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It’s the end of Camelot

and if you’re ready or not

you can smell the rot

of an army of zombies

it’s you it’s me against an army of zombies

 

Thanandar se tenait là, immobile sur une plate-forme de métal rouillé, au sommet d’une tour surplombant d’une dizaine de mètres la route. Tout, aux alentours, semblait à l’abandon depuis bien longtemps déjà, et la rouille et la faune sauvage de la ruche avaient fait leur œuvre sur les antiques constructions de béton et de fer. Seule la route semblait avoir été remise récemment en état, et déjà les ornières témoignaient des fréquents passages de caravanes. Depuis plusieurs heures, Thanandar guettait. Car il était une chose qu’il savait : à l’origine de tout ceci se trouvait la guilde des esclavagistes, qui, considérant le sous-monde comme un inépuisable gisement de marchandises à exporter, avait ordonné des rafles chez ses habitants. Depuis plusieurs semaines maintenant, c’était des centaines de parias, de ratskins et de fouisseurs qui avait été capturés avant d’êtres revendus contre quelques crédits dans la cité-ruche. Thanandar avait autrefois eu affaire aux esclavagistes, et chaque jour ses cicatrices lui rappelaient qu’ils lui devaient une vengeance. Soudain, il aperçut au loin l’interminable procession des captifs aux visages tristes, qui, au bord de l’épuisement, souffraient l’enfer à chaque pas. Les plus faibles et les plus âgés ne passeraient sans doute pas la nuit, mais cela importait peu à la guilde ; car cette étape faisait partie d’un processus plus complexe visant à ne conserver que les plus forts et les plus résistants des esclaves, afin de leur affecter les tâches les plus dures. Thanandar prit ses cristo-jumelles et balaya la colonne du regard. Il compta une soixantaine de captifs, escortés par dix esclavagistes, dont deux avaient été modifiés par un des ’médecins’ de la guilde, et arboraient maintenant des plaques de blindages soudées à leurs propres torses, et des armes de mêlée fixées à leurs poignets en lieu et place de leurs mains. Le ratskin sut immédiatement que seul, il n’aurait pas grande chance de vaincre, et préféra attendre que les renforts, en l’occurrence Zed et un commando des Fils de la ruche, viennent lui prêter main forte. Ils s’étaient tenus prêts dans une conduite d’un niveau inférieur, et d’ici quelques minutes, ils déchaîneraient l’enfer sur les esclavagistes. D’ici là, Thanandar devrait prendre son mal en patience, et veilla à ce qu’on ne puisse pas le repérer, en restant à l’abri d’une vieille caisse de bois vermoulu. En réalité, la fine couche de caméléoninne qui recouvrait les peaux de rats géants dont il était vêtu et son visage le rendait presque indécelable aux yeux de ruchiers, et ses précautions ne seraient probablement pas utiles. C’est alors qu’il sentit comme une vibration, d’abord ténue, puis de plus en plus violente ; et la structure de la tour ployait sous la pression. Le grondement se fit assourdissant alors que tout autour de lui, la structure même du dôme s’effondrait avec fracas. Des blocs de béton se détachèrent du plafond, et tombèrent au beau milieu du convoi des esclavagistes, créant le plus total chaos. Ici et là, les esclaves tentaient de profiter de l’aubaine pour fuir ; et au grondement de la ruche s’ajouta bientôt le vacarme des automatiques dans un infernal concert. Thanandar songea qu’il devait sans plus tarder fuir, sous peine d’être enseveli avec ses ennemis sous des tonnes de roche. Et le métal se mit à hurler et la tour s’effondra sur elle-même, projetant avec violence le ratskin contre une conduite de fonte. Autour de lui, le sol se morcela, et le vacarme se fit plus puissant encore alors que la fissure s’élargissait, scindant le dôme en deux parties. Et Thanandar, inconscient, fut plongé dans cet abyme, cette gueule béante ouverte sur le cloaque et dont on ne voyait pas le fond.

Seul au milieu de l’obscurité, Thanandar tenta de se relever. Chacun de ses muscles lui faisait mal, et dans sa tête, les questions se bousculaient. Il ignorait où il se trouvait, et combien de temps s’était écoulé depuis qu’il avait perdu connaissance ; mais en ces lieux revenus il y a longtemps déjà à l’état sauvage, tous ses sens l’avertissaient du danger omniprésent. La douleur se fit plus vive avec l’effort, et le ratskin étouffa un juron lorsque tout à coup il vit une suite de colons s’avancer, d’un pas lent dans le silence. Il voulut les appeler, solliciter leur aide ; mais quelque chose au plus profond de lui, une sorte de funeste intuition l’en empêcha au dernier moment. Sans fin, le cortège continuait d’avancer sans un bruit, se déroulant d’un rythme à l’implacable lenteur. Thanandar ne put s’empêcher de les regarder, non sans mépris, tandis qu’ils marchaient comme des automates, sans que ni entrain ni fatigue ne puissent se lire dans leur pas. Le ratskin songea qu’ils ne survivraient pas longtemps dans le sous-monde, et sa vue se brouilla alors qu’il regagnait les limbes de l’inconscience.

A nouveau, Thanandar ouvrit les yeux. Son corps ne semblait plus être qu’une plaie béante et même la faible lumière qui émanait des flash-néons était pour lui la source d’une insoutenable douleur. Rassemblant toute la force de sa volonté, il se releva péniblement. Il tituba quelques instants, puis entrepris de soigner ses plaies les plus sérieuses. Il grimaça sous la douleur lorsqu’il retira de sa cuisse gauche un éclat de fer rouillé ; et il pansa sa blessure d’où s’écoulait un flot vermeil à l’aide d’un bandage de fortune. Du regard, il chercha les armes qu’il portait ce jour là sur lui ; mais il apparut qu’elles avaient été perdues durant sa chute. Il maudit le sort puis, claudiquant, il se mit en route vers ce qu’il pensait être le sud ; et il marcha ainsi, à demi conscient, sur de nombreux miles, jusqu’à ce qu’au milieu de cet horizon artificiel n’apparaisse une petite colonie minière. Thanandar d’ordinaire évitait ces lieux, et l’accueil réservé aux ratskins se limitait bien souvent à une bonne correction ; mais dans sa situation, il n’avait guère d’autre alternative que d’espérer ne pas être reconnu et bénéficier de l’hospitalité des autochtones. Cette pensée fit naître chez le ratskin un rire où ne perçait aucune joie. Lentement, il passa les portes de la colonie, sans pouvoir discerner autour de lui la présence du moindre garde. En son fort intérieur naquit une certaine inquiétude à cette idée : il n’était guère d’usage, dans les colonies du sous monde, de laisser sans surveillance l’entrée principale des fortifications et seul un imprévu de nature majeure aurait pu forcer les colons à fuir précipitamment la relative sécurité de leur home pour la mort certaine de l’extérieur. Autour de lui se dressait le tableau usuel des colonies, telles qu’il en existe des dizaines à travers la ruche : une trentaine d’habitations de tôle, pour la plupart à l’aspect rudimentaire, disposées en cercles concentriques autour de la pompe à eau principale, un sceau près de celle-ci ; du linge était étendu sur une corde d’acier non loin du ratskin ; rien ne pouvait expliquer le départ précipité des autochtones. Thanandar devait pourtant se rendre à l’évidence : il n’y avait plus âme qui vive dans cette cité fantôme. Arpentant les rues de la colonie, il tomba soudain nez à nez avec une jeune fille à l’aspect misérable. Celle-ci, vêtue d’une vieille robe élimée et de bottes de cuir usé, se tenait là, immobile, sanglotant.

-Mais qui es-tu ? Que s’est-il passé ici ?? Questionna Thanandar d’une voix où perçait la colère derrière l’incompréhension.

Aucune réponse. La fille ne semblait pas voir le ratskin, rien de ce qui était autour d’elle ne semblait l’atteindre. Quoi qu’il ait pu se passer en ces lieux, songea non sans quelque tristesse Thanandar, elle ne serait pas capable de lui apporter une aide ou même une information ; quelle qu’en soit la raison, elle avait perdu toute notion de la réalité. Par dépit presque, le ratskin l’attrapa à bout de bras et la secoua avec virulence :

-Mais enfin, qu’est-ce qui se passe ici ? Où sont passés les autres ? Rugit-il.

C’est alors qu’il vit. Une réponse, plus cinglante sans doute que tout ce qu’elle aurait pu dire. Une image plus forte que les mots. Une image telle qu’elle fit naître le désespoir dans le cœur de Thanandar. Sous sa chevelure crasseuse, on pouvait distinguer un amas de chair en putréfaction en lieu et place de la joue de la fille. Avec horreur, le ratskin distingua des vers qui s’activaient au milieu de la plaie béante. Il eut un haut le cœur et, avant qu’il n’eût pu esquisser le moindre geste, il y eut une détonation et la cervelle du zombie éclaboussa Thanandar. Instinctivement, le ratskin plongea à couvert. Il sut instantanément que rien ne pourrait le sauver en cas de confrontation directe, mais même en cet instant il se refusait à abandonner la lutte. Du regard, il cherchait quoique ce soit qui puisse faire office d’arme de fortune ; mais au bout de quelques minutes de ce calme éprouvant, une voix forte se fit entendre :

-Sort d’là tout d’suite si t’es pas d’la cchair de macchabée ! Tonna la voix.

Thanandar ne savait quelle conduite adopter, et les pensées filaient à toute allure dans son esprit. En vérité, il lui semblait que la raison avait finalement disparu de la ruche entière en ce jour, et que la folie avait englouti tous ses habitants ; rien de ce qu’il avait vécu aujourd’hui ne paraissait avoir de sens.

-J’te laisse trois secondes pour sortir d’’ta cachette, tu m’entends ! Après ça, si t’es pas encore un zombie, apprêtes-toi à en d’venir un !

Finalement décidé à faire lumière sur sa situation quel qu’en soit le prix, le ratskin se révéla au grand jour. Lentement, il se remit debout, grimaçant de douleur alors que sa cuisse lui faisait endurer mille morts ; et il mit les mains au-dessus de sa tête, bien en évidence, de manière à ce qu’aucun doute ne puisse subsister quant à son attitude. Quelques secondes s’écoulèrent, interminables. Puis, presque inaudibles, il entendit des voix au loin, des voix qui semblaient se concerter ; et enfin il put distinguer six silhouettes qui s’avançaient vers lui, ombres indistinctes se découpant sur le paysage tout d’abord, puis, au fur et à mesure qu’ils s’approchaient, le ratskin pût mieux les étudier tandis qu’ils marchaient vers lui. Le chef, de toute évidence, se tenait au centre du petit groupe. Marchant d’un pas assuré, il portait une longue gabardine aux couleurs boueuses sous laquelle il était vêtu d’un simple treillis d’un gris délavé et d’un débardeur noir, lui aussi en piètre état. Les cicatrices qui couraient sur son visage, la manière dont sa musculature noueuse jouait sous ses vêtements : tout en lui rappelait le guerrier. Son regard noir de jais, plein de détermination, balayait le périmètre, à la recherche de quelque indice suspect. A sa droite se tenaient deux hommes de haute stature, dont la ressemblance profonde les désignait comme frères ; tous deux partageaient la même carrure de troll, l’expression quelque peu niaise et la longue chevelure rousse tressée. Vêtus de simples fourrures tâchées de sang, ils brandissaient à bout de bras deux énormes masses de métal clouté chacun, balançant avec nonchalance leurs armes de droite à gauche, comme si le poids pourtant considérable était pour eux tout à fait négligeable. Plus à gauche se tenait un homme au physique élancé, dont l’attitude trahissait la nervosité : ses doigts se crispaient sur la crosse de son pistolet bolter, tandis que de sa main libre il malmenait fébrilement un colifichet d’ivoire. Enfin, un insolite duo clôturait le petit groupe ; un vieil homme, à l’aspect dur et sec comme la pierre, qui avançait péniblement tandis qu’à son côté un adolescent à l’allure misérable le suivait avec difficulté, peinant à chaque pas à porter une lourde malette de cuir usé. Mais ce qui attira l’attention de Thanandar fut une toute autre chose, qu’en des circonstances différentes n’aurait peut-être été qu’un détail : sur le front de chacun de ces hommes, un symbole était tatoué. Un symbole que Thanandar ne connaissait que trop bien. La marque de la guilde des esclavagistes de necromunda. Le ratskin songea un instant à fuir, mais la douleur qui montait de sa jambe se rappela à lui et il sut qu’il devait faire face. Silencieusement, il pria l’esprit de la ruche qu’ils ne le reconnaissent pas. Il n’eût guère plus de temps et les autres furent bientôt sur lui.

-Alors, mec, tu t’es perdu ? Qu’est-ce quee tu fous là ? Questionna celui des esclavagistes qui tenait un colifichet.

Thanandar resta silencieux. Souriant, il fixait le chef de la petite bande.

-Putain t’es muet ou quoi ? Et puis c’est quoi ces fringues ? Et ce tatouage ? Tu vas m’répondre à la fin ? Sinon j’te plombe, connard ! Continua l’autre.

Une fois de plus, le ratskin garda le silence.

-Je crois qu’on fera les présentations pluus tard, murmura-t-il finalement.

-Quoi ? Qu’est-ce...

En un instant, l’enfer s’abattit sur les lieux. Le vacarme des armes automatiques qui faisaient pleuvoir la mort. Les hurlements de haine et de terreur à l’état pur. La haine. La terreur. S’exacerbant l’une l’autre, emportant les hommes dans un incontrôlable tourbillon de violence. Thanandar bondit à couvert tandis que les armes se déchaînaient. Un zombie tenta de lui arracher la gorge tandis qu’il se relevait, mais le ratskin était trop rapide, et d’un violent coup de pied à l’entrejambe envoya le mort vivant au tapis. Il jeta un coup d’œil alentours et alors s’aperçut que les esclavagistes étaient dans une situation difficile ; la horde des non-morts était partout et déjà, submergé par la masse des ennemis, l’un de ceux qui paraissaient être frères disparaissait dans un concert de hurlements qui bientôt ne fut plus qu’un atroce gargouillis. Dans un flot écarlate, son bras sectionné au niveau du coude roula aux pieds de Thanandar sans qu’aucun des morts-vivants ne s’en préoccupe, et le ratskin récupéra non sans dégoût le pistolet laser encore poisseux du sang de son ancien propriétaire, avant d’entreprendre de se frayer un chemin parmi la masse des zombies. L’arme vibrait dans sa main tandis qu’à chaque rafale éclatante un adversaire reculait, et bientôt il se trouva seul au centre d’un effroyable charnier. D’autres déjà attaquaient, tandis que certains reprenaient le combat, et bientôt il dut se débattre face à la marée des ennemis, broyant les os et répandant des flots de sang vermeil. Il était la mort parmi les morts et rien ne semblait pouvoir être en mesure de stopper son terrible massacre. Un zombie tenta de lui arracher les yeux, mais son visage fut réduit à l’état de pulpe sanguinolente à coups de crosse de pisto-laser, dont l’usage frénétique l’avait finalement fait surchauffer ; et puis bientôt ce fut tout, aucun des non-morts ne restait en mesure de continuer le combat, et une trentaine de cadavres jonchaient la rue alors que les survivants erraient, l’air hagard. Des esclavagistes, un seul était mort, tandis que le plus jeune tenait les restes sanguinolents de ce qui avait été autrefois sa main gauche. Le vieillard s’attachait à soigner son moignon lorsque Thanandar prit la parole, le souffle court :

-Je crois qu’on ferait mieux de se mettre à l’abri. D’autres risquent de se pointer d’un instant à l’autre.

-Pour sûr, fit le chef, un sourire aux lèvvres. J’aimerais mieux pas être là quand ils s’amèneront.

Comme un accord tacite, le petit groupe disparut bientôt dans les ténèbres du sous-monde.

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