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C
royez-vous aux Ogres ?

Mais si, ces humanoïdes corpulents pouvant atteindre trois mètres au moins ! Ces êtres fantastiques qui peuplent les contes et légendes de notre civilisation depuis des siècles... Vous ne voyez pas ? Bien, la meilleure façon de vous les présenter, c’est de vous raconter l’histoire de l’un d’entre eux. Voici donc la terrible histoire d’un Ogre que les mauvaises langues appelèrent l’Ogre le plus con de la création, mais au moins avait-il le mérite de suffisamment marquer son temps pour que l’on parle de lui encore aujourd’hui.

 

1-Yan

Cela se passait il y a si longtemps que personne ne saurait dire ce qui est vrai et ce qui relève de l’imagination des conteurs, mais tout le monde s’accorde à dire que cette histoire débute dans l’Est de la contrée Francise, au-delà des vallées calmes, à quelques dizaines de lieues seulement de Germanea. Un petit village du nom de Pérouse se trouvait en bordure d’un bois certes petit, mais tellement sombre que rares étaient les voyageurs qui s’y aventuraient, et plus rares encore étaient ceux qui en ressortaient, vivants ou morts…
Pourtant, quelques jours avant la nouvelle année (elle s’effectuait alors le premier Avril. Je vous avais dit que ça remontait à il y a longtemps ! Si on ne fait plus confiance à ceux qui racontent les histoires, où va-t-on ?), un cavalier étrange sortit dudit bois. Il avait le teint blafard, et son regard porté au loin semblait exprimer une tristesse infinie. Son habit, aussi noir que la robe de sa monture, elle-même plus diaphane qu’émacié était le maître, semblait tomber en lambeaux, comme s’il avait traversé les années de la même façon que l’on traverse des milliers de lieues de forêts denses et épineuses. Les deux êtres faméliques avancèrent d’une lenteur de cortège funèbre vers les habitations. Sur leur passage, les volets des maisons qu’ils croisaient se refermaient, comme une suite de dominos de bois qui s’écroulent inexorablement les uns après les autres. Le temps semblait suspendu, ou plutôt mort, si l’on pouvait imaginer qu’il puisse mourir.
Et donc (je sais, c’est moche comme début de phrase sur le papier, mais faut imaginer que je vous conte ça tout haut. Je suis un conteur né, pas un de ces satanés scribouillards !), l’apparition fantomatique remonta sûrement le chemin, paraissant déterminée dans un but profond. Arrivant au bord de l’Evanescent, elle aperçut une silhouette gracieuse assise au bord de l’eau, et son blanc faciès sembla s’éclairer, si tant est que l’on puisse imaginer la mort émettre une quelconque lumière différente de celle familière du bout du tunnel.
C’était Ellina, la fille de l’unique aubergiste du village, qui, comme chaque jour, était venue s’asseoir à l’ombre des merisiers et chantonnait à l’adresse de la faune environnante de sa voix douce et aussi cristalline que l’était l’eau du ruisseau (règle n°1 du conteur : toujours mettre l’auditoire en confiance avec quelques bons vieux clichés).
Le cavalier s’approcha d’elle, et, arrivé juste au-dessus, elle sentit son souffle glacé dans son cou tandis qu’il se penchait vers elle. A peine s’était-elle retournée que d’opaques brumes envahirent son esprit, et en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, elle se retrouva isolée dans un monde noir et désert, alors même que son corps s’écroulait lentement sur l’herbe verte de la rive. De ses lambeaux de vêtements, l’entité mortelle laissa apparaître un bras décharné qui attrapa la jeune personne, et la souleva sans effort aucun jusqu’à sa selle. Puis, ayant incontestablement terminé sa tâche, il s’en retourna d’où il était venu, aussi lentement que lors de l’aller, même si cette fois, le fait de deviner où il retournait donnait l’impression qu’il y allait au triple galop.
Le silence avait été absolu durant cette scène, et la tension avait augmenté jusqu’à son paroxysme du fait que tous les autres êtres avaient été tétanisés devant cela. Mais comme un ballon de baudruche que l’on passe par l’aiguille, cette tension accumulée avait comme explosé, faisant sursauter tous les villageois qui observaient la scène à travers leurs volets, lorsque le jeune Arnesis, apprenti chevalier et fiancé de la belle endormie, avait fait irruption. Courant à toutes jambes, il s’était adressé au cavalier d’un ton relativement courageux, et sans doute très inconscient.
« Oh, là ! s’écria-t-il, n’allez pas plus loin ! » Mais sa voix résonna inutilement contre les murs de la dernière rue, alors même que le cheval et ses deux passagers s’éloignaient inexorablement des habitations. Le jeune homme lança plusieurs autres injonctions, mais au fur et à mesure, sa voix semblait se briser devant l’attitude roide et déterminée de ce… cet être… Dans sa fougue, il attrapa un cheval attaché ici, sauta sur son dos et entama de rattraper l’autre animal, tout en criant : « Revieennnns ! ».
La dernière chose que les autres Pérousiens, qui n’avaient toujours pas bougé d’un poil, entendirent fut le martèlement spongieux des quatre sabots sur l’humus détrempé du bois. Depuis ce jour, personne ne revit le futur chevalier ni sa mie. Mais c’est depuis cet évènement que les jeunes enfants se sont mis à disparaître du petit village. De plus, on entend parfois à la tombée du jour, venant de la forêt, des cris rauques tout juste humains, et on raconte que c’est le fiancé qui pleure son amour perdu.

 


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