Prascovie
- Monthy3
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Pour une fois, j'avais envie de vous proposer un poème un prose (et de participer dans cette section, tiens, qui renaît ces derniers temps). Vous n'aurez aucun mal à en deviner le thème.
S'agissant du nom (car c'en est un) Prascovie, il s'agit d'un des personnages d'un roman de Dostoïevski intitulé Le Joueur et qu'apparemment, il est possible de franciser en "Pauline". Vous avez toutes les clefs (ce n'est pas non plus comme s'il y en avait 50).
Prascovie
Oh, Prascovie ! Lorsque je compte tes côtes une à une pendant que se soulève ton corps étroit, j’imagine un assemblage d’osselets avec lesquels je voudrais jouer, bien plus qu’avec cette chair alanguie. Mes doigts timides les caressent, tes os frémissent et se rétractent – mais toi, Prascovie, tu souris.
Ton souffle est la vie et ma vie ne tient qu’à ce souffle. Il circule le long de ces côtes qui saillent, s’abat sur les cartes que je tiens en tremblant. Est-ce celle-ci, la couleur que tu avais choisie ? Dis-moi, ô figure chérie, si cette dame est ton âme. Tes yeux mi-clos jettent un voile et le trèfle s’efface, la bénédiction de ses quatre feuilles s’enfuit. Clos-les complètement, Prascovie, au risque de tout perdre !
Ton bras se lève puis s’abaisse, ta paume s’ouvre sur une offrande invisible. Que ton visage est paisible, que ta peau est lisse ! Lis-en moi, Prascovie, si tu le peux – tu ne le peux. Voici la réponse, cette pièce que je glisse dans ta main si amène. Lançons-la ensemble, si tu le souhaites ; et peut-être que les dieux masqués aux rires cruels, là-haut, se montreront cordiaux. Que chaque face s’envole et ne retombe jamais, ou nous nous égarerons dans le labyrinthe, tranchés en deux parts attribuées. Jamais !
Ne nous lions pas, Prascovie. Ne nous emmêlons pas comme tes cheveux secs qui se reposent, enchevêtrés d’étranges et brillantes brindilles – que font-elles ici ? Parions sur leur présence, veux-tu ? Ou plutôt, piochons, piochons aveuglément dans la noirceur un de ces brins dorés. Mais entends-moi, écoute-moi : ne les comparons pas. Je te taquinerai avec, je t’en chatouillerai, mais ne me montre pas le tien, ce chemin déjà battu mille et mille fois. Car si tu le fais, je ne pourrai plus me retourner.
Ô Prascovie, ô heureuse assoupie, il existe tant et tant de façons de jouer notre vie. Que caches-tu dans tes mèches et ailleurs ? Que te dissimulé-je lorsque je t’enlace, mes poings fermés dans ton dos dur ? Nous l’ignorons tous deux et cela est parfait. Que le futur demeure instable et le présent intense, sinon autant mourir. Si tu parles, si tu révèles, si tu dévoiles, Prascovie, tu me tues.
Serais-tu sceptique ? Soit.
Misons.
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- Vuld Edone
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Première chose qui me dérange, même si c'est de la poésie, c'est peut-être trop lyrique. La fin est abrupte, plutôt terre-à-terre, alors que tout le reste part dans les nuages. Un décalage dérangeant.
L'autre chose qui me dérange est qu'on a du mal, au départ et jusqu'à la fin, à cerner le sujet. Les images sont des référants aux référés absents. Je dis ça, je n'ai pas arrêté de le faire ces dernières années mais c'est aussi pour beaucoup ce qu'on m'a reproché.
Aussi, le "je" était-il nécessaire ? La poésie pourrait s'en passer. Jusqu'où se justifiait-il ?
J'ai eu, comme je l'ai dit, du mal à cerner le sujet. Au mot "assemblage", j'imaginais reconstruire un dé de Prascovie - ce qui s'avère évidemment faux. En fait, il semble que tu te contentes de décrire la partie en y plaquant un point de vue du "je" plein d'attentes et de ce lyrisme qui me dérange.
Il manque la valeur ajoutée, ou c'est moi.
Mais essayons d'être plus formel.
m'a posé problème parce qu'il mettait l'accent sur "étroit" et qu'à ce stade du texte le mot ne faisait pas de sens. Il rimait en plus, plus loin, avec "doigts" et j'ai du mal à y trouver un rapport.ton corps étroit,
En fait, dès le mot "étroit", j'ai passé plus de temps à en chercher la signification qu'à lire la suite, si bien que le premier paragraphe a ressemblé pour moi à un embouteillage.
Je ne crois pas que "ton étroit corps" améliore quoi que ce soit, la prosodie doit y perdre. Il faudrait essayer soit un autre adjectif, soit de le supprimer.
Le verbe "s'abat" a en fait été lu, chez moi, "s'abattent". L'habitude peut-être de l'amplification qui fait qu'à une virgule je reste sur la relative dénominant l'objet. Il faudrait voir ensuite le sémantisme des verbes mais en somme, le sujet de "s'abat" malgré l'accord n'est pas évident.Il circule le long de ces côtes qui saillent, s’abat sur les cartes que je tiens en tremblant.
Il va de soit que le début "instable/intense" est très bon - et résume peut-être ton intention dans ce texte - mais la fin me semble ajoutée et de trop. Ca correspond au "jouer nos vies" mais était-ce la peine d'ajouter cette jambe de bois à une phrase déjà bien-portante ?Que le futur demeure instable et le présent intense, sinon autant mourir.
Je ne dis que ce qui m'a paru à la première lecture - et une brève relecture. Il y a peut-être tout le jeu poétique à côté duquel je suis passé.
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- dude
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Néanmoins, cela ne m'a pas empêché d'en apprécier le style et le lyrisme qui en font la force. Les phrases sont belles, et leur enchaînement très fluide. La lecture en est d'autant plus agréable.
Sur le fond, on trouve les thèmes de vie et de mort, d'amour aussi, du tragique du destin... j'aime l'atmosphère qui se dégage de ce texte et la "voix" du narrateur y est pour beaucoup.
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- Monthy3
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@ Feurnard
C'était volontaire. Pendant tout le poème, le narrateur loue le fait de laisser son avenir entre les mains du jeu, du hasard, comme si c'était justement le summum de l'intensité dans la vie.Première chose qui me dérange, même si c'est de la poésie, c'est peut-être trop lyrique. La fin est abrupte, plutôt terre-à-terre, alors que tout le reste part dans les nuages. Un décalage dérangeant.
Or, à la fin, on se rend compte que ce n'est en réalité qu'une considération vulgaire ou triviale, et plus représentative d'un vice ou d'une addiction que d'un véritable choix de vie.
Du coup, ces mots devraient également t'éclairer sur ce point :
Le sujet ? Le jeu. Ainsi, de paragraphe en paragraphe, tu pourras voir un jeu d'osselets, un jeu de cartes, un "pile ou face", une tirage à la courte-paille... Tous ces éléments se rejoignent pour démontrer que la vie n'a d'intérêt que dans l'imprévu et l'imprévisible, que dans la fébrilité précédant le résultat aléatoire d'un jeu - seule façon de passer outre la routine du quotidien.L'autre chose qui me dérange est qu'on a du mal, au départ et jusqu'à la fin, à cerner le sujet.
Cette "philosophie" (ou ce vice, donc) s'applique également à la relation amoureuse, et là c'est la notion de "lien" qui est prépondérante. A partir du moment où l'avenir commun est connu ou du moins prévisible, le sentiment perd son intensité pour devenir fade, dénué d'intérêt. D'où la volonté de ne pas se lier, de ne pas se fixer à telle ou telle option choisie, mais de voguer ensemble de pièce en carte pour voir où les aléas mèneront le couple.
Peut-être ne se justifiait-il pas, c'est simplement une habitude. J'écris en fonction de ce que je ressens moi et j'ai naturellement l'habitude de le faire à la première personne. Cela dit, je ne suis pas persuadé que son absence apporterait quoi que ce soit.Aussi, le "je" était-il nécessaire ? La poésie pourrait s'en passer. Jusqu'où se justifiait-il ?
Le corps étroit renvoie aux côtes, simplement, et l'adjectif dénote une certaine fragilité de Prascovie - rappelée avec les os qui "frémissent" et se "rétractent". Cette fragilité renvoie à son tour à conception très instable consistant à voir dans un jeu de hasard, sur lequel on n'a aucune prise, la solution parfaite à l'ennui éventuel de la vie.Je ne crois pas que "ton étroit corps" améliore quoi que ce soit, la prosodie doit y perdre. Il faudrait essayer soit un autre adjectif, soit de le supprimer.
J'aimais bien la brutalité de ce "sinon autant mourir", qui tranche avec le désir exprimé juste avant. Et non seulement cela rappelle le "jouer nos vies", mais cela appelle également le "tu me tues" et rend l'ultime "Misons" bien plus définitif. Je trouve.Ca correspond au "jouer nos vies" mais était-ce la peine d'ajouter cette jambe de bois à une phrase déjà bien-portante ?
@ dude (et son changement d'avatar, so shocking !)
En fait, les "clefs" n'en sont pas vraiment. Je voulais simplement citer la genèse ou source d'inspiration du poème. Tu as bien relevé toi-même tous les thèmes (notamment celui majeur du jeu, directement lié à ceux du destin et du hasard) qui l'imprègnent - thèmes qui me sont chers ces temps-ci (et que je mets en pratique ).
Content en tout cas que le poème t'ait plu !
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