Il jugea que Nathan mentait aussi sûrement qu’il jugeait à quel point
toute cette histoire leur avait échappé. Combien de personnes
agissaient dans l’ombre, combien de personnes étaient concernées ?
Quelles pouvaient être les chances que leur mensonge recouvre une
vérité ? Le géant velu n’essaya même pas de l’imaginer. S’il ne
s’adaptait pas vite, son seul avenir dans les fumées livides de son ami
le devin serait un chemin droit comme une lame d’épée au même bout
effilé par la mort.
- S’il y a autre chose que je sais, j’aimerais retourner dormir.
Le velu sentit sa mâchoire tirer sur les côtés.
- Et si je te disais que je suis le chef de la secte ?
Il
venait de jouer le tout pour le tout, un coup comme aucun autre, tête
baissée. Si Mederick tombait il tombait aussi, si le noble ne tombait
pas il tomberait quand même, dans tous les cas son avenir
s’évanouissait s’il ne convainquait pas Nathan ici et maintenant. Le
plus drôle était qu’il ne risquait rien puisque personne jusqu’ici n’y
avait cru.
- Ridicule.
- Bien, bien ! Lança Vlades avant de
renifler très fort. Ridicule, hein ? Pas fiable. Pas fiable du tout,
c’est triste, si triste…
Les deux hommes regardèrent cette loque
dans son soliloque bercer un être fictif qui devait être feu son
intelligence. Ils sentaient tous les deux un creux dans leur ventre, le
creux de la moquerie mordante.
- Les drogues, ça s’fiable !
Bedeline, ma douce, ma toute douce ! Et puis là ! secousse des mains.
Plus rien ! Plus d’couleurs, s’triste…
Soudain l’herboriste crut
comprendre. Sa face changea du tout au tout malgré un effort visible
pour retenir les souvenirs qui déferlaient en lui, tous les doutes, les
rumeurs, ce qu’il avait constaté lui-même, la difficulté croissante
d’écrire dans les énergies, de les graver dans l’air, de les contrôler.
Il voyait ces courbes mourir loin de leurs possesseurs, ces derniers
trahis agiter leurs mains en vain. Ou le drogué délirait ou il parlait
de cette évasion généralisée des énergies et alors cela expliquait la
capture du nécromancien, peut-être ce soigneur de peu de talent
était-il vraiment… il n’acheva pas cette pensée. Il était préoccupé par
tout autre chose, ce sujet le préoccupait à titre personnel. Ce devin
savait quelque chose. Il jeta involontairement un regard du côté de la
porte, subreptice, que les autres n’eurent pas le temps de remarquer.
Quill
avait saisi tout de suite de quoi il s’agissait tant Vlades ne parlait
que de la Perception et de ses substances. Les nuées blanches lui
étaient plus impossibles à percer que jamais. Pourquoi en parlait-il en
cet instant ? Mais cela fonctionnait, l’herboriste les écoutait à
présent. Il ne pouvait plus cacher son attention.
- Si vous avez
fini, je continue. La secte va tuer Todrick K’Rahsco. Tout ce qui s’y
oppose s’appelle Mederick. S’il meurt, plus rien n’évitera la chute du
roi.
- Et je dois te croire parce que ?
L’apothicaire eut un de
ses soupirs qui naissaient de ces histoires de cœur et de mœurs où tout
le monde était amateur. Il n’avait pas besoin de donner de raisons.
L’herboriste, malgré les airs qu’il voulait se donner, s’il n’était pas
encore convaincu, transmettrait quand même malgré lui cette nouvelle
rumeur.
- Parce que la magie n’est pas fiable. Je te dirais bien
pourquoi mais tu n’as pas de tabac à me donner. Demande à Lametrouble
quand il viendra te trouver.
- Vous arrivez trop tard.
Il eut le
temps d’apprécier l’ironie de la situation, aux côtés d’un devin et
malgré tout surpris par ce qu’il aurait dû prévoir depuis longtemps.
L’assassin à la pièce était déjà passé, leur mensonge ne les
protègerait pas. La perspective d’affronter un tueur professionnel dut
lui vider le visage de toute humeur jusqu’à le rendre blanc de craie, à
l’instant où il constatait à quel point il jouait une partie inégale.
Ils avaient perdu.
58 - Pion, trop tard
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- Écrit par Vuld Edone
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