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Le ciel était couvert ce matin-là, comme une pluie qui se prépare et qui ne veut pas venir. À travers la grisaille on aurait cru que les brumes de la falaise s'étaient étendues à tout le village, et dans les maisons tout le monde était obligé d'allumer les lampes et les chandelles. L'odeur n'était jamais agréable, la lumière tremblotait mais au moins Krintal y voyait assez pour faire son travail, et griffonner sa mauvaise encre sur du mauvais parchemin.

Il s'était fait surprendre encore plus tôt au réveil quand on lui avait annoncé que le Conseil des Anciens se réunissait. D'abord Krintal avait eu peur que ce soit au sujet du loup, puis il avait craint pour le livre, et il avait pesté contre Tragzokt durant tout le chemin. Mais il n'en était rien. Pour une raison qui lui échappait, c'était Grazzt, l'un des chasseurs, qui avait voulu faire son rapport matinal.

Pour le secrétaire du conseil, tout cela était bien inutile, et même une perte de temps, mais il s'appliquait à retranscrire au mieux sur le parchemin la petite cacophonie des gnomes se parlant les uns sur les autres et se coupant sans cesse la parole, quid de demander si les castors ont des dents, quid de trouver telle décision bien sage. On aurait dit que l'assemblée voulait prouver à Grazzt qu'ils pouvaient être aussi braves que lui à l'abri de l'enceinte.

Krintal aurait préféré être n'importe où ailleurs. D'habitude heureux d'être utile, il ruminait cette fois à côté de la lampe à huile et ne levait presque jamais le nez de son ouvrage. En général, il regardait alors Dixa à côté du chassseur, la femme fière mais tempérée qui avait convaincu tout ce monde de se réunir. Il n'arrivait pas à lui en vouloir.

Ensuite le chasseur mentionna un monstre.

Un autre loup ? Ou bien un cerf. Toutes les bêtes pouvaient se montrer vicieuses à leur tour, et dans le noir… mais Grazzt avait refoulé toutes ces solutions. C'était une nouvelle bête, une nouvelle créature de la Forêt, plus grande et plus terrifiante encore, et quand le chasseur dit qu'elle pouvait se dresser sur ses deux pattes arrières, et être ainsi plus haute que la muraille du village, Krintal cessa d'écrire.

Ce fut Zilaknn, discret jusque-là, qui brisa le silence : « Il faut renforcer la garde aux remparts. »

Krintal ne nota pas. Sa vieille plume était suspendue et un peu tremblante, sur le fil de quelque pensée décousue. Le conseil avait déjà ravalé sa peur, mais pas Krintal. Nez-Fourré était bien trop couard pour ça. Et parfois, se disait-il, il voyait un peu trop loin pour ne pas trembler de peur.

Le débat s'envenima quelque peu, s'enhardit pour trouver des solutions et soudain Grazzt quitta la pièce, sortit au grand air en laissant se rabattre lourdement les peaux derrière lui. Pendant un instant, la fraîcheur du matin avait percé la chaleur moite de l'huile. Sa femme, l'air embarrassée, s'excusa pour lui et le suivit rapidement, laissant le conseil derrière pour débattre avec lui-même. Et les anciens ne s'en privaient pas.

Mais enfin, Souffle-Flûte leva la main pour demander le calme. Et après une seconde de silence, il se tourna vers Krintal.

« Tu peux arrêter d'écrire. »

« Quelle différence ça fait ? Personne ne lit les archives, même pas nous. »

Mais Zibnarf n'y prêta aucune attention. « Grazzt me fait rajeunir à chaque fois. Je ne compte plus les jours où on a cru que le village était perdu. »

Les autres attendirent qu'il continue, pour savoir où il voulait en venir. Zibnarf n'était pas juste un bon joueur de flûte, c'était aussi le chef du village. Il devait avoir une idée derrière la tête, et à l'entendre tous les autres, Krintal compris, commençaient à la percevoir. L'idée qu'il n'y avait rien à faire.

« Vous vous rappelez l'histoire de cette bête à groin qui avait déraciné un arbre en fonçant dedans ? On était tous persuadés qu'elle viendrait charger l'enceinte. J'attends toujours. »

Tout le monde hocha la tête, sauf Krintal. Le secrétaire était trop occupé à écrire.

« Ou l'histoire de cet oiseau énorme, capable d'emporter un lapin entier hors de terre ? Tout le monde avait le nez en l'air pendant des jours. » Il y eut quelques rires jaunes, dont Souffle-Flûte lui-même. « Moi, » reprit-il enfin, « ce qui m'inquiète, c'est qu'on n'a pas fini de pleurer Munkark, et qu'il faudra déjà renvoyer d'autres chasseurs dans la Forêt. Parce qu'elle n'est pas pressée, la Forêt. Elle préfère nous affamer, nous assoiffer, nous priver de tout jusqu'à ce qu'on se jette nous-mêmes dans le vide. »

« N'exagérons pas. »

« Tragzokt, tu n'es pas en charge de la scierie ? Qu'est-ce qu'ils disent ? Est-ce qu'on aura assez de bois pour rénover la muraille ? »

Le maître tanneur soupira. Il n'aimait pas cette question qui revenait sans cesse, parce que la petite scierie, vieil atelier où les rondins séchaient sous des toiles, n'avait plus assez de gnomes pour seulement empêcher les arbres de progresser vers le village. Tirer un tronc jusque-là pouvait déjà, seul, prendre plus de deux jours, et il fallait encore scier tout ça. Ils étaient comme des nains face à un travail de titan.

Alors il n'y avait rien à répondre. Le conseil le savait bien. Il leur fallait du bois, il leur fallait de la viande, il leur fallait des quantités de peau à tanner pour remplacer les vêtements. Le village, secrètement, manquait de tout. La Forêt, elle, avait toujours été là, serait là encore longtemps. Elle avait le temps. Elle se contentait de les étouffer. Elle les effrayait parfois, avec quelque nouveau monstre de passage, pour leur montrer combien il serait facile d'en finir tout de suite, puis elle repartait se tapir dans ses ténèbres de verdure.

« D'accord, mais mettons-nous d'accord, » trancha Pioche-Matin, « si cette bête sur deux pattes arrive à l'enceinte, on fait quoi ? »

« On la brûle. » Répondit posément le chef. « On a des arbalètes, on a de la poix. Cette bête a de la fourrure. Le feu, c'est bien tout ce que la Forêt craint. »

Puis Souffle-Flûte tourna le regard à nouveau vers Krintal, qui ne leur prêtait plus attention depuis longtemps à présent.

« Tu peux noter ça. Le conseil s'est mis d'accord pour affronter la bête avec des flèches enflammées. Il faudra bien que ça convainque. »

Et juste comme ça, dans une dernière trépidation de la plume, le conseil prit fin.

 

C'était Fleztikirr qui gardait la réserve, là où, d'après Tragzokt, les chasseurs avaient caché leur loup. Avant même qu'il ne s'endorme, Krintal n'avait rêvé que d'y entrer. À présent, le livre aux pages blanches entre ses deux bras, il approchait à pas hésitants de cette porte et de son garde qui s'appuyait sur sa lance, ennuyé, avec son arbalète calée contre le mur. On lui avait apporté quelques affaires dans un sac, plus un bac sur lequel s'asseoir ou manger mais, à l'approche des gens, le chasseur faisait l'effort de se redresser.

La nouvelle du louveteau, pourtant à peine ébruitée la veille, s'était répandue comme une traînée de poudre. Souffle-Flûte avait exigé qu'il y ait un garde à tout instant, non sans avoir d'abord essayé d'avoir la peau de la bête elle-même. Les chasseurs étaient têtus, mais ils avaient cédé, et au visage de Fleztikirr, Nez-Fourré pouvait dire qu'il trouvait cette garde complètement absurde.

Les deux gnomes se regardèrent sans vouloir vraiment se parler d'abord, comme une formalité qu'aucun ne voulait commencer.

« Eh. » Dit enfin Krintal.

« Tu veux voir le loup, c'est ça ? » Demanda Fleztikirr sans détour.

« J'ai l'autorisation de Zibnarf. » Se défendit le secrétaire.

Le chasseur face à lui fit un effort de mémoire et de son côté Krintal serra le livre un peu plus contre lui, jusqu'à ce que l'autre fronce les sourcils et s'écarte. À cet instant le reste du village devait le jalouser terriblement, se dit Krintal, puisqu'il avait la chance de voir ce qui faisait frémir et se galvaniser toute la petite communauté.

À l'intérieur, il faisait plutôt sombre, et le ciel toujours couvert n'aidait pas. Mais il y avait une chandelle sur une caisse en bois, près de la porte, que Krintal s'empressa d'allumer. La porte elle-même, déjà, avait découpé son cadre de lumière pâle dans toute la réserve, et il pouvait voir sur les murs toutes les prises de la chasse, avec l'odeur forte de la fourrure encore fraîche. C'était sauvage, ça prenait aux narines comme de la moutarde, plus fort encore. Et puis à peine eut-il allumé la mèche qu'un grondement depuis le fond de la réserve le fit sursauter.

Depuis hier soir, il savait qu'un loup vivant se trouvait au village, et il s'en était effrayé, et il s'en était enthousiasmé, mais il n'avait pas encore réalisé ce que ça signifiait vraiment. Soudain, il comprit qu'il était à quelques mètres d'un loup vivant. En tendant la chandelle, il put voir les contours de grisaille de cette bête tapis dans un recoin, à l'autre extrémité, et qui montrait les crocs, et qui avait des yeux d'un jaune cuivré. Des yeux fascinants. Ils avaient attaché la bête à un piquet, et la bête avait tenté de déchirer la corde avec les crocs, avant d'abandonner. Juste de voir les marques qu'il avait laissées était effrayant.

« T'approche pas trop. » Souligna Fleztikirr derrière Krintal. « S'il te chope, c'est moi qui vais écoper. »

« Très drôle. » Gémit Krintal.

Le chasseur ne semblait pas impressionné par cette bête. Sa présence, la porte ouverte et la faible lueur du jour étaient comme autant d'anathèmes jetés entre le loup et le gnome, tant le piquet seul, pour solide qu'il soit, ne parvenait pas à le convaincre. Il déglutit, s'avança encore, tâta presque du pied jusqu'où il pouvait s'avancer, comme face à la falaise.

Puis il se retourna et, hésitant :

« Tu peux me laisser seul ? »

« Ah pas question ! » Se fâcha le chasseur. « Si tu te fais griffer, ça va tomber sur moi. Et puis qu'est-ce que tu as besoin de le voir, ce louveteau ? »

Dans le dos de Krintal, la bête grondait toujours.

« Je dois juste… c'est pour les archives. » Mentit le gnome.

Fleztikirr haussa les épaules et s'appuya contre le cadre de la porte, ennuyé. Les histoires d'archives devaient le barber mais, ne put s'empêcher de se dire le secrétaire, c'était surtout l'idée de risquer sa vie dehors face à ce gratte-papier qui devait l'irriter. Dans un coin  de sa tête, Fleztikirr avait dû se dire que ce ne serait pas plus mal si Krintal se faisait dévorer.

Il chassa ces idées de sa tête, revint au louveteau qui, à son approche, s'était tendu un peu plus, comme s'il attendait que le gnome soit à portée pour bondir. La bête savait la longueur précise de la corde ? C'était rusé. C'était vicieux. Mais Krintal se força à avancer encore, très légèrement, et à ouvrir le livre.

Il fouilla du regard la page blanche.

Puis il se baissa, s'agenouilla presque et se tendit encore, jusqu'à ce qu'il ait l'impression que son nez le brûle comme au contact d'une barrière invisible au-delà de laquelle le loup aurait pu lui faucher le visage d'un coup de patte. Il se tendit autant que possible, autant que son petit coeur de lâche lui permettait, et il se mit à murmurer, à appeler.

« Eh. Eh. Tu m'entends ? Tu m'entends ? Eh. »

Les yeux cuivrés de la bête brûlaient dans les siens. Il frissonna, chercha sa plume dans sa poche et manqua de la faire tomber. Cette maladresse le fit basculer en arrière et il se retrouva bête à la renverse. Fleztikirr le regardait faire avec ennui.

Après s'être relevé un peu, Krintal récupéra sa plume et leva un peu la voix.

« Tu es un loup. Commençons par là. »

Et il écrivit, avec un soin infini, sur le papier blanc avec cette encre d'un bleu profond. C'est un loup. Puis après lui avoir jeté un regard, il écrivit à nouveau, c'est un loup. Le chasseur dans son dos avait dû tenter un regard pour voir ce qu'il écrivait, mais la majorité du village, à vrai dire, ne savait pas bien lire.

La bête grondait toujours. Krintal écrivit, pour la troisième fois, c'est un loup. La bête ne grondait plus.

Après l'avoir regardée une seconde, Krintal se redressa. Puis il tenta un nouveau pas. La bête, dans son recoin, se tendit à nouveau, un instant, mais ne fit rien. À peine un grognement, comme un souffle. Krintal écrivit, pour la quatrième fois, c'est un loup. Il releva les yeux du livre, les ferma et, avec tout le courage qu'il put se trouver, il fit encore un pas.

« Eh là ! » S'inquiéta Fleztikirr.

La bête n'avait pas bronché. Avant que le chasseur ne l'arrête, Nez-Fourré fit un nouveau pas et un autre jusqu'à arriver à hauteur du piquet qu'il toucha à deux doigts. Les yeux du louveteau le transperçaient. Quand il sentit le bois sous ses doigts, Krintal s'arrêta tout à fait, tremblant, et n'osa plus rien faire, ni ouvrir les yeux ni bouger. Il aurait voulu que le chasseur vienne le chercher et le tire de sa propre bêtise. Il avait l'impression que le loup tournait autour de lui et s'apprêtait à lui happer la jambe. Il n'entendait plus que son coeur battant.

Le loup remua. S'en fut trop pour Krintal qui abandonna là le piquet pour se précipiter du côté de la porte et de se jeter dehors dans la terre. Il toussa, se reprit, inspira encore la tête levée au ciel. Il se sentait un héros.

« Comment t'as fait ça ? » Dit enfin le chasseur héberlué derrière lui.

Fleztikirr n'en revenait pas. Il aurait normalement voulu secouer le gnome comme un gamin pour avoir été aussi stupide, mais il avait vu le petit loup laisser Krintal approcher, et c'était comme de la magie.

Mais ensuite le chasseur trouva la pâleur du jour normale, et le secrétaire plutôt couard. Le louveteau était petit. Ils l'avaient attaché, ils l'avaient battu un peu pour le calmer, ils lui avaient fait peur avec des lances. Sans doute que la bête était détraquée et qu'elle avait peur des gnomes à présent. C'était sans doute pour ça que Souffle-Flûte avait envoyé quelqu'un, et c'était tombé sur ce trouillard de Krintal, qui ne devait pas en mener large.

Krintal, lui, après avoir frotté un peu de terre sur son front, s'était relevé tout à fait et regardait la page blanche tout à fait vierge. Il respirait encore assez fort, mais il n'aurait pas su dire si c'était un restant de peur ou d'excitation.

Le chasseur lui tapa sur l'épaule.

« Tu as eu de la chance, tu sais ça ? Un autre loup t'aurais mangé cru. »

« Oui… » Souffla Krintal, puis soudain : « Je peux te demander quelque chose ? »

« Allez, quoi ? »

Le secrétaire pointa du doigt la main libre du chasseur, qu'il gardait fermée en poing depuis tout ce temps et qu'il semblait triturer.

« Qu'est-ce que tu as dans cette main ? »

« Oh, ça ? » S'amusa Fleztikirr, et il montra le contenu dans sa paume. « Ce sont mes dés. Quand je m'ennuie, je m'amuse à les lancer, un coup comme ça, et je regarde le nombre qui sort. Cadeau de Lotorln, pour les veillées nocturnes. Mais personne veut jouer aux dés dans la troupe. »

« Tu sais jouer aux dés ? » Demanda Krintal avec de grands yeux. « Je n'y ai plus joué depuis tout petit. »

Le regard de Fleztikirr s'illumina. Quelques minutes plus tard, le baquet entre eux, les deux gnomes jouaient devant la réserve et se menaçaient l'un l'autre de tricherie à chaque lancer.

 

Pour tous ceux qui voyaient passer Krintal, le regard distrait, le pas perdu dans l'herbe et les mains dans les poches, simplement parce que le soir approchait et que, sous le ciel alourdi de nuages, le village finissait ses dernières tâches, ils savaient exactement ce que le gnome avait en tête. C'était bientôt l'heure du repas, et comme les enfants, Nez-Fourré voulait agrémenter son ordinaire. Il cherchait des champignons.

C'était l'avantage de grimper aux arbres, de pouvoir y cueillir des noix ou des pommes de pin à ronger durant le jour, même s'il fallait, à mesure que s'éloignaient les saisons, chercher toujours plus loin et s'aventurer sous les ombres de la Forêt. Les champignons, eux, avaient l'avantage de pousser un peu partout dans le village, dans tous les recoins un peu humides où la mousse s'était déjà fermement établie. Tout le monde connaissait les bons coins et Bonne-Poigne en faisait même, à côté de son verger, une culture. Mais quand la fraîcheur du soir excitait la nature, le regard averti pouvait trouver de nouveaux bolerets, ici ou là, que personne n'avait encore soupçonné.

Tout le monde se trompait. Krintal avait déjà une bonne soupe qui l'attendait ce soir, et bien qu'il se laissait aller à son habitude, pour une petite promenade, il n'avait aucune intention de se pencher et cueillir quelques poignées de champignons à préparer ensuite. Il laissait ça à la jeunesse, pour une fois. En fait, il n'avait même pas très faim.

Ses pas le menaient sensiblement du côté du quartier hanté.

Ce n'était pas vraiment sa faute. Ce quartier était assez large, et c'était s'en rapprocher ou longer l'enceinte, ce qui le soir déplaisait à tous les villageois. On pouvait entendre les rumeurs des bois au loin, on pouvait sentir le danger. Les énormes rondins de bois semblaient alors frêles, et on se surprenait à sentir peser la solitude. C'était désagréable, alors tout le monde préférait passer plutôt par ici, au coeur du village, et croiser encore quelques visages avant de devoir aller se coucher.

Mais c'était aussi un peu sa faute, parce qu'il avait beau redouter le quartier hanté, il en était en même temps fasciné. Krintal aimait par-dessus tout l'idée de ces maisons toutes propres, comme neuves, et il souhaitait parfois de pouvoir y habiter. Dormir confortablement dans un des meilleurs lits du village. Cela aurait fait rêver n'importe quel gnome. Il aimait aussi, parfois, s'imaginer que c'était comme un sanctuaire, protégé de la réalité. Alors il s'arrêtait parfois à l'écart d'une rue qui y menait, et il s'effrayait lui-même à vouloir s'y aventurer. Cette fois-ci, il songeait plutôt à l'accident qui l'y avait fait pénétrer, le silence qu'il y avait vu, et il redoutait ce lieu désormais plus que la Forêt elle-même.

« Eh, Krintal ! » Le héla Pioche-Matin.

Le secrétaire fut arrêté dans sa promenade. Il se retourna, laissa venir le vieux gnome au visage buriné, l'air fâché, et il crut d'abord qu'il allait avoir des ennuis. Mais Pioche-Matin, au contraire, semblait content de le voir.

« Fichue journée. » Pesta-t-il devant Nez-Fourré. « Je devrais être en train de jouer aux dames à l'heure qu'il est, mais j'ai encore une demi-douzaine de foyers à voir. »

« Pourquoi ? »

« Pour renforcer la garde à la muraille ! Faut que je trouve des volontaires, tout ça parce qu'un chasseur a vu quelque chose dans le noir. Je te jure. »

De tous les gnomes, Pioche-Matin était sans doute le plus à même de prendre au sérieux les menaces. Il aurait défendu Grazzt, qui avait alerté le Conseil, si justement il n'avait pas eu cette partie de dames routinière et pour laquelle il soupirait. Le reste était bien secondaire, mais pour un gnome ces petites habitudes étaient précieuses. Et puis, Pioche-Matin avait de l'âge. Il avait dû passer la journée entre ses ateliers et sa tournée des foyers. Il devait être fourbu après tout ça, même s'il semblait encore en pleine forme.

« Parlant de ça… »

Et Pioche-Matin posa ses deux mains solides sur les épaules de Krintal.

« T'avais pas voulu devenir chasseur à l'époque ? »

« J'étais haut comme trois pommes. »

« Et très bête, à pas douter ! » Rigola Pioche-Matin. « Allez, rends-moi ce service. Tu te mets sur une tour, tu regardes si quelque chose approche. Ca te ferait bien voir des autres. »

Les gnomes qui avaient la carrure et la force pour être gardes l'avaient aussi pour être chasseurs, et quand ils rentraient au village ils étaient pressés de se reposer, de profiter de retrouver leurs familles. Alors ceux qui étaient à l'enceinte étaient les désoeuvrés, un peu comme Krintal, à qui on n'aurait pas confié une arbalète, encore moins des flèches enflammées. C'était le meilleur plan pour enflammer le village. C'était aussi pour ça qu'on n'avait pas confié à un garde la surveillance du louveteau.

Mais même à ce travail chétif, Krintal ne se sentait pas de taille. Il aurait voulu dire oui à Pioche-Matin, il aurait voulu avoir même ce médiocre statut dans la communauté, et croire que ce qui le retenait était l'envie de pouvoir se promener librement au village. Seulement il aurait toujours pu se promener librement. Personne ne surveillait les gardes.

Non, ce qui le retenait était la pensée brutale de voir s'agiter les arbres, comme le bruissement d'un buisson, de sentir s'approcher la menace et de se se sentir impuissant. C'était difficilement explicable. Seuls les lâches pouvaient comprendre.

« Tu sais que Fillnui va le faire, elle ? »

« Comment ? Garde ? » Et Nez-Fourré regarda Pioche-Matin, incrédule. « Mais enfin, elle a passé l'âge. »

« Comme si tu la connaissais pas ! Dès que Zibnarf en a parlé, elle a sauté sur l'occasion. Il n'y aurait pas son mari, on aurait une chasseresse, tiens ! »

C'était amusant de l'imaginer, mais en même temps Krintal avait déjà vu son amie manier l'arbalète. À elle, il aurait confié des flèches enflammées. Il lui aurait confié toute la garde et tout le village. Dans un soupir intérieur, le gnome admit la différence de caractère.

« Je suppose que je peux essayer. »

« Voilà ! » Pioche-Matin lui donna une bonne tape. « Ne t'inquiète donc pas, ça ira tout seul. Si tu veux, je peux même te faire faire fabriquer les carreaux, qu'est-ce que t'en dis ? Hein ? Allez va, d'ici deux semaines ça va te passionner ! »

Tout cela ne fit que miner un peu plus le moral de Krintal, non pas parce qu'il avait accepté mais parce que tout lui disait qu'il aurait pu refuser. C'était, là encore, quelque chose que seuls les couards comme Krintal pouvaient comprendre. Il n'était pas brave comme Fillnui, il n'était pas solide comme Pioche-Matin. On le ménageait.

L'ancien, lui, se moquait bien de toutes ces arrières-pensées. Il avait réduit sa liste, réglé deux problèmes d'un coup et il avait pu parler avec un visage amical. Sa soirée était sauvée. Et puis, il y avait eu ce petit sourire que Nez-Fourré lui avait offert et qui valait de l'or, quand il pouvait lui remonter le moral. Entre gnomes, c'était comme ça, on prenait ce qu'on pouvait. La vie était bien assez dure autrement.

Mais ce sourire s'était déjà évanoui et, après avoir cru que c'était habituel, Pioche-Matin s'inquiéta. Il avait presque senti, sous ses deux mains, le gnome flancher.

« Eh, eh, qu'est-ce qui va pas ? »

Krintal ramena le livre aux pages blanches devant lui.

« J'ai peur. »

« Peur de quoi ? Pas de ces histoires des chasseurs, là, quand même ? »

« Non. J'ai peur… comment dire ? Le village n'a pas besoin de l'écriture, mais nous avons l'écriture. L'arbalète est si complexe, et nous avons des arbalètes. J'ai peur de l'incohérence, tu comprends ? J'ai une peur viscérale de ce qu'elle révèle. »

Pioche-Matin attendit deux secondes, que Krintal continue, puis répondit :

« Qu'est-ce qu'elle révèle ? »

« Dalven, qui a creusé te galeries ? Qui avant toi, qui avant celui-là ? Tu sais mieux que quiconque le temps qu'il faut pour creuser un mètre. »

Pioche-Matin se frotta tout le visage de la main pour réfléchir. Il ne prenait pas Krintal au sérieux, mais il aimait les problèmes abstraits. C'était pour cela que le jeu des dames le fascinait. Le calcul était un véritable plaisir, tout comme de résoudre les difficultés techniques, de surmonter les puzzles et énigmes de son métier. Et si cela pouvait aider Nez-Fourré à se sentir mieux, et lui éviter de devoir repartir trop vite, il voulait bien se prêter au jeu.

Ensuite, son visage se renfrogna. Le calcul était simple pourtant, le nombre de mètres de galerie, qu'il connaissait à peu près ou pouvait estimer, pour le nombre d'heures par mètre. À quoi il s'était soudain pris d'un second calcul, un peu plus fou, de la quantité de métal extraite par mètre pour la quantité de métal estimée dans le village. Puis il songea au travail de forge, puis il songea au combustible de la forge, puis il songea aux difficultés techniques du minage, aux outils qu'il utilisait.

Quand il se rendit compte que presque vingt secondes s'étaient écoulées sans que Krintal ne l'arrête, le vieux gnome laissa retomber ses deux bras.

« Je vais y réfléchir. Je vais bien y réfléchir. »

Et Pioche-Matin, après une dernière tape et un dernier sourire pour Krintal, se détourna, non pas pour sa tournée mais pour rentrer chez lui, la tête soudain prise de calculs qu'il chassait quelque peu sans le pouvoir.

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Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #20574 il y a 8 ans 3 mois
Quand j’ai fini la lecture de ce texte, la première chose qui m’est venu en tête, c’était : « je n’ai rien à dire ». Je voulais dire par là que tu avais fait le job. Que tu l’avais même bien fait. Mais justement, je crois qu’il est intéressant de creuser cette question.

D’abord, tout au long de la lecture, j’ai été saisi par la maîtrise dont tu fais preuve et surtout par la rigueur du plan. Bon, en soi, on peut dire qu’il est simple, qu’il y a 3 séquences et qu’on passe de l’une à l’autre sans trop sans rendre compte (ce qui montre justement à quel point le résultat est travaillé). Ce n’est pas ça l’important, c’est la façon dont tu structures chacune de ces séquences. Voire même comment tu structures chaque paragraphe et encore plus comment on passe de l’un à l’autre. En te lisant, je saisis mieux ce qui fait défaut aux miens pour lesquels je ne planifie rien et où je procède finalement après coup… Là, tout est sa place.
Par exemple, ce paragraphe me parait extrêmement bien construit.

Pour tous ceux qui voyaient passer Krintal, le regard distrait, le pas perdu dans l'herbe et les mains dans les poches, simplement parce que le soir approchait et que, sous le ciel alourdi de nuages, le village finissait ses dernières tâches, ils savaient exactement ce que le gnome avait en tête. C'était bientôt l'heure du repas, et comme les enfants, Nez-Fourré voulait agrémenter son ordinaire. Il cherchait des champignons.

Tu arrives à créer une tension et un enjeu (le fameux enjeu dont tu ne cesses de me réclamer et pour lequel jusqu’à présent tu me parlais un peu chinois, finalement) à partir d’une action complètement banale. Vraiment, je suis admiratif. Typiquement, moi, j'aurai certainement commencé par "Il cherchait des champignons". OU j'aurais donné ce point due de ceux qui le regardent avant. Or ici, cet élément devient plein d'enjeux. Cette phrase dit tout, mais surtout, elle dit plus qu'elle ne dit.
Je ne ferais pas l'analyse de tes procédés pour arriver à ce résultat ni comment tu as construit ce petit paragraphe parce que tu serai plus calé que moi pour le faire, mais je trouve qu'il résume bien l'habileté que tu as pour construire une vraie dimension dramatique avec rien. En tout cas, moi, je ne sais pas écrire comme ça, je dirais même que je peux pas penser mon écriture comme ça mais que ça me fait réfléchir. Et cela rend plus tangible certains de tes griefs sur mes textes.

Je dirais que la seule critique que je ferais vraiment, c’est que résultat frôle parfois le brillant exercice scolaire. Le frôle seulement parce qu’on trouve de quoi déjouer cette impasse grâce à des petites trouées dans ton récit qui fait que ce texte n’est plus ce qu’il était au départ (un texte d’un autre auteur) mais bien un texte de Vuld Eldone, de par certains thèmes et un ton qui te soit propre (et également un certain glissement dans les enjeux).

Et finalement, si j’ai quelques réserves, elles viennent sans doute plus du matériau d’origine que de ce texte. On a quand même un très fort parallèle entre les hobbits et les gnomes, qui fait qu’il y a en soi un rien de cliché. Mais ici, la tension est intéressante car elle sous-tend le récit. On sait qu’il plane quelque chose de pas normal dans ce village. Le fantastique n’est pas explicité, mais on le ressent, il transpire sans être qu'il soit vraiment mis en scène.


Maintenant, essayons de parler des différences entre les deux version du récit. D’après ce dont je me rappelle du texte initiale (ma lecture date, mais j’en ai encore des souvenirs assez précis), c’était que le texte portait un regard plus enfantin sur ces gnomes. Et leur peur et leur vision du monde (ainsi que le ton du texte) produisaient un côté plus léger. Ici, leur regard est en soi sans doute plus fidèle à ce qu’ils ressentent, mais j’aimais bien le décalage et ce double regard, qui donnait un poids plus léger à l’intrigue dramatique (en fait, il y avait le regard des gnomes et le regard du lecteur qui créait un décalage amusant). Ici, l’éventuelle cocasserie a disparu. Du coup, on prend plus au sérieux l’histoire et, du coup, je trouve que cela lui ôte une partie de sa crédibilité. Je veux dire par là que si on parle de l’ambiguïté sur la nature du monstre (est-ce oui ou non un ours ?), pour ma part, j’ai du mal à croire que les gnomes connaissent si peu leur monde… Ils existent depuis des siècles. Bref, en rendant plus sérieux et finalement pus tangible leur regard, la perte de la légèreté initiale du ton rend à mon sens moins crédible l’intrigue.

Bon, on pourrait sans doute en dire plus, mais comme je l’ai dit au départ, je n’ai rien à dire sur ce texte. Par contre, j’ai envie de parler sur ce texte, sur ces thèmes, chose que nous avons parfois tendance à oublier à force de nous soucier du comment…

D’abord, je suis saisi par le rapport au concret que tu mets en œuvre. On sent que le monde dont tu parles n’est pas en toc. Il est tangible. Et pour preuve, tes personnages ont cette volonté également de le rendre tangible. Par exemple, ton héros, Krintal, note sur du parchemin. Il porte son livre. Il ne sait pas trop pourquoi il le fait, mais il sent que c’est important. Pourquoi ? Parce que les écrits restent. C’est déjà un rapport au concret.
Autre scène, il veut voir le louveteau, comme s’il avait besoin de voir pour croire. Il a besoin de mettre un visage sur sa peur, il a ce côté Thomas d'Aquin. Et même dans cette scène, il a besoin de toucher le bâton qui tient la corde, il a même besoin de mesurer mentalement cette corde pour se rendre compte que cette menace ne peut pas l‘atteindre. A nouveau un rapport étroit avec le concret, avec ce qu’on touche. Par ce biais, tu arrives également à transcrire au lecteur cette menace, cette peur. Elle devient en quelque sorte « concrète », même pour un malheureux louveteau.

L’une des plus belles scènes du texte, c’est d’ailleurs quand il bute sur cette réalité et qu’il ne cesse d’écrire ‘C’est un loup ». Ici, on sort du cadre scolaire. En soi, c’est une non-scène puisqu’il ne se passe rien. Pourtant, elle dit tout sur ton personnage. En tout cas, plus qu’un longue développement psychologique.

Autre scène: quand il faut quantifier le travail. « Il leur fallait du bois ». Oui mais combien ? Alors tu bâtis un parallèle pour rendre concret cette quantité.
Même chose sur les dés. J’ai beaucoup apprécié la manière avec laquelle tu amènes l’image des dés. Je trouve qu’ils nous marquent l’esprit. D’ailleurs, c’est à nouveau un rapport au concret qui se dessine. Le gardien garde les dés dans sa main fermée, comme s’il avait besoin de cet objet pour combler un vide. Tu ne les décris pas, mais moi, je les vois plus nettement que si tu l’avais fait (peut-être est-ce dû aussi à mon propre rapport aux jeux et au fait que j’en utilise aussi souvent).

Dernier rapport au concret : les galeries. Tes personnages ont soudain besoin de mesurer le temps qu’il a fallu pour les creuser (et de quantifier précisément ce travail). Bon, là, cela m’a fait penser à la vidéo de Naheuleuk et leur démonstration (très drôle) pour savoir combien il fallait de nains pour creuser un souterrain… A découvrir si vous ne connaissez pas :laugh:

C’est vraiment curieux ce rapport que tu as avec le concret. Ce n’est pas la première fois que j’ai cette impression. Cela me marque d’autant plus que moi je ne l’ai pas et que je sais que j’ai du mal à le faire passer dans mes récits (cf mes descriptions). Moi, je bute sur le réel, il reste une chose inconnue (cf l’une de mes obsessions). Et je suis toujours dans l’effort pour essayer de le transmettre aux lecteurs qui ont ce besoin… Et je devine que c’est une dimension de mes textes qui frustre certains de mes lecteurs, y compris quand je me sens obligé de répondre à ce besoin. L’un des textes que je travaille actuellement doit montrer un personnage au milieu d’un incendie. Et j’ai les pires peines du monde à rendre crédible cette scène… Soit c’est un incendie fantôme, soit cela devient ridicule à force d’insistance…
Parallèlement, cette insistance me parle donc, mais en même temps, cela reste quelque chose de secondaire pour moi. Disons que ton insistance m'intéresse plus que ce que tu veux me faire voir. Je ne m'intéresse pas à la quantité de bois, aux heures de travail, moi, ça, tu peux toujours courir pour m'exciter avec ça, c'est pas mon truc, mais le façon de me présenter la chose m'intéresse. Je pense que c'est la même chose avec toi quand je veux faire passer du sentiment. On a chacun sa langue étrangère, je crois... Tu me parles d'un truc qui m'ennuie dans la vie et en soi dont je n'ai pour ma part pas besoin pour m'intéresser ou comprendre l'histoire, mais tu arrives à m'intéresser non à ce que je suis censé quantifier mais parce que cela devient une sorte d'obsession de ton monde et de tes personnages.

Un autre thème que j’ai apprécié est celui du fantastique. Il est présent partout même si tu souhaites être le plus réaliste possible. Ce que je trouve habile, c’est la façon dont tu crées des sortes de trouées « troubles » dans ton récit. Par exemple, il y a ce passage où ton héros se promène dans le village. Il y a cette zone où l’on sent comme un danger irrationnel, comme si ce village n'était pas aussi "innocent" et lisse. Ce n'est pas la Comté bis.

L’autre élément fantastique est bien entendu construit autour de la forêt. Elle possède une dimension profondément maternelle (j’ignore si c’est à ce point volontaire). D’abord, elle crée comme un espace utérin autour du village qui fait qu’elle les enferme comme pour les protéger de la réalité du monde. En soi, c’est comme si elle poussait les gnomes à rester dans l’enfance, à ne pas vouloir grandir en sortant de leur village, à affronter le monde. Comme le ferait une mère protectrice. Ce rapport maternelle (et utérin) se retrouve aussi dans la nourriture, c’est elle qui leur donne à manger, comme le fait la mère dans son ventre et plus tard avec son lait maternel.
Mais c’est aussi une mère ambiguë car une mère tellement protectrice qu’elle les étouffe. C’est dit de manière très explicite. Cette dimension donne d’ailleurs la dimension fantastique de la forêt, comme si elle était un vrai personnage avec une propre volonté. A force de les empêcher de grandir et d’affronter le vrai monde, elle devient dangereuse.

Le dernier élément fantastique est bien entendu dans la menace. On ignore sa nature. Est-ce le regard d’enfants qui sont saisis par une fantasmagorie ou est-ce un regard d’adulte et lucide ? En ce sens, ce « monstre » peut être à la fois une menace qui vient de la forêt elle-même ou une menace qui vient d’un autre monde, comme si cette forêt maternelle ne pouvait produire une telle menace.

Enfin, il y a toujours dans ce texte un parallèle entre un récit qui raconte une histoire et un récit qu’on doit écrire (réécrire). Donc avec ce double rapport à l’histoire. C’est présent avec la scène de début, c’est aussi là avec la scène du louveteau. Ce qui est intéressant, c’est ici comment tu procèdes pour donner vie au loup sans le décrire et c’est dans l’incapacité de Krintal de décrire ce qu’il voit que le lecteur ressent le plus possible la réalité du loup. Donc ici, tu as mis en scène ton incapacité à faire vivre ce loup (ou ta volonté de ne pas décrire) pour que le lecteur fasse littéralement le travail à ta place. Vraiment très habile. Tu forces le lecteur à se projeter dans l’histoire, à projeter ses propres projections et en écrivant simplement « C’est un loup », tu arrives à faire vivre tout l’imaginaire qui entoure cette créature dans l’inconscient collectif. Seulement, c’est nous qui le faisons et on le ressent de ce fait encore plus fortement. En soi, je trouve juste le décalage loup/louveteau un peu frustrant, comme si on nous avait forcé à imaginer un truc énorme et qu’on nous disait à la fin : « ne t’emballe pas, tu as oublié que c’était juste un petit louveteau ». Certes, on peut se dire « qu’est-ce que cela serait si c’était un vrai loup » mais moi, j’ai eu la désagréable impression qu’on m’avait un peu piégé et menti. On m’avait forcé à voir plus qu’il n’y avait à voir… Même si c’est juste un petit détail…

Bon, voilà les choses que j’avais à dire. A toi de me dire si cela si cela t’intéresse d’aller plus loin sur certaines directions et si tu es d’accord avec mon regard…
Portrait de Vuld Edone
Vuld Edone a répondu au sujet : #20577 il y a 8 ans 3 mois
N'oublie pas que c'est un pastiche.

Comme tu l'indiques, il n'y a que quelques trouées où je retrouve ma liberté, autrement quoi j'essaie de suivre le style d'origine. Je n'y arrive pas -- comme tu l'indiques, le côté enfantin a laissé place à ce côté comptable très concret -- mais, je l'avais fait remarquer, Par-delà les brumes fonctionne énormément sur l'élaboration de l'univers.
C'est pour cela que je prends le temps de décrire tous ces petits détails, d'expliquer les dés, etc... choses que je n'imagine pas faire dans les Anges, par exemple.
C'est ce côté pastiche qui explique pourquoi c'est si scolaire et si descriptif.

À propos de l'aspect plus matérialiste, pour une bonne part c'est dû à l'intrigue. Dans le Libra, le texte du Pont par-delà les brumes est en train de se dégrader. La première chose qu'essaie de dire Quirinal c'est "où est le héros ?!" Leste-Plume est absent, sans quoi Krintal l'aurait déjà embarqué dans son aventure. La seconde chose qu'essaie de dire Quirinal est que ce monde est incohérent. Ce qui, pour un conte, ne serait pas grave, mais face à la destruction du monde c'est un sérieux problème.
C'est pour cela qu'il cherche à multiplier les lieux, les personnages et les détails : c'est comme si les gnomes fabriquaient une seconde muraille contre la forêt. Il essaie de "solidifier" le monde, de repousser l'échéance. De se donner du temps. Et puis il a une autre motivation, mais ça je le garde pour moi. Disons juste qu'il veut pousser l'histoire dans une direction où elle mettra plus de temps à être détruite -- en rendant cohérentes les incohérences.
J'aime à penser que le comportement de Quirinal n'est pas compréhensible pour le lecteur, mais que Krintal est suffisamment "humain", entre sa lâcheté et sa petite vie de gnome, pour attirer la sympathie du lecteur. Mon but est qu'on ne comprenne le plan de Quirinal qu'à la toute fin (chapitre 6).

J'en profite pour signaler qu'une fois encore, j'aurai probablement du retard.
Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #20578 il y a 8 ans 3 mois
En fait, je trouve que tu arrives à faire de ce travail tout autre chose qu'un pastiche. Au contraire, on sent que ton investissement fait que cette dimension est de plus en plus secondaire et que c'est un texte qui est de plus en plus personnel. Disons qu'on sent que tu es dans un schéma "je fais mon job" avec ton cahier des charges que tu t'imposes mais qu'en même temps cela devient "je fais mon récit à moi".

Je dois avouer que j'avais du mal à trouver un vrai intérêt au projet (en fait, j'ai lu ton texte en me disant qu'il fallait que je fasse moi aussi mon job :laugh: ), mais que le résultat que tu montres m'intéresse d'un coup davantage.

Pour ce qui est de Quirinal et Krintal, j'avais zappé tout ça (j'ai un peu oublié le précédent chapitre, en fait, parce qu'il date un peu dans ma tête). Et comme j'ai mauvaise mémoire des prénoms, je t'avoue que tes deux perso ne faisaient plus qu'un... Surtout que tu as volontairement choisi deux prénoms qui se ressemblent...
Portrait de Vuld Edone
Vuld Edone a répondu au sujet : #20580 il y a 8 ans 3 mois
Oh, c'est normal, c'est la même personne. Quirinal personnage du Libra devient Krintal personnage du Pont par-delà les Brumes. Il s'adapte à l'histoire, comme un infiltré. Il y avait déjà ça dans une moindre mesure dans la saison 1 du Libra, où je crois que les personnages conservaient leurs noms, mais devenaient des personnages ancrés dans l'intrigue du récit. Je me rappelle encore le personnage de Krycek, après qu'ils soient sortis de Pandemonium, lancer "vous avez bien fichu n'importe quoi !"
Les personnages du Libra savent qui est qui, mais les personnages de l'histoire, eux, ne voient rien.
Ici, une fois encore, Quirinal doit réduire les incohérences au maximum, et forcément un personnage nommé Quirinal serait une incohérence. D'où, au chapitre précédent, le "heureusement, Quirinal n'existait pas".

Ne jamais oublier que le Libra est inspiré de Myst, où ces gens créaient des mondes simplement en les écrivant, puis allaient les visiter. La logique est ici la même, et il est théoriquement possible d'aller visiter un livre dans un livre, etc...
La différence est que, dans le Libra, les mondes suivent les règles de la littérature. C'est-à-dire et surtout, par-dessus tout, celle de cohérence. Le Libra peut changer n'importe quoi dans l'histoire, mais dans les limites de la cohérence. Tu ne peux pas faire apparaître une soucoupe volante au-dessus du village. L'histoire ne le permet simplement pas.

En tout cas yup, le principal intérêt du Libra (au-delà du jeu logique pour moi) est de s'approprier un monde. Pouvoir visiter les univers des autres...