file Jeux d'écriture: La mise en scène du narrateur et de l'auteur du lecteur

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il y a 7 ans 6 mois #21185 par Zarathoustra
Première chose, le narrateur, même quand il dit "je", n'est jamais l'auteur. Certes, il peut lui ressembler, partager ses idées, mais dans un récit, même autobiographique, le narrateur n'est jamais l'auteur. Il n'est que celui qui raconte.
L'auteur, c'est celui qui se tient derrière le livre, celui qui a accès à tout. Un être un peu omniscient. Ce n'est pas lui qui raconte, et pourtant, il se glisse parfois entre les lignes, au détour d'une formulation, d'un personnage, d'une réflexion etc.

Donc le jeu en question est bien entendu de jouer avec le lecteur sur ces similitudes pour que dans sa tête les deux puissent se confondre. Chose qui, j'insiste, n'est normalement pas possible.Et plus on a le sentiment qu'ils se confondent et plus il sera question de mise en scène du "moi" et non le "moi" en question.
Vous aurez compris que j'aime bien écrire avec la première personne du singulier. Je trouve que cela crée une intimité et une proximité intéressante avec le lecteur. Et ce que j'aime plus que tout, c'est de jouer avec les projections du lecteur sur ce "je", d'autant plus qu'on me connait. La première chose est de jouer avec le sexe du narrateur. Je suis un homme et donc justement, le lecteur voit immédiatement dans le "je" qu'il lit un double de moi. Donc certains texte ont pu jouer aussi avec cette dimension.
La seconde chose qu'il projette, c'est justement ses propres envies parce le "je" résonne en lui plus fort que "il" ou "elle".

Donc ces derniers temps, j'ai essayé de jouer avec ce "je" qui serait en fait "lui", le lecteur. C'est notamment le cas avec les textes du Magicien et de l''Iconoclaste. Ce sont des textes qui mettent en scène de manière plus ou moins détournée la relation entre le lecteur et le narrateur (que le lecteur peut voir comme l'auteur). Pourtant, j'aime au début de mes textes mettre en scène une distance entre le narrateur et l'auteur que je suis. J'ai souvent des sortes de préambule que se joue de tout ça, y compris avec le fait que le lecteur va très souvent refuser de comprendre ce que je lui dis au début alors que je lui donne des clès importantes. Le jeu, ici, consiste à l'embrouiller un peu avec des digressions qui ne sont pas censées l'intéresser. J'aime me dire que le lecteur à ce stade soit piqué par sa curiosité mais qu'en même temps il puisse penser: "Mais où il veut en venir? C'est pas ce qui m'intéresse, alors quand commence la vraie histoire?". Je sais, c'est un jeu un peu vicieux avec lui; Mais c'est aussi de l'humour, parce que je lui explique souvent qu'il y a un piège et comment l'éviter, mais à la fin, il tombe dedans quand même. C'était aussi le jeu de mes expériences avec les textes du Renard au harnais (qui prenait suite d'un texte de Vuld).

Bref, où je voulais en venir? :huh: Ah oui, au fait qu'il y a un jeu assez amusant à jouer avec la subjectivité et l'objectivité. Le lecteur a tendance à refuser de voir la subjectivité des choses. C'était déjà le principal moteur Alarielle. Il voit une elfe torturée et tout de suite il se fait son film. Et l'histoire progresse, avec des scènes qui doivent normalement remettre en cause ce qu'il a projeté, mais il lui faut dévoiler les choses littéralement pour qu'il voit la réalité objective. Cette elfe est d'être aussi gentille qu'i l'imaginait.

Mais alors l'auteur, où est-il? C'est celui qui maitrise l'ensemble, qui a le plan, c'est un être omniscient. Dans mes textes, c'est souvent celui qui s'amuse et qui pratique un humour tordu, parfois même sur le dos du lecteur.
Dernièrement, dans l'Iconoclaste, j'ai cherché à jouer avec ça. Donc j'ai mis en scène un narrateur qui ne cesse de dire qu'il ne faut pas croire que c'est lui qui a écrit le texte. L'idée, c'est que le lecteur est censé découvrir qui a vraiment écrit le texte. En ce sens, il doit chercher l'auteur. Or cet auteur est lui-même un personnage connu de tous et très emblématique. Je suis certains que personne ou presque n'est en mesure de le découvrir... Seulement, le texte n'arrête pas de le dire et de le réclamer. Il est vrai que le texte offre aussi une autre nécessité d'interrogation sur le message du texte, suffisante pour que le lecteur soit distrait de cet ultime enjeu. Disons que ce jeu mettant en scène l'auteur est la cerise sur le gâteau qui pourtant justifie tout.


Enfin je me rends compte également que le lecteur est souvent implicitement associé ou même présent dans les textes. Clairement, on écrit pour lui. Qui'importe qui il est, peut-être est-il une créature parfaite qui comprendrait tout, mais même si on croit écrire pour soi, on écrit surtout pour un autre. D'ailleurs, le texte exige d'être pensé pour lui car sinon qu'importerait d'être compris ou non. Si on écrit uniquement pour soi, il n'est pas nécessaire de tout expliquer ou d'être compris par les autres. On se dit bien que c'est pour soi, donc on va pas raconter ou expliquer ce qu'on sait déjà.

Donc un texte est aussi une vaste mise en scène pour séduire un lecteur, lui donner envie de continuer de nous lire. Donc je trouve qu'il y a une curieuse relation entre l'auteur et le lecteur. Il y a d'un côté une sorte de voyeurisme du lecteur à plonger dans une histoire d'un autre. Et en même temps, il y a une sorte d'exhibitionnisme à écrire pour être lu (accessoirement un peu de narcissisme sans doute). Cette dimension voyeur/exhibitionnisme est encore plus forte dès le moment où on écrit à la première personne. Ce "je" veut être regardé et le lecteur veut regarder ce "je". Seulement,
j'ai découvert pour ma part que cela pouvait également s'inverser. En mettant en scène un "je" pour le lecteur, le travail consiste implicitement à chercher à capter l'attention du lecteur. En quelque sorte, on sent sa présence à chaque mot qu'on écrit parce qu'on les choisit pour qu'il nous comprenne, qu'il ressente ce qu'on veut lui dire. Or sa présence, ces derniers temps, m'ait apparu si forte quand j'écrivais, que j'ai commencé à vraiment sentir sa présence jusqu'à quasiment le "voir". Et je me suis demandé si, soudain, écrire ne pouvait pas être également un acte voyeuriste. Or c'est une question que je trouve assez "masculine". Je pense que l'homme est par nature plus voyeur que la femme. Et encore plus, lorsqu'il s'agit d'une femme, soit à regarder, soit à mettre en scène, soit à "incarner".

Bon, je sais, c'est un peu tordu de ma part. Mais vraiment, quand j'écris, je m'efforce aussi d'écrire en fonction de quelqu'un qui n'est pas moi, quelqu'un qui ne verrait pas ce que je vois, qui n'aurait pas les mêmes envies que moi, et pourtant que je dois toucher quel qu'il soit. Ecrire est devenu pour moi une manière de comprendre "l'Autre". J'écris pour me connaître moi-même mais je ne pouvais le faire qu'en m'obligeant aussi à sortir de ce que je suis. L'autre est un lecteur, mais ça peut-être aussi tous les lecteurs qui chacun attendent des choses différentes et qui seront touchés différemment par telles ou telles choses. Et vraiment, j'ai l'impression d'avoir appris plein de choses à m'interroger sur lui ou eux, sur moi et sur eux. Cette réflexion a été également plus loin dans mon désir de pouvoir brosser des portraits crédibles de femme, et même de chercher à écrire avec un "je" féminin.

Cette sensation m'est apparu très fortement quand j'écrivais des scènes "contre-nature", notamment tout ce qui était scène d'action qui ne sont pas trop dans le domaine de mes prédispositions. Ici, je n'écris pas forcément pour moi mais pour l'autre, pour celui qui me lit. Et là, d'un coup, je devais me mettre dans sa peau. Donc le regarder me lire et comprendre pourquoi mon texte ne fonctionnait pas comme il se doit, retrouver ses impressions primitives de lecteur qui ne connaîtrait pas où je vais et ce que je veux. Donc vraiment un comportement voyeuriste en quelque sorte.
Du coup, c'est ce que je me suis amusé à mettre en scène dans l'Iconoclaste. Soudain, je mettais en scène une scène normalement voyeuriste, mais en fait, c'est moi qui n cesse de regarder le lecteur parce que je joue avec lui. Et le jeu est aussi de découvrir qui joue. Qui est ce personnage qui regarde le lecteur? Qui est ce soit-disant auteur (et non "narrateur") qui a organisé toute cette mise en scène et à quelle fin?

Mais cette dimension voyeuriste est également complètement logique. Si on écrit, c'est aussi pour voir nous-mêmes ce que nous avions dans la tête. Donc on retrouve la dimension d'écrire pour soi. Donc si on écrit pour soi, je pense que c'est par voyeurisme intime. On a besoin de se voir soi-même, de voir nos problèmes, nos fantasmes, nos rêves apparaître. Et parfois consciemment, mais surtout inconsciemment. C'est là aussi on l'accumulation de récit nous permet de découvrir des choses plus intimes à travers certaines de nos obsessions.

J'ignore si ces notions vous sont familières. Moi, ce sont ces dernières temps des obsessions qu'on peut trouver dans la plupart de mes derniers portraits.Avancer dans ce travail me permet de mieux comprendre l'écriture tout simplement. J'aimerai savoir si c'est un peu le cas pour vous.


Donc voilà quelques unes de mes réflexions que j'aimerai débattre ensemble.

1- Avez-vous déjà perçu cette différence entre narrateur et auteur?
2- Avez-vous également conscience que l'auteur transparaît dans vos textes?
3- Quand vous lisez, sentez-vous parfois la présence de l'auteur?
4- Avez-vous conscience également de la présence du lecteur dans vos textes?
5- Avez vous le sentiment de jouer avec le lecteur dans vos textes, de le manipuler, de le piéger?
6- Avez-vous le sentiment d'écrire pour un lecteur et d'infléchir votre écriture pour qu'il vous suive? Dans quelle mesure vous mentez-vous pour ça? Ou est-ce pour vous un moyen de vous découvrir vous-même et de découvrir l'Autre?
7- Comment appréhendez-vous l'autre et, encore plus, lorsqu'il s'agira d'une femme? En tant que lectrice possible? En tant que personnage? En tant que narratrice?
8- Avez-vous un peu le sentiment d'être exhibitionniste en écrivant?
9- Avez-vous vu eu le sentiment de pouvoir être voyeur?
etc. il y a certainement plein de questions à creuser dans tout mon charabia...

Bref, c'est un sujet à traiter en douceur, à long terme. On est pas obligé de tout balayer en une fois. Ca permettra au site de bouger un peu lorsque vous souhaiterez creuser l'un de ces points, qui j'espère sont susceptibles de vous toucher.

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il y a 7 ans 6 mois #21189 par Vuld Edone

Enfin je me rends compte également que le lecteur est souvent implicitement associé ou même présent dans les textes. Clairement, on écrit pour lui.

Je n'ai pas le temps de lire plus loin, mais je viens de réaliser deux choses.
La première, je ne me pose pas assez le question "d'à qui est adressé le texte". Le lecteur est toujours ce lecteur fictif lambda dont je suppose les réactions selon l'archimodèle de l'humain moyen. Même mes textes les plus récents, où j'écris pour moi, restent calibrés pour ce lecteur fictif lambda archétype, lecteur "passe-partout" par défaut.
La seconde, ce n'était pas toujours vrai. Mes premiers textes, extrêmement cryptiques, ne s'adressaient pas à un lecteur hors du texte mais toujours à un personnage de l'univers. J'ai complètement ignoré cette dimension du texte s'adressant à lui-même, d'un narrateur personnage parlant vraiment à un lecteur personnage non pas pour une mise en scène d'identification mais où le texte n'a de sens que pour ce personnage.

Le problème est qu'il faut alors envisager le lecteur comme quelqu'un guignant par la serrure, et qui ne voit pas une mise en scène faite pour lui mais un fragment de réalité d'autrui. Comme tomber sur un tiroir rempli de lettres envoyées par un inconnu à un inconnu, et d'où il faudrait tout reconstruire.
Le texte en devient incompréhensible et étranger au lecteur, et peu auront envie de reconstruire le jeu de pistes que ça implique, surtout si le texte se montre ingrat. Il y a une raison pour laquelle on tient le lecteur par la main.

Mais si je repense à un texte comme Lacrima, c'est quasiment un dialogue de démon à démon...

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il y a 7 ans 6 mois #21190 par Zarathoustra

Mais si je repense à un texte comme Lacrima, c'est quasiment un dialogue de démon à démon...

Mais tu détournes le problème. Tu t'adressais bien à un lecteur que tu t'es créé et façonner. Foncièrement, je pense qu'on écrit inconsciemment et spontanément à un double de soi-même. Donc un lecteur qui nous comprendrait parfaitement (même si parfois on ne se comprends pas forcément très bien car il faut parfois un regard extérieur pour y parvenir).

Pour ma part, j'ai en gros 3 lecteurs type dans lequel j'essaie de me projeter:
1- Le lecteur qui apprécie d'être distrait et qui, au va dire, aime les scénarios et l'action. Son moteur est sensitif
2- Le lecteur qui cherche à être emporter par les sentiments. Son moteur est émotionnel.
3- Le lecteur qui aime comprendre les choses et creuses. Son moteur est cérébral
Ensuite, il y a des personne qui ont un penchant pour le concret, le matérialisme et qui ont besoin de récit charpenté parce qu'ils ont un rapport avec la réalité. Il voit les arbres avant la forêt.
Et les autres qui aime l'abstraction et le rêve et qui se moquent de la construction. Il voit la forêt sans se préoccuper des arbres.

Voilà. Et moi je navigue à travers ça, en étant plus ou moins à l'aise avec les approches.

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