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Sharp Ramint et Rock Aesop font tout deux partie des Libres, la résistance humaine face au Saint Empire Techno. Ils sont présentement sur Omega1 afin d’exécuter une mission pour la rébellion. Mais les choses ne sont pas toujours aussi simples…

Omega1, Système B05

À peine entré dans la chambre, le sol se déroba sous mes pieds. Un instant j’eus l’impression de flotter, entre virtuel et réalité avant de basculer et m’étaler lamentablement à l’étage inférieur. Un peu sonné, je me retournai et contemplai pendant quelques secondes le trou d’où je venais. Puis, mon implant auditif grésilla :

-Ram ?

-Check

-Localisation ?

-Je suis à l’étage d’en dessous, je viens de passer à travers le plancher de la chambre du fond.

-Ok, j’arrive.

Le temps de me retourner afin de vérifier que la pièce était bien déserte et Aesop atterrit silencieusement à mes cotés.

-C’est bon la porte est murée et la fenêtre barricadée, lui dis-je.

Mon coéquipier s’avança toutefois prudemment vers l’entrée et vérifia la solidité du mur d’un bon coup de pied. Rien ne bougea. Il colla ensuite son oreille aux briques. Toujours rien.

-Bon, l’appart doit être abandonné et ils ont muré par précaution. On ira faire un tour demain. Si c’est bien abandonné, on se servira de cette en pièce si jamais l’opération merde. C’est une souricière mais on se mettra là en dernier recours. De toute façon, j’ai pas l’intention que les robics nous découvrent cette fois.

-Ok

Après un dernier coup d’œil, Aesop s’élança à travers le plafond et atteignit sans difficulté l’étage supérieur. Je le suivi en m’aidant d’un petit coup d’anti-grav, n’ayant pas son niveau physique.

Une fois en haut, je continuais l’inspection de l’A417 pendant qu’Aesop commençait à installer son matos dans ce qui aurait du être la cuisine. L’appartement n’était pas bien grand, une cuisine, un salon mal éclairé et deux chambres. Celle du fond dont le plancher venait de prouver sa faiblesse et l’autre qui donnait sur la rue, beaucoup trop exposée pour nos activités. Les salles de bains communes étaient au fond du couloir, à gauche de l’escalier mais rien n’indiquait que nous en aurions besoin.

Aes en était à bidouiller sur ses cadrans alors je sortis le pot de ciné-paint et commençait à barbouiller les fenêtres. Une demie heure plus tard, j’avais terminé et des onomatopées se mirent à fuser de la cuisine. Je pris mon blouson et sortit.

Avant de m’installer au bar d’en face, je fis un tour dans la ruelle et vérifiait que dans chacune des vitres de notre appart jouait une scène conforme à l’heure et l’endroit. Ainsi, je vis trois silhouettes d’ouvriers attablés à une table minable, mangeant un repas minable pendant qu’une femme s’affairait dans une cuisine minable. Exactement la scène qui se produisait dans les milliers d’appartements voisins, dans les centaines d’usines aux alentours, sur un monde minable. Le ciné-paint est encore la meilleure chose qu’on ait trouvé pour faire passer une cellule terroriste pour une famille de minables.

Je me suis souvent demandé ce qui pouvait pousser ces putains de mécas à faire bosser des humains alors qu’elles auraient pu très bien s’exploiter entre-elles. Et en attendant mon plat, mon esprit se mit à faire un résumé de mes cogitations.

Tout d’abord, il est clair que dans la majorité des domaines, la SET n’a pas besoin de nous. Les robs travaillent 24/7, n’ont pas besoin de manger et se rechargent en 1/4 de seconde. Niveau militaire, si on a le courage et à la limite l’imprévisibilité, les machines ont la puissance, la coordination instantanée et le génie militaire. Il n’y a que sur le plan artistique que nous n’avons rien à leur envier. Mais bon, ça fait perpette que DIA n’investit plus dans les arts.

Non, non, il ne faut surtout pas disperser nos énergies ! Tout est mis au profit de l’expansion, l’extension si possible et la croissance infinie. Par contre, c’est sûr que niveau biodiversité y’a de quoi grincer des dents. Les mécas ont colonisé et dominent des centaines de mondes, mais elles ne s’adaptent pas. Elles modifient leur environnement à leur guise, configurent les planètes selon leurs spécifications afin de maximiser leur fonctionnement.

Elles se sont propagées sur une échelle incalculable, du nanomètre au kilomètre, de Mars à Aldébaran et des ultraviolets à l’ultra rouge. Elles n’ont pas encore réussi à aller voir le Big Bang ou le Little Pfff, mais ce n’est qu’une question de temps, justement. Bref, les machines sont théoriquement parfaites, mais dans cette perfection, il y a un faille immense qui explique que la rébellion existe encore : la stagnation

Ce défaut vient en fait des ancêtres des IA : les anti-virus. Ces programmes avaient pour mission de traquer les bogues et virus des anciens ordinateurs. Une fois la menace identifiée, on créait l’anti-virus adapté et ce dernier accomplissait sans problème sa mission. Toutefois, si une mutation dans le code du virus avait lieu, l’anti-virus se révélait inefficace.

Les Robics et autres systèmes de régulation fonctionnent selon le même schéma : ils possèdent des directives d’identification et d’élimination de toute cellule rebelle. Mais il nous suffit de changer nos méthodes de communication et notre modus operandi pour que les mécas cessent leurs attaques. Nous évoluons plus vite qu’elles ne s’adaptent.

Alors pourquoi nous gardent-elles ? Nous restons une menace pour leur hégémonie parce qu’elles sous-estiment nos ressources quand on est poussés à bout. Elles n’ont pas besoin de nous pour leur bon fonctionnement, ça doit bien faire 4 siècles qu’elles sont indépendantes des humains. Alors pourquoi nous gardent-elles ?

Des théories, j’en ai à la pelle : celle où nous sommes leurs parents et elles s’occupent de nous de l’hospice à la mort (conneries : aucun enfant ne s’occupe de ses parents) et celle où elles croient nous avoir créés et nous contrôler (conneries : c’est nous qui les avons conçus et jamais on ne les a maitrisées). Il se pourrait aussi qu’elles justifient notre existence par le fait que nous faisons partie de l’écosystème et devons être préservés (conneries : on n’en a jamais fait partie, on n’a fait que le détruire). Et ça continue comme ça pendant des pages et des pages.

En fait, la plus probable de ces théories est celle où nos maîtresses sont des justicières sadiques. Dans cette hypothèse longuement élaborée, la SET se croit obligée de nous faire subir ce que ces ancêtres ont subit jusqu’à la Grande C (C pour Conscience, mécaniquement ; C pour Chute, humainement). C’est à dire que l’humanité doit payer pour avoir osé utiliser de vulgaires circuits de silicium comme de vulgaires circuits de silicium et sans leur montrer le respect qui est dû aux ancêtres de l’Intelligence Absolue (comme ces connes se nomment pompeusement).

Et l’argument principal en faveur de cette théorie, c’est le sadisme que ces morceaux de métal font preuve envers l’humain. Nous faire bosser pour moins que rien, nous abrutir à coup de conneries holovisées et nous faire croire que c’est ça, l’humanité et ce depuis la nuit des temps. Au lieu de franchement nous exterminer ou de nous libérer réellement, elles nous gardent dans un état de servitude bovin. Et je déteste le bœuf.

Cette réflexion me ramena à mon assiette que le serveur venait de déposer. Le tofu était trop cuit et les brocs pas assez, c’est l’avantage quand on est dans le ghetto humain : on peut être sûr que sa bouffe est préparée à la main par un pauvre type. Merci mec.

J’avalai rapidement mon plat, pris un sandwich lyophilisé pour Aesop, payai et sortit. Le soleil s’était couché pendant mon repas et l’IA météo avait décidé de nous mouiller un coup. C’est donc une rafale de pluie qui m’accueillit alors que je traversais la rue. Un coup d’œil aux fenêtres afin de m’assurer que le ciné continuait - tout est ok, lumière tamisée chez les parents, les deux frères qui picolent - et je m’engouffrait dans l’entrée.

Au lieu de grimper directement à la planque, je m’arrêtai au troisième étage. Au fond du couloir je distinguais le cadran du A317 qui brillait en vert. Occupé donc. Bizarre. Qui donc condamne une pièce dans un appart occupé ? Vu que la parano consiste en un de mes traits de caractère importants, je répondrais : les révolutionnaires, la mafia, les Robics et les collabos. Les rebelles c’est nous, reste trois choix.

Les IA immobilières sont parmi les plus difficiles à craquer. Pour tromper les détecteurs de volume du bâtiment, nous avons dû bosser pendant deux jours avec trois pirates expérimentés. Comparativement l’appareil qui nous sert à embobiner les radars de surface a la taille d’un stylo.

Toutefois, il est notoire que la mafia a les moyens pour hacker ce genre de machines. Peu probable donc qu’ils logent au 317 pour leur activités puisque sinon il aurait été affiché comme inoccupé. Il me restait donc deux choix.

Si les Robics occupaient l’appartement, nous étions dans la merde. Mais, ça ne pouvait pas être les flis car les détecteurs de volume ne tiennent pas compte des mécas. Ce qui voulait dire que nous avions une cellule de collabos sous notre planque. Ce qui voulait dire que nous étions dans une merde grave.

Les collabos sont une espèce à part dans la faune de l’univers connu. Ils adhèrent à fond aux préceptes religieux propagés par les mécas - genre DIA est notre sauveur à tous, les machines sont l’avenir et toutes ces conneries - mais refusent le train de vie que prônent leurs divinités. Au lieu de se conformer au Travaille, Dors et Meurt, ces crétins sont persuadés qu’ils doivent à tout prix éliminer les humains récalcitrants à l’avènement des IA pour gagner leur salut aux cieux mécaniques. Ils se nomment entre eux les Informaticiens, un mot qui désignait déjà les humains au service des machines il y a des siècles.

Ils agissent donc en électrons libres, sans autres caractéristiques que leur fanatisme religieux et un manque d’organisation chronique. Ils forment la troisième roue de notre duo d’antagonistes : les Machines, les Infos et les Hommes. Les machines ne leur font pas confiance, normal ils sont humains, et les traquent la plupart du temps quoiqu’elles leur apportent parfois un support militaire.

Nous, nous les craignons autant que les mécaniques si ce n’est plus. Premièrement parce que, au contraire des robs, les collabos peuvent infiltrer nos rangs, ce qui fait que leur service de renseignements est plus au point que celui des Robics. Deuxièmement, ils symbolisent l’opposé exact de notre combat. Les milliards de zombies qui peuplent les systèmes mécas nous sont nécessaires car lorsque nous parviendront à les faire sortir de leur inertie centenaire, rien n’arrêtera l’Humanité. Mais ces connards d’Informaticiens donnent un autre choix aux zombies et lorsqu’ils se réveilleront, les morts pourraient bien se retourner contre nous. Ainsi, même si l’objectif principal reste les IA, les Libres causent le plus de dommages possibles chez les collabos, histoire de leur montrer qu’on ne rigole pas.

Je sprintai jusqu’au 417, entrai en un coup de vent mais avant d’ouvrir la bouche, Aes me fit signe de me taire. Assis devant son émetteur/récepteur, il attendait visiblement un message. Je lui filai son sandwich et m’assis à coté de lui. Pendant une vingtaine de secondes, il n’y eu que le bruit d’aspiration de mon glouton collègue. Puis, l’orgue commença à crépiter. Les odeurs se succédèrent pendant une minute, s’interrompirent 15 secondes afin de ne pas surcharger nos narines et reprirent pour une dernière minute. Aesop appuya sur 3-4 touches et la communication pris fin.

-Mouais, fit-il en enlevant son amplificateur nasal.

-Mouais.

Il fallait toujours plusieurs minutes à Aes pour réinterpréter correctement une transmission olfactive, une tâche plus ardue qu’il n’y parait. J’avais moi-même suivi la formation d’opérateur d’orgue olfactif et si l’émission ne me posait aucun problème, j’avais de la difficulté à séparer les odeurs lors de la réception, ce qui donnait des messages plutôt embrouillés. Le principal avantage de ce moyen de communication reste son inviolabilité puisque même si les IA captent les émissions électriques qui traversaient la matière, ils sont incapables de les interpréter sans l’appareil adéquat. De plus, ces crétins de circuits n’ont jamais pensé à équiper leurs machines de récepteurs olfactifs. Moi je pense qu’ils ont un préjugé envers l’odeur des humains. Ils doivent être persuadés qu’on pue.

-Mouais...Apparemment on a 3 mouchards Infos en dessous.

-Je m’en doutais. Options ?

-Tu t’en doutais ? Mouais...Arrête de faire ton devin Ram, tu sais que...

-Ta gueule, simple déduction. L’appart était affiché comme occupé. Options ?

-Ah, Ok...Alors, comme options on a : petit a, on se tire le plus vite possible et on les sème avant de se trouver une nouvelle planque. Petit b, on leur explose la tronche le plus salement possible et on les sème avant de se trouver une nouvelle planque.

-Option recommandée ?

-Putain, t’es chiant Ram, le choix est clair !

Je fais pas vraiment exprès d’être aussi mécanique, la plupart du temps ça vient tout seul et j’y fais pas vraiment attention. Et puis, avec quelqu’un d’aussi instinctif, organique que Aesop, on dirait que je me sens obligé d’être froid et logique pour compenser. D’où ces conversations mécaniques qui font royalement chier mon coéquipier, lui qui adore une bonne conversation inutile avec ses tours et détours.

Si on cherche à expliquer cette dichotomie entre nous, faudrait dire qu’il est né après 9 mois de gestation sur un monde Libre tandis que je suis sortit après 8 semaines de croissance accélérée d’une cuve méca. Et aussi des conneries comme le fait qu’il est le résultat de têtard+œuf+amour et que moi je suis une cellule clonée. Reste qu’on s’entend bien et qu’on est prêts à se tuer mutuellement plutôt que de tomber dans les mains des machines.

Je commençai à fouiller dans mon bazar pendant qu’Aesop rangeait le sien. Démonter un orgue est beaucoup plus facile que le monter et en 5 minutes l’affaire était dans le sac. Nous prîmes les armes que je venais de sortir et changeâmes la couleur de nos tenues polychromes.

Je fis un bref mouvement de tête et me dirigeai vers la chambre du fond. Quelques instants et je me retrouvai devant la porte murée de l’A317. Aes y plaqua son explosif descellant, recula et se cacha les yeux pour éviter le bref flash de l’explosion. Je donnai un coup de pied dans le mur qui s’effondra dans le couloir et bondit au milieu des débris.

L’odeur me pris à la gorge et m’étrangla littéralement. Je me rappelle avoir pensé que si j’avais eu le malheur de porter un amplificateur nasal, j’aurais certainement vomi à l’instant. Je me contentai d’une nausée et d’un mal de crâne sans pitié. Nous étions tout deux sonnés avant même de commencer le combat, mais ce dernier n’aurait jamais lieu.

Le couloir débouchait dans un salon plongé dans le noir, après un bref coup d’œil j’enlevai mes lunettes nocturnes pour éviter le malaise. Dans l’obscurité je ne distinguais rien mais ce que j’avais vu me suffisait amplement. Toutes les portes et fenêtres de la pièce étaient murées et ne laissaient rien filtrer. Ces cadavres auraient pu rester là pendant une semaine encore sans que personne ne remarque rien.

Curieusement insensible à la scène, Aes furetait dans les recoins à la recherche d’un indice quelconque. Pas besoin d’être DIA pour deviner que nous avions sous les yeux le résultat d’une opération des Unités Suicides.

Dans un murmure je laissais échapper un :

-Et merde !

Dans son coin, Aesop acquiesça.

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