file La première phrase.

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il y a 9 ans 7 mois #19898 par Vuld Edone
La première phrase. a été créé par Vuld Edone
Hi'.

Il m'arrive souvent de devoir dire aux auteurs "il y a trop de mystère" ou "tu dois dire de quoi ton texte parle". La majorité du temps, ces auteurs comprennent "tu dois spoiler ton histoire".
Hier, j'ai pu leur expliquer pourquoi il fallait le faire, à défaut de pouvoir leur expliquer comment. J'ai tout simplement pris mon cas de lecture impatient et pour qui le sort d'un texte se joue dans les deux premières phrases -- littéralement -- si bien qu'en général si après deux phrases le texte ne m'a pas dit de quoi il parle, j'arrête.
Trop de mystère
"Trop de mystère", c'est en général ce qui se passe dans les synopsis, type "une menace se préparait au nord-nord-ouest, bientôt des événements allaient survenir mais est-ce qu'un certain héros serait prêt à faire face ?" Je caricature mais c'est pas loin de ça. Trop de mystère vaut aussi pour l'histoire même, quand la narration fait "il regarda au nord-nord-ouest et ce qu'il vit le fit sourire. Oui, le moment était venu. Il allait faire ce qu'il avait toujours voulu." On ne saura jamais ce qu'il a vu -- pas à ce chapitre-là du moins -- ni ce qu'il compte faire et ce ne serait pas un mal si c'était, à ce stade, secondaire, mais là il s'agit de l'action principale, du fil rouge et il ne se passe que ça...
Les auteurs jouent souvent la carte du mystère pour tenter de rendre leur personnage -- et leur intrigue -- intéressante, mais du coup on sait tellement peu de choses qu'il est très difficile de s'intéresser à ce qui se passe. Y a un truc au nord(-nord-ouest), woohoo, rappelez-moi quand on en sait plus.
De quoi ça parle
"De quoi ça parle" est à peu près la même chose, mais fait référence au thème de l'histoire.
Pour les jeunes auteurs, là encore, l'histoire est forcément concrète : c'est l'histoire de Troublion Ier qui a récupéré la magie de Supra-plus mais la magie Supra-moins lui vole son fils secret pour en faire un héros qui va le combattre. Du coup quand je leur dis "eh, dis de quoi le texte va parler", forcément eux ils comprennent qu'ils doivent, dans le premier paragraphe de l'histoire, dire tout ça. Et effectivement ce serait révéler toute l'intrigue de façon assez ridicule.
Le thème, lui, est plutôt abstrait, et je n'ai jamais su vraiment comment le décrire. J'avais fait tout le détour par les "groupes de mots" pour démontrer qu'il y avait bien une unité à l'ensemble du texte, le thème, mais ça ne dit toujours pas ce qu'elle est ni ce qu'elle fait. Dans le cas de Troublion Ier, quel serait le thème ?
Eh bien, pour une même histoire on peut en avoir une infinité. Le parricide ? Le libre-arbitre ? Le pouvoir ? La gloire, le mérite ? Le thème est la raison même pour laquelle on raconte cette histoire. C'est pour ça que souvent je demande aux auteurs de me résumer leur texte en "un seul mot" : la majorité du temps ils me disent que c'est impossible et je soupire parce que ça signifierait que leur texte n'a pas de thème.
Premières phrases

J'ai donc exposé deux critiques qui reviennent souvent, et que je pourrais résumer en fait par deux notions :
1) L'activité
2) Le thème
D'une part donner suffisamment d'informations pour que le lecteur puisse "agir", réfléchir, juger, s'impliquer dans le texte. D'autre part dire de quoi le texte parle, évoquer son thème.
J'aimerais à présent proposer d'appliquer ces deux points au début d'un texte.

Premier texte :

La solitude.
Réfléchissons ensemble à ce concept un instant. Il existe différents degrés...

Quel est le thème ? Euh, il est donné brut, c'est la solitude. Est-ce que le lecteur est actif ? On lui demande littéralement de réfléchir, et l'information pour y réfléchir va venir après, dans un type d'introduction classique dont la méthode de travail traitait déjà.

Second texte :

"Flame Core, veuillez rectifier votre trajectoire, vous déviez de quelques degrés par rapport à l'azimut du ponton d'atterrissage."

Quel est le thème ? Aucune idée, on sait juste que c'est de la sci-fi plus ou moins. Est-ce que le lecteur est actif ? Un avion a du mal à se poser, tension de type "suspense", oui pas de problème le lecteur peut s'impliquer.

Troisième texte :

La lumière tombait sur les murs de pierre, fugace et dansante. Trois humains s’avançaient avec prudence dans le sombre tunnel, à la lueur de la torche de celui qui marchait en tête. Les deux autres...

Quel est le thème ? Euh... bon on va supposer que c'est de la fantasy et c'est à peu près tout ? Est-ce que le lecteur est actif : intéressante question, on peut au mieux supposer qu'un tunnel sombre est dangereux, ou alors se demander pourquoi ils sont là... mais bon, on en sait si peu que ces questions, à ce stade, n'ont aucun intérêt.

Quatrième texte :

Everfall ne dormait jamais.

Quel est le thème ? Il y a là l'idée d'une activité frénétique. Est-ce que le lecteur est actif ? On peut se demander qui est Everfall -- c'est une forêt -- et du coup ce qui s'y passe.

Je vais prendre un dernier exemple, cette fois des Chroniques (Le Silence des mots) :

Je suis Professeur de Physique Chimie. Je vous dis ça non pas pour vous aider à comprendre l’histoire qui va suivre...

Première phrase, un narrateur nous donne son métier. Je paraphrase mais l'intérêt est que d'une part ça n'a pas d'intérêt et que d'autre part c'est la seule information disponible : elle a donc forcément un intérêt, principe de pertinence, sinon on ne nous la dirait pas.
Plus intéressant pour moi, à la seconde phrase le narrateur veut expliquer pourquoi il dit ça : "je vous dis ça... pour..." et c'est exactement le mécanisme de la première phrase (ou du début d'un texte en général). La première phrase donne ici toute l'ambiance du texte à venir : une personne qui va nous raconter des choses en apparence simples, et qui met en avant le fait qu'il les raconte. Donc le thème, check. De même, cette première phrase provoque aussitôt, à son échelle, une tension : on ne se demande même pas ce que va faire ce professeur, ou comment il est devenu professeur ; on se demande pourquoi on nous dit ça. L'enjeu du texte est donc installé après six mots.

Tout ce qui précède découle d'un constat simple : depuis maintenant oh bien un an, je ne lis presque plus. Mais ces derniers jours je me suis rendu compte que je voulais toujours lire, que j'allais toujours ouvrir les textes pour m'y plonger mais qu'après 2-3 phrases, parfois 2-3 paragraphes, je décrochais.
Je me demandais pourquoi et j'ai constaté, après observation -- j'ai cité quatre cas, il y en avait plus -- qu'effectivement le début de ces textes soit me laissaient passif, soit ne me donnaient pas de thème. En bref, si après quelques phrases je ne savais toujours pas de quoi ça allait parler, ou je ne pouvais toujours pas m'impliquer, c'était fini.

Du coup yup, je me dis que réfléchir au début d'un texte, ou au principe d'une "accroche" en général et à ces notions d'activité et de thème serait utile.

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il y a 9 ans 6 mois - il y a 9 ans 6 mois #19961 par San
Réponse de San sur le sujet La première phrase.
Je vois assez ce que tu veux dire. J'ai une approche assez différente, car de nature plus patiente je suppose, et quand j'ai décidé de lire quelque chose, c'est généralement pour des raisons qui font aussi que je vais m'accrocher au delà des 2 premières phrases. Et je pense que c'est le cas de nombreux lecteurs.
Par ailleurs, au delà des premières phrases, premiers paragraphes, premières pages, si le texte se perd à n'importe quel moment dans des détails dont on ne comprend pas l'intérêt, il est tout aussi possible de perdre le lecteur, et je ne crois pas que ce soit particulier au début du texte. J'aurais personnellement davantage tendance à lire attentivement le début d'un texte, même s'il est raté, et à sauter des passages ou arrêter ma lecture plus loin, si finalement ça me gonfle. Alors certes, il faut réussir les premières phrases, mais en fait il faut réussir toutes les autres aussi.
S'il y a quelque chose que je trouve difficile à réussir, c'est plutôt la fin. Il me semble qu'elle devrait laisser un sentiment durable mais finalement je ressens rarement à la fin d'un livre ou d'un texte ce que je voudrais ressentir. Une première phrase ratée, on a tout un texte pour la rattraper. Une fin ratée, ça peut changer tout le reste...

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