Quirinal sentit au moment de se déplacer à quel point la peur le
tenaillait. Il était pressé de fuir dans un coin du petit salon (de
quand même vingt mètres sur quatorze) pour s’éloigner le plus possible
de la bête qui trônait presque au centre de la pièce. Autour du
brouillard noir les tables étaient renversées et les peaux de bête
rejetées sur le côté. Celles qui étaient restées dans le noir avaient
été lentement tirées et englouties dans un bruit affreux de succion. Il
savait cependant que fuir ne servirait à rien.
Il lui fallait ce second dé.
« Tu m’fais confiance, Quir’ ? »
À
force de réfléchir au moyen de rester en vie, le bonhomme en avait
oublié sa loque de compagnon qui, avec son précieux Libra, continuait
de le railler. Vlad pourtant n’en menait pas large non plus, dans ses
loques miteuses. Il devait sentir la même sueur couler derrière sa
nuque.
« Tout c’qu’t’as à faire, c’est d’te mettre près d’la porte. »
« Oui ! » s’exclama le monstre. « Juste à côté d’moi, j’aime avoir les casse-croûte à portée ! »
« Voilà. Voilà, c’est exactement pour ça que je dis que ton plan ne fonctionnera pas. »
Et
le docteur de désigner l’énorme monstre qui les séparait l’un de
l’autre de chaque côté du salon. Il n’avait toujours pas remarqué le
second dé que possédait désormais le chroniqueur drogué. Mais c’était
là-bas qu’il voulait se diriger, désormais. Seulement ensuite ce serait
au monstre de se déplacer et même s’il parvenait là, qu’il ait le Libra
ou non, il serait la prochaine victime.
Le Libra. Évidemment, Vlad
avait calculé cela. Ce monstre comme eux obéissait aux règles et ce
qu’il voulait avant tout, c’était le Libra. Son ami drogué avait prévu
d’attirer sur lui le monstre, puis de se donner suffisamment de
mouvement pour retourner dans le couloir, suivi de peu par lui-même.
Seulement c’était perdu d’avance. Encombrés du Libra, ils n’auraient
qu’un mouvement pour deux. À moins de jouer vraiment bien.
«
Dis-moi, même si nous arrivions jusqu’à la porte d’entrée, par je ne
sais quelle prouesse, comment comptes-tu refermer la porte ? Et
surtout, que feras-tu de l’autre côté ? Le monstre est censé te suivre,
laisse-moi te le rappeler. »
« Surtout, ne vous gênez pas ! Papotez de votre plan, faites comme si le monstre n’était pas là ! »
N’ayant
plus d’autre choix, Quirinal se décida à suivre son compagnon. Il se
déplaça donc dans le dos de la bête, juste à côté de la porte, avant de
voir son mouvement s’achever. Les dés roulèrent, la créature se tourna
en face de lui. Il déglutit. Vlad ne pouvait pas avoir prévu de le
tuer. Il avait besoin de lui pour transporter le Libra. Ou alors Vlad
était juste fou, fou au point de vouloir tous les faire tuer.
« Mais dis-moi, tu trembles ! » gronda la créature. « Ah oui, c’est vrai, je peux te dévorer. Dommage. »
Il
vit la bête s’étendre en direction du loqueteux, s’allonger
démesurément en renversant les tables, jusqu’à arriver tout près de son
compagnon, jusqu’à le frôler, puis elle s’immobilisa. Elle ne se
rendait pas compte que ses mouvements étaient contrôlés par le Libra.
Ce tour de plus à attendre, si près de son but, la faisait enrager. Au
contraire, le docteur soufflait enfin.
« Je crois que c’est ton tour de m’envoyer le Libra, non ? »
« Et si on f’sait un échange ? Hein, t’en dis quoi ? »
Les
dés roulèrent, le drogué avait gardé sur lui le Libra. Il venait de se
suicider, tout bonnement, et il entraînait avec lui Quirinal. Ce
dernier se mordit les lèvres, il sentit ses dents – les siennes étaient
saines – s’enfoncer jusqu’au sang.
« C’était un plaisir, Vlad. Tu laisseras à la postérité le souvenir d’un fou. »
« Ton dé contre le Libra. Qu’est-c’t’en dis, Quir’ ? T’y gagnes, non ? »
Le
docteur retint tous les jurons que son esprit peu fécond avait pu
inventer. Il savait pour les dés. Et maintenant, il lui faisait du
chantage.
28 - Vérité, décide
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- Écrit par Vuld Edone
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