Libra II - Vuld, "Tête-de-Loup"
- Vuld Edone
- Auteur du sujet
- Hors Ligne
- Messages : 2178
Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.
- Zarathoustra
- Hors Ligne
- Messages : 2081
D’abord, tout au long de la lecture, j’ai été saisi par la maîtrise dont tu fais preuve et surtout par la rigueur du plan. Bon, en soi, on peut dire qu’il est simple, qu’il y a 3 séquences et qu’on passe de l’une à l’autre sans trop sans rendre compte (ce qui montre justement à quel point le résultat est travaillé). Ce n’est pas ça l’important, c’est la façon dont tu structures chacune de ces séquences. Voire même comment tu structures chaque paragraphe et encore plus comment on passe de l’un à l’autre. En te lisant, je saisis mieux ce qui fait défaut aux miens pour lesquels je ne planifie rien et où je procède finalement après coup… Là, tout est sa place.
Par exemple, ce paragraphe me parait extrêmement bien construit.
Tu arrives à créer une tension et un enjeu (le fameux enjeu dont tu ne cesses de me réclamer et pour lequel jusqu’à présent tu me parlais un peu chinois, finalement) à partir d’une action complètement banale. Vraiment, je suis admiratif. Typiquement, moi, j'aurai certainement commencé par "Il cherchait des champignons". OU j'aurais donné ce point due de ceux qui le regardent avant. Or ici, cet élément devient plein d'enjeux. Cette phrase dit tout, mais surtout, elle dit plus qu'elle ne dit.Pour tous ceux qui voyaient passer Krintal, le regard distrait, le pas perdu dans l'herbe et les mains dans les poches, simplement parce que le soir approchait et que, sous le ciel alourdi de nuages, le village finissait ses dernières tâches, ils savaient exactement ce que le gnome avait en tête. C'était bientôt l'heure du repas, et comme les enfants, Nez-Fourré voulait agrémenter son ordinaire. Il cherchait des champignons.
Je ne ferais pas l'analyse de tes procédés pour arriver à ce résultat ni comment tu as construit ce petit paragraphe parce que tu serai plus calé que moi pour le faire, mais je trouve qu'il résume bien l'habileté que tu as pour construire une vraie dimension dramatique avec rien. En tout cas, moi, je ne sais pas écrire comme ça, je dirais même que je peux pas penser mon écriture comme ça mais que ça me fait réfléchir. Et cela rend plus tangible certains de tes griefs sur mes textes.
Je dirais que la seule critique que je ferais vraiment, c’est que résultat frôle parfois le brillant exercice scolaire. Le frôle seulement parce qu’on trouve de quoi déjouer cette impasse grâce à des petites trouées dans ton récit qui fait que ce texte n’est plus ce qu’il était au départ (un texte d’un autre auteur) mais bien un texte de Vuld Eldone, de par certains thèmes et un ton qui te soit propre (et également un certain glissement dans les enjeux).
Et finalement, si j’ai quelques réserves, elles viennent sans doute plus du matériau d’origine que de ce texte. On a quand même un très fort parallèle entre les hobbits et les gnomes, qui fait qu’il y a en soi un rien de cliché. Mais ici, la tension est intéressante car elle sous-tend le récit. On sait qu’il plane quelque chose de pas normal dans ce village. Le fantastique n’est pas explicité, mais on le ressent, il transpire sans être qu'il soit vraiment mis en scène.
Maintenant, essayons de parler des différences entre les deux version du récit. D’après ce dont je me rappelle du texte initiale (ma lecture date, mais j’en ai encore des souvenirs assez précis), c’était que le texte portait un regard plus enfantin sur ces gnomes. Et leur peur et leur vision du monde (ainsi que le ton du texte) produisaient un côté plus léger. Ici, leur regard est en soi sans doute plus fidèle à ce qu’ils ressentent, mais j’aimais bien le décalage et ce double regard, qui donnait un poids plus léger à l’intrigue dramatique (en fait, il y avait le regard des gnomes et le regard du lecteur qui créait un décalage amusant). Ici, l’éventuelle cocasserie a disparu. Du coup, on prend plus au sérieux l’histoire et, du coup, je trouve que cela lui ôte une partie de sa crédibilité. Je veux dire par là que si on parle de l’ambiguïté sur la nature du monstre (est-ce oui ou non un ours ?), pour ma part, j’ai du mal à croire que les gnomes connaissent si peu leur monde… Ils existent depuis des siècles. Bref, en rendant plus sérieux et finalement pus tangible leur regard, la perte de la légèreté initiale du ton rend à mon sens moins crédible l’intrigue.
Bon, on pourrait sans doute en dire plus, mais comme je l’ai dit au départ, je n’ai rien à dire sur ce texte. Par contre, j’ai envie de parler sur ce texte, sur ces thèmes, chose que nous avons parfois tendance à oublier à force de nous soucier du comment…
D’abord, je suis saisi par le rapport au concret que tu mets en œuvre. On sent que le monde dont tu parles n’est pas en toc. Il est tangible. Et pour preuve, tes personnages ont cette volonté également de le rendre tangible. Par exemple, ton héros, Krintal, note sur du parchemin. Il porte son livre. Il ne sait pas trop pourquoi il le fait, mais il sent que c’est important. Pourquoi ? Parce que les écrits restent. C’est déjà un rapport au concret.
Autre scène, il veut voir le louveteau, comme s’il avait besoin de voir pour croire. Il a besoin de mettre un visage sur sa peur, il a ce côté Thomas d'Aquin. Et même dans cette scène, il a besoin de toucher le bâton qui tient la corde, il a même besoin de mesurer mentalement cette corde pour se rendre compte que cette menace ne peut pas l‘atteindre. A nouveau un rapport étroit avec le concret, avec ce qu’on touche. Par ce biais, tu arrives également à transcrire au lecteur cette menace, cette peur. Elle devient en quelque sorte « concrète », même pour un malheureux louveteau.
L’une des plus belles scènes du texte, c’est d’ailleurs quand il bute sur cette réalité et qu’il ne cesse d’écrire ‘C’est un loup ». Ici, on sort du cadre scolaire. En soi, c’est une non-scène puisqu’il ne se passe rien. Pourtant, elle dit tout sur ton personnage. En tout cas, plus qu’un longue développement psychologique.
Autre scène: quand il faut quantifier le travail. « Il leur fallait du bois ». Oui mais combien ? Alors tu bâtis un parallèle pour rendre concret cette quantité.
Même chose sur les dés. J’ai beaucoup apprécié la manière avec laquelle tu amènes l’image des dés. Je trouve qu’ils nous marquent l’esprit. D’ailleurs, c’est à nouveau un rapport au concret qui se dessine. Le gardien garde les dés dans sa main fermée, comme s’il avait besoin de cet objet pour combler un vide. Tu ne les décris pas, mais moi, je les vois plus nettement que si tu l’avais fait (peut-être est-ce dû aussi à mon propre rapport aux jeux et au fait que j’en utilise aussi souvent).
Dernier rapport au concret : les galeries. Tes personnages ont soudain besoin de mesurer le temps qu’il a fallu pour les creuser (et de quantifier précisément ce travail). Bon, là, cela m’a fait penser à la vidéo de Naheuleuk et leur démonstration (très drôle) pour savoir combien il fallait de nains pour creuser un souterrain… A découvrir si vous ne connaissez pas
C’est vraiment curieux ce rapport que tu as avec le concret. Ce n’est pas la première fois que j’ai cette impression. Cela me marque d’autant plus que moi je ne l’ai pas et que je sais que j’ai du mal à le faire passer dans mes récits (cf mes descriptions). Moi, je bute sur le réel, il reste une chose inconnue (cf l’une de mes obsessions). Et je suis toujours dans l’effort pour essayer de le transmettre aux lecteurs qui ont ce besoin… Et je devine que c’est une dimension de mes textes qui frustre certains de mes lecteurs, y compris quand je me sens obligé de répondre à ce besoin. L’un des textes que je travaille actuellement doit montrer un personnage au milieu d’un incendie. Et j’ai les pires peines du monde à rendre crédible cette scène… Soit c’est un incendie fantôme, soit cela devient ridicule à force d’insistance…
Parallèlement, cette insistance me parle donc, mais en même temps, cela reste quelque chose de secondaire pour moi. Disons que ton insistance m'intéresse plus que ce que tu veux me faire voir. Je ne m'intéresse pas à la quantité de bois, aux heures de travail, moi, ça, tu peux toujours courir pour m'exciter avec ça, c'est pas mon truc, mais le façon de me présenter la chose m'intéresse. Je pense que c'est la même chose avec toi quand je veux faire passer du sentiment. On a chacun sa langue étrangère, je crois... Tu me parles d'un truc qui m'ennuie dans la vie et en soi dont je n'ai pour ma part pas besoin pour m'intéresser ou comprendre l'histoire, mais tu arrives à m'intéresser non à ce que je suis censé quantifier mais parce que cela devient une sorte d'obsession de ton monde et de tes personnages.
Un autre thème que j’ai apprécié est celui du fantastique. Il est présent partout même si tu souhaites être le plus réaliste possible. Ce que je trouve habile, c’est la façon dont tu crées des sortes de trouées « troubles » dans ton récit. Par exemple, il y a ce passage où ton héros se promène dans le village. Il y a cette zone où l’on sent comme un danger irrationnel, comme si ce village n'était pas aussi "innocent" et lisse. Ce n'est pas la Comté bis.
L’autre élément fantastique est bien entendu construit autour de la forêt. Elle possède une dimension profondément maternelle (j’ignore si c’est à ce point volontaire). D’abord, elle crée comme un espace utérin autour du village qui fait qu’elle les enferme comme pour les protéger de la réalité du monde. En soi, c’est comme si elle poussait les gnomes à rester dans l’enfance, à ne pas vouloir grandir en sortant de leur village, à affronter le monde. Comme le ferait une mère protectrice. Ce rapport maternelle (et utérin) se retrouve aussi dans la nourriture, c’est elle qui leur donne à manger, comme le fait la mère dans son ventre et plus tard avec son lait maternel.
Mais c’est aussi une mère ambiguë car une mère tellement protectrice qu’elle les étouffe. C’est dit de manière très explicite. Cette dimension donne d’ailleurs la dimension fantastique de la forêt, comme si elle était un vrai personnage avec une propre volonté. A force de les empêcher de grandir et d’affronter le vrai monde, elle devient dangereuse.
Le dernier élément fantastique est bien entendu dans la menace. On ignore sa nature. Est-ce le regard d’enfants qui sont saisis par une fantasmagorie ou est-ce un regard d’adulte et lucide ? En ce sens, ce « monstre » peut être à la fois une menace qui vient de la forêt elle-même ou une menace qui vient d’un autre monde, comme si cette forêt maternelle ne pouvait produire une telle menace.
Enfin, il y a toujours dans ce texte un parallèle entre un récit qui raconte une histoire et un récit qu’on doit écrire (réécrire). Donc avec ce double rapport à l’histoire. C’est présent avec la scène de début, c’est aussi là avec la scène du louveteau. Ce qui est intéressant, c’est ici comment tu procèdes pour donner vie au loup sans le décrire et c’est dans l’incapacité de Krintal de décrire ce qu’il voit que le lecteur ressent le plus possible la réalité du loup. Donc ici, tu as mis en scène ton incapacité à faire vivre ce loup (ou ta volonté de ne pas décrire) pour que le lecteur fasse littéralement le travail à ta place. Vraiment très habile. Tu forces le lecteur à se projeter dans l’histoire, à projeter ses propres projections et en écrivant simplement « C’est un loup », tu arrives à faire vivre tout l’imaginaire qui entoure cette créature dans l’inconscient collectif. Seulement, c’est nous qui le faisons et on le ressent de ce fait encore plus fortement. En soi, je trouve juste le décalage loup/louveteau un peu frustrant, comme si on nous avait forcé à imaginer un truc énorme et qu’on nous disait à la fin : « ne t’emballe pas, tu as oublié que c’était juste un petit louveteau ». Certes, on peut se dire « qu’est-ce que cela serait si c’était un vrai loup » mais moi, j’ai eu la désagréable impression qu’on m’avait un peu piégé et menti. On m’avait forcé à voir plus qu’il n’y avait à voir… Même si c’est juste un petit détail…
Bon, voilà les choses que j’avais à dire. A toi de me dire si cela si cela t’intéresse d’aller plus loin sur certaines directions et si tu es d’accord avec mon regard…
Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.
- Vuld Edone
- Auteur du sujet
- Hors Ligne
- Messages : 2178
Comme tu l'indiques, il n'y a que quelques trouées où je retrouve ma liberté, autrement quoi j'essaie de suivre le style d'origine. Je n'y arrive pas -- comme tu l'indiques, le côté enfantin a laissé place à ce côté comptable très concret -- mais, je l'avais fait remarquer, Par-delà les brumes fonctionne énormément sur l'élaboration de l'univers.
C'est pour cela que je prends le temps de décrire tous ces petits détails, d'expliquer les dés, etc... choses que je n'imagine pas faire dans les Anges, par exemple.
C'est ce côté pastiche qui explique pourquoi c'est si scolaire et si descriptif.
À propos de l'aspect plus matérialiste, pour une bonne part c'est dû à l'intrigue. Dans le Libra, le texte du Pont par-delà les brumes est en train de se dégrader. La première chose qu'essaie de dire Quirinal c'est "où est le héros ?!" Leste-Plume est absent, sans quoi Krintal l'aurait déjà embarqué dans son aventure. La seconde chose qu'essaie de dire Quirinal est que ce monde est incohérent. Ce qui, pour un conte, ne serait pas grave, mais face à la destruction du monde c'est un sérieux problème.
C'est pour cela qu'il cherche à multiplier les lieux, les personnages et les détails : c'est comme si les gnomes fabriquaient une seconde muraille contre la forêt. Il essaie de "solidifier" le monde, de repousser l'échéance. De se donner du temps. Et puis il a une autre motivation, mais ça je le garde pour moi. Disons juste qu'il veut pousser l'histoire dans une direction où elle mettra plus de temps à être détruite -- en rendant cohérentes les incohérences.
J'aime à penser que le comportement de Quirinal n'est pas compréhensible pour le lecteur, mais que Krintal est suffisamment "humain", entre sa lâcheté et sa petite vie de gnome, pour attirer la sympathie du lecteur. Mon but est qu'on ne comprenne le plan de Quirinal qu'à la toute fin (chapitre 6).
J'en profite pour signaler qu'une fois encore, j'aurai probablement du retard.
Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.
- Zarathoustra
- Hors Ligne
- Messages : 2081
Je dois avouer que j'avais du mal à trouver un vrai intérêt au projet (en fait, j'ai lu ton texte en me disant qu'il fallait que je fasse moi aussi mon job ), mais que le résultat que tu montres m'intéresse d'un coup davantage.
Pour ce qui est de Quirinal et Krintal, j'avais zappé tout ça (j'ai un peu oublié le précédent chapitre, en fait, parce qu'il date un peu dans ma tête). Et comme j'ai mauvaise mémoire des prénoms, je t'avoue que tes deux perso ne faisaient plus qu'un... Surtout que tu as volontairement choisi deux prénoms qui se ressemblent...
Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.
- Vuld Edone
- Auteur du sujet
- Hors Ligne
- Messages : 2178
Les personnages du Libra savent qui est qui, mais les personnages de l'histoire, eux, ne voient rien.
Ici, une fois encore, Quirinal doit réduire les incohérences au maximum, et forcément un personnage nommé Quirinal serait une incohérence. D'où, au chapitre précédent, le "heureusement, Quirinal n'existait pas".
Ne jamais oublier que le Libra est inspiré de Myst, où ces gens créaient des mondes simplement en les écrivant, puis allaient les visiter. La logique est ici la même, et il est théoriquement possible d'aller visiter un livre dans un livre, etc...
La différence est que, dans le Libra, les mondes suivent les règles de la littérature. C'est-à-dire et surtout, par-dessus tout, celle de cohérence. Le Libra peut changer n'importe quoi dans l'histoire, mais dans les limites de la cohérence. Tu ne peux pas faire apparaître une soucoupe volante au-dessus du village. L'histoire ne le permet simplement pas.
En tout cas yup, le principal intérêt du Libra (au-delà du jeu logique pour moi) est de s'approprier un monde. Pouvoir visiter les univers des autres...
Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.