Godoard
- Vuld Edone
- Auteur du sujet
- Hors Ligne
Réduire
Plus d'informations
- Messages : 2178
il y a 12 ans 1 mois #18323
par Vuld Edone
Godoard a été créé par Vuld Edone
Hi'.
Aujourd'hui j'aimerais discuter des échecs, des textes ratés.
Je vais donc vous livrer "Godoard" dans le premier message, puis parler dans le second de ce qui fait de ce texte un texte véritablement raté, en donnant pas mal de contexte.
On se retrouve tout de suite.
****
****
Morringes avait porté autrefois le nom de la guerre, et comme ce nom celui de la cité s'était affaissé sur lui-même.
Voilà tout ce qu'il restait, sur des jours et des jours de marche les ruelles longeaient la courbe des maisons et la courbe des parcs jusqu'aux grandes places où les fêtes succédaient aux foires qui succédaient aux marchés. Les toits de verre et les toits de pierre scintillaient aux aurores contre des nuées de drapeaux et de drapées couleurs de flammes, ces banderoles. Plus effrayant, il y avait le lierre, plus effrayant il y avait la roche des courtines séparant la cité une fois, deux fois, et la courtine externe s'élevant au-dessus des toits laissait quelques fermes et quelques manoirs s'égailler loin des portes. Plus effrayant, il n'y avait ni tour ni chemin de ronde, ni château ni forteresse mais des portes ouvertes même la nuit.
Avant même d'atteindre la seconde courtine, à deux jours des portes les habitants ne connaissaient déjà plus que l'ordinaire de ces maisons en cercles, leurs allées, leurs ailes, leurs jardins et le temps paisible qui s'y écoulait. Dès les premières couleurs les fenêtres s'ouvraient, on pendait des fleurs dont les senteurs à l'air frais étaient difficiles à saisir, et que le soleil exacerberait. On regardait passer par les rues pavées ces tonneaux et ces jarres harnachées à dos de bête, au pas tranquille des serviteurs. En levant la tête, depuis les demeures en butte surplombant leurs voisins la dernière courtine était visible, un fin trait noir qui servait d'horizon après des foules de toits pris dans la verdure et les ombres du matin.
Il laissa la fenêtre pour récupérer le second sceau et, sur la pointe des pieds, s'éloigna des portes de l'étage. La maisonnée dormait, tranquille à cette heure, les seules rumeurs venaient des cuisines et des caves. Sur l'escalier son visage se réverbérait, si propre, et il tournait avec et sa tête tournait. Deux serviteurs le croisèrent, sans un mot, passèrent la porte pour y disparaître. Elles l'avaient à peine remarqué, il les oubliait déjà, continuait jusqu'à la porte de la cour arrière où se trouvait le puits.
Ici, l'histoire commence.
Dans la cour coupée de l'extérieur par d'épais buissons où les sentiers de galets sinuaient le silence pouvait peser de tout son poids. Il pouvait sentir au plus bas de sa jambe l'humidité de l'herbe laisser une marque fantôme, comme de petits coups de lame. Le premier sceau déposé contre la porte, avec le second il s'approcha du puits, l'attacha à la corde et laissa la corde filer jusqu'au second nœud. Il tira un peu, sentit la résistance et commença de ramener.
"Qu'est-ce que tu fais ?"
La voix était jeune, et comme espiègle, lui parut familière. Pourtant, c'était la première fois. Pourtant, il n'y avait personne. Alors, quand le sceau fut à sa hauteur, le tirant sur le rebord pour l'assurer, il regarda autour de lui.
Sur l'un des sentiers continuant la courbe des feuillages le renard le regardait faire, un petit renard comme les forêts en avaient, avec cette curiosité animale qui n'attendait qu'un bond pour fuir. Le renard ne semblait pas le craindre, mais le fixait, et dans les pâles couleurs du matin il aurait semblé une ombre. La voix venait de lui songeait-il encore tandis qu'il tirait le sceau plein d'eau pour le ramener à la porte. Comme il marchait le renard se détacha des buissons pour se rapprocher, par petits sauts, se tapit à quelques pas de son chemin, à l'affut.
"Tu puises de l'eau ? Ca a l'air ennuyeux. Tu ne veux pas plutôt jouer ?"
"Je travaille." Lui répondit le serviteur.
"Mais tu travailles tout le temps !" Se plaignit le renard, toujours tapi. "Allez, faisons quelque chose !"
Ses pieds passèrent si près du renard qu'il craignit que ce dernier ne bondisse et le morde. Rien n'arriva. Il passa devant, se mit à s'en éloigner toujours en direction de la porte et l'animal, derrière lui, relevant la tête après son passage, se mit à le suivre à petites foulées.
"Tu n'as pas envie de tuer ?"
Il s'arrêta. Parce qu'il était arrivé devant la porte, parce que le second sceau l'attendait et il sentait, à ses bras, le poids de l'eau le tirer. Parce que le renard, derrière lui, à deux pas, fixait son dos, parce qu'il pouvait sentir ce regard de bête, ce regard comme vide dans lequel il pouvait tout imaginer. Parce que, peut-être, l'idée venait de le traverser, qu'il avait envie de tuer. Il se rendit compte qu'il pensait à tuer. Il se rendit compte qu'on venait de lui suggérer de tuer. La maison était devant lui, la porte ouverte, les résidents. Il secoua la tête, fortement, et à ce geste avant même que le sceau ne retombe lourdement dans l'herbe le renard avait bondi en arrière, comme effrayé.
Mais il ne fuit pas, et lui pareillement saisissant l'anse du second sceau le souleva puis se força à se tourner. Le renard alors fit plusieurs bonds pour aller se glisser derrière le puits et s'y tapir, la tête entre les herbes, oreilles tendues. Il semblait croire qu'on ne pouvait plus le voir.
"Je sais que tu as envie de tuer."
"Non."
"Allez ! Juste pour moi ! Dis oui…"
"Non."
"Tu sais, ce serait amusant de tuer."
Pour atteindre le puits, il lui fallait se rapprocher du renard. Pour atteindre le puits il lui fallait se rapprocher du renard. Il lui fallait se rapprocher du renard. Ensuite, rien qu'avec un ouvre-lettres il pourrait… en fait, rien qu'à mains nues il pourrait…
C'était absurde ! lui hurla une voix en lui, la sienne. Non, ce n'était pas lui, ces pensées, ce n'était pas lui, il se força à avancer. Le sceau battait contre ses jambes, à chaque pas, il sentait le bois frapper comme la réalité. Sa respiration, à présent, était irrégulière. Mais il ne voulait pas, bien sûr qu'il ne voulait pas, bien sûr qu'il ne voulait pas. Le renard lui répétait, là, dans sa tête, quelque part, que ce serait amusant. Cette envie… il se rapprochait et le renard toujours tapi le regardait faire, le regardait lutter tout seul contre rien.
Quand il fut soudain à quelques pas du puits le renard bondit de sa cachette, un petit bond vers lui puis un autre d'écart et il fila se blottir dans les herbes, plus loin, près d'un sentier de galets. Alors le serviteur se rendit compte à quel point la cour arrière était silencieuse. Il était seul avec le renard, tout à fait seul. Il prit la corde.
"Tu n'as pas envie de les tuer ?"
"Non" répéta-t-il, un peu plus fort.
"Si, si, tuons-les ! J'aimerais bien voir la ville brûler, pas toi ?"
Il ne répondit rien.
Il avait essayé d'attacher la corde au sceau, mécanique, mais le nœud avait manqué. Alors, se reprenant, il se remettait à tirer la corde d'un côté, de l'autre, pour la voir s'agiter sous ses yeux. La voir s'agiter, d'un côté, de l'autre, et ses propres nerfs se tendre. L'excitation. Ce n'étaient pas ses pensées, il en était persuadé, il ne pouvait pas vouloir toutes ces choses. Son cœur, son cœur battant, les images qu'il avait en tête… Le sceau une fois attaché alla s'abattre dans le puits, jusqu'à toucher l'eau, au premier nœud, au second, à grands bruits. Il regarda le renard, l'œil méchant, l'envie de le chasser.
Le renard le fixa en retour, leurs deux regards dans la pâleur matinale, sans réponse. Tant qu'il fixait cette bête, il n'y avait plus aucune voix, plus aucune suggestion. Il n'y avait qu'un animal sauvage qui le regardait faire. Si on le voyait agir ainsi, il eut peur soudain, leva les yeux vers les fenêtres ouvertes. Au bout de l'aile celle de sa chambre demeurait muette. Elle dormait, il soupira, elle dormait.
"Tu es amusant" lança le renard. "C'est pour elle que tu ne veux pas tuer ?"
Il ne répondit rien. Se mit à tirer la corde pour ramener le sceau.
"C'est pour elle que tu tires de l'eau ?"
Il ne répondit rien. Continua de tirer.
"Pourquoi tu tires l'eau du puits ?"
Il ne répondit rien. Ne faisait plus rien, les mains crispées.
Comment ce renard aurait-il pu savoir que ce n'était pas à lui de tirer l'eau du puits, que l'eau du puits ne se tirait pas à cette heure, qu'il faisait cela en plus de ses tâches, en-dehors de ses tâches, à la place d'un autre. Il était tendu, il attendait le mot de plus qui lui ferait savoir, jusqu'où allait l'insinuation. Jusqu'où cet animal savait. Lui-même continuait de nier. Il tirait l'eau du puits, à la place d'un autre, parce que cet autre serviteur s'était enfui. Bien sûr, les serviteurs ne s'enfuyaient pas de Morringes. Les serviteurs étaient heureux à Morringes, heureux de servir. Celui-ci s'était enfui. Il ne cherchait pas pourquoi, il le remplaçait. Il fallait bien que quelqu'un le remplace.
Le renard ne disait toujours rien. Il le fixait, depuis les herbes, il le fixait intensément. Comme les animaux peuvent le faire, infatigables, ce regard qui n'exprimait rien. À quel moment… il était en train d'imaginer, déjà, la cité entièrement dévorée par les flammes. Bien sûr que non, il n'allait pas, pour elle, pour lui, parce qu'il était un serviteur.
"Il y a quoi dans l'eau ?"
Ses bras se remirent à travailler la corde, ramener le sceau. Il s'en saisit, il sentit le poids de l'eau alors qu'il le soulevait du rebord. C'était de l'eau. Ce n'était que de l'eau. Ce renard ne savait rien.
"Elle va en boire aussi, pas vrai ?"
Il laissa le sceau retomber contre ses jambes, immobile.
"Tu vas la tuer, tu sais ? Elle va mourir. Et toute la maisonnée. Et toute la ville. Tu verras, on va bien s'amuser !"
"Qu'est-ce que tu racontes ?" S'entendit-il répondre, et sa réponse venait saccadée, trop calme. "Les hommes ne boivent pas d'eau, mais du lait, du jus ou des liqueurs."
"Moi, je ne suis pas contre que tu les tues."
"Je te dis qu'ils ne boiront pas de cette eau." Il avait du mal à rester calme. "C'est fait pour laver les sols, pour laver les vitres, pour la vaisselle." Pour la vaisselle. "Pour les bains." Pour les bains. "Pour glacer les mets, pour rafraîchir les boissons."
"Tu peux les tuer, tu sais."
"Tais-toi !"
Et là où il avait fixé le renard il n'y avait plus rien, plus rien que l'herbe, le sentier de galets, les buissons. Il était seul dans la cour arrière, dans le silence, à se parler à lui-même. Il fixa la fenêtre une nouvelle fois, cette fenêtre où elle dormait, elle dormait toujours. Alors il avait tout imaginé, un élan de fièvre, cette idée, cette idée folle, ces idées folles jusqu'à la ville qui brûlait. On avait essayé de le tromper. Ou bien, il avait rêvé tout cela. Le sceau lui tirait les bras, il se mit à marcher vers la porte. Il allait déposer ce sceau à côté du premier, puis il rentrerait. Il ne monterait pas à l'étage, il n'ouvrirait aucune porte. Il ne s'approcherait pas des lits. Il ne…
Il ne pourrait pas. Il y avait les serviteurs et les serviteurs l'arrêteraient. Il aurait fallu que tous les serviteurs se liguent pour que cela soit possible. Ce ne l'était pas. Son cœur continuait de battre, violemment, l'obligea à s'arrêter, encore une fois. À regarder, autour de lui, en quête du renard. Il voyait le puits, son regard passa dessus comme s'il n'y avait pas de puits, comme s'il en avait nié l'existence. Comme s'il s'efforçait de ne plus voir le puits, maintenant qu'il en avait tiré l'eau. Comme s'il n'avait pas tiré cette même eau depuis plusieurs jours, et vu celle-ci utilisée partout.
Peut-être qu'après tout il avait envie…
Le renard était là, les deux pattes avant sur le rebord du puits, à regarder ce qu'il pouvait y avoir au fond. Puis le renard releva la tête pour le regarder lui. Toujours ce regard inexpressif, d'animal, ce petit animal. Ces deux yeux minuscules d'animal où se gravait le fond du puits, comme lui-même avait pu le voir par deux fois. Où volaient les mouches.
"Je crois qu'il te supplie encore."
Dans le fond une carcasse d'ombres.
"Il regardait la fenêtre, lui aussi ?"
Il avait compris.
"J'aurais préféré que tu tues pour t'amuser. Mais ça me va !"
Et le renard se détacha du puits pour venir à lui, rapidement, se faufilant dans les herbes jusqu'à se glisser entre ses jambes, glisser contre elles puis jusqu'au pas de la porte, contre la pièce de pierre, attendre qu'il dépose le second sceau.
"Je ne tuerai personne."
"Tu as tort, tu sais, c'est si fragile une gorge humaine !"
Voilà où l'histoire finit. Morringes avait porté autrefois le nom de la guerre, et comme ce nom celui de la cité s'était affaissé sur lui-même. Son histoire était toute entière dans le nombre de ses murailles, et dans la nature de celles-ci, sans tour ni chemin de ronde, sans château ni forteresse mais des portes ouvertes, même la nuit. Une cité envahie par les forêts, une cité de bêtes, une cité vaincue. Mais ce n'est pas encore l'histoire de Godoard.
Aujourd'hui j'aimerais discuter des échecs, des textes ratés.
Je vais donc vous livrer "Godoard" dans le premier message, puis parler dans le second de ce qui fait de ce texte un texte véritablement raté, en donnant pas mal de contexte.
On se retrouve tout de suite.
****
****
Morringes avait porté autrefois le nom de la guerre, et comme ce nom celui de la cité s'était affaissé sur lui-même.
Voilà tout ce qu'il restait, sur des jours et des jours de marche les ruelles longeaient la courbe des maisons et la courbe des parcs jusqu'aux grandes places où les fêtes succédaient aux foires qui succédaient aux marchés. Les toits de verre et les toits de pierre scintillaient aux aurores contre des nuées de drapeaux et de drapées couleurs de flammes, ces banderoles. Plus effrayant, il y avait le lierre, plus effrayant il y avait la roche des courtines séparant la cité une fois, deux fois, et la courtine externe s'élevant au-dessus des toits laissait quelques fermes et quelques manoirs s'égailler loin des portes. Plus effrayant, il n'y avait ni tour ni chemin de ronde, ni château ni forteresse mais des portes ouvertes même la nuit.
Avant même d'atteindre la seconde courtine, à deux jours des portes les habitants ne connaissaient déjà plus que l'ordinaire de ces maisons en cercles, leurs allées, leurs ailes, leurs jardins et le temps paisible qui s'y écoulait. Dès les premières couleurs les fenêtres s'ouvraient, on pendait des fleurs dont les senteurs à l'air frais étaient difficiles à saisir, et que le soleil exacerberait. On regardait passer par les rues pavées ces tonneaux et ces jarres harnachées à dos de bête, au pas tranquille des serviteurs. En levant la tête, depuis les demeures en butte surplombant leurs voisins la dernière courtine était visible, un fin trait noir qui servait d'horizon après des foules de toits pris dans la verdure et les ombres du matin.
Il laissa la fenêtre pour récupérer le second sceau et, sur la pointe des pieds, s'éloigna des portes de l'étage. La maisonnée dormait, tranquille à cette heure, les seules rumeurs venaient des cuisines et des caves. Sur l'escalier son visage se réverbérait, si propre, et il tournait avec et sa tête tournait. Deux serviteurs le croisèrent, sans un mot, passèrent la porte pour y disparaître. Elles l'avaient à peine remarqué, il les oubliait déjà, continuait jusqu'à la porte de la cour arrière où se trouvait le puits.
Ici, l'histoire commence.
Dans la cour coupée de l'extérieur par d'épais buissons où les sentiers de galets sinuaient le silence pouvait peser de tout son poids. Il pouvait sentir au plus bas de sa jambe l'humidité de l'herbe laisser une marque fantôme, comme de petits coups de lame. Le premier sceau déposé contre la porte, avec le second il s'approcha du puits, l'attacha à la corde et laissa la corde filer jusqu'au second nœud. Il tira un peu, sentit la résistance et commença de ramener.
"Qu'est-ce que tu fais ?"
La voix était jeune, et comme espiègle, lui parut familière. Pourtant, c'était la première fois. Pourtant, il n'y avait personne. Alors, quand le sceau fut à sa hauteur, le tirant sur le rebord pour l'assurer, il regarda autour de lui.
Sur l'un des sentiers continuant la courbe des feuillages le renard le regardait faire, un petit renard comme les forêts en avaient, avec cette curiosité animale qui n'attendait qu'un bond pour fuir. Le renard ne semblait pas le craindre, mais le fixait, et dans les pâles couleurs du matin il aurait semblé une ombre. La voix venait de lui songeait-il encore tandis qu'il tirait le sceau plein d'eau pour le ramener à la porte. Comme il marchait le renard se détacha des buissons pour se rapprocher, par petits sauts, se tapit à quelques pas de son chemin, à l'affut.
"Tu puises de l'eau ? Ca a l'air ennuyeux. Tu ne veux pas plutôt jouer ?"
"Je travaille." Lui répondit le serviteur.
"Mais tu travailles tout le temps !" Se plaignit le renard, toujours tapi. "Allez, faisons quelque chose !"
Ses pieds passèrent si près du renard qu'il craignit que ce dernier ne bondisse et le morde. Rien n'arriva. Il passa devant, se mit à s'en éloigner toujours en direction de la porte et l'animal, derrière lui, relevant la tête après son passage, se mit à le suivre à petites foulées.
"Tu n'as pas envie de tuer ?"
Il s'arrêta. Parce qu'il était arrivé devant la porte, parce que le second sceau l'attendait et il sentait, à ses bras, le poids de l'eau le tirer. Parce que le renard, derrière lui, à deux pas, fixait son dos, parce qu'il pouvait sentir ce regard de bête, ce regard comme vide dans lequel il pouvait tout imaginer. Parce que, peut-être, l'idée venait de le traverser, qu'il avait envie de tuer. Il se rendit compte qu'il pensait à tuer. Il se rendit compte qu'on venait de lui suggérer de tuer. La maison était devant lui, la porte ouverte, les résidents. Il secoua la tête, fortement, et à ce geste avant même que le sceau ne retombe lourdement dans l'herbe le renard avait bondi en arrière, comme effrayé.
Mais il ne fuit pas, et lui pareillement saisissant l'anse du second sceau le souleva puis se força à se tourner. Le renard alors fit plusieurs bonds pour aller se glisser derrière le puits et s'y tapir, la tête entre les herbes, oreilles tendues. Il semblait croire qu'on ne pouvait plus le voir.
"Je sais que tu as envie de tuer."
"Non."
"Allez ! Juste pour moi ! Dis oui…"
"Non."
"Tu sais, ce serait amusant de tuer."
Pour atteindre le puits, il lui fallait se rapprocher du renard. Pour atteindre le puits il lui fallait se rapprocher du renard. Il lui fallait se rapprocher du renard. Ensuite, rien qu'avec un ouvre-lettres il pourrait… en fait, rien qu'à mains nues il pourrait…
C'était absurde ! lui hurla une voix en lui, la sienne. Non, ce n'était pas lui, ces pensées, ce n'était pas lui, il se força à avancer. Le sceau battait contre ses jambes, à chaque pas, il sentait le bois frapper comme la réalité. Sa respiration, à présent, était irrégulière. Mais il ne voulait pas, bien sûr qu'il ne voulait pas, bien sûr qu'il ne voulait pas. Le renard lui répétait, là, dans sa tête, quelque part, que ce serait amusant. Cette envie… il se rapprochait et le renard toujours tapi le regardait faire, le regardait lutter tout seul contre rien.
Quand il fut soudain à quelques pas du puits le renard bondit de sa cachette, un petit bond vers lui puis un autre d'écart et il fila se blottir dans les herbes, plus loin, près d'un sentier de galets. Alors le serviteur se rendit compte à quel point la cour arrière était silencieuse. Il était seul avec le renard, tout à fait seul. Il prit la corde.
"Tu n'as pas envie de les tuer ?"
"Non" répéta-t-il, un peu plus fort.
"Si, si, tuons-les ! J'aimerais bien voir la ville brûler, pas toi ?"
Il ne répondit rien.
Il avait essayé d'attacher la corde au sceau, mécanique, mais le nœud avait manqué. Alors, se reprenant, il se remettait à tirer la corde d'un côté, de l'autre, pour la voir s'agiter sous ses yeux. La voir s'agiter, d'un côté, de l'autre, et ses propres nerfs se tendre. L'excitation. Ce n'étaient pas ses pensées, il en était persuadé, il ne pouvait pas vouloir toutes ces choses. Son cœur, son cœur battant, les images qu'il avait en tête… Le sceau une fois attaché alla s'abattre dans le puits, jusqu'à toucher l'eau, au premier nœud, au second, à grands bruits. Il regarda le renard, l'œil méchant, l'envie de le chasser.
Le renard le fixa en retour, leurs deux regards dans la pâleur matinale, sans réponse. Tant qu'il fixait cette bête, il n'y avait plus aucune voix, plus aucune suggestion. Il n'y avait qu'un animal sauvage qui le regardait faire. Si on le voyait agir ainsi, il eut peur soudain, leva les yeux vers les fenêtres ouvertes. Au bout de l'aile celle de sa chambre demeurait muette. Elle dormait, il soupira, elle dormait.
"Tu es amusant" lança le renard. "C'est pour elle que tu ne veux pas tuer ?"
Il ne répondit rien. Se mit à tirer la corde pour ramener le sceau.
"C'est pour elle que tu tires de l'eau ?"
Il ne répondit rien. Continua de tirer.
"Pourquoi tu tires l'eau du puits ?"
Il ne répondit rien. Ne faisait plus rien, les mains crispées.
Comment ce renard aurait-il pu savoir que ce n'était pas à lui de tirer l'eau du puits, que l'eau du puits ne se tirait pas à cette heure, qu'il faisait cela en plus de ses tâches, en-dehors de ses tâches, à la place d'un autre. Il était tendu, il attendait le mot de plus qui lui ferait savoir, jusqu'où allait l'insinuation. Jusqu'où cet animal savait. Lui-même continuait de nier. Il tirait l'eau du puits, à la place d'un autre, parce que cet autre serviteur s'était enfui. Bien sûr, les serviteurs ne s'enfuyaient pas de Morringes. Les serviteurs étaient heureux à Morringes, heureux de servir. Celui-ci s'était enfui. Il ne cherchait pas pourquoi, il le remplaçait. Il fallait bien que quelqu'un le remplace.
Le renard ne disait toujours rien. Il le fixait, depuis les herbes, il le fixait intensément. Comme les animaux peuvent le faire, infatigables, ce regard qui n'exprimait rien. À quel moment… il était en train d'imaginer, déjà, la cité entièrement dévorée par les flammes. Bien sûr que non, il n'allait pas, pour elle, pour lui, parce qu'il était un serviteur.
"Il y a quoi dans l'eau ?"
Ses bras se remirent à travailler la corde, ramener le sceau. Il s'en saisit, il sentit le poids de l'eau alors qu'il le soulevait du rebord. C'était de l'eau. Ce n'était que de l'eau. Ce renard ne savait rien.
"Elle va en boire aussi, pas vrai ?"
Il laissa le sceau retomber contre ses jambes, immobile.
"Tu vas la tuer, tu sais ? Elle va mourir. Et toute la maisonnée. Et toute la ville. Tu verras, on va bien s'amuser !"
"Qu'est-ce que tu racontes ?" S'entendit-il répondre, et sa réponse venait saccadée, trop calme. "Les hommes ne boivent pas d'eau, mais du lait, du jus ou des liqueurs."
"Moi, je ne suis pas contre que tu les tues."
"Je te dis qu'ils ne boiront pas de cette eau." Il avait du mal à rester calme. "C'est fait pour laver les sols, pour laver les vitres, pour la vaisselle." Pour la vaisselle. "Pour les bains." Pour les bains. "Pour glacer les mets, pour rafraîchir les boissons."
"Tu peux les tuer, tu sais."
"Tais-toi !"
Et là où il avait fixé le renard il n'y avait plus rien, plus rien que l'herbe, le sentier de galets, les buissons. Il était seul dans la cour arrière, dans le silence, à se parler à lui-même. Il fixa la fenêtre une nouvelle fois, cette fenêtre où elle dormait, elle dormait toujours. Alors il avait tout imaginé, un élan de fièvre, cette idée, cette idée folle, ces idées folles jusqu'à la ville qui brûlait. On avait essayé de le tromper. Ou bien, il avait rêvé tout cela. Le sceau lui tirait les bras, il se mit à marcher vers la porte. Il allait déposer ce sceau à côté du premier, puis il rentrerait. Il ne monterait pas à l'étage, il n'ouvrirait aucune porte. Il ne s'approcherait pas des lits. Il ne…
Il ne pourrait pas. Il y avait les serviteurs et les serviteurs l'arrêteraient. Il aurait fallu que tous les serviteurs se liguent pour que cela soit possible. Ce ne l'était pas. Son cœur continuait de battre, violemment, l'obligea à s'arrêter, encore une fois. À regarder, autour de lui, en quête du renard. Il voyait le puits, son regard passa dessus comme s'il n'y avait pas de puits, comme s'il en avait nié l'existence. Comme s'il s'efforçait de ne plus voir le puits, maintenant qu'il en avait tiré l'eau. Comme s'il n'avait pas tiré cette même eau depuis plusieurs jours, et vu celle-ci utilisée partout.
Peut-être qu'après tout il avait envie…
Le renard était là, les deux pattes avant sur le rebord du puits, à regarder ce qu'il pouvait y avoir au fond. Puis le renard releva la tête pour le regarder lui. Toujours ce regard inexpressif, d'animal, ce petit animal. Ces deux yeux minuscules d'animal où se gravait le fond du puits, comme lui-même avait pu le voir par deux fois. Où volaient les mouches.
"Je crois qu'il te supplie encore."
Dans le fond une carcasse d'ombres.
"Il regardait la fenêtre, lui aussi ?"
Il avait compris.
"J'aurais préféré que tu tues pour t'amuser. Mais ça me va !"
Et le renard se détacha du puits pour venir à lui, rapidement, se faufilant dans les herbes jusqu'à se glisser entre ses jambes, glisser contre elles puis jusqu'au pas de la porte, contre la pièce de pierre, attendre qu'il dépose le second sceau.
"Je ne tuerai personne."
"Tu as tort, tu sais, c'est si fragile une gorge humaine !"
Voilà où l'histoire finit. Morringes avait porté autrefois le nom de la guerre, et comme ce nom celui de la cité s'était affaissé sur lui-même. Son histoire était toute entière dans le nombre de ses murailles, et dans la nature de celles-ci, sans tour ni chemin de ronde, sans château ni forteresse mais des portes ouvertes, même la nuit. Une cité envahie par les forêts, une cité de bêtes, une cité vaincue. Mais ce n'est pas encore l'histoire de Godoard.
Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.
- Vuld Edone
- Auteur du sujet
- Hors Ligne
Réduire
Plus d'informations
- Messages : 2178
il y a 12 ans 1 mois #18324
par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet Re:Godoard
Et on se retrouve pour parler des textes ratés.
Godoard est un de ces textes que, contrairement à un Chimio' ou un Fléau, j'ai pu écrire en quelques heures. Mais contrairement à un Tlön, je ne considère pas seulement le texte mauvais, je le considère complètement raté.
Je vais parler de quatre choses. La raison d'être de ce texte. Ce qui m'a permis d'écrire ce texte. Ce qui m'a fait échouer le texte. Et comment j'ai pu en réussir un autre - sans pour autant qu'il soit bon.
Godoard est très récent, une semaine ou moins. Je lui ai donné ce nom dans un rêve et je ne sais toujours pas ce que ce nom signifie - mais quelque chose me dit qu'il est lié à la guerre.
Pour l'anecdote, dans mon rêve il m'a proposé de brûler une ville.
J'ai donc décidé d'intégrer ce renard à mes renards et pour cela j'ai dû le cerner. Godoard est une conscience animale, un petit renard espiègle qui agit vraiment comme un animal et dont la pensée est enfantine, et constamment optimiste. C'est aussi une présence fragile, facile à faire disparaître - mais en l'occurrence je n'avais aucune envie qu'il s'en aille.
J'ai traduit cela le plus simplement du monde : Godoard serait la conscience animale. Contrairement à tous les autres démons, il ne s'adresserait pas aux humains mais aux bêtes et leur donnerait ce qu'ils n'ont pas, à savoir une volonté.
Je passe sur les prémisses du texte, les idées abandonnées et le cheminement jusqu'à cette version. C'est finalement une version de "brainwash" trouvée dans un texte amateur qui l'a emporté.
La technique était simple, un dialogue où la première personnalité luttait puis doutait contre une seconde personnalité qui répétait en boucle le même message. Les dialogues devaient d'abord être courts, deux répliques par deux répliques, puis s'enchaîner jusqu'à six ou huit répliques à l'approche du point de rupture. À côté le comportement du personnage devait indiquer l'action de cette seconde personnalité, dans des actions données comme accomplies et que le lecteur découvrait en même temps que le personnage.
Une technique simple donc.
Avec ce modus operandi pour Godoard, et toute l'élaboration à côté, il ne me restait plus qu'à écrire ma fameuse "première ligne". Celle qui décide en général du sort du texte. J'ai piétiné longtemps sur le nom de la ville - qui devait s'appeler "Arrièges", mais c'est impossible, puis j'ai commencé à dériver un nom de "MontRichard" - et c'est ce nom de ville qui m'a donné un nom de guerre - à savoir, Godoard, seigneur de cette cité des bêtes.
Tout s'annonçait sous les meilleures auspices. Le texte serait médiocre mais normalement, à ce stade, on ne peut plus le louper.
Alors qu'est-ce qui fait que j'avais prévu d'enterrer ce texte en attendant de pouvoir écrire une meilleure version ?
Je vais là aussi passer sur de nombreux problèmes qui font que ce texte est plus médiocre encore que d'habitude, mais qui ne sont que du détail, pour en venir au coeur :
"Elle dormait, il soupira, elle dormait."
La technique que j'empruntais ne fonctionnait pas. C'était Godoard qui luttait contre une personnalité de bête ressassant la même logique close. J'avais ce plan de secours, où la bête aimait une humaine, qui permettait au texte de continuer. Et c'est ça qui a tout gâché.
Techniquement, on peut supprimer les mentions à l'humaine, mais si elle est là c'est bien par besoin. C'est d'une part parce que mon texte manque complètement de personnalité - mon personnage principal n'a pas de nom, pas de volonté, pas d'existence - et d'autre part parce que ce même texte manque complètement d'enjeu. Or on sent assez bien que je me moque complètement de l'humaine.
Le véritable échec de ce texte est qu'il ne signifie rien. On peut toujours limer la trame pour la rendre plus intense, on peut exagérer les traits, mais en l'état elle ne permet pas de réfléchir, elle ne dit rien. Godoard n'est qu'une voix imbécile qui n'arrive pas à être crédible et ce personnage lambda a les motivations d'une truelle. Tout le contexte de la cité, donné dans la première ligne, est balayé.
Pour corriger ce texte il faudrait remplacer l'humaine par autre chose, et c'est cet autre chose qui a rendu des Tlön, des Flammes, des Lacrima possibles. En fait, l'humaine, par sa présence, me hurle à quel point mon texte sonne creux.
Normalement j'aurais gardé cet échec pour moi, quand bien même il est symptomatique de ma situation actuelle où, sans artifices telles que cette humaine, je peine à aligner deux mots, si je n'avais pas réussi à côté un autre texte (que vous ne lirez jamais).
Il s'agissait d'un chapitre sur lequel je bloquais depuis un mois, ce qui m'avait donné tout le temps d'en connaître le déroulement à un ou deux détails près. Je bloquais sur un détail tout bête : le décor. Je n'arrivais pas à poser le décor, or je devais le poser dans le premier paragraphe.
À force de m'acharner je me suis rendu compte que je ne posais pas les bonnes questions. J'avais, pour Godoard, construit une ville parfaitement adaptée à mon histoire, une cité de bêtes, et c'est cette cité qui m'a permis d'enchaîner sur le texte et lui donner du sens. Dans cet autre texte j'essayais de décrire un lieu par défaut, sans me demander ce que ce lieu pouvait signifier.
J'ai donc passé une journée à me demander ce que pouvait être ce lieu, avant de conclure qu'il n'y avait rien, et j'ai décidé de l'écrire net dans le texte : "ce lieu n'était rien...", développer pourquoi il n'était rien, ce qu'il aurait dû être et, par transition, j'ai réussi à décrire le lieu - et tout le chapitre dans la foulée.
Godoard est l'exemple type chez moi du texte raté. L'idée de départ n'est pas mauvaise, où le personnage est déjà soumis à Godoard avant même de commencer à lutter, et découvre qu'il lui obéit depuis le départ.
Mais les motivations en arrière-plan, et en fait fondatrices du texte, sont absentes, de sorte qu'il peut bien y avoir tous les retournements, tous les points de suspension et toutes les exclamations du monde, le texte reste creux.
J'avais échoué Fahron sur un froncement de sourcil. Fléau est bloqué à cause de lierre. Mais derrière, c'est une perte de sens vertigineuse qui doit se faire sentir. C'est ce qui me fait penser que la page blanche, ou le blocage, n'est pas un problème de forme mais véritablement de fond.
Godoard est un de ces textes que, contrairement à un Chimio' ou un Fléau, j'ai pu écrire en quelques heures. Mais contrairement à un Tlön, je ne considère pas seulement le texte mauvais, je le considère complètement raté.
Je vais parler de quatre choses. La raison d'être de ce texte. Ce qui m'a permis d'écrire ce texte. Ce qui m'a fait échouer le texte. Et comment j'ai pu en réussir un autre - sans pour autant qu'il soit bon.
Godoard est très récent, une semaine ou moins. Je lui ai donné ce nom dans un rêve et je ne sais toujours pas ce que ce nom signifie - mais quelque chose me dit qu'il est lié à la guerre.
Pour l'anecdote, dans mon rêve il m'a proposé de brûler une ville.
J'ai donc décidé d'intégrer ce renard à mes renards et pour cela j'ai dû le cerner. Godoard est une conscience animale, un petit renard espiègle qui agit vraiment comme un animal et dont la pensée est enfantine, et constamment optimiste. C'est aussi une présence fragile, facile à faire disparaître - mais en l'occurrence je n'avais aucune envie qu'il s'en aille.
J'ai traduit cela le plus simplement du monde : Godoard serait la conscience animale. Contrairement à tous les autres démons, il ne s'adresserait pas aux humains mais aux bêtes et leur donnerait ce qu'ils n'ont pas, à savoir une volonté.
Je passe sur les prémisses du texte, les idées abandonnées et le cheminement jusqu'à cette version. C'est finalement une version de "brainwash" trouvée dans un texte amateur qui l'a emporté.
La technique était simple, un dialogue où la première personnalité luttait puis doutait contre une seconde personnalité qui répétait en boucle le même message. Les dialogues devaient d'abord être courts, deux répliques par deux répliques, puis s'enchaîner jusqu'à six ou huit répliques à l'approche du point de rupture. À côté le comportement du personnage devait indiquer l'action de cette seconde personnalité, dans des actions données comme accomplies et que le lecteur découvrait en même temps que le personnage.
Une technique simple donc.
Avec ce modus operandi pour Godoard, et toute l'élaboration à côté, il ne me restait plus qu'à écrire ma fameuse "première ligne". Celle qui décide en général du sort du texte. J'ai piétiné longtemps sur le nom de la ville - qui devait s'appeler "Arrièges", mais c'est impossible, puis j'ai commencé à dériver un nom de "MontRichard" - et c'est ce nom de ville qui m'a donné un nom de guerre - à savoir, Godoard, seigneur de cette cité des bêtes.
Tout s'annonçait sous les meilleures auspices. Le texte serait médiocre mais normalement, à ce stade, on ne peut plus le louper.
Alors qu'est-ce qui fait que j'avais prévu d'enterrer ce texte en attendant de pouvoir écrire une meilleure version ?
Je vais là aussi passer sur de nombreux problèmes qui font que ce texte est plus médiocre encore que d'habitude, mais qui ne sont que du détail, pour en venir au coeur :
"Elle dormait, il soupira, elle dormait."
La technique que j'empruntais ne fonctionnait pas. C'était Godoard qui luttait contre une personnalité de bête ressassant la même logique close. J'avais ce plan de secours, où la bête aimait une humaine, qui permettait au texte de continuer. Et c'est ça qui a tout gâché.
Techniquement, on peut supprimer les mentions à l'humaine, mais si elle est là c'est bien par besoin. C'est d'une part parce que mon texte manque complètement de personnalité - mon personnage principal n'a pas de nom, pas de volonté, pas d'existence - et d'autre part parce que ce même texte manque complètement d'enjeu. Or on sent assez bien que je me moque complètement de l'humaine.
Le véritable échec de ce texte est qu'il ne signifie rien. On peut toujours limer la trame pour la rendre plus intense, on peut exagérer les traits, mais en l'état elle ne permet pas de réfléchir, elle ne dit rien. Godoard n'est qu'une voix imbécile qui n'arrive pas à être crédible et ce personnage lambda a les motivations d'une truelle. Tout le contexte de la cité, donné dans la première ligne, est balayé.
Pour corriger ce texte il faudrait remplacer l'humaine par autre chose, et c'est cet autre chose qui a rendu des Tlön, des Flammes, des Lacrima possibles. En fait, l'humaine, par sa présence, me hurle à quel point mon texte sonne creux.
Normalement j'aurais gardé cet échec pour moi, quand bien même il est symptomatique de ma situation actuelle où, sans artifices telles que cette humaine, je peine à aligner deux mots, si je n'avais pas réussi à côté un autre texte (que vous ne lirez jamais).
Il s'agissait d'un chapitre sur lequel je bloquais depuis un mois, ce qui m'avait donné tout le temps d'en connaître le déroulement à un ou deux détails près. Je bloquais sur un détail tout bête : le décor. Je n'arrivais pas à poser le décor, or je devais le poser dans le premier paragraphe.
À force de m'acharner je me suis rendu compte que je ne posais pas les bonnes questions. J'avais, pour Godoard, construit une ville parfaitement adaptée à mon histoire, une cité de bêtes, et c'est cette cité qui m'a permis d'enchaîner sur le texte et lui donner du sens. Dans cet autre texte j'essayais de décrire un lieu par défaut, sans me demander ce que ce lieu pouvait signifier.
J'ai donc passé une journée à me demander ce que pouvait être ce lieu, avant de conclure qu'il n'y avait rien, et j'ai décidé de l'écrire net dans le texte : "ce lieu n'était rien...", développer pourquoi il n'était rien, ce qu'il aurait dû être et, par transition, j'ai réussi à décrire le lieu - et tout le chapitre dans la foulée.
Godoard est l'exemple type chez moi du texte raté. L'idée de départ n'est pas mauvaise, où le personnage est déjà soumis à Godoard avant même de commencer à lutter, et découvre qu'il lui obéit depuis le départ.
Mais les motivations en arrière-plan, et en fait fondatrices du texte, sont absentes, de sorte qu'il peut bien y avoir tous les retournements, tous les points de suspension et toutes les exclamations du monde, le texte reste creux.
J'avais échoué Fahron sur un froncement de sourcil. Fléau est bloqué à cause de lierre. Mais derrière, c'est une perte de sens vertigineuse qui doit se faire sentir. C'est ce qui me fait penser que la page blanche, ou le blocage, n'est pas un problème de forme mais véritablement de fond.
Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.
Modérateurs: San, Kundïn, Zarathoustra