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Le docteur se réveilla d’un somme si lourd qu’il en sentait encore le souvenir peser sur son front. Il s’était affalé sur ses trois chaises, un bras pendu dans le vide, après avoir lu quelques poèmes qui lui avaient servi d’assommoir. Non, décidément, ce n’était pas son fort. Son rêve avait été plein de bruit, de livres qui virevoltaient et d’une moquerie qui essayait de se faire passer pour Mgrv. Il chassa tout cela de sa main, se redressa lourdement et regarda autour de lui pour une première surprise désagréable.
Le petit salon des Chroniques avait été dévasté durant son sommeil. La porte broyée pendait lamentablement. Il se pressa de constater, avec réconfort, que les livres bien que renversés étaient intacts. Alors, d’un pas pesant, peu pressé de trouver la cause de son réveil, le chroniqueur alla jusqu’à eux pour reformer la pile. Il ne se souciait ni des couloirs du château plongés dans le noir ni du vestibule pareillement en désordre.
« Ah, te voilà enfin »
Furent les premiers mots qu’il eut la mauvaise idée d’adresser à Vlad quand ce dernier fit son apparition (mais comment aurait-il pu savoir ?) Son compagnon chroniqueur paraissait plus misérable que jamais. Le bas de son habit miteux était déchiré. Ses membres maigres sur son petit corps tremblaient encore de la consommation de drogues et du souvenir de sa lecture. Il rapportait le manuel du jeu de société, dont le docteur se souvint, ainsi que le fameux livre qu’ils avaient tous les deux voulu récupérer.
Ce livre s’était trouvé auparavant derrière une fenêtre. Il ne savait plus vraiment laquelle des douze mais le détail ne lui paraissait pas valoir de s’y attarder.
« Oui, » répondit-il au regard interrogateur de son compagnon, « je n’ai pas encore pris la peine de tout ranger. Plus franchement je ne comprends pas bien ce qui a pu causer tout cela : je dormais. »
Et il se réjouit intérieurement de voir son ami drogué quitter l’air presque hostile qu’il arborait jusqu’alors pour lui resservir cette face hideuse aux plis flasques qui lui servait de sourire. Sans doute la récupération du livre avait-elle été pénible. Pourtant, il ne se souvenait pas qu’une lecture pouvait occasionner autant d’émotion.
« Eh ben Quir’ ? Tu n’veux plus m’tuer ? »
Cela lui parut étrange, mais pas plus que nombre d’autres élucubrations de ce dément. Aussi Quirinal répondit-il avec bonhommie :
« Je pourrais t’épargner, si tu te décides à prendre un bain. Parlant de cela, voyons si ce livre est capable de nous ouvrir au moins une salle de bains. »
Il ne comprit pas plus pourquoi le sourire difforme de son ami s’était encore étiré jusqu’à exposer ses petits chicots de dents. De fait, il ne cherchait pas à comprendre grand-chose. L’accès au livre avait dû provoquer tout ce chambardement. Il imaginait un puzzle ennuyeux, fait d’énigmes insolubles, et ne songeait même plus à son rêve.
La description que Vlad lui avait faite du livre était exacte. Il examina la couverture reliée et riche, sans le moindre titre, qu’il connaissait déjà et pouvait enfin toucher, puis il ouvrit et fit défiler les pages blanches, interminables. La première était couverte de l’écriture de son ami, avec beaucoup de nombres, comme le suivi d’une partie en cours. Plus haut, il remarqua les quelques phrases avec la partie rayées, où il était expliqué comment et pourquoi avait été caché ce livre. Enfin, tout en haut, il lut « j’écris ».
Tout cela lui parut abominablement compliqué. Il trouva étrange aussi d’y trouver deux écritures différentes mais, ne se formalisant pas, referma doctement le livre (c’est possible). Le silence plein de moquerie de son ami recommençait déjà à l’agacer, sans doute aussi parce qu’il avait réussi là où, plus tôt, Quirinal avait échoué. L’accès à ce livre avait pu être compliqué, sans doute. Il excusait facilement ce comportement. Mais l’impression d’avoir manqué quelque chose d’important et le désagrément de trouver le salon dévasté alors qu’il avait dormi tout ce temps, tout ce qu’il ne s’expliquait pas, il sentait que son ami en avait les réponses. Encore seraient-ce les réponses d’un dément.

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