style était agréable, oui, mais les descriptions étaient expédiées, au mieux, on voyageait sans rien voir avec de la philosophie de comptoir qui m'énervait doucement.
Ce texte, dans son projet même, n'avait pas le CHOIX de complexifier ses descriptions, de nous émerveiller dans ses tableaux. Ce n'est pas en faisant "il y avait une belle rivière" qu'on arrivera à me faire rêver.
Inversement si on passe deux paragraphes juste pour me dire "la rivière est belle"... ouais, l'auteur n'a pas dû bien comprendre ce que veut dire "contemplation". Il aura par contre réussi à me faire perdre mon temps.

Les gens se plaignent de styles "artificiels" ou des "fioritures" quand il n'y a rien derrière, quand le fond ne correspond pas à la forme.
Les gens se plaignent de styles "lourds" ou "épuisants" quand ça traîne en longueur, taille des phrases ou des paragraphes, et que l'action varie peu.
Le gens se plaignent de styles "confus" ou "obscurs" quand on ne comprend rien et qu'il faut relire trois fois la phrase pour commencer à en saisir le sens.

Prenons un exemple. Mettons un roman policier, l'enquêteur, on va dire une femme (parce que c'est la mode), arrive à la porte de [cas social #4] :

Elle frappa à la porte. Un homme ouvrit la porte, il était grand avec des cheveux bruns et un gros nez.

Voilà, ça c'est le style basique.

L'impétueuse héroïne se précipita jusqu'à la porte pour y donner trois coups sourds et bien pesés. Des pas tremblèrent derrière la porte puis une main terrible pressa sur la poignée et l'homme beugla : elle se retrouva nez-à-nez avec un grand escogriffe...

Voilà, ça c'est le style compliqué. ("Tu en fais trop.")

La porte, devant elle, et déjà un homme lui faisait face, trop grand, le nez trop taillé.

Ca aussi c'est compliqué.

Elle approcha de la porte, hésita, approcha le poing, hésita, se recula, se trémoussa. La maison était vraiment éloignée de tout. Elle regarda autour d'elle et puis, le paillasson, et puis, la porte, et puis elle se dit :

Et ça c'est ce qu'on appelle le style "simple".

Note que le style "simple" est tout aussi saturé de figures de style et accumule les techniques pour enchaîner (le "se trémoussa", les "et puis"...)
ET LA JE HURLE !
Parce que ce style "simple" est facile, parce que c'est de l'écriture au kilomètre, parce que tu peux accumuler des centaines de pages comme ça et que c'est vide, complètement gratuit et peut-être que c'est efficace, peut-être que ça donne de la vie, mais c'est une accumulation de conventions et punaise ! Ca n'a, littérairement, pas, le moindre, intérêt.
C'est ce que les gens veulent et les gens ont tort.
C'est facile, c'est flemmard, c'est sans risque et ça montre presque une capitulation de l'auteur. Ca, c'est quand on a abandonné, qu'on est blasé, qu'on se range, qu'on a perdu sa jeunesse ou qu'on est pressé par le temps. Tout le monde peut le faire, "tout le monde le fait", ça demande un peu de maîtrise mais une fois maîtrisé ça tourne tout seul et on peut carrément se passer de l'humain derrière le clavier. Je. Déteste. Lire. Ce genre. De texte.

Pour moi, l'écriture compliquée n'est qu'un manque de maîtrise. L'écriture facile, un manque de passion. Ce n'est pas pour rien que je privilégie les textes de débutant, et que j'ai plaisir à commenter.
Mais il y a des textes de gens qui savent écrire où j'ai juste envie de faire "ouais ? Tu t'ennuies pas trop ?" Et où je sens qu'il a juste envie de passer à la scène suivante.
Il y a même peut-être un piège à opposer "simple/complexe". Une écriture simple est complexe à maîtriser, et quelque part Dürrenmatt a une écriture "simple" qui s'avère en fait très complexe. En général, "complexe" évoque "prise de tête, intellectuel, etc..." et là, forcément, tout le monde est contre.
Je devrais d'ailleurs en tirer la leçon.
Mais pour le lecteur lambda, Proust n'est pas complexe, il est juste "compliqué", lourd, obscur et artificiel. Écrire "simple", c'est imiter le langage de tous les jours, aussi faux soit-il, parler "comme le lecteur". Et à force de suivre cette consigne on tombe vite dans la facilité.

L'écriture "simple" est une écriture par défaut, et toute variation visera la complexité.
Et c'est la variation qui fait le style, maîtrisé ou non.

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il y a 11 ans 1 mois #18832 par Mr. Petch
Réponse de Mr. Petch sur le sujet Re:LE STYLE: les pièges du "beau style"
Je pense qu'il y a une question de définition à la base dans la question que tu poses, Zara, et qui explique la déviation de Feurnard vers la question des débutants.
Je retiens cette phrase de son dernier commentaire :

Il y a même peut-être un piège à opposer "simple/complexe". Une écriture simple est complexe à maîtriser, et quelque part Dürrenmatt a une écriture "simple" qui s'avère en fait très complexe. En général, "complexe" évoque "prise de tête, intellectuel, etc..." et là, forcément, tout le monde est contre.


Voilà comment je vois les choses.

1. Une écriture "simple" peut signifier : a. une écriture "simpliste", qui ne cherche pas à faire "l'effort", pour rendre les termes de Feurnard ; b. une écriture sans fioritures, mais qui correspond au fond, et en ce sens, écrire simplement est complexe, puisque cela signifie trouver un style qui mettent en avant les idées sans distraire la lecture ; et ce n'est pas si "simple" (pour avoir écrit pas mal de dissertations et connaître les normes du discours didactique, ce n'est pas donné à tout le monde...)

21. en corollaire, une écriture "complexe" est : a. une écriture qui recherche d'abord les effets de style (et on rejoint cette idée de "beau style") ; b. une écriture mal maîtrisée.

Pour revenir à ton émission de France Culture, de ce que je connais de la littérature de cette époque, Anatole France était décrié car considéré comme trop classique, trop "pompier" pour reprendre un terme pictural. Là où d'autres auteurs de la même époque (Proust, Gide, Céline) était des experimentateurs, France restait fidèle à la tradition, justement à la tradition du Beau.
Personnellement, je trouve ça étrange de vouloir attribuer un jugement de valeur... Les livres de France se lisent aussi bien que ceux de Céline, on n'y recherche simplement pas la même chose. On y recherche une forme de "confort" de lecture, d'être dans un environnement de lecture familier alors que Céline cherche à brusquer nos habitudes.

Bref, ma vision est que autant la réflexion sur le "beau style" peut être pertinente, autant je ne vois pas l'intérêt d'apposer un jugement de valeur : ce qui compte n'est pas le style (qui ne se détermine d'ailleurs pas que par les mots : dans le style compte aussi la façon de conduire le récit, le rythme, le chapitrage...) mais la cohérence globale de l'oeuvre face au lecteur.
Par contre on ne lit pas les mêmes polars... Toute la veine du polar noir à la française des années 1970-1980 tient justement à la recherche d'un style "populaire", très oral, mais qui est complexe pour l'auteur, s'il paraît naturel au lecteur...

Mr Petch

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il y a 11 ans 1 mois #18842 par Zarathoustra
Réponse de Zarathoustra sur le sujet Re:LE STYLE: les pièges du "beau style"
Quand je parlais du beau style qu'ils critiquaient, je pensais à certains passages de mes textes. Notamment ce passage:

Si Jourzancyen était un rêve alors la mer serait sa chevelure. Une chevelure capricieuse, indomptable et rebelle, aux boucles longues comme des tentacules qui danseraient au vent, libres de l’épouser un moment pour mieux le combattre et l’insulter l’instant d’après, comme deux vieux amants. Par jeu, peu de temps après le départ des elfes d’Avalon, ils s’étaient unis pour entraîner leur navire dans leurs caprices. D’abord, ils les précipitèrent dans une tempête, les épuisant d’efforts pour se maintenir à flot et les privant de sommeil, comme un précipice caché entre les pages d’un livre. Et le bateau, entraîné dans la plus folle des danses, tangua et tournoya aux rythmes des crevasses et des crêtes des vagues, comme une voyelle aspirée dans un siphon de consonnes. Durant tout ce temps, les elfes se battirent contre les éléments, avec rage, puis avec fièvre jusqu’à l’épuisement, unissant leurs forces comme un seul être pour ne pas être emportés dans la tumultueuse nuit, avec pour seule lumière les coups de cravaches des éclairs dans le ciel vénéneux, qui guidaient leurs mains sur les cordages et secouaient leurs nerfs pour tenir bon encore et toujours, du midi au midi suivant.
Alors, après une journée entière d’acharnement, les nuages disparurent aussi vite qu’ils étaient venus et laissèrent le soleil apaiser la colère de la mer. A la place, pendant trois jours et trois nuits, ils furent assommés par une canicule sans le moindre souffle, dans un immobilisme forcené, où même les pensées les plus simples trébuchaient avant de s’achever. Et celles de Berenis n’y échappèrent pas. Si, d’abord, dans un soulagement incommensurable et avec la précision d’un couteau, il profita du répit des vagues pour repenser à sa sœur, alors comme les autres, il lutta contre la chaleur, tant pour explorer ses souvenirs que pour simplement les laisser intacts. A force de ressasser les mêmes scènes, il les vit sans fin tourner stérilement en boucle dans son esprit jusqu’à les avoir en horreur ; et à chaque heure qui s’écoulait, lente, épuisée, alanguie, sous les rayons imperturbables et brûlants du soleil, qu’il le veuille ou non, sa sœur hantait silencieusement et de plus en plus son hamac immobile comme pour lui hurler son aveuglement lors du drame.


Il y a ici des phrases et des procédés que j'ai sciemment exploités pour obtenir de beaux effets et qui, comme disait Brel, veulent se donner des airs mais qui n'ont pas l'air du tout. C'est en gros moi qui veux me donner des airs d'écrivain et qui frôle ou tombe les deux pieds dans le ridicule.
Or, cette volonté, je pense qu'on l'a tous un peu. Donc la tentation du "beau style" m'apparait comme un leurre. La difficulté, c'est de rester lucide quand on veut être un peu ambitieux. Effectivement, écrire comme les auteurs de polards américain récent dont je faisais allusion n'est pas le but car honnêtement, je ne pense pas qu'ils soient "bons", ils sont "efficaces", c'est pas du tout pareil. Ils font une sorte de produit de consommation dont la vocation est de tenir en haleine le lecteur (et pas de chance, moi je vois à chaque fois leur procédé pour y parvenir, les faiblesses de leurs personnages ou la part d'artifice de leur intrigue).
Par contre, pour rester dans le polard, j'admire le style de Chandler, qui en 2 phrases vous brossait un portrait saisissant d'un personnage. J'admire Ellroy, qui, lui, a un vrai style, une profondeur abyssale de la psychologie et un don pour transcrire la violence de manière saisissante et perturbante (et pourtant, ce sont des traductions, donc la langue qu'il emploie est certainement encore plus saisissante).

Donc effectivement, c'est une question qui ne touche pas encore le débutant. Je dirais qu'elle se pose quand il y a un début de maîtrise. A un moment, on se dit que "on sait écrire". Ou plutôt, on sait comment écrire la scène, mais on veut aller plus loin de ce qu'on sait faire. Et c'est là en se forçant que le risque du beau style apparait. Parce qu'on y met plus d'ambition que le débutant et qu'on veut être jugé un cran au-dessus. Si le "on" vous gêne, alors remplacer le par "je" et ça ne vaut peut-être que pour moi.

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il y a 11 ans 1 mois #18848 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet Re:LE STYLE: les pièges du "beau style"
Non non, ça se tient parfaitement.

Quand je terminai Largen et que je commençai Rohd'rick, c'est-à-dire au moment où j'ai décidé de "bien écrire" (c'est presque daté du passage où Largen croise Sheln), j'avais la vision naïve de tout débutant.
À savoir que plus le texte est compliqué, plus il doit être bon.
Si si, cet esprit "Pléïade", parce que les professeurs nous ont montré des textes où qu'on comprend rien et que plus les mots sont bizarres plus l'enseignant est content... Exactement ce qui nous a dégoûté d'apprendre le français (ça et les règles insensées).

Il suffit de voir la dérive (même réfléchie) dans laquelle je suis parti, qui consistait véritablement à resserrer le texte à l'extrême. Je voulais que "chaque mot pèse" et ça donnait une écriture tellement "serrée" qu'elle en devenait illisible.
J'ai relu Chao's Theory, je suppose que Chimio' fait le même effet : certains passages sont illisibles, même pour moi, et pourtant je cherchais déjà, à l'époque, à écrire plus clairement.
C'est très intéressant stylistiquement parlant, mais pas efficace pour un sou.

On a donc une bonne vieille opposition comme je les aime entre efficacité et style. Soit on est efficace à l'extrême, comme le sont les textes débutants ou ceux des polars : tout le monde comprend parce que tout le monde fait pareil ; soit on est stylé à l'extrême, comme un certain renard et autres symbolistes.
Et comme d'habitude, la réponse est le "juste milieu".

Cela dit, les deux paragraphes que tu suis ne posent pas problème. Éventuellement l'introduction des elfes n'est pas assez marquée et le second paragraphe ne permet pas de s'arrêter sur chaque étape qu'il décrit...
Mais une fois passé l'aspect "pavé" des paragraphes, le style est "fluide" comme on dit. La grande critique faite contre le "beau style" est surtout qu'il n'y a "rien derrière", mais ici on a droit à un beau tableau de tempête, puis à un tableau de tempête du coeur...
J'ai été marqué, dans "L'Homme qui rit", du périple du bateau dans la tempête, qui relançait sans cesse l'action et décrivait chaque récif. C'était long, c'était forcément grandiloquent mais comme les événements étaient solides et crédibles, c'était immersif (au sens littéral aussi).

Donc yup, on peut effectivement redéfinir le "beau style" comme la tentation d'en faire trop.
Un exemple, dans ton pavé, serait "comme une voyelle aspirée dans un siphon de consonnes". C'est une image isolée, voyelle/consonne, dont on se demande bien ce qu'elle fiche là. C'est assez négligeable, mais ce peut être reproché.
Par contre, "folle danse", "tournoyer" "rythme" etc... puis "se battre", "rage", "fièvre", "épuisement", ce sont des images familières (pour les littéraires du moins) et donc on connaît les contextes. Ca forme des tout cohérents et faciles à suivre.
Il y aurait éventuellement "comme de vieux amants" qui réduit la tempête à une dispute de chiffons, mais ça c'est plus le ton de ton texte qui l'exige.

La question serait plus, "quand est-ce qu'on en fait trop" ?
Pour moi la question ne se pose pas. Mes textes peuvent échouer parce qu'il y a du lierre sur un mur, donc je n'ai pas vraiment de marge de manoeuvre pour ce genre de questions...

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il y a 11 ans 4 semaines #18849 par Zarathoustra
Réponse de Zarathoustra sur le sujet Re:LE STYLE: les pièges du "beau style"

Mais une fois passé l'aspect "pavé" des paragraphes, le style est "fluide" comme on dit. La grande critique faite contre le "beau style" est surtout qu'il n'y a "rien derrière", mais ici on a droit à un beau tableau de tempête, puis à un tableau de tempête du coeur...

Oui, je pense que tu pointes un point qui explique la faille dans le beau style: quand les effets sont gratuits. Et effectivement, ici, o, est en plein dedans.
Et puis, j'ai aussi l'impression que, quand quelqu'un veut montrer qu'il "sait" écrire, il écrit comme ça. Donc quelque part, il y a une sorte de caricature. Ou d'écriture cliché. Un cliché plus élaboré, mais un cliché quand même.

Pour en revenir aux "grands auteurs", si tu prends Flaubert, jamais on a cette impression de "belles" phrases. Le style est pourtant impressionnant, mais les phrases s'enchaînent sans qu'il y ait d'effet "whaouhou!". Or le beau style, chez moi en tout cas, j'ai tendance à mettre plein d'effets "whouahou". Je dirais que c'est "tape-à-l'œil" en quelque sorte. Donc c'est ça pour moi, le mauvais "beau style".

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il y a 11 ans 4 semaines #18854 par Imperator
Réponse de Imperator sur le sujet Re:LE STYLE: les pièges du "beau style"
Je me permets de mettre mon grain dans la discussion parce que plusieurs points m'étonnent.

Premièrement:

Ils disaient qu’au contraire, le meilleur style est celui qui sait se faire discret.

En gros, ils se plaignent que le style puisse cacher les erreurs de fond du texte. Ce que je traduis par: "à cause de ça on doit faire des efforts pour savoir si le scénario est bon ou pas!".

Je me permets à ce niveau de citer un film d'anthologie que je déteste autant que je l'adore: Brazil.

Il s'agit d'un film au scénario extrêmement vague, presque incompréhensible, chaotique, et auquel, pourtant, on peut donner des significations et qui, bout à bout, fait plus ou moins sens. Et globalement, il s'agit juste d'une critique de la bureaucratie.
Cependant, ce film est absolument extraordinaire du point de vue artistique. C'est un chef d'oeuvre de narration qui avale littéralement le spectateur pour lui conter une histoire, peu importe l'histoire.

Le plus mauvais des scénarios peut justement être sauvé par le style. À la limite, "the shining" est assez mauvais... plusieurs choses ne font aucun sens, l'un des personnages semble n'avoir aucune autre raison d'être que de se prendre une hache dans le dos, etc... mais pourtant il s'agit d'un film qu'on regarde et re-regarde parce qu'il nous donne exactement ce qu'on peut en attendre.

Oui, je pense que tu pointes un point qui explique la faille dans le beau style: quand les effets sont gratuits. Et effectivement, ici, o, est en plein dedans.

Si l'effet est gratuit, ou en tout cas ressenti comme cela par le lecteur, alors le style est mauvais.

Il faut aussi voir ce que l'on entend par style... pour moi, ce n'est pas une question de "simple/compliqué", c'est un assemblage de:
- rythme
- sonorité
- transition
- champ lexical
- point de vue (du narrateur, du personnage, etc...)
- tournures spécifiques (qui donnent l'impression au lecteur de se retrouver en territoire connu une fois qu'il les a assimilées, qu'elles soient bien ou pas. Le lecteur comme tout être humain aime le "connu" et la sensation d'être chez lui).
- la capacité à permettre l'identification aux personnages
- etc... (je n'ai jamais fait la liste complète...)

L'histoire, en revanche, ce serait plutôt:
- un enchaînement d'événements
- des rôles (pas des personnages)
- un ou plusieurs enjeux
- une résolution
- un ou plusieurs retournements ou surprises
- un ou plusieurs message
- etc...

Le style est là pour présenter l'histoire et un mauvais style peut simplement détruire une bonne histoire. Par contre, un bon style peut sauver une histoire médiocre.
Parce que soyons honnête... on lit avant tout pour se divertir. Alors si le récit nous divertit, quand bien même l'histoire n'aurait ni queue ni tête, l'objectif a été atteint.
Cela sous-entend bien évidemment que le style a été capable de nous faire ignorer la médiocrité de l'histoire.

Or, cette volonté, je pense qu'on l'a tous un peu.

Oh oui. Et puis ensuite, j'ai lu Petch et Vuld... et je me suis dit que j'allais en rester à ce que je sais faire.

Au passage:

Elle approcha de la porte, hésita, approcha le poing, hésita, se recula, se trémoussa. La maison était vraiment éloignée de tout. Elle regarda autour d'elle et puis, le paillasson, et puis, la porte, et puis elle se dit :

Ici, le style est mauvais. Non pas parce que c'est simple ou conventionnel, mais parce que:
- la répétition rapide de plusieurs verbes séparés uniquement par des virgules crée un rythme "rapide" qui n'est pas cohérent avec la volonté de marquer l'hésitation (qui par définition dure un minimum).
- le verbe "se trémousser" a peu de sens avec la sensation de peur que la phrase suivante voudrait apporter, cassant par avance tout effet.
- la répétition du "elle" dans "et puis elle se dit" n'a aucune raison d'être puisque le sujet a déjà été mentionné dans la phrase. Ce n'est pas cohérent avec les autres répétition du "et puis". Si on a pas répété le sujet à chaque fois, il n'y a pas de raison de le répéter à la fin.

L'impétueuse héroïne se précipita jusqu'à la porte pour y donner trois coups sourds et bien pesés. Des pas tremblèrent derrière la porte puis une main terrible pressa sur la poignée et l'homme beugla : elle se retrouva nez-à-nez avec un grand escogriffe...

Le style est bon, non pas par le vocabulaire employé (bon, c'est joli et surtout c'est cohérent vu que le même type de vocabulaire est employé tout du long), mais surtout parce que le rythme est constant (des séquences courtes qui confirment le verbe "se précipiter"), etc...

Elle frappa à la porte. Un homme ouvrit la porte, il était grand avec des cheveux bruns et un gros nez.

À moins que le fait de décrire la couleur des cheveux et la taille du nez des personnages soit un trait du style de l'auteur, je suis totalement contre, parce que c'est une information qui ne sert à rien au lecteur. Ou alors cette description correspond à quelqu'un qui est recherché dans le récit, ou va être réutilisée plus tard...
En revanche, le fait qu'il soit grand permet au lecteur de fixer quelques préjugés (fort, imposant, probablement sûr de lui), donc est utile.

***

Bref, je voulais dire que je suis fondamentalement contre l'idée de réduire le style à la simple utilisation d'un vocabulaire fourni ou d'un vocabulaire basique. (simple ou complexe).

J'ai passé la dernière année à écrire en anglais. J'ai, du coup, été privé de la majorité de mon vocabulaire et été dans l'incapacité de me reposer sur des descriptions. Ce n'est pas pour autant que j'ai ignoré le style.

Il m'a fallu faire des transitions, gérer le rythme de mes histoires, placer des indices pour préparer la conclusion, manipuler le lecteur pour l'amener à croire ou accepter ce que je lui disais, etc...

Je me suis amusé à analyser certains "trucs" que j'employais, très simples mais efficace:
- utiliser un personnage pour exprimer la frustration du lecteur afin que le lecteur ait quelqu'un à qui s'identifier (et ne se sente pas poussé hors de l'histoire)
- répéter deux fois la même structure narrative pour que le changement à la troisième répétition apparaisse comme une surprise
- etc...

Il n'y avait pas de vocabulaire complexe, mais il s'agissait de figures de style.

Est-ce à dire qu'on devrait faire du style sans employer de mots compliqués? Non. Je n'ai jamais été aussi frustré d'écrire qu'en écrivant en anglais, privé de tous ces mots et expressions sur lesquelles je peux d'habitude me reposer.

Bref, le fait que certains auteurs "miment" du beau style sans y parvenir n'empêche pas, à mes yeux, que d'autres auteurs soient capable de faire fonctionner ce beau style. Et j'espère bien que l'on ne va pas soudainement tous se mettre à écrire nos histoires comme l'on parle dans la rue...

Impe, qui, à force d'écrire en anglais, à oublier comment on le fait en français...

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il y a 10 ans 11 mois #18898 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet Re:LE STYLE: les pièges du "beau style"
Je viens de me rendre compte de quelque chose litteralement a l'instant. J'allais lire un texte court quand j'ai vu qu'il faisait beaucoup de pages. Aussitot j'ai pense deux choses :
- Que ca allait etre long donc "pour plus tard" et
- Que le texte etait d'un auteur "confirme" et donc qu'il serait pretentieux.
Je m'attendais a des tournures "litteraires", comme on dit, de grosses formules pour justement essayer d'impressionner. Ou simplement un texte qui donnerait au lecteur ce qu'il veut, du reve, mais qui n'aurait pas la simplicite ou la spontaneite (meme feinte, a la Renart), des textes que je lis d'habitude.
Puis j'ai lu le premier paragraphe, phrase introductive banale, description litterale de l'ambiance par le narrateur et quelque part... quelque chose de presque amateur. En tout cas de simple.

Je crois que derriere le Beau Style se cache la pretention, au sens pejoratif ou non. Je suis vraiment parti avec l'idee, rien qu'a la taille du texte, que l'auteur voulait me prouver qu'il etait bon. Et ce n'est qu'a la fin du premier paragraphe, en me rendant compte que l'ecriture etait dans la moyenne, que ce prejuge est tombe.

Le beau style n'a au fond rien a voir avec la pertinence, l'adequation de la forme au fond : c'est juste une impression subjective causee par des codes de lecture. Un peu comme quelqu'un qui, dans une discussion, simplement en disant vous sans le faire expres, met mal a l'aise...

Simple reflexion a vif.

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