- On va tous y rester, pas vrai ? La voix dde Kayle, le plus jeune des esclavagistes, tremblait comme la flamme d’une bougie vacille dans le vent avant de s’éteindre.
Son moignon bandé serré contre lui, la main crispée sur son pistolet mitrailleur, il exhudait littéralement de peur. Thanandar l’observait en silence tandis qu’une goutte de sueur perlait sur sa tempe. Pas étonnant qu’il soit terrifié. Ce gamin ne devait pas avoir plus de quatorze ans. Ce serait un miracle qu’il puisse fêter un autre anniversaire, d’ailleurs. Un autre zombie passa dans la ruelle. Le ratskin le suivit du regard, à l’abri derrière le muret où il avait pu trouver refuge. Lui et les esclavagistes avaient tenté de quitter la colonie après l’attaque initiale des morts vivants ; ils avaient étés repoussés par une nouvelle vague d’assaillants, et le doc avait été englouti par la marée des non morts. Finalement, ils avaient réussi à semer leurs adversaires, et s’étaient réfugiés dans cette bâtisse, une ancienne maison close à présent réduite à l’état de ruines. Une puissante détonation ramena Thanandar à la réalité. Il observa le mort-vivant qui continuait de marcher, comme un automate, alors que la moitié de sa tête avait disparu dans un geyser de sang. Finalement, privée de volonté, l’abomination finit par s’effondrer définitivement.
- Probable qu’on va pas s’en tirer, fit Goort, celui des deux jumeaux qui restait en vie. Mais en attendant, on peut s’amuser un peu, pas vrai ? Un sourire stupide illumina son visage tandis qu’il brandissait, non sans une certaine fierté, son fusil dont le canon était encore fumant.
-Bien joué, Gort. Maintenant tu peux être sûr que ces saloperies de macchabées vont nous tomber dessus d’un instant à l’autre. C’était Gunvaek qui, sans cesser de jouer avec son colifichet, avait pris la parole. Thanandar, si c’était possible, avait encore moins confiance en lui que dans ses autres compagnons d’infortune.
-On f’rait mieux d’déguerpir alors, pas vrrai patron ? Poursuivit Gort, tentant d’ignorer les sarcasmes de son camarade.
Un silence. Rojo, le leader des esclavagistes, fixait Thanandar, sans un mot. L’atmosphère sembla s’alourdir encore tandis que les hommes de main de la guilde était plongé dans l’expectative, devant l’attitude mystérieuse de leur chef.
- On va rester là. Il y à un sas, à cinq ceent mètres d’ici. Avec un peu de chance, il mène vers une issue. Mais on a aucune chance d’y arriver. Les maccabées vont nous tomber dessus et on fera pas un pli. Rojo avait enfin prit la parole, et son débit n’avait laissé à aucun de ses camarades le temps de protester. On va attendre ici. Les murs sont solides, on a des munitions et de bons postes de tirs. On va massacrer ces saloperies et quand on en aura tué assez, on se tirera.
Thanandar lui adressa un signe de tête, et l’organisation de la défense se mit rapidement en place. Gunvaek se posta sur le toit de la bâtisse ; de là, il pourrait facilement observer les mouvements des zombies.
- Grouillez-vous, putain ! Fit-il pendant qque Thanandar et Gort barricadaient l’entrée à l’aide d’une vieille table de bois vermoulu. J’vois déjà ces pourritures qui s’amènent. Et merde, y en a vraiment un paquet ! Par le Trône d’Or, on va tous y rester ! Jura-t-il dans un murmure.
Une rafale d’arme automatique, assourdissante, déchira soudain le silence.
- Merde, Gunvaek, qu’est-ce que tu fous ? TTu vois bien que tu peux pas les atteindre, de là. Economise tes munitions, connard.
Rojo, le visage crispé, pestait contre la faiblesse de ses hommes. Quelques secondes passèrent, interminables. Il y eu le bruit d’une vitre volant en éclats ; et soudain la marée des morts-vivants fut sur eux. A l’intérieur même du bâtiment, le combat faisait rage. Kayle arracha la moitié de la poitrine d’un zombie d’une rafale de pistolet mitrailleur :
- Putain, mais d’où y sortent, merde ! rageea-t-il, le souffle court. Puis, vidant son chargeur sur un autre ennemi : Eh, Gunvaek t’étais pas censé les surveiller ? Comment t’as pu les manquer ceux-là ?
Il fut forcé de reculer devant le nombre des non-morts. Thanandar, lui, avait abandonné depuis longtemps toute logique, tout questionnement : une barre de fer rouillé à la main, il s’acharnait sur un de ses adversaires, dont la tête fut bientôt réduite à l’état de pulpe sanglante. Voyant le gamin en difficulté, le ratskin étouffa un juron et bondit au devant de ses ennemis. Propulsé par son élan, il empala un des zombies avec la barre qu’il tenait ; puis, brandissant le fusil à pompe qu’il avait reçu des mains de Rojo une dizaine de minutes auparavant, entreprit de mettre un terme à l’avancée des morts-vivants. Chaque détonation était accompagnée d’un rire sauvage, et bientôt se fut le chaos le plus complet à l’intérieur du bâtiment alors que le carnage se faisait chaque instant plus terrifiant, Thanandar exultait alors que les tripes des zombies explosaient avec un bruit infect de succion, un crâne éclata, mais les morts-vivant étaient trop nombreux, et, bientôt rejoints par ceux qu’avait vus Gunvaek, menacèrent de submerger les survivants. Rojo, bien que blessé au bras droit, continuait de massacrer les assaillants au rythme implacable de son fusil d’assaut :
- On tiendra pas longtemps sur ce rythme ! Hurla-t-il au milieu du vacarme. Gort, ouvre nous une issue ! Grouille, putain ! Ils sont sur nous !
La masse de métal, qui avait déjà prélevé un lourd tribut dans les rangs des zombies, arrêta un instant son chant de mort. Un nouvel adversaire apparut devant Gort, et celui-ci, une expression de joie sadique illuminant son visage, donna un formidable coup au mort-vivant, qui, tel un pantin désarticulé, vola dans les airs avec un sinistre craquement. L’esclavagiste abattit une nouvelle fois son arme, et, cette fois-ci, c’est tout un pan de mur qui vola en éclats. Un épais nuage de poussière recouvrit un instant les lieux, puis, comme issue du néant, une voix forte se fit entendre :
- C’est bon chef ! La voie est libre !
Gunvaek, qui luttait toujours sur le toit, jeta un coup d’œil affolé à la poignée de survivants, qui, au rez-de-chaussée, tentaient de se frayer un chemin à travers la marée des ennemis. Il n’eut pas l’opportunité de réfléchir plus longtemps et un des mort-vivants, profitant de sa distraction momentanée, bondit sur l’esclavagiste, lui plongeant ses griffes dans l’abdomen. La douleur fulgurante arracha un cri à l’infortuné, mais il réussit au prix d’un terrible effort de volonté à saisir son pistolet mitrailleur. Il y eut une énième détonation et quelques secondes plus tard, Gunvaek se relevait péniblement, recouvert par les restes de cervelle du zombie, incapable de savoir dans tout ce sang quelle était la proportion qui venait de ses propres blessures. L’air hagard, il baissa lentement les yeux vers l’étage inférieur. Aucun de ses compagnons n’était en vue. Au milieu du flot des mort-vivants qui s’amassaient au rez-de-chaussée, il discerna une lumière rouge qui clignotait de plus en plus rapidement.
- Et merde...
L’explosion souffla le bâtiment dans un vacarme de fin du monde. Du reste, nul ne sembla y prêter attention, la poignée de survivants courait à en perdre haleine, talonnée par les zombis. A présent ils pouvaient voir le sas se dessiner au loin, porte d’acier vers la vie. Ils n’étaient plus qu’à une centaine de mètres de leur sésame lorsqu’une nouvelle bande de morts-vivants se dressa sur leur passage. La poitrine en feu, Kayle murmura une prière à l’Empereur, et, poussant un cri de guerre sauvage, bondit sur ses ennemis. La marée des adversaires était une nouvelle fois sur eux, inexorable. Gort abattit sa masse et trois zombies de la peste roulèrent dans la poussière. Profitant de l’accalmie, il se risqua à jeter un œil vers le sas, portail inaccessible vers une vie meilleure ; si près et si loin à la fois... Un autre mort-vivant fit mine de l’attaquer, mais l’esclavagiste fut le plus rapide, et lui broya la tête d’un coup surpuissant.
- Vous allez crever, bande de charognes puaantes ! Hurla Kayle au milieu du chaos.
Les zombies étaient partout, pour chaque ennemi vaincu deux prenaient sa place. Blessé au front, le jeune esclavagiste ne voyait presque plus rien comme le sang lui coulait dans les yeux ; cela n’avait d’ailleurs que peu d’importance car depuis longtemps déjà il tirait sans même se soucier de viser, le nombre des adversaires était tel que tous les tirs faisaient mouche. Le pistolet mitrailleur surchauffait dans sa main, et en un instant le monde bascula. Un simple cliquetis mit un terme à ses espoirs. Kayle n’eût guère le temps de recharger son arme, ni d’esquisser le moindre geste en fait : les morts-vivants le submergèrent et en quelques secondes, les cris de douleurs se firent un simple gargouillis. Rojo assistait à se triste spectacle, impuissant : les ennemis étaient trop nombreux pour qu’il puisse ne serait-ce qu’un instant se déconcentrer ; la moindre erreur lui serait fatale, il n’en doutait pas une seule seconde. D’une rafale de son fusil d’assaut, il jeta un nouveau mort-vivant à terre. Il chercha un instant Thanandar des yeux ; et au milieu de ce chaos absolu, il sembla que le ratskin avait disparu : où que se porte le regard de l’esclavagiste, se trouvaient des zombis ; là, Gort semblait faiblir sous le nombre et déjà un de ses adversaires, qui avait sauté sur son dos, mordait avec avidité le cou de l’humain ; mais de Thanandar, aucune trace... C’est alors qu’il comprit. Le sas. Le sas était ouvert. Quelqu’un avait ouvert cette lourde porte d’acier. Quelqu’un qui ne comptait pas revenir avec des renforts. Quelqu’un qui avait survécu.
- Bien joué... Fit Rojo, un sourire aux lèvrees.
Il y eut une détonation, et dans le dôme tout fut enfin fini.
* *
*
Thanandar se hissait péniblement à l’échelle lorsqu’il entendit un ultime coup de feu. Il eut un sourire, et repris son ascension. La route serait encore longue jusqu’aux niveaux supérieurs...
Fin