Leur ami, idéaliste, profita d’une ellipse alors qu’ils reprenaient une
marche hasardeuse dans les couloirs pour leur exposer les grandes
lignes de ce qu’il savait. Mais contrairement à un idéaliste il ne
s’extasiait jamais, il jetait tout à terre et le foulait volontiers du
pied. Un drôle d’idéaliste que faisait Akdov, jugeaient ses deux
compagnons (enfin pour ce que Vlad était capable de juger…) Une drôle
de situation aussi.
Tout se résumait à peu près à un personnage hors de contrôle. Ce qui
constituait la plus quotidienne des idées pour un écrivant, à savoir la
rupture d’un cadre d’histoire – le personnage sortant du livre ! –
était à peu près impossible aux Chroniques de par leur familiarité avec
ce thème et de par leur maîtrise de l’écriture qu’on leur supposait.
Mais voilà, ce râleur assurait qu’il avait ni plus ni moins rencontré
ce personnage, sans pour autant avoir pu l’identifier.
« Les chroniqueurs ont alors tout verrouillé et créé le Libra. »
« Attends, attends. »
Ils s’arrêtent de marcher. Le docteur, l’air fatigué se frotte l’arête
du nez à deux doigts tout en cherchant ses mots. Après des heures de
puzzle et d’errance, pas question de laisser quelque chose dans
l’ombre. Or il y avait déjà suffisamment de points sombres dans ce
résumé.
« Qui, exactement, a verrouillé les Chroniques ? »
« T’écoutes pas, Quir’ ! C’tait nous ! »
« Qui, nous ? Je n’y étais pas. Et toi ? Et toi ? Il faudrait savoir qui. »
Pour le coup même le loqueteux drapé de ses haillons fit mine de
réfléchir. La longue hésitation d’Akdov fut plus révélatrice que bien
de longs discours qu’il n’était, de toute manière, pas disposé à
donner. Aucun nom ne venait et pourtant ils les sentaient au bout de la
langue, mais relégués à des souvenirs trop lointains d’autant plus
vagues que ces Chroniques closes et à l’abandon n’étaient pas tout à
fait les lieux familiers de leur mémoire.
Enfin, bien pris à défaut, il parla pour lui-même :
« Je n’y étais pas, je mhr-mmmrh j’étais occupé ailleurs. »
Il y eut la fausse surprise que le loqueteux tête dressée sous son
capuchon de mites ne fasse pas de commentaires. Il aurait eu pourtant
la part belle de railler.
« De toute manière tu n’y étais pas non plus, que je sache. »
« Je travaillais. »
« Facile ! Mais je reprends. »
Et ils se remirent à marcher par les couloirs, guidés par ce râleur
d’Akdov dont les paroles faisaient plus de bruits que leurs pas. Il fit
une allégorie plutôt médiocre mais de circonstance, comparant le
château à une maison hantée, le personnage à un fantôme et le Libra à
l’outil d’exorcisme. Mais voilà, les chroniqueurs avaient enfermé à
leur tour les Libra et disparu du jour au lendemain, comme ça. Ca leur
ressemblait bien, rien de surprenant là.
Bien sûr, rien dans cet exposé ne satisfaisait vraiment l’esprit non
pas critique mais très mondain de Quirinal qui allait faire observer
toutes les failles d’un scénario aussi mal ficelé. Vlad, lui, n’aurait
pas pu en être plus satisfait. Il aurait admis tout et n’importe quoi
au travers de ses drogues, du moins, il en donnait l’apparence.
Ils arrivèrent nulle part, c’est-à-dire passant par le hall au travers
des escaliers jusqu’au mur qui en bloquait l’accès aux archives et où
les deux compagnons, alors encore seuls, avaient reposé le mot d’Akdov.
Le docteur repensa à l’état de la cuisine après leur passage et se
sentit satisfait qu’ils ne soient pas allés par là. En attendant, le
mur n’y était plus.
À la place se trouvaient des gravats comme pulvérisés et dont les
extrémités avaient été vitrifiées. Ils les voyaient brillantes dans
l’obscurité de l’escalier. C’était sans commentaires, néanmoins leur
cynique compagnon se permit d’ouvrir le Libra qu’il avait en mains pour
y annoter quelques mots. Il avait l’air particulièrement irrité par la
disparition de son mur, bien entendu, puisque celui-ci devait protéger
les archives et de ce fameux personnage en fuite, et des autres
chroniqueurs.
132 - Ennemi, qui
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- Écrit par Vuld Edone
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