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Le Dernier Homme

À jamais éteinte la lumière du soleil.

Les nuages ne laissent désormais plus rien filtrer de sa beauté.

Partout autour de moi ne subsistent que poussière et vestiges d’une civilisation qui a péri.

Je suis seul.

Le dernier homme peut être ?

Quelle ironie...

Mes chances d’échapper à la condamnation à mort étaient de une sur cent ; et aujourd’hui, je vis encore, et peut être suis-je le seul."

Art posa le regard autour de lui... Tout n’était que ruines fumantes à peine éclairées par la lumière filtrée de cet astre qui jadis dispensait à ce vaste monde une lumière indispensable à la survie de tant d’espèces... Les immeubles n’étaient plus que l’ombre de ce qu’ils avaient été autrefois. Plus un bruit, plus un mouvement. Il tenait entre ses mains un cahier et un crayon, son visage exprimait lassitude et désespoir. Il reprit la rédaction de son journal intime : "Les voitures ont cessé de rouler, les gens de marcher. Cela doit faire une dizaine d’heures que j’ai repris conscience et que j’arpente cette ville fantôme, et je n’ai toujours pas rencontré âme qui vive. New-York... Ses beaux quartiers, ses bandes rivales, son astroport, le plus grand holéozoo [1] du monde, la statue de la liberté et sa jumelle [2]... Que reste t’il de tout ce qui fut ?... A part moi et ces quelques ruines... ?" Art referma le cahier d’un geste prompt, se leva et marcha... Il se surprit à hésiter sur la direction à prendre, finalement, il opta pour ’central park’. Tout au long du trajet, il se demanda plusieurs fois s’il était sur la bonne route. Le décor avait tellement changé.

 

Apres plus d’une heure à déambuler, il atteignit le parc, et malgré la disparition des arbres et la présence de cette épaisse couche de poussière grise omniprésente autour de lui, il reconnut l’endroit. Les souvenirs affluaient rapidement ; cette femme morte, l’odeur du sang, la vibrolame [3] enfoncée entre les deux seins... Il n’avait bien entendu pas choisi ce lieu au hasard... C’est ici qu’il avait tué pour la première fois. Quelle indescriptible jouissance fut la sienne en cet instant qu’il n’oubliera jamais ! Répondant à une pulsion homicide incontrôlable, il s’était abreuvé de la vie de cette inconnue. Cette première expérience avait été une révélation. Il avait éprouvé un tel bien-être à ôter la vie que chacune de ses actions n’était plus dictée alors que par le besoin d’assouvir cette pulsion. Désormais, sur chacune des interactions qu’il entretenait avec un autre être humain planait le spectre de la mort... Jusqu’au jour où bien évidemment, un policier plus malin ou plus chanceux que les autres parvint à l’identifier et à l’appréhender. Fin logique à cette escalade de violence, car au fur et à mesure qu’il tuait, il banalisait cet acte, prenant des risques de plus en plus inconsidérés, ne cherchant même plus à s’assurer un alibi, ne se souciant qu’à peine des témoins qui le voyaient partir avec ces prostituées qu’il assassinait avec tant de joie. L’inspecteur Kovsky avait mit fin à son rêve un soir d’été...

 

S’étaient alors succédés les jours et les nuits passés dans un scaphandre prison [4], mais encore les innombrables scéances au tribunal et leur lot d’avocats, de juges, de procureurs, de témoins, d’experts psychiatriques, de membres des familles des victimes... Mais, imperméable à tout ce qui se jouait alors, Art ne faisait que lutter contre son insatisfaction. De jour en jour, il avait connu un état de manque de plus en plus oppressant, sujet à l’impossibilité de donner libre cours à son ardent désir de retrouver cette extase de jadis ; ce moment furtif où la vie de l’autre s’échappe dans un râle d’agonie, manifestation sublime de son pouvoir sur autrui. Grande était sa frustration, toutefois il n’avait d’autre option que de la supporter à défaut de l’accepter. Lors de ces longues heures de solitude, il entretenait sans cesse l’espoir d’être un jour libre à nouveau. Libre de se déplacer où bon lui semble, et, macabre perspective : libre de se livrer à son activité préférée... D’apres ce que son avocat lui avait expliqué, toute l’issue du procès résidait en une interrogation dont il était l’élément principal : était-il fou ? De la réponse à cette question découlerait le jugement final : l’internement à perpétuité dans un asile psychiatrique ou la condamnation à mort. Jamais la décision finale ne fut rendue ; Art s’éveilla dans son scaphandre prison endommagé, il put ainsi s’en extirper et regagner l’air libre pour constater ce qu’était devenu le monde...

 

D’une certaine manière, Art avait atteint son but ; il était de nouveau libre... De sombres perspectives se dessinaient toutefois sur son avenir. Il avait bien entendu été soumis aux radiations, et sa survie en réalité n’était qu’un sursis. Conscient de cela, il ne pouvait pleinement se réjouir de sa condition de survivant, mais au-delà de cette triste épée de Damocles subsistait une fatalité encore plus grande, génératrice d’une frustration non moins importante : tuer à nouveau lui était impossible. A jamais perdue cette sensation de frénétique bien-être...

 

Art venait de quitter un enfer pour en rejoindre un autre...

 

A SUIVRE...


[1] En 2124, lors du congré de Neo-Mexico, les gouvernements étaient parvenus à se mettre d’accord sur un point. La disparition de tant d’espèces animales et la rareté de tant d’autres fut à l’origine de ce traité. Dès lors, aucune chasse de quelque sorte que ce soit ne fut tolérée, aucune pêche, aucun zoo, seuleument certains élevages bénéficiant d’une autorisation spéciale. La mort d’un animal étant devenu un crime puni par des lois rigides et sévères, les animaux de compagnie devinrent un luxe dont beaucoup ne souhaitaient pas profiter. D’immenses réserves naturelles furent aménagées en afrique et en amérique latine (parfois en délogeant des autochtones mécontents). La population animale étant totalement gérée par les gouvernements, un niveau d’équilibre fut atteint et stabilisé. Les holéozoo firent bien sur leur apparition. Les premiers holéos étaient loins d’atteindre le perfectionnement des plus récents, mais le rendu visuel toutefois satisfaisant de ces animaux impalpables générés par ordinateur sut toucher le public, et les holéozoos furent un véritable succès commercial.

[2] Construite en 2086, la seconde statue de la liberté, édifiée non loin de la première symbolisait l’union sino-américaine. Ces deux superpuissances millitaires ne pouvant prendre le risque de voir un conflit armé direct les opposer (sous peine de voir le monde probablement détruit dans sa totalité) conclurent un pacte de non-agression permanent et définitif. La nouvelle statue, plus haute que l’originale (de 120 mètres), représentait une femme brandissant un flambeau et affichant à la différence de la première des yeux bridés...

[3] En 2019 s’est démocratisée l’utilisation des vibrolames. Les antiques couteaux et autres hachoirs faisaient alors leurs adieux aux ménages. Le manche d’une vibrolame contient un dispositif technologique permettant à la partie tranchante de vibrer très légèrement mais à tres grande vitesse, rendant ainsi l’objet capable de découper avec une déconcertante facilité la viande et plus généralement, tous les aliments. Bien entendu, son utilisation a connu quelques dérives ; les soldats de toutes les armées du monde par exemple se sont rapidement retrouvés tous équipés de vibrolames... Au-delà de sa fonction première (rendre plus facile le métier de boucher/charcutier), un grand nombre d’investisseurs sans scrupules n’ont pas hésité à se servir de cette innovation pour créer et commercialiser des armes d’une efficacité redoutable...

[4] Les scaphandres prisons datent de 2053. Ils sont la fantastique solution au problème de la surpopulation dans les pénitenciers et du besoin d’un dispositif d’encadrement de plus en plus qualifié et important. Le prisonnier est ’inséré’ dans un scaphandre duquel il lui est impossible de s’échapper. Les besoins vitaux de ce dernier sont assurés par des perfusions produites à partir des éléments nutritifs extraits de son urine et de ses excréments.

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