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L’ensemble du château des Chroniques tremblait à chaque mouvement du monstre. Il semblait se gonfler et comprimer les parois au point de les faire craquer, puis se réduire comme peau de chagrin, puis recommencer en avançant d’une case. Évidemment, avec un jet de deux, il n’effrayait pas grand monde. Ce serait autre chose, et Vlad le savait, quand le monstre pénétrerait dans le petit salon. Le loqueteux avait planifié de ne s’enfuir qu’après avoir réussi à le contourner, ce qui ne serait possible que dans cette pièce.
« Ton plan ne fonctionnera pas, Vlad, et tu le sais. »
De son côté Quirinal n’en menait pas large. Il n’avait même pas ramassé le Libra, toujours à ses pieds. Ses yeux étaient maintenant fixés sur la porte fermée du petit salon. Le vacarme cessa, aussitôt suivi par un roulement de dés. C’était aussi naturel que de marcher. Le loqueteux roula sa tête le long des épaules, rajusta sa défroque encore humide de l’alcool qui s’était déversé dessus et, vivement, se déplaça d’un mur à l’autre de la pièce. Il le longea ensuite jusqu’à ce que ses jambes s’engourdissent et l’obligent à s’arrêter.
« Eh, Quir’ ? J’connais des narcotiques qui t’font l’même effet. »
Le Libra lui vola entre les mains. Quirinal le lui avait envoyé le plus rapidement possible, pour ne pas rater son propre tour. Au roulement des dés, il s’arracha à sa case et se précipita jusqu’à la peau de bête sur laquelle l’un de ses dés avait terminé sa course. Une fois qu’il l’eut en main, sa peur sembla disparaître. Il devait préparer un tour. Le chroniqueur drogué se souvint que son compagnon avait pu bouger en lançant ces dés. Sans précaution, il lui fausserait compagnie au premier moment venu.
« Tu veux toujours m’tuer ? »
« C’est de bonne guerre. » lui répondit Quirinal. « Si je n’avais pas été aussi assoupi, ce serait toi qui essaierait de me tuer. Alors tout se serait passé pour le mieux. Mais je divague, concentre-toi plutôt sur ton prochain coup. Le monstre approche. »
« Oui, ‘l’est bientôt là la bête, la méchante bête. »
Il avait terminé d’écrire le nouveau mouvement du monstre. Un roulement de tonnerre précéda le mouvement dans le couloir, qui se rapprochait toujours, qui atteignit la porte. Ils entendirent les membres inhumains gratter contre le bois, gratter de plus en plus fort, puis plus rien, puis un coup sourd qui fit trembler les gonds, puis à nouveau, plus rien. Peu à peu une brume noire s’échappait le long de l’encadrement, jusqu’à entourer intégralement le battant qui, soudain, fut broyé. Alors le monstre se jeta dans le salon, renversant les tables, une énorme masse noire plongée dans un brouillard de ténèbres.
« Oh, une salle à manger ! J’espère que ça ne vous gêne pas, j’ai justement une faim de monstre ! »
Les deux chroniqueurs se regardèrent l’air de ne pas y croire. Sur le coup tous deux avaient oublié leur mort imminente, tant ils étaient proches de se rouler par terre de rire après une réplique aussi médiocre. Cependant Vlad, une main en l’air tenant encore le Libra, comptait avec son crayon à bout de doigt son prochain mouvement. Il lança le livre à Quirinal qui le rattrapa de mauvais gré puis se déplaça à nouveau jusqu’au côté où le second dé était allé se perdre. Sa plus grande crainte était alors que le prochain mouvement du monstre ne soit pas celui qu’il avait planifié, auquel cas il serait à sa portée. Mais avec le pouvoir du Libra, ce n’était que très peu probable.
Il n’était sûr de rien.
« Eh ben ma mignonne ? T’as un p’tit creux ? Qu’est-c’tu dirais d’un bon plat d’chroniqueurs ? »
Déjà le drogué se relevait, avec entre ses ongles putréfiés le second dé que cherchait Quirinal. Il eut juste le temps de voir le Libra lui arriver dessus, à quelques instants du prochain roulement de dés. La bête, qui jusqu’alors avait gardé toute son attention sur le bonhomme, revint sur lui et tira comme s’il avait voulu s’arracher de sa place. Bien sûr, il voulait le Libra. Le monstre tuerait d’abord son porteur, c’était la règle.

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