Redoutant une explication qui le dépasserait, le docteur n’avait pas
encore posé les questions qui pressaient ses lèvres. Il en avait temps,
à présent que sa torpeur se dissipait, qu’il n’aurait pas su seulement
par où commencer. Alors en attendant que ses idées s’éclaircissent, lui
et son loqueteux d’ami s’étaient affairés à redresser les tables et à
ramener les chaises. Sous leurs efforts de peu de grâce le petit salon
du château retrouvait son ordre serein. Il fallait aussi remettre les
têtes empaillées sur le mur, retendre les tapisseries, en général, tout
était encore à faire mais ce n’étaient que des broutilles.
« Bien, »
fit Quirinal alors qu’ils déplaçaient à deux une des tables en chêne, «
nous en avons fait assez. Il serait temps que tu m’expliques ce qu’est
précisément ce livre. »
Le docteur n’avait pas détaché son attention
du petit chroniqueur drogué dont il devait se satisfaire comme
compagnon, et qui satisfait avait recommencé à mâchouiller sous son
capuchon rongé par les mites son éternel bâtonnet noir.
« T’as mis l’temps pour d’mander. L’autre a app’lé ça un Libra. »
« L’autre ? Quel autre ? » mais Quirinal regrettait déjà sa question.
«
Tu t’rappelles pas, Quir’ ? C’tait toi. T’as dit qu’ça ouvrirait pas
les portes. Mais j’suis certain d’son pouvoir, ouais, certain. T’écris
d’dans et c’qu’est écrit s’produit. »
Sans vouloir le traiter de
menteur, du haut de son esprit raisonnable le chroniqueur bonhomme
avait du mal à le suivre. Il hochait la tête à la manière du professeur
qui pris à défaut dans sa matière cherchait à sauver les apparences.
Dans l’effort du poisson sorti de l’eau, le bon docteur cherchait la
bonne question à poser quand une idée pas très lumineuse mais digne
d’un chroniqueur le titilla au niveau de sa curiosité.
« Je peux ? »
Dit-il
en pointant du doigt le Libra. Bien entendu son compagnon approuva,
mais il jugea à sa face – toujours aussi hideuse et puante, au
demeurant – que son compagnon aurait approuvé n’importe quoi. Quirinal
s’empara du livre et cherchant dans la poche de sa chemise de quoi
écrire, fut surpris d’y trouver les deux dés du jeu de société. Il se
mit néanmoins à écrire au-dessous de l’écriture de Vlad, qui le
regardait faire. Il écrivit : « Vlad explique et Quirinal comprend. »
Cela lui sembla suffisant. Après une moue de jugement distante, il se
détourna du livre et attendit.
Il attendit. Attendit encore.
« De toute évidence cela ne fonctionne pas. »
« Eh bah Quir’ ? L’bouquin est méchant avec toi ? Il t’faut l’mode d’emploi ? »
Le
docteur avait encore en tête le souvenir cuisant du manuel de jeu
absurde. Il regarda encore son écriture dans le livre, regretta de ne
pas comprendre et soupirant :
« Sommes-nous seulement sûrs que ce…
Libra a un réel pouvoir ? Sans remettre en cause ta perception du
monde, je viens d’écrire dedans et, chose étrange, rien ne s’est
produit. »
« La preuve est sous ton nez, Quir’. Just’là. »
Vlad
pointait le tout premier mot écrit, en haut de la première page.
Quelqu’un y avait écrit « j’écris ». Quirinal voulut bien deviner que
c’était son ami chroniqueur, malgré les deux écritures différentes.
« Soit. Tu as écrit « j’écris », et ensuite ? »
« Bah quand j’l’ai écrit, j’écrivais. C’pas une preuve, ça ? »
« Mais… mais… non ! Tu écrivais forcément quoi que tu écrives ! »
« Tu l’vois pas, Quir’ ? Quand j’trouve un bouquin vierge, j’écris pas d’dans. J’avais pas d’raison d’le faire. »
Si,
pensa Quirinal, un esprit malade n’avait pas besoin de raison pour le
faire. Néanmoins, après tout ce qu’ils avaient vécu – et parce qu’ils
étaient chroniqueurs – le docteur écarta cet argument. Il comprit alors
ce que lui expliquait son ami : le paradoxe du Libra, qui pouvait
influencer sur le monde et sur lequel le monde influençait. Il devina
alors tout le reste, ce qu’était Libra, ce qu’avait vécu Vlad, et il
relut sa phrase.
32 - Vérité, test test
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- Écrit par Vuld Edone
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