Comment impliquer le lecteur dans son récit ?
- Vuld Edone
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J'aimerais finir ma soirée avec la question de Zara', et je vais y répondre avec une vision de gamer, de joueur invétéré que je suis.
Littérairement, l'engagement du lecteur va dépendre de la "tension". Mais je vais définir la tension à travers l'autre notion d'activité. Parce que oui, le lecteur, quand il lit, est très actif.
Il y a trois types de tension : la "curiosité" (activité de détective pour deviner ce qui s'est passé avant); la "suspense" (activité d'aventurier pour savoir comment réagir à ce qui vient) ; et la "surprise" (quand les détective/aventurier ont mal fait leur boulot). La surprise est le niveau de difficulté du texte : il y a surprise quand le lecteur découvre qu'il avait tort, qu'il s'était trompé. Trop de surprises et le texte est trop difficile, obscur, réfractaire. Le lecteur lâche le livre, il a mieux à faire que de subir ça. Pas assez de surprises et le texte est trop facile, plat, ennuyeux. Le lecteur lâche le livre, il n'a pas encore l'intention de s'endormir.
La règle du pouce, donc, est de créer et maintenir de la tension.
Alors normalement, il suffirait d'écrire :
"Elle fuyait sa ferme en flammes, poursuivie par ses assaillants."
Là comme ça on dirait qu'il y a de la tension. De la curiosité (quels assaillants ? On est où ? Elle a fait quoi ?), du suspense (elle va survivre ? Comment ?) et un brin de surprise (ben, et mon introduction alors ?) parce qu'on prend le train en route.
Mais en vérité, là, y a rien.
Le problème est que des personnages féminins qui fuient, des fermes en flammes et des assaillants, ben c'est un patchwork de clichés. On a vu ça mille fois. Du coup il n'y a pas de curiosité (mais c'est tes habituels cinquante gobelins, on est à la campagne trucmuche du royaume machin-chose et elle c'est la princesse Ladida qui va tuer Gromf le meuchant), pas de suspense (tourne à gauche derrière le tronc ou attends le deus ex) et aucune surprise.
Bien sûr, on peut avoir tort, et le texte peut donc surprendre, mais là tout de suite et présentement... non.
Pour créer de la tension, il faudrait réécrire :
"Elle fuyait la navette sur le point d'exploser."
Note(z) que la phrase est moins bien, niveau style. On a perdu les /f/ et les /p/, on a une focale qui passe de "elle" à la navette, bref formellement c'est mauvais. Niveau tension c'est pareil, on fuit un danger -- et on prend le train en marche.
Mais cette fois on peut se poser des questions.
La navette ? On est dans l'espace, dans un hangar, sur une planète ? Du coup c'est qui, une passagère ? La capitaine ? Une captive, une autochtone ? Et puis comment ça ça va exploser ? Auto-destruction, atterrissage en catastrophe, réacteur en surchauffe, sabotage ? Ou bien une torpille à neutrons va s'abattre ?
La situation pourrait être tout aussi clichée, ça semble partir sur du pulp fiction avec une Lara Croft en scaphandre... mais il y a tellement plus de possibilités, la plupart prometteuse (notamment l'autochtone, je serais intéressé par une autochtone), que oui, on est curieux.
Autrement dit, plus la question est intéressante, plus le lecteur aura envie d'y répondre. Donc plus il sera actif, donc impliqué.
Je vais maintenant prendre la phrase de mon brouillon le plus récent :
"Elle fuyait peut-être le spectacle trop familier des arbres..."
Disons que la phrase s'arrête là (et que le texte commencerait là aussi).
D'un côté ça fonctionne : le personnage féminin fuit (soupir) un spectacle trop familier. Cela présente une volée de possibilités. Réfugiée moderne ? Enfant battue / du ghetto ? Guerrière à bout ? On veut savoir quel est ce spectacle, parce qu'on nous a promis qu'il est suffisamment... quelque chose... pour nous faire fuir.
De l'autre côté, ça ne fonctionne pas. Et je suis revenu deux fois dessus en sachant pertinemment que ça ne fonctionnait pas, mais en abandonnant chaque fois l'idée de corriger. Ça ne fonctionne pas à cause du mot "arbres". Les arbres ne font pas peur. Les arbres éliminent d'emblée la majorité des hypothèses ci-dessus et du coup on ne voit pas où l'auteur, en l'occurrence moi, veut en venir. Donc on décroche. La surprise, ici, est mauvaise, on croyait le spectacle intéressant et on découvre que ce n'étaient que des arbres.
Bien sûr, je m'en suis tenu ici au tout début du texte. Le principe est le même par la suite : créer sans cesse de nouvelles questions, y répondre sans cesse en "dosant" la surprise. Les questions que le lecteur se pose, l'activité qu'il produit, est en général implicite, un texte qui devrait les épeler est en règle générale en situation d'échec. À aucun moment je n'ai posé la question de savoir pourquoi la navette allait exploser, ou précisé à qui que ce soit de s'intéresser au spectacle.
Le problème de l'assassinat sous la tente -- pour parler du texte de Zara' -- est qu'il ne pose pas de questions. On n'est pas surpris qu'il se produise, on ne se demande pas vraiment comment elle va s'en sortir -- ne serait-ce que parce qu'elle est encore en vie -- et il y a quelque part l'impression d'avoir vu ça x fois.
La même scène, avec exactement les mêmes événements, pourrait contenir beaucoup plus de tension si elle posait d'autres questions.
Par exemple, un favori des récits de fantasy récents (ou anciens ?) : est-ce que le personnage principal devient meugnon ou meuchant ? Il suffit de débuter le texte par "elle et moi on avait décidé de raccrocher (et d'ouvrir une boulangerie)" pour que l'assassinat prenne une toute autre dimension, et qu'on se demande si cet engagement du personnage (et donc le nôtre, par identification) va être remplacé par de la bonne vieille vengeance de Talion.
Autre exemple, notamment si on a peur que le lecteur ne s'identifie pas au personnage : la faire s'identifier à quelqu'un d'autre. "Je me suis trouvée pour la première fois en position de victime." On sait, pas très subtilement, comment elle se sent, et on sait donc comment on doit se sentir. Si on a établi avant qu'elle était une guerrière, on a notre tension : comment ce sentiment nouveau va l'impacter. S'il n'y a pas d'impact, tension perdue, on referme le livre. Si l'impact est trop fort (elle ne sait même plus se battre), tension perdue, on referme le livre. Mais si on sent l'impact au travers de ses gestes de guerrière, alors le suspense est créé, on va vouloir voir cette évolution jusqu'au bout.
Et je précise, tout cela est inconscient. Le lecteur ne s'arrête pas sur chaque phrase pour se dire "mmmh, établissons la liste de tous les rôles que ce personnages féminin fuyant une navette pourrait être".
Les questions se posent à la volée, par cette même mécanique inconsciente qui nous fait tout interpréter à notre insu. L'activité ne devient consciente qu'en réfléchissant à l'histoire après-coup.
Alors bien sûr c'est plus compliqué que ça. Les événements bruts comptent, on sera toujours plus intéressé par un accident de voiture que des vaches qui regardent passer les trains ; le style compte aussi, quand ça fait littéraire sémieu ; puis il y a les goûts et intérêts de chacun, tout le monde n'aime pas l'indécision.
Mais à mes yeux la réponse est là, dans l'activité du lecteur, dans les questions que le texte lui pose et les réponses qu'il lui apporte. On l'implique sans le lui dire, en lui posant des questions dont il ne se rend pas compte -- en espérant qu'il finisse par se les poser effectivement.
Ou alors on adopte la méthode Michael Bay et on se contente de lui en jeter plein la vue. Ça marche aussi.
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- San
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Perso, je dirais que les bouquins dans lesquels je m'implique le plus, c'est ceux qui me font ressentir des choses. Que ce soit par la beauté du style, par l'histoire, ce qui arrive aux personnages, par des idées qui m'interpellent ou qui résonnent avec mon vécu ou mes interrogations du moment, une sonorité qui m'amuse, des recettes de plats chinois qui me font voyager... C'est un peu pareil que les choses qui forgent nos souvenirs : la mémoire est portée par l'émotion, et ce qui nous marque c'est ce qui nous émeut. Personnellement, un mélange d'émotions fonctionne mieux encore qu'une seule.
On peut aussi poser la question à l'envers : qu'est-ce qui fait qu'un lecteur ne s'implique pas et au bout d'un moment décroche? Je dirais globalement : les fautes d'orthographe, les fautes de style en premier lieu pour moi. Si je comprends rien aussi (ça c'est la marche qui me fait souvent trébucher sur les poésies, mais on peut aussi appliquer ça à des textes renardesques par exemple, enfin on en a déjà parlé cent fois ). Le manque d'originalité, forcément. Si j'ai l'impression d'avoir déjà lu tout ça cent fois, de savoir ce qui va se passer, ça casse un peu le truc.
Mais ce sont quand même deux questions différentes. Je peux rester accrochée à un texte par pur effort de volonté, et après coup me dire que je suis contente de l'avoir lu, mais que je le recommanderais pas. Je peux m'impliquer dans un texte parce que c'est écrit par Untel ou Unetelle et qu'il m'a demandé de le relire, et je vais être active parce que je prends des notes sur les remarques et corrections à apporter, et ça n'a pas grand chose à voir avec le texte en lui même. Ce sont des moyens d'impliquer le lecteur un peu particuliers, qui ne se rapportent pas vraiment au récit...
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- Zarathoustra
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Ta phrase effectivement pose une tension, ou plus exactement un suspense. Elle pose l'hypothèse d'une explosion imminente. C'est ainsi qu'Hitchcock définissait d'ailleurs le suspense. Pour lui, c'est dire au spectateur non il y a une bombe qui va exploser mais quand et où elle va exploser. Cela autorise la projection, d'autant plus si le spectateur a une bonne raison pour ne pas avoir envie qu'elle explose. Parce que s'il s'agit de la bombe qui va tuer Hitler...Pour créer de la tension, il faudrait réécrire :
"Elle fuyait la navette sur le point d'exploser."
Bref, je suis assez d'accord avec toi. Mais ma réflexion va au-delà d'une phrase, mais plutôt comment faire entrer le lecteur dans le texte et faire pour qu'il n'en ressorte pas sur la longueur. D'un paragraphe, d'une séquence entière ou d'un chapitre.
Je voulais lancer ce thème non pas par rapport au texte que j'ai proposé mais par rapport à un problème que je rencontre. Mon récit est composé de 3 dimensions:
1- L’intériorité: c'est celle qui fait qu'on est vraiment dans un journal intime. C'est la dimension intime qui donne accès aux pensées et aux émotions de la narratrice.
2- Le passé: elle raconte en effet son histoire. L'idée étant de boucler la boucle temporelle du début où on la voit séquestrer et torturer dans son château. Si on reprend ton idée de tension, on pourrait dire que le point de tension sous-jacent serait de savoir comment elle en est arrivé là en la voyant jeune enfant. Puis, ensuite, partir sur un schéma classique d'ascension qui débouchera sur cette chute brutale.
3- Le présent: ici, on est dans l'action au présent. La séquence que j'ai mise fait partie de cette dimension.
Où je veux en venir? Eh bien, c'est que ma narration passe de l'un à l'autre sans cesse. Ce qui fait une sorte de ballottement pour le lecteur. Donc l'immersion redevient essentiel à chaque fois que je change de dimension. Le lecteur n'a parfois pas envie de voir le récit partir dans une autre direction, parce qu'il veut la suite. Ou parce que ce qui commence n'est pas censé l’intéresser. Mais, avant tout, c'est aussi le principe qu'à force de passer de l'un à l'autre, il perd son rôle actif et est poussé indirectement à rester spectateur. Cela provoque, en effet, un effet de saturation. En gros, je crains à un moment donné que j'ai beau écrire n'importe quoi, le lecteur restera passif du fait même du dispositif narratif.
Donc, je dirais que la tension est l'un des moyens qui autorise l'immersion, mais que ce n'est pas le seul.
Je suis également d'accord abec toi. L'immersion fonctionne d'autant plus qu'il y a identification et les émotions sont l'un des autres moyens pour favoriser l'immersion. Je crains que mon personnage d'Alarielle ait un côté "too much" qui empêche cette identification. A la place, j'espère la rendre un peu fascinante soit par sa complexité soit par rapport à sa personnalité même et sa capacité à agir, et ce de manière crédible et logique (y compris lorsqu'elle n'agit pas logiquement )..San: Perso, je dirais que les bouquins dans lesquels je m'implique le plus, c'est ceux qui me font ressentir des choses. Que ce soit par la beauté du style, par l'histoire, ce qui arrive aux personnages, par des idées qui m'interpellent ou qui résonnent avec mon vécu ou mes interrogations du moment, une sonorité qui m'amuse, des recettes de plats chinois qui me font voyager... C'est un peu pareil que les choses qui forgent nos souvenirs : la mémoire est portée par l'émotion, et ce qui nous marque c'est ce qui nous émeut. Personnellement, un mélange d'émotions fonctionne mieux encore qu'une seule.
Excellente question. Je suis d'accord avec tes réponses, mais je dirais qu'on va faire l'hypothèse (prétentieuse) d'un texte sans faute etc. Je dirais aussi l'absence d'affinités avec les personnages. Et aussi la saturation. Et c'est parfois peut-être cet écueil contree lequel je me heurte (et que j'évoquais plus haut).On peut aussi poser la question à l'envers : qu'est-ce qui fait qu'un lecteur ne s'implique pas et au bout d'un moment décroche?
En fait, je pense que c'est la somme de vos deux approches qui va faire fonctionner l'immersion. Reste à savoir comment on procède:
1- Pour maintenir la tension sur le long cours.
2- Pour faire naître une émotion/un souvenir qui autorise l'identification du lecteur (et ce, quel qu'il soit, alors que tous sont différents).
Mon problème vient aussi du fait que, tantôt, je suis dans un registre analytique et réflexif, tantôt je joue avec justement cette notion de souvenir et les émotions et tantôt je bascule dans "l'action" (et parfois laborieusement comme dans l'extrait que je vous ai donné), alors même que je dois la raconter avec les contraintes du journal intime qui empêche beaucoup des procédés classique de la narration d'une scène d'action. On sait qu'elle ne meurt pas, on aura une approche uniquement subjective et on n'est pas censé décrire beaucoup parce qu'elle n'en a pas besoin pour se le raconter, puisqu'elle y était... Bref, en plus de ces 3 dimensions, je ballotte aussi le lecteur sur les registres de la narration.
C'est donc dans ce contexte de "ballottement" que je me pose la question de l'immersion. Ou, comme le dit San, sur le comment faire pour ne pas laisser le lecteur devenir un simple spectateur "passif". Comme le dit Vuldone au début, on a besoin d'un lecteur "actif" pour qu'un texte fonctionne. Et ne pas générer une forme de lassitude.
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- Vuld Edone
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Certes, il y a l'opacité du texte, mais si on y regarde, en supposant que tu as bien décroché au moment où ses yeux furètent de gauche à droite, il y a une raison plus simple. Jusqu'alors les questions que tu peux te poser seraient "que fuit-elle" ou "quelle est sa destination". Mais si tu regardes maintenant le paragraphe précédent et celui où tu décroches... ils n'ont rien à voir avec ces questions. En fait, ils ne semblent servir à rien.
Je vais emprunter quelques notions d'interaction.
Lors d'une conversation, la personne qui parle, à l'aide de ce qu'elle dit, dit également à ceux qui écoutent ce qu'elle a l'intention de dire après. C'est la "projection". Par exemple : "je t'ai dit pour hier soir ?" C'est une question, certes, mais cela projette aussi la volonté de raconter une anecdote. Le contenu actuel de la conversation projette le contenu à venir, et c'est ce qui permet aux autres participants d'enchaîner en un dixième de seconde.
Un texte est une conversation ("asynchrone", décalée dans le temps) avec le lecteur. Le narrateur, en racontant, l'histoire, projette également ce qui va suivre. "Il sortit son arme" ne projette pas (toutes choses égales par ailleurs) une blague ou une romance.
Une fois encore, si la projection est trop évidente (l'histoire est générique, on sait par avance tout ce qui va se passer), c'est un échec. Si la projection est trop ardue (on nous répète que la forêt est pas jolie pour la énième fois), c'est un échec. Cette projection se fait néanmoins en terme de tension, pas directement en termes d'événements : telle partie devrait répondre à telle question, telle partie à telle autre. Ensuite seulement on définira la manière (donc l'événement) par laquelle la question est répondue.
Autrement dit, le lecteur a besoin de se faire une idée du moment où il peut espérer des réponses.
Donc arriver à des chapitres qui ne servent à rien, si la projection était à très court terme -- comme dans mon cas -- est un échec assuré.
Passons maintenant au cas du journal.
Donc d'Alarielle.
Personnellement, je vois bien trois dimensions, mais je ne vois aussi qu'une linéarité. Imagine un texte où deux dimensions parallèles s'influenceraient, et on n'arrêterait pas de passer de l'une à l'autre, à mesure que les personnages se sabotent ou s'entraident sans jamais se voir, et où de temps en temps le narrateur s'immisce pour donner son opinion savante. Au-delà du contenu, la structure est la même que pour ton texte. Il importe peu que les événements soient passés ou présents : ils ne sont qu'une succession d'informations qui se répondent.
Imagine un texte où des événements qui se sont produits voilà vingt ans se reproduisent à nouveau, et le même personnage essaie de changer le cours des choses. Désormais, la clé de lecture est de voir à quel point les passages se ressemblent ou s'écartent.
Imagine maintenant un texte où un criminel enfermé se remémore son passé en même temps qu'il subit son jugement. La séquence passée qu'il se remémore impacte son jugement, et les questions au jugement impactent ce dont il va se remémorer ensuite, formant une mécanique de regret, d'obstination ou de revendication.
Imagine un texte où une capitaine furie ayant désobéi aux ordres écrit un journal. Quel est l'impact du passé sur l'assassinat ? Quel est l'impact de l'assassinat sur le passé ? Quel est l'impact de ses sentiments ? Tu as bien trois dimensions mais tu n'as qu'une histoire, et cette histoire dépasse la somme des événements. Son passé peut justifier ses actes présents, et ses actes présents nécessiter le soutien de son passé -- lui rappeler ses raisons d'agir, par exemple. Tant que ces parties se répondent, même si le lecteur peut avoir l'impression de lire mille scènes différentes, il n'aura en vérité qu'un seul récit continu. Une unité.
Je reste abstrait mais c'est aussi mon point sous-jacent : il faut, pour répondre à la question, s'abstraire des personnages, des émotions, des événements et même du style.
Il y a, derrière, un jeu d'attentes et de projections qui fait toute l'activité du lecteur. Des mécaniques fondamentales en interaction.
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- Zarathoustra
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En fait, pour tout te dire, je ne suis aps parvenu à rentrer dans ton texte. Comme je te l'ai dit, j'était fatigué. Donc, non, je ne m'intéressais pas à savoir ce que la bête fuyait et où elle allait. C'est dit au départ: nulle part. Et cette forêt hostile opaque, avec ce style complexe, riche, dense, recréait l'effet de cette forêt. Et moi, je faisais comme la bête dans le texte, je devais plonger dedans.Jusqu'alors les questions que tu peux te poser seraient "que fuit-elle" ou "quelle est sa destination". Mais si tu regardes maintenant le paragraphe précédent et celui où tu décroches... ils n'ont rien à voir avec ces questions. En fait, ils ne semblent servir à rien.
J'ai décroché parce que j'ai eu aussi l'impression que c'était redondant, qu'on n'avait pas fait de présentation et que je devais me débrouiller tout seul (comme a bête) pour m'en sortir. Et qu'au bout de trois paragraphes j'étais trop fatigué pour aller plus loin et qu'il fallait me coucher. J'avoue aussi que s'il s'agissait d'un jeu, je me suis dit que le texte était trop long pour que je m’amuse avec ce p'tit jeu... Bon, a priori, j'ai fait fausse route, j'y retournerait tête reposée.
OK. Mais c'est plus que ça, c'est un dialogue. Donc forcément cela dynamise et implique une interaction plus forte, parce qu'on se met à la place de l'interlocuteur. Donc, non, ce n'est pas un bon exemple. Mais je suis d'accord avec ce besoin de notion de projection du lecteur dans ce qui doit suivre. Tu noteras que mon texte essaie également à plusieurs reprises de le faire. Je dis pas que c'est bien fait. Pour tout te dire, pour le problème de mon texte est qu'il est trop neutre.C'est la "projection". Par exemple : "je t'ai dit pour hier soir ?" C'est une question, certes, mais cela projette aussi la volonté de raconter une anecdote. Le contenu actuel de la conversation projette le contenu à venir, et c'est ce qui permet aux autres participants d'enchaîner en un dixième de seconde.
Je suis d'accord avec toi. Maintenant imagine que tu ne racontes pas tout ce que tu viens de me donner en exemple, mais bien cette courte histoire. Une tente. Deux personnages. Un assassin qui surgit. Les deux ne font pas le poids et elles le savent. Sauf qu'on sait que la narratrice ne meurt pas puisqu'elle le raconte. ET je ne veux pas d'un truc interminable ridicule.Il y a, derrière, un jeu d'attentes et de projections qui fait toute l'activité du lecteur. Des mécaniques fondamentales en interaction.
C'set peut-être là où je me trompe, mais, pour moi, le seul enjeu que je vois pour raconter ça, c'est: comment est-elle arrivée à survivre?
Dans le texte proposé, il n'y a qu'une dimension, celle du présent et d'une tentative de le raconter. Je parlais de la structure générale du récit. La tension d'une bonne partie de l'histoire est que le lecteur projette sur Alarielle sa vision en se trompant. Sauf effectivement qu'il peut ne pas la voir, ou se refuser de voir ce qui cloche dans ses projections. Mais, passons, c'est un hors-sujet.Personnellement, je vois bien trois dimensions, mais je ne vois aussi qu'une linéarité.
Oui, abstrait un peu... mais intéressant quand même. Je suis d'accord qu'il ne faut pas s'intéresser aux personnages, émotions, style (quoi que, tes premiers exemples prouvent le contraire) etc mais bien d'une mécanique mystérieuse et du pouvoir des mots eux-mêmes.Je reste abstrait mais c'est aussi mon point sous-jacent : il faut, pour répondre à la question, s'abstraire des personnages, des émotions, des événements et même du style.
Pour finir sur mon texte,j'ai surtout besoin de secouer le texte pour que cette courte scène d'action soit plus vibrante. Je me moque que cette soit un lieu commun ou pas (pour tout te dire, je suis un très mauvais lecteur de ce type de scène et de récit, donc là où tu vois une scène lue 100 fois, moi, je lis une scène que je n'ai jamais lue ). J'aimerais exploiter son potentiel à 100% et non avec le service minimum. Et c'est là où je suis pas bon, je n'y arrive pas. Sans doute faudrait-il un élément de surprise, mais j'aimerai justement m'en passer pour voir si, avec une matière aussi pauvre sur le plan de l'intrigue, il est possible de lui donner un vrai éclat. Donc, oui, me moquer des émotions, des personnages, mais m'intéresser uniquement à la mécanique des phrases et au pouvoir des mots.
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- Vuld Edone
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Et je dis ça parce que j'ai repéré des signaux d'unités dialogiques (pour simplifier) dans des monologues. Notamment des conférences.
Si tu préfères l'analogie, alors, compare un texte à un conférencier. Ce dernier a la même tâche : engager son auditoire. S'assurer que ce dernier va écouter jusqu'au bout. Le professeur n'a pas une mission différente pour retenir l'attention de la classe. Clairement une seule personne parle -- en oubliant les questions, etc -- mais les moyens utilisés pour dialoguer sont toujours bien là (pauses, marqueurs, etc).
Bref.
J'avais eu l'idée d'un texte où le lecteur lirait essentiellement de la propagande, et la croirait. Le texte ne lui dirait jamais que c'est de la propagande, mais il y aurait une foule de "dissonances" qui permettraient de questionner ce qui y est raconté, et les personnages eux-mêmes y cherchent des justifications. Tout cela pour dire qu'il y a plusieurs moyens de dire au lecteur de s'intéresser à sa perception d'Alarielle.
Comme dit, ma méthode était la dissonance. Une narration qui encourage le lecteur dans son erreur, et des indices qui eux au contraire devraient le faire "tilter". Ces indices sont les moments de tension dans le texte, jusqu'à ce que le lecteur comprenne et que le texte change complètement -- en devenant les conséquences de la propagande sur les personnages et les événements.
Tu peux essentiellement adapter cela à Alarielle.
Chaque événement n'est plus qu'une excuse pour d'une part mettre en scène la vision faussée que tu attends du lecteur, d'autre part placer des indices qui devraient le faire trébucher ou douter.
Bien sûr, il faut que le doute ait une pertinence. Si on lui cache qu'elle aime les glaces, et qu'il se met à douter qu'elle aime les glaces, tout le monde s'en fiche. Il faut que le changement de vision ait un impact sur les événements, les personnages, etc. Ce peut être aussi simple que de comprendre pourquoi elle a désobéi à Mùrd. Ou alors, pour imager, on peut prendre le récit d'un pirate qui aurait caché son trésor : si on ne se met pas dans sa tête, à travers son journal, on ne pourra pas savoir où il l'a caché. Simple tâche mais qui implique d'avoir la bonne vision.
Bref.
Tu sembles plus intéressé par le popcorn, par le spectacle, que par la tension. Auquel cas la discussion est plus stylistique, pour rajouter des ornements et des explosions. On va parler descriptions, dynamisme, tout ça... et bon, c'est un exercice de style, donc c'est plus pour la taverne en fait.
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- Zarathoustra
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Oui. Les popcorns! En fait, il y a confusion. Dans le texte que j'ai proposé, ce n'est pas forcément l'immersion que je recherche, c'est effectivement le dynamisme. C'est pourquoi je l'ai appelé "séquence action". Et là, il faudrait mieux développer sur le bon topic.Tu sembles plus intéressé par le popcorn, par le spectacle, que par la tension. Auquel cas la discussion est plus stylistique, pour rajouter des ornements et des explosions. On va parler descriptions, dynamisme, tout ça... et bon, c'est un exercice de style, donc c'est plus pour la taverne en fait.
Je voulais donc parler de l'immersion du lecteur de manière plus globale en pensant à mon roman dans son ensemble.
Ce que tu dis est donc pertinent par rapport au reste. Vraiment. Mais j'ai du mal à "voir" le comment faire. Et cela nécessite un effort quasi constant. D'autre part, je ne pense pas que le lecteur soit capable d'être toujours immergé à 100%. Je pense qu'il a besoin de pause, justement pour mieux le capter ensuite. Tout comme un conférencier.
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- San
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Sinon je suis d'accord avec toi, l'affinité avec les personnages joue. Ça rejoint ma remarque sur "si je comprends rien je décroche" : si les personnages font des trucs insensés ou que je ne comprends pas, que je n'arrive pas à me projeter au moins un peu, je vais décrocher.
Sinon tu parlais de "faire naître une émotion/un souvenir qui autorise l'identification du lecteur (et ce, quel qu'il soit, alors que tous sont différents)."
Je pense qu'on ne peut pas plaire à tout le monde, et que pour un texte même excellent, ce n'est pas possible de retenir l'attention de tous les lecteurs, et ce n'est vraiment pas le but. Personnellement en tout cas, je ne chercherai jamais à plaire à tout le monde. Je chercher d'abord à me plaire à moi même, et que ça parle à quelques personnes, et je suis contente. Faire de la littérature de gare qui peut plaire au plus grand nombre, très peu pour moi, et même ceux-là ils ne plaisent pas à tout le monde. Quant aux plus grands best sellers, pour n'importe lequel je pourrai toujours te montrer une personne de mon entourage qui le déteste, n'a pas accroché ou est complètement indifférent à ce sujet. C'est très personnel tout ça...
Tout ça pour dire que je ne pense pas qu'il existe des procédés pour faire naître des émotions ou des souvenirs chez tout lecteur quel qu'il soit. Ça parlera forcément plus à certains qu'à d'autres, on n'a pas tous le même vécu, les mêmes affinités pour divers sujets... Et je ne pense pas que le but soit de faire un texte pot-pourri avec un peu de tout pour que ça puisse parler à tout le monde, vraiment pas, ce serait plutôt une manière de complètement perdre tout le monde en se dispersant autant.
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