Un soleil plein de feux éclata sur les murailles noires de la Lumière
de cendres. Il la regardait les pieds contre le muret qui le séparait
des douves, un peu bête, pas vraiment perdu. L’astre naissant se
découpa le long de la tour des gardes, il grimpa lascif contre le mur,
il prit son temps. Les événements, le devin pouvait se les figurer, il
n’avait pas besoin de faire appel à son art. De toute manière c’était
devenu trop difficile, même pour lui. Alors il imaginait, il songeait
que ce Fadamar avait dû retourner chez l’herboriste Nathan pour y faire
soigner son alliée. Il imaginait que cette alliée avait dû lui demander
pardon pour s’être fait avoir. Nathan avait dû leur raconter sa propre
rencontre avec lui et Quill. Après ? La rumeur avait couru foudroyante
que la secte avait pour but de tuer le roi, Thodrick K’Rahsco, le même
qu’abritaient les courtines infranchissables du château. Il les
regardait, le devin imaginait la réaction du roi, un haussement de
sourcil ou un poing abattu, sans plus. Les maîtres du monde n’avaient
pas à se soucier des menaces, pas s’ils voulaient garder leur trône.
Les
gardes avaient fait exécuter une poignée d’adeptes. Aussitôt l’ensemble
de l’édifice avait vacillé, le quartier nobiliaire s’était pacifié, les
masques avaient cessé de courir de main en main, les forgerons, les
couturiers se cachaient. À l’ouest seulement, le mouvement restait
fort, partout ailleurs il avait semblé s’étouffer sur le coup. Quelle
menace ! Le devin imaginait le capitaine des Gardes Sombres riant
d’eux, si ce capitaine savait rire. Après ? Il y avait trop de pions,
trop de coups à jouer pour qu’il les envisage tous. Le devin regardait
la Lumière de cendres certain qu’avant la nuit tombée, quoi qu’il en
coûte, il y entrerait. Ou alors c’étaient les drogues, comment savoir ?
Une
femme famélique, le ventre creusé jusqu’aux os, de la crasse comme
vêtements, s’avança jusqu’à lui repliée sur elle-même et jetant des
regards effrayés de tous côtés. Qu’elle appartienne à la secte où qu’un
adepte l’ait envoyée, elle avait la prudence de ne porter aucun masque,
même dans un lieu sombre. Il lui avait fallu du courage à cette
créature abattue par l’existence pour sortir des ruelles obscures du
quartier ouest. Elle lui arracha les pièces de la main.
- Dis ! jeta-t-elle sans retenue.
Cette
femme ne s’étonnait même pas que quelqu’un la paie pour dénoncer un
ennemi de la secte. Elle avait raison de ne penser qu’à se nourrir. Le
drogué lui ressemblait assez avec son visage enlaidi par une fausse
vieillesse, le dos courbé, la peau flasque rongée par quelque maladie.
Il devait puer comme elle, il devait porter des vêtements à peine
meilleurs. Seulement lui avait ce sourire un peu fou que lui donnait la
drogue, qui le détachait de tout, et il avait le ventre plein. Elle se
méfiait de lui.
- C’t’un apothicaire, dans l’Palace, y s’appelle Quill.
En
quelques mots, il lui décrivit l’emplacement du taudis, cette minuscule
demeure entre deux vieilles demeures et dont le fond s’était écroulé.
Elle n’écouta que les mots, l’air sauvage. Dès qu’il eut fini, sans
plus attendre, la femme partit en courant disparaître parmi les
étroites ruelles. Il laissa dodeliner sa tête, fouilla sa bourse : il
lui restait du Hadan, quelques poudres, son bâtonnet, presque plus
rien. Déjà il mâchonnait le bâtonnet noir contre ses gencives nues et
les dernières dents pourries qui lui restaient. La Lumière de cendres
ne lui paraissait pas bien menaçante malgré sa taille et sa réputation.
Il se renversa en arrière, se retrouva par terre avant d’avoir compris
et rit sans raison, sans attirer l’attention tant il y avait de gueux
que l’odeur du fossé ne rebutait pas.
Combien de temps faudrait-il
pour que la secte capture Quill ? Il ne risquait pas d’être difficile à
attraper, même pour des mendiants, avec sa blessure. Quand il l’avait
quitté, le drogué l’avait vu endormi, à peine dérangé par quelques
spasmes. Le lieu où il serait gardé prisonnier ne faisait aucun doute,
ce ne serait pas l’entrepôt, il avait voulu garder l’entrepôt pour une
autre occasion, comme s’il devait y avoir une autre occasion à cette
farce gigantesque qu’était la secte, condamnée à court terme, le temps
pour eux de forcer les portes du château royal et tout cela, tout,
juste pour soigner un noble ?
63 - Pion, vendu
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- Écrit par Vuld Edone
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