Carlo se balladait dans les rues de la ville de Florence. La cathédrale sonnait cinq heure de l'après-midi et il arpentait les rues depuis déjà trente minutes, goutant les embruns salés de la mer arrivant jusqu'à lui. Il fut soudain emporté dans un raz de marée de visages enfantins, criants et gesticulants, convergeants vers une unique direction. Il ne pu cependant découvrir laquelle que bien plus tard, alors que les enfants s'éparpillaient pour s'installer sagement assis à terre, devant le marionnettiste ambulant. Il salua comme il se devait les mères, souvent accompagnées de berceaux qu'elles tentaient de protéger tant bien que mal du soleil encore chaud.
Le marionnettiste fit ce pour quoi il était venu. Contre quelques piécettes que
les bambins allèrent réclamer à grand renfort de cris à leurs mères, puis
qu'ils remirent au marchand d'imaginaire, il fit s’animer des pantins de bois
au bout de ficelles, toutes vêtues de manière différente, marquant chaque
personnage d’un ton qui lui était propre. Les yeux écarquillés et admirateurs
des enfants fascinnaient Carlo. Il ne goûta pas le spectacle des marionnettes
et aurait été bien incapable d’en énoncer le contenu si on le lui avait
demandé. En revanche il aurait pu dire le nombre éxacte d’étoiles qui brillèrent
dans les regards des petits, les cris de joie et de terreur qu’ils poussèrent,
l’aide qu’ils voulaient apporter aux personnages au mot près.
Lorsque la représentation s’acheva et que chacun fut reparti, Carlo avait des
images plein la tête, le sourire aux lèvres et le souvenir amusant des bouches
béantes attendant la suite.
Il s’apprétait à reprendre le chemin de chez lui lorsqu’il entendit un sanglot.
Un sanglot d’enfant. Il en chercha l’origine et découvrit un petit garçon
maigrelet et salement vétu. Il se pencha vers lui et l’enfant réagit en levant
le bras comme pour se protéger le visage. Un signe qu’il répétait visiblement
plusieurs fois par jour dans sa jeune vie tant le réflexe semblait encré en lui
et les bleus sur son visage. Carlo le rassura. Il ne lui voulait pas de mal. Il
voulait juste comprendre ce qui, dans l’histoire, le faisait tant pleurer.
Entre deux hoquets du petit garçon, Carlo cru comprendre que le numéro de
marionettes lui avait été refusé par manque d’argent, et qu’il avait été
renvoyé par le marionnettiste. Bien entendu l’homme devait gagner sa vie.
Mais Carlo ne pouvait concevoir le cœur froid d’un homme devant les larmes du
gamin visiblement de famille pauvre, renvoyant sans vergogne l’enfant dans sa
misère, sans même lui offrir un rayon de soleil pour réchauffer son coeur et
son imaginaire. Pas aujourd’hui. Il était de bonne humeur et prit à cœur de
réconforter le gamin. Décidant de lui offrir une friandise, il entreprit de lui
compter une histoire en le raccompagnant chez lui. Ravi, l’enfant ne demanda
pas son reste pour suivre l’homme richement vétu à travers les rues de
Florence.
- Elle parle de quoi ton histoire ? Demanda le petit garçon, croquant avidement dans la friandise sucrée.
- D’une marionnette bien entendu.
- Comme celles qui étaient là-bas ?
- Non mieux !
En
cette après-midi d’été, le soleil n’était pas prêt de se coucher. Sans presser
le pas, l’enfant écoutait avidement l’homme parler.
L’histoire débuta par la rencontre bien étrange entre un homme et un bout de
bois. Mais pas n’importe quel bout de bois. Un bout de bois à brûler qui
pleurait lorsqu’il était seul et riait lorsqu’il entendait des enfants rire. Ce
bout de bois attira l’attention de celui qui le possédait qui ne pu se résoudre
à le jeter au feu. Croyant devenir fou, il se rendit chez son ami Gepetto, un
marionnettiste bien pauvre, le morceau de bois sous le bras et longeant les
rues pavés de Florence. Entrant hâtivement dans la boutique de son ami, lui
remettant le morceau de bois dans les mains, l’homme parti sans même expliquer
la raison de ce don au marionnettiste étonné.
Le soir venu, alors que Gepetto allait jeter le bois dans le feu, celui-ci se
mit à pleurer. Il ne voulait pas mourir sans entendre le rire des enfants.
Gepetto n’en cru pas ses yeux ni ses oreilles et comprit enfin ce qui avait mis
sa visite de la journée dans un tel état. Il entreprit le de transformer ce
morceau de bois fort étrange en pantin de bois. Cela lui prit plusieurs jours
durant lesquels gepetto oublia même parfois de manger tant le bois riant et
pleurant le fascinait. L’allure du pantin se dessinait de jour en jour, de
minute en minute, lorsqu’enfin le marionettiste mit la touche finale : la
bouche.
Le pantin eu aussitôt la parole et ne manqua pas de le faire savoir.
Carlo jeta
un œil au gamin qui en avait oublié de croquer dans sa sucrerie. Ses yeux
brillaient de mille feux et l’homme en fut ravi. Encouragé il continua.
Gesticulant et s’agitant, Carlo conta les pitreries de la marionnette. Il
présenta à son pantin imaginaire un grillon qui parle. Mais aussi de vilains
garçons n’appréciant pas d’être contrariés. Voyant un homme s’apprêter à manger
une omelette à un coin de rue, il décida de donner la même envie à son
Pinocchio. Ainsi fut baptisé le pantin sur l’inspiration du moment. Mais hélas,
Pinocchio ne put jamais se régaler de son plat car cette omelette s’envola.
L’enfant riait et protestait. Ce n’était pas possible !
« Mais si ! Lui répondit Carlo. Tout est possible si tu imagines là
et ressents ici » Lui indiquant du doigt sa tête et son cœur.
- Continues ! Riait l’enfant.
Carlo conta comment Pinocchio apprit que le feu n’était pas un ami des
marionnettes de bois. Et comment son papa Gepetto, car tel était devenu son
rôle, lui confectionna de nouveaux pieds et de nouvelles mains. Puis, désireux
d'offrir de l'instruction à son enfant, vendit son unique manteau pour offrir
un abécédaire à son bien singulier fils.
Ceci tira une larme à l’enfant qui vivait au plus près l’histoire de son
nouveau héros.
Pinocchio pourtant, désirait voir un spectacle de marionnettes que son père ne
pouvait lui payer. N’écoutant que son désir, le pantin vendit son abécédaire si
durement acquis par son père, pour aller payer le marionnettiste qu'il trouvait
bien plus amusant que l'enseignement. Mais celui-ci n’est pas un homme bon et
vit en Pinoccio l’occasion de faire de grands profits.
Tenant l’enfant au bout de son récit, Carlo poursuit sur les aventures qui
conduisirent pourtant le marionnetiste à laisser partir Pinocchio et ses
nouvelles amies marionnettes chez son père Gepetto.
mais sur le chemin, le pantin rencontra le chat et le renard roublard qui
finirent par le pendre sur les branches d’un grand chêne. Sauvé, le pantin
était mal en point et dut prendre des médicaments. Refusant, il finit par
mentir mais cela se vit « comme le nez au milieu de la
figure ! » Son nez s’allongeait encore et encore aussi long que
le nombre de ses mensonges.
Carlo
poursuivit son récit au gré de son imagination soudainement débordante, attisée
par les rires et les soupires de son unique spectateur. Unique ? Bien des
gens se retournèrent sur lui dans la rue, se demandant s’il s’agissait là de
quelque illuminé et s’il fallait appeler la police. Carlo n'en avait cure tant
il s'amusait.
Mais bientôt, alors que Pinocchio se retrouvait parré d’oreilles d’âne après
avoir été un bien méchant petit garçon, la porte de la maison de l’enfant se
dessina. Sa mère en sortie, furieuse, attrapant avec véhémence le gamin par le
bras.
Carlo lui sourit mais la femme lui jeta un regard peu amène et s’en retourna
chez elle. Avant qu’elle ne lui claque la porte au nez, l’enfant lui
cria :
- Ça manque de pirates et de requins ton histoire ! Mais je veux connaitre la fin !
Carlo lui
fit un dernier signe, pointant sa tête, insitant l’enfant à faire parler son
imagination pour connaitre la fin.
Mais cette histoire, inventée dans l’espoir fou de faire sourire un petit
garçon, resta encrée dans ses pensées, alors qu’il cherchait où il se trouvait
et se questionnait sur le chemin à prendre pour rentrer chez lui.
Il en inventa la suite et la fin avant de franchir le seuil de sa porte. Mais
la remarque de l’enfant lui restait en mémoire et, attrapant sur sa table de
chevet le livre qu’un ami lui avait offert, il sourit. Il avait lu le livre
dans l’intention d’en faire un article dans le journal pour lequel il
travaillait. Il en regarda la couverture et le titre. Un cachalot. Et bien,
voilà une bien grosse baleine à défaut d’un requin.
Finalement pourquoi ne suivrait-il pas son propre conseil ?
S’installant sur son lit, regardant le plafond, Carlo se mit à imaginer une
énorme baleine blanche avaler le pantin de bois. L’estomac de l’animal était si
énorme que Pinocchio s'y trouva piégé parmi nombre d'objets invraissemblables.
Il y fut enfermé avec son grillon qui parle, qui râlait que rien ne serait
arrivé si Pinocchio avait su être un gentil petit garçon.
Alors que Carlo sombrait dans un sommeil qu’il n’avait pas cherché, entièrement
vétu sur son lit, il vit le capitaine Achab allumer une torche au dessus de
morceaux de son baleinier le Pequod.
- Qui va là moussaillon ? Hurla le capitaine.
- Un simple pantin de bois du nom de Pinocchio, lui répondit le pantin.
Le capitaine, dont la mine austère n’avait plus que les traits de la colère et de la haine, se gratta le menton en signe d’incompréhension. Sous sa lampe à huile pourtant, se tenait bien un pantin de bois, un grillon sur l’épaule. Descendant du morceau d’épave de ce qui fut son bateau, faisant claquer sa jambe de bois, le capitaine Achab s’approcha du pantin appeuré.
- Il semble bien que ce soit vrai. J’avais cru tout voir en restant vivant dans le ventre de cette maudite baleine et voilà que je parle à un pantin de bois vivant. Allons ! Aides moi ! Je vais faire bruler de l’intérieur cette maudite baleine ! tu m’entends Moby Dick ! De dehors ou de dedans j’aurai ma revanche !
Les cris de
l’homme visiblement fou finirent d’achever le peu de courage qu’avait alors
Pinocchio qui comprit qu’il serait l’instrument déclencheur du feu de joie que
comptait faire le capitaine pour tuer la baleine. Il se mit à courir vers la
langue de l’énorme cachalot. Le capitaine Achab s’en rendit compte et le
poursuivit, claudiquant sur sa jambe de bois, un harpon à la main.
Une lumière bleue aveugla le pantin à cet instant, lui coupant toute retraite.
Carlo s’éveilla en sursaut. Sa femme penchée au-dessus de lui était parrée
d’une magnifique robe bleue, nouvellement achetée lui indiqua-t-elle en
tournoyant. Carlo lui dit que là-dedans, elle ressemblait à une superbe fée,
souriant, se moquant de lui-même et de son rêve absurde. Et pourtant…
L’histoire de ce pantin de bois lui resta longuement en tête. Alors qu’il prenait son dîner, alors qu’il se couchait, rêvant encore de lui la nuit venu, se levant le matin. Rencontrant un ami journaliste alors qu’il partait au travail, il entreprit de lui compter « la nouvelle histoire qu’il allait écrire »
- Tu ne vas jamais me croire, lui dit-il. Je me suis pris pour Alice et depuis, cette histoire me trotte dans la tête sans que je saches si elle est vrai ou si j’ai tout rêvé depuis le début.
- Alice ?
- L’histoire d’une fillette qui rêve d’un étrange pays. Je te prêterais le livre Si tu sais lire l’anglais.
- Non merci. Tu lis bien trop de littérature enfantine et je vois combien cela te monte au cerveau. Je ne veux pas finir mes jours dans un asile. Mais ne t’inquiètes pas, je plaiderais en ta faveur en accusant cette… Alice.
Carlo partit d’un grand éclat de rire et referma derrière lui la porte de la petite rédaction du journal, une idée neuve à proposer en tête.