Chapitre 3
"Monstre ! Qu'est-ce que vous lui avez fait ?!"
Je me précipitai vers Matthew, mais la jeune femme me repoussa sans effort et me maintint à distance.
"Comment oses-tu ? Regarde ton ami, c'est lui le monstre ! Un meurtrier ! Tu nierais le connaître si tu savais ce qu'il a fait !
_Jamais ! Je suis sûre qu'il est innocent !
_Vraiment ? Alors demande-lui. Matthew ? l’interpella-t-elle d'un ton impérieux.
_Matt..."
Je me tournai vers mon ami, attendant une explication à tout cela. Il releva la tête avec difficulté et entrouvrit ses lèvres desséchées.
"Je te...l'ai déjà dit, Anna. Elle a raison, je suis... un criminel. A cause de moi, ces deux personnes sont entre la vie et la mort.
_Noooooon ! Regarde-moi, Matt ! Regarde-moi ! Je ne sais pas ce qu'ils t'ont fait, mais tu n'as pas mérité ça, personne ne mérite ça !
_Si, les assassins, intervint la jeune femme.
_CE N'EST PAS UN ASSASSIN !
_Pourquoi refuses-tu la vérité ? Il le dit lui-même, il me semble qu'il est plus au courant de ses propres actes que tu ne l'es !"
Je me tournai vers Angelo, comme s'il allait m'aider, mais il n'avait d'yeux que pour mon interlocutrice qui s'essuya délicatement la bouche et se désintéressa de moi pour lui lancer un regard incendiaire.
"Alors Angelo, enfin de retour parmi les tiens ?
_Toujours."
Il lui baisa la main tandis qu'elle affichait un sourire aveuglant.
J'en profitai pour l'observer et dus bien reconnaître qu'aucune femme ne pouvait rivaliser avec sa beauté. Toutes les actrices paraissaient fades et sans saveur en comparaison et je me sentais moi-même mal à l'aise.
Elle devait avoir 20 ans tout au plus, et était beaucoup plus grande que moi, elle devait mesurer 1m80 et était extrêmement mince, tout en ayant des muscles fins. Elle s'entretenait, c'était évident.
Elle avait une magnifique chevelure rousse qui lui descendait jusqu'au bas du dos. Ses cheveux flamboyants étaient légèrement ondulés et brillaient de mille feux, encadrant un visage aux traits si fins qu'on aurait dit qu'il allait se briser. Sa peau nacrée était lisse, dépourvue de tout défaut, et semblait douce comme de la soie.
Ses yeux violet clair pailletés d'or et de diamant s'étiraient en amande et étaient bordés de longs cils qui battaient en ce moment innocemment. Ils encadraient un nez fin et légèrement retroussé qui ne la rendait que plus attirante.
Sa bouche de velours semblait naturellement écarlate et ses lèvres pleines affichaient une moue capable de faire fondre n'importe qui.
Elle était vêtue d'une combinaison noire moulante taillée dans un tissu fin que je ne reconnus pas, mais qui accompagnait à la perfection le moindre de ses mouvements. Elle avait chaussé de hautes bottes en cuir qui s'accordaient à ses longs gants qui remontaient au-dessus des coudes.
Elle portait quelques bracelets fins en or blanc, une chaîne du même métal au bout de laquelle pendait une goutte de cristal enfermée dans des torsades dorées, et des boucles d'oreilles en diamant.
Elle était magnifique.
Trop. Elle accaparait l'attention d'Angelo et ne se préoccupait plus ni de moi ni de son prisonnier. Elle m'empêchait toujours cependant de m'approcher de lui. Elle était douée d'une force incroyable et me repoussait d'une seule main, tout en discutant gaiement avec le médecin, comme si je n'étais qu'un insecte nuisible. Elle n'arrêta son badinage que lorsque Matt se racla la gorge avec le peu de force qu'il lui restait afin d'attirer son attention. Elle haussa un sourcil parfaitement épilé et pivota vers lui en affichant une moue condescendante.
"Oui...?
_Au cas où tu l'aurais oublié, Angelo est venu pour m'aider. Des gens sont en danger et il est le seul capable de les sauver, donc...
_A qui la faute ?" maugréa-t-elle, relâchant le bras de son interlocuteur.
Elle tendit la main en direction des deux corps étendus sur le billard.
"Les voilà. Tu sais ce qu'il te reste à faire."
Il s'avança vers le centre de la pièce avec sa mallette que je n'avais même pas remarquée et se pencha au-dessus des deux inconnus. Ils ne semblaient même pas vivants... Je frissonnai à cette idée et détournai le regard. Mon ami était plus faible que jamais et du sang se répandait sur son cou. Je me rappelai la position de Serafina quand j'étais arrivée et le liquide qui s'écoulait de sa bouche... Je rêve ou elle le mordait ? Je secouai la tête, c'était impossible de blesser quelqu'un à ce point avec ses dents... n'est-ce pas ?
Je n'eus pas le temps de m'appesantir plus sur la question, car la jeune femme me fit signe de sortir malgré mes protestations. Elle m'accompagna jusqu'à la porte et resta avec moi à l'extérieur.
"Mieux vaut laisser Angelo tranquille pendant qu'il travaille."
Ce n'est pas moi qui le déconcentre...
"Tu veux quelque chose à boire, ou à manger peut-être ?
_P... pardon ?"
Je rêve ou elle est... gentille ? Elle est schizo ou quoi ? Elle dut s'apercevoir de mon incrédulité car elle son visage s'éclaira et elle m'adressa un aimable sourire.
"Je n'ai rien contre toi personnellement, c'est juste que... disons que je n'aime pas qu'on me contrarie. Je suppose que tu ne méritais pas toutefois d'être menacée comme tu l'as été. Je devrais probablement m'excuser. Excuses acceptées ? Parfait. Tu n'as pas répondu à ma question, au fait."
Sérieusement c'est quoi son problème ?! Le pire, c'est qu'elle a vraiment eu l'air désolée... Je devrais peut-être en profiter...
"Je préfèrerais savoir ce qu'il se passe ici et pourquoi mon meilleur ami est enchaîné, ce qu'il va devenir et surtout ce que vous allez faire de moi ?
_Et bien, je pourrais t'expliquer tout cela devant un bon repas chaud, qu'en dis-tu ? En ce qui me concerne, je meurs de faim !
_Et... qu'est-ce qui va m'arriver ?
_Rien, si tu arrêtes de me provoquer.
_Vous n'allez pas me torturer, me tuer puis faire disparaître mon corps ?"
Je sais, j'ai une imagination très fertile, mais mettez-vous un peu à ma place. Je trouvai que je me contrôlais plutôt bien. J'aurais pu hurler, frapper, m'évanouir, et au lieu de cela la peur me paralysait tellement que je me retrouvai à discuter calmement avec une psychopathe avérée. J'étais assez fière de moi.
Serafina écarquilla les yeux d'un air offusqué.
"Oh mon dieu, non ! Quelle idée ! Pourquoi ferais-je une chose pareille ? Je n'ai aucune raison de te vouloir du mal !
_Et à Matthew ?
_Mais quand vas-tu enfin comprendre et admettre que ton ami a failli assassiner deux innocents ?
_Failli ?
_Il s'est arrêté à temps et ils sont actuellement entre la vie et la mort. Tout repose sur les épaules d'Angelo à présent.
_Il...il a vraiment fait ça ?
_Malheureusement, oui. Je sais que c'est dur à avaler mais c'est la vérité.
_Mais...pourquoi aurait-il attaqué deux personnes qu'il ne connaît même pas ?
_C'est un peu long à expliquer, c'est pourquoi tu devrais manger pendant que je te raconterai. Ah, nous sommes arrivées."
Elle me fit entrer dans une magnifique salle à manger occupée par une table immense et de nombreux lustres en cristal. Nous nous installâmes à l'une des extrémités et un charmant serveur vint aussitôt nous apporter deux assiettes fumantes. La mienne contenait mon plat préféré, un succulent confit de canard accompagné de pommes de terre grillées, tandis que celle de mon accompagnatrice étais remplie de... sang ?!
Je me levai et me reculai si vite que je me cognai contre le mur situé derrière moi. Je fixai le liquide rouge qui ne me rappelait que trop la ruelle où tout cela avait commencé. Je faillis vomir quand l'odeur métallique me parvint, envahissant mon nez, ma gorge, accaparant tous mes sens pour mieux m'écœurer. Serafina me lança un regard compatissant aussitôt contredit par un sourire narquois, à l'évidence réjouie d'avance par ce qui allait suivre.
"Voilà, c'est de cela dont je voulais te parler. Je pense que c'est un détail qui t'intéressera, avec tout ce que tu as appris aujourd'hui sur ton ami. Il n'est pas exactement celui qu'il a prétendu être pendant toutes ces années.
_Comment ça ? demandai-je, pas du tout sûre d'avoir envie de connaître la réponse.
_Et bien, je ne vois pas de bonne façon de dire ça, donc je vais aller vite. Ton ami, tous ceux qui se trouvent dans cette ville et bien d'autres encore sont... Nous sommes différents.
_Différents ? Dans quel sens ?"
Qu'est-ce qu'elle va encore me sortir ? Quand est-ce que Matt et moi on pourra rentrer chez nous ? Tu rêves, ma pauvre...
"Nous sommes des vampires, Anna."
Arrêt. Pause. Blocage.
Appelez ça comme vous voulez, mon cerveau n'a plus fonctionné pendant un instant. C'est assez étrange comme sensation. Vous êtes conscient, mais un voile recouvre vos yeux, vos lèvres sont clouées l'une contre l'autre, vous percevez les sons et les odeurs assourdis, vous ne bougez plus alors que vous n'avez qu'une envie : fuir.
Et puis quelqu'un vous sort de là. Mais vous ne pouvez toujours pas fuir. Car cette personne est celle qui a causé ce dysfonctionnement. Et revenir à la réalité ne la fera pas disparaître, au contraire elle sera de plus en plus tangible jusqu'à devenir plus réelle que jamais.
J'aurais donné n'importe quoi pour rester dans cet océan de brume.
J'en fus expulsée violemment.
"Anna ! Anna ! Tu m'entends ?"
Je recouvrai mes sens brutalement et ouvris les yeux sur le visage hilare de Serafina.
"Désolée, je ne résiste jamais à la tentation, j'adore voir la tête des personnes à qui je l'annonce. Je sais ce que tu penses, mais je ne suis pas folle et ceci n'est que la stricte vérité.
_Je n'ai jamais dit ça, répondis-je prudemment tout en cherchant des yeux une issue de secours ou un échappatoire quelconque.
_Tu m'as mal comprise, je sais exactement ce que tu penses. Et ne songe même pas à t'enfuir, toutes les issues sont surveillées. Il n'y a pas d'échappatoire."
Est-ce qu'elle vient de...
"Oui, je peux lire dans tes pensées et je suis capable de bien d'autres choses que tu n'imagines même pas dans tes rêves les plus fous. Et je suis prête à te le prouver."
Prouver quoi ? Que vous êtes folle ? C'est déjà fait...
"Je te prierai d'arrêter de me traiter de folle, c'est lassant et très désobligeant. D'autant plus que c'est totalement faux.
_Faux ?! Désolée de ne pas vous prendre au sérieux quand vous m'annoncez que vous êtes une créature tout droit sortie de Dracula !
_Je n'apprécie pas non plus le terme créature. Et sous prétexte qu'un livre a été écrit à notre sujet, cela ne signifie pas que nous sommes une invention. Surveille tes paroles, jeune fille.
_Comme si vous étiez plus vieille que moi !"
Voilà la brillante réponse que je donnai et qui sembla prendre au dépourvu mon interlocutrice avant de l'indigner au plus haut point.
"Pardon ?! Bien sûr que si ! J'ai des centaines d'années de plus que toi, je n'ai rien de l'humaine inexpérimentée que tu es !"
Ok, maintenant elle délire sur son âge... Mes pensées semblèrent alimenter son agacement qui se mua en colère, si tant est qu'elle lisait vraiment dans mon esprit.
"Maintenant ça suffit ! J'en ai marre, je vais te prouver ce que j'avance ! Suis-moi !"
Je n'eus pas le temps de protester qu'elle m'empoignait déjà le poignet et me traînait derrière elle. Je butai dans beaucoup de meubles, ce qui ne sembla pas la déranger outre-mesure, vu la vitesse à laquelle elle allait. Maintenant que j'y pense, elle court vite... trop vite. Je n'avais jamais vu personne se déplacer aussi vite, surtout en portant à moitié quelqu'un. Sa rapidité était ahurissante. Inquiétante. Inhumaine.
Elle s’arrêta sur une place plutôt grande étant donné la taille de la ville, et me jeta à terre sans considération.
« As-tu déjà vu un humain courir ainsi ?
_Non, mais… »
Elle se dirigea vers le centre de la place où un énorme rocher se dressait, couvert de fissures plus ou moins profondes. En un instant elle se retrouva au sommet et y abattit son poing. A peine eus-je le temps de me relever qu’elle était de nouveau à mes côtés, observant l’écroulement de la pierre qui devint poussière en un rien de temps.
« As-tu déjà vu un humain faire preuve d’autant de force ?
_Non, mais… »
Ok, c’est bizarre, mais… Mon esprit rationnel refusait d’admettre ce que j’avais sous les yeux, il était tellement plus simple de nier l’évidence… Mais malgré moi, une petite voix me soufflait d’ouvrir les yeux sur cette partie du monde que je ne connaissais pas…
Soudain, Serafina se pencha vers moi et découvris ses dents parfaitement blanches et alignées avant… d’allonger ses canines qui se transformèrent en crocs au tranchant plus qu’inquiétant… Cela ne sembla toutefois pas gêner son élocution.
« As-tu déjà vu un humain avec de telles dents ?
_Non, mais…
_Assez de « mais » ! Réveille-toi et ose nier encore une fois l’existence des vampires ! Ou faudra-t-il que je te vide de ton sang pour que tu te rendes compte de tes erreurs ? Sache que je n’hésiterais pas une seule seconde si cela s’avérait nécessaire. »
Ma résistance fondit comme neige au soleil, les dernières barrières s’affaissèrent comme le bloc de pierre et j’admis l’inimaginable. Mon meilleur ami, celui que je connaissais depuis que je savais marcher, celui qui avait grandi avec moi était un vampire. Une créature fantastique qui n’existait que dans les livres, au cinéma ou à la télé. Une créature qui se dresse devant moi.
« Je croyais t’avoir dit que je n’aimais pas le terme « créature » ? »
Eh oh, je pense ce que je veux quand même !
« Tu n’as pas tort », approuva la jeune femme avec un sourire.
Elle est vraiment schizophrène… Ah oui, et elle lit dans mes pensées aussi… oups !
« Je crois que nous sommes parties sur de mauvaises bases, toi et moi. Je devrais peut-être me présenter officiellement, ajoute-t-elle en rétractant ses crocs et s’écartant pour me laisser respirer. Je suis Serafina Reggiani, aussi appelée La Chasseuse ou La Vénitienne, et je suis la chef de la Brigade qui traque les hors-la-loi de notre espèce. Je fais également partie du conseil qui juge ces mêmes personnes et j’ai… disons que je suis plus âgée que ce que je parais.
_Quel âge avez-vous ? demandai-je par pure curiosité.
_Voyons, tu devrais savoir qu’on ne demande jamais son âge à une femme ! » dit-elle d’un air amusé.
Je n’avais pas retrouvé tout mon aplomb, aussi je n’insistais pas, mais je me promis de le demander à Matthew. Matt… Encore une fois, la peur et ma propre situation me l’avaient ôté de l’esprit.
« Qu’est-ce que Matt a fait ?
_Il a attaqué un couple dans la rue et les a quasiment vidés de leur sang, précisa-t-elle en soupirant. Ça s’est passé près de chez toi il me semble, tu as peut-être vu le sang. »
Je ne m’étais donc pas trompée quand j’avais cru voir sa voiture… et cela justifiait le fait qu’il m’ait raccroché au nez. Après tout, il venait de blesser mortellement deux personnes. Au vu de la quantité d’hémoglobine répandue dans la rue, je n’aurais pas aimé voir la tête des victimes.
« Ce n’était pas joli à voir en effet. Nous les avons difficilement maintenus en vie jusqu’à l’arrivée d’Angelo.
_Pourquoi Matt a-t-il fait appel à lui ?
_Parce que c’est un des meilleurs chirurgiens au monde et le seul vampire. Si quelqu’un peut les sauver, c’est lui. C’est un vieil ami de ses parents, il n’aurait jamais voulu venir sinon. Et il fallait que quelqu’un aille le voir pour être sûr qu’il reçoive la lettre et car il ne se déplacerait jamais pour quelqu’un qui n’a pas fait cet effort. C’est pourquoi j’ai légèrement insisté pour que tu acceptes, et aussi car je tiens à sauver les vies qui peuvent l’être. Et tout cela ne serait pas arrivé s’il avait été correctement surveillé, donc… je devais rattraper l’erreur de mon subordonné. Tu comprendras que je ne pouvais pas me permettre d’abandonner une seconde fois ton ami.
_Quelle erreur ?
_Et bien, comme tu le sais, Matthew a fêté ses dix-huit ans récemment. C’est un âge très important pour les vampires car jusqu’à notre majorité nous buvons « à la source », c’est-à-dire que nous nous nourrissons directement sur les humains, afin que notre croissance puisse se faire normalement. Passé ce cap, nous utilisons des poches de sang pour les limiter les accidents de ce genre. L’adaptation est plus difficile pour certains vampires, plus particulièrement ceux qui sont proches des humains. Comme ton ami, par exemple. Il a donc craqué après une journée passée avec toi sans se nourrir, lorsqu’il a croisé ce couple devant sa voiture. Il était assoiffé et le jeune sang est plus appétissant pour nous, il n’a donc pas pu se retenir. Heureusement il s’est interrompu avant de les tuer et les a ramenés chez lui, après quoi nous sommes arrivés pour l’arrêter. Nous surveillons toujours les « nouveaux » majeurs pour votre sécurité, le temps qu’ils s’adaptent, précisa-t-elle. Cependant ce soir-là, nous étions partis chass… manger, se reprit-elle à la vue de mon visage horrifié. Les membres de la Brigade ont une dérogation afin de boire à la source, ce qui évite d’emmener des tonnes de poches de sang et permet de se nourrir n’importe où en cas d’urgence. Bref, nous n’avions laissé qu’une nouvelle recrue derrière nous, Matthew ne montrant aucun signe de violence envers toi ou tout autre humain. La période réglementaire d’un mois et demi après la majorité était presque écoulée, aussi a-t-elle relâché sa vigilance et a décidé de ponctionner rapidement un passant avant que nous ne revenions. Ce laps de temps a suffi à ton ami pour égorger deux personnes. Nous les avons maintenues en transe, et depuis elles sont entre la vie et la mort.»
Le ton de sa voix indiquait clairement que non seulement cette recrue ne faisait plus partie de sa Brigade, mais qu’en plus son espérance de vie avait fortement diminué depuis cette fatale erreur.
« Je savais bien qu’il était trop indiscipliné pour prendre cette mission au sérieux. Ça m’apprendra à mieux choisir mes apprentis. Si seulement il y avait plus de volontaires… Enfin, nous avons ensuite donné rendez-vous à Angelo ici, à Pericola, où se réunit le Conseil. Le procès de Matthew aura lieu demain.
_Comment ça, son procès ?! Mais il ne l’a pas fait exprès ! Il…
_Sera jugé pour homicide involontaire. Désolée.
_Mais que… que va-t-il lui arriver ? demandai-je, à nouveau affolée.
_La sentence dépendra d’Angelo. S’il arrive à les sauver, ton ami écopera d’une peine légère. S’il échoue… »
Sa phrase resta inachevée, me laissant envisager le pire. Malheureusement, j’étais dotée d’une imagination débordante et le simple souvenir de Matt enchaîné me donna envie de hurler et de pleurer, ce que j’avais évité jusqu’à présent. A ce propos…
« Pourquoi est-il attaché ? Je veux dire, il n’est pas dangereux, n’est-ce pas ?
_C’est la procédure. Nos lois sont ancestrales et je suis forcée de les appliquer, bien que la plupart soient assez… radicales. J’en suis navrée pour Matthew qui ne mérite certes pas de telles précautions.
_Et est-ce que vous étiez en train de le… mordre quand nous sommes arrivés ? »
Je me posais cette question depuis que j’avais été témoin de ce fait étrange.
« Exact. Il est formellement interdit pour un vampire de mordre l’un des siens, c’est considéré comme du cannibalisme, mais en tant que chef de la Brigade j’ai carte blanche pour interroger nos prisonniers. Oh, ne t’inquiète pas, ça ne lui a pas fait mal, précisa-t-elle en avisant mon expression alarmée, il a même probablement ressenti un plaisir immense comme tous les humains dont nous nous nourrissons. Il s’agissait simplement de l’épreuve du sang qui permet de s’accaparer les souvenirs de notre « donneur ».
_Mais vous saviez que ce n’était pas volontaire, vous avez dit que ça pouvait arriver à ceux qui étaient proches des humains, non ?
_Il est toujours plus prudent de vérifier, au cas où. A présent, je suis absolument certaine qu’il ne se contrôlait pas, ce qui fera pencher la balance en sa faveur demain. Ne t’inquiète pas, je ferai tout mon possible pour alléger sa peine, vu que je suis en partie responsable de ce qui est arrivé. Je n’aurais pas dû m’en aller alors qu’il était en tel état de manque. J’ai failli. »
Sa rage envers elle-même transparaissait dans ses propos et je fus presque impressionnée par un tel sens du devoir. Elle haussa les épaules et se ressaisit soudainement, son visage redevenant un masque d’assurance et de confiance en soi.
« Il est temps d’aller voir où en est Angelo, il devrait être en mesure d’établir un diagnostic à présent.
_J’en doute fortement, répliquai-je en repensant à la jeune femme évanouie.
_Ah oui, il m’a parlé de ce qui s’est passé sur cette aire d’autoroute. Il devait se nourrir et il n’était pas sorti depuis trop longtemps. Il a donc bu une grande quantité de sang et la jeune femme a fait un malaise suite à ce prélèvement. Il a effacé ses souvenirs, ce qui explique qu’elle ne savait pas ce qui lui arrivait. »
Donc j’avais bien vu les marques de crocs sur son cou… et je n’avais pas imaginé son air menaçant, il devait encore avoir soif… Heureusement qu’il s’était retenu ! J’analysais ensuite les paroles de Serafina et sa désinvolture m’interpella.
« Il ne sera pas jugé ?
_Non, il fait partie des premiers vampires, ce qui lui donne certains… privilèges.
_Je vois, dis-je d’un ton réprobateur. Heureusement qu’il ne l’a pas tuée !
_En effet, mais il aurait été condamné si ç’avait été le cas, rassure-toi. Bien, allons-y maintenant que je t’ai expliqué le principal. »
Ça ne me rassurait pas tellement, mais bon… Enfin, le principal ? Il y avait donc d’autres détails que j’ignorais ? Génial… Nous revînmes vers l’hôtel de ville à un rythme normal, même si Serafina montrait des signes d’impatience, il était hors de question qu’elle me porte à nouveau. J’avais eu mon compte de sensations fortes pour la journée. Ou pour toute ma vie.
Nous gagnâmes ce que j’apparentais à un cachot et nous trouvâmes Angelo toujours penché sur les corps des deux victimes, Matthew l’observant d’un air affolé qui n’augurait rien de bon.
Le docteur se tourna vers nous lorsque la porte se referma dans notre dos et sa mine attristée nous apprit la nouvelle sans qu’il eut à ouvrir la bouche. Il confirma cependant nos suppositions.
« Désolé de vous annoncer cela, mais je n’ai rien pu faire. Ils sont en transe depuis trop longtemps. Le seul moyen de les ramener à la vie est désormais de les transformer. »