La boutique était fermée de nuit les fenêtres closes, le verrou tiré,
des volets à l’étage. Un léger souffle dans la ruelle faisait grincer
l’enseigne aux feuilles croisées. La lune dégagée au-dessus des toits
se mêlait à ses reflets sur les glaces livides des flaques au pas de la
porte et sur les bordures de bois qui courait le long des murs. Le
balcon penché sur les pavés venait d’un autre âge, de cette époque
inconnue où le Palace portait bien son nom. Ils restaient là gênés tous
deux dehors et frappés par le froid, chacun trop fier ou trop
indifférent pour pousser l’autre à ouvrir. L’herboriste dormait, ils
auraient pu le réveiller comme ils auraient pu le surprendre en pleine
rencontre avec l’assassin. Ce dernier ne risquait pas d’attendre
l’ouverture du lendemain. Perdus debout au côté de la ruelle, ils
avaient la figure de tous les hères sans destination, ces faces bêtes
incrustées dans les murs qui finissaient par s’y fondre au complet
jusqu’à n’être plus que des ombres.
Et si Nathan ne parlait pas ? Et
s’il se doutait de leur rôle, et s’il savait ? Et s’il voulait
rejoindre la secte ? Ce dernier cas de figure fit tousser
l’apothicaire, il faillit s’étouffer d’énormité. Non, l’herboriste ne
risquait pas de rejoindre des fous masqués, il fallait être désespéré
pour cela et le vieux sarcastique avait trop à perdre. Alors il
parlerait, il les guiderait directement sur eux et tous deux ne sachant
pas où se trouvait Mederick mourraient de la main d’un assassin. D’ici
à ce que ça se produise, une nouvelle histoire devait prendre place, un
nouveau mensonge pour les protéger, pour diriger une fois de plus la
Garde Sombre dans la mauvaise direction. Nathan servirait à cela.
Un
pavé alla ricocher contre l’un des volets. Quill avait bondi de
surprise, ébahi, il regarda son drogué de compagnon tituber un autre
pavé à la main, qu’il avait simplement arraché du sol, ces mauvaises
pierres usées par les décennies, et il visait maladroitement un point
quelconque sur la façade. Avant qu’il ne lance, l’apothicaire avait
bondi sur lui, l’écrasait de son poids.
- On veut rencontrer Nathan, pas la garde. Puis bougon : Au cas où ça ne t’aurais pas frappé.
Un volet s’ouvrit, un visage parut dans la pénombre. Ils l’entendirent à peine grogner.
- Je suis fermé.
- C’est nous.
L’herboriste
ne les connaissait pas, il ne les avait vu guère plus d’une ou deux
fois chacun parmi la vague de ses clients. Le ton qu’avait employé
Quill n’avait rien non plus de convainquant, il avait simplement énoncé
l’évidence. La tête disparut, le volet se referma en grand bruit. Ils
attendirent encore, presque une minute. Le verrou de l’entrée glissa,
Nathan ouvrit. Le vieil homme rabougri, le visage émacié par la
fatigue, leur fit signe d’entrer. Ils se dépêchèrent de le suivre à
l’intérieur où il faisait plus chaud, loin du vent aussi. Leurs regards
à l’exception de Vlades exprimaient le soupçon et la curiosité, qu’ils
essayaient de cacher derrière d’épais manteaux de désinvolture.
- Lametrouble te cherche. Il sait que tu as aidé à soigner Mederick T’Nataus.
- Je sais, appuya tranquillement l’herboriste. Ça ne valait pas de me réveiller pour ça.
- Je ne te réveille pas pour ça.
Cette
idée eut le mérite de faire réagir Nathan. Il les regarda plus
durement, les jaugea tous deux dans leurs habits sales, leurs visages
également sales et leurs ongles noirs. Eux aussi cherchaient à se
dégager de leurs doutes, à sembler détaché de tout ce qui pouvait leur
arriver. Seul Vlades y arrivait. Le devin laissait jouer ses doigts
devant lui comme s’il les découvrait pour la première fois. Il puait
plus que toutes les plantes des étagères.
- Oh ! fit-il mine de se réveiller. Juste que des assassins, y en a deux. C’est ça Quill ?
- J’étais au courant pour ça aussi.
L’apothicaire
cligna de ses petits yeux ronds. Il savait ? Comment ça, il mentait ?
Il n’y avait pas de second assassin. L’herboriste n’avait aucune raison
de leur mentir et pourtant, à l’évidence, c’était ce qu’il faisait. Son
plan vacillait déjà. Il comprit que lui et le drogué avaient un coup de
retard sur tout le monde, qu’ils faisaient face à un échec prochain.
57 - Pion, pas vrai
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- Écrit par Vuld Edone
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