Le ciel devint froid aux lueurs éphémères de l'astre, les nuages s'y
étirèrent démesurément, s'y déchirèrent en bandes qui tendaient du côté
de la capitale. Le quartier nord, pourtant le plus petit, tenait quatre
collines et ceinturé d'une haute courtine jusqu'aux deux courants, il
s'étendait encore séparé seulement des champs par une route de pierre.
Les trois autres quartiers de la cité des seigneurs s'étendaient plus
loin encore dans les terres. Isolée en leur centre, forteresse
au-dessus de tout, la Lumière de cendres dressait ses tours noires
comme le plumage d'autant de corbeaux. Quelle ironie ! Il existait une
magie à l'œuvre là-bas, une magie que Vlades Jan avait connu autrefois,
qui s'appelait politique.
Todrick K’Rahsco aurait dû être le dernier
à tenir le trône. Mais depuis l'assassinat du roi, il avait droit de
vie et de mort sur toute chose. Vlades le savait mieux que personne,
pour y avoir assisté depuis le rêve profond de la Perception, et parce
que c'était son frère, Ghendes Jan, qui avait transmis les dernières
volontés du roi. Depuis Todrick régnait et personne n'osait s'opposer à
lui. Les nobles trouvant un nouveau maître se tournaient les uns contre
les autres, à la recherche de plus de terres et d'un regard
bienveillant. Le devin ne cherchait pas à savoir ce qui l'attendait,
lui. Il ne tenait pas spécialement à rejoindre la capitale. Mais il
avait toutes les raisons de vouloir racheter des drogues.
Le
quartier sud s'appelait aussi le Palace des Pauvres, pour ses rues
dégagées et ses bâtisses fenêtrées malgré la pauvreté absolue qui y
dominait. Des bandes de hères croupissaient jusque dans la Voie
magique, l'artère principale de la cité. Ils pendaient pas grappes
contre les murs, moulés aux façades dans leurs haillons. C'était cette
artère qu'empruntait à présent le devin, en direction d'une échoppe qui
se trouvait à l'écart, et dont l'enseigne présentait deux feuilles
blanche et noire. Là travaillait Nathan.
Des voix l'accueillirent dès qu'il entra.
- Tu peux toujours aller cueillir ces feuilles toi-même.
- Je sais que tu en as ici.
Cette
seconde voix était insensible, aussi froide que la nuit ou l'hiver,
presque menaçante. Vlades hésita sur le pas, il préférait revenir plus
tard si cela dégénérait. Il n'en eut pas le temps.
- Ravale ton
savoir, tu ne trouveras plus ici ni poisons ni venins. Si ça te fait
mal, je peux te vendre un baume, sinon passe ton chemin, Fadamar.
Une
seconde après, un homme sombre vêtu de vêtements plus sombres encore
passa devant le devin trop vite pour qu'il s'en assure, mais cela ne
l'aurait pas étonné de voir une pièce pendre au cou de l'individu. Ce
nom était celui d'un assassin, craint à juste titre et célèbre pour
laisser ses victimes au hasard. Heureusement cette silhouette s'était
évanouie par la porte et derrière le voile de narcotiques qui
troublaient sa vue. Le devin marcha entre les étagères remplies de
bocaux et d'herbes séchées, chargées d'odeurs qui affolaient ses sens.
Près d'arbustes en pots se tenait l'herboriste Nathan, courbé par
l'âge, le visage déformé par sa profession.
L'herboriste n'eut même
pas besoin de tourner son attention vers lui pour deviner la raison de
sa visite. Son attitude et son odeur en disaient suffisamment.
- Je reconnais certaines fragrances, d'autres sont animales. Pour consommer autant, tu dois être le devin Vlades Jan.
- Le vilain devineur ! C'tait facile. J'peux être que moi. Allez devineur, chacun son métier, hein ? Chacun son métier.
Sans
relever son visage, l'herboriste se tourna enfin. Il avait sur la face
toute une balafre de bubons qui pesaient sur l'œil, et d'autres plus
petits que les rides crevaient. Personne ne le surpassait dans son art.
À l'exception d'une plante, Nathan connaissait toute la flore du
royaume et la rumeur voulait qu'il puisse guérir n'importe quoi. Ses
talents ne s'arrêtaient pas aux seuls soins, plus souvent ses produits
avaient causé la mort. Il semblait que cela appartenait au passé
désormais. Alors que l'herboriste fouillait la plus proche armoire pour
des drogues, il remarqua l'ouvrage aux mains de Vlades, et s'arrêta.
42 - Pion, en capitales
- Détails
- Écrit par Vuld Edone
- Catégorie parente: Autres Genres
- Catégorie : Libra
- Affichages : 1221
Discuter de cet article
Connectez-vous pour commenter