Les cris des victimes. Le brasier infini. Le vacarme des armes. L’odeur du sang. Tout se mélange, se confond. Thanandar se sent englouti dans ce maelström d’horreur. Il ouvre les yeux, et le véritable cauchemar recommence.
Dans les désolations, la vie grouillait suivant ses plus primitifs instincts, et nul ne prêtait attention au convoi. Les caravanes de marchands n’étaient pas fréquentes en ces lieux ; aucune colonie ne se trouvait dans les environs, et l’endroit, non seulement infesté de vermine, n’offrait que de pauvres ressources incapables d’assurer la survie de colons. Cette caravane était d’autant plus particulière qu’en plus d’emprunter cette route peu fréquentée, elle était solidement gardée par une escouade d’arbitrators. Les forces de l’Adeptus Arbites ne se chargeaient que rarement de ce genre de mission, pas plus qu’ils ne se mêlaient d’ordinaire des affaires de la guilde des marchands ; aussi tout laissait à croire que ce convoi n’avait rien de banal. L’agent Smith ouvrait la voie, son armure carapace aux couleurs de l’Imperium recouverte d’une fine couche de poussière se fondant dans le désert de cendres alentours. Il semblait suer à grosses gouttes sous son équipement, avançant avec peine sur le chemin escarpé. A coté de lui se tenait l’agent Lukas, un bleu dont l’uniforme était encore immaculé. Il semblait plein de l’enthousiasme d’un débutant, bondissant presque à chaque foulée malgré la fatigue. Une dizaine de mètres derrière eux, suivait le véhicule de la guilde des marchands lui-même, étonnant croisement entre une charrette et un char d’assaut. Malgré un aspect indéniablement artisanal, il semblait capable de résister au bombardement d’une flotte de combat toute entière, et les seules fentes à l’avant et aux côtés de sa carapace métallique ne laisser rien entrevoir de l’intérieur. Enfin, deux autres arbitrators fermaient la marche. Ils avaient tout de vétérans, et leur inquiétude semblait presque tangible. Malgré leur démarche assurée, ils ne pouvaient réfréner de furtifs regards à droite ou à gauche, comme pris d’un mauvais pressentiment. La troupe avançait dans le silence pesant de la ruche. A l’intérieur du convoyeur de la guilde, Doggan Hammerson suait à grosses gouttes. C’était un homme entre deux âges, dont l’embonpoint trahissait la nature placide ; il ne semblait en rien à sa place au milieu de cette expédition. Le conseil des marchands de la Passe du Cul de Sac l’avait envoyé pour une réunion avec d’autres dignitaires de Glory Hole ; mais la recrudescence d’attaques de pillards avait repoussé le départ durant plusieurs semaines. Finalement, le convoi était parti, sous l’escorte des forces de l’Adeptus Arbites, malgré la menace omniprésente des bandits. Rien ne pouvait empêcher Hammerson de penser que s’il avait été choisi pour cette mission, c’était moins pour ces capacités que parce qu’il risquait bien de ne pas revenir. Un instant, il maudit ses supérieurs de la guilde et leur insupportable suffisance. Il ne quittait pas du regard le sergent Hawkins, qui avait tenu à l’accompagner dans le véhicule. L’officier incarnait la sérénité même, ce qui étrangement n’était pas pour rassurer Hammerson. En fait, ce dernier était même certain d’avoir vu l’arbitrator s’endormir à plusieurs reprises depuis le début du voyage. Ne pouvant y tenir un instant de plus, le marchand commença :
-Excusez-moi de vous importuner, chuchota—t-il d’une voix mielleuse, mais je n’ai pu m’empêcher de constater votre apparente sérénité au depuis notre départ. Ne craigniez vous pas que nous ne soyons la cible de pillards ?
-Votre expérience de ce genre de situationn vous permet-elle de faire de telles suppositions ? Rétorqua l’arbitrator d’un ton sec qui aurait coupé à quiconque toute envie de poursuivre cet échange.
-Evidemment non, poursuivit Hammerson avecc persévérance. Puis, en insistant sur chaque mot comme pour se donner du courage : Mais voyez-vous, des rumeurs courent depuis de longues semaines à la guilde sur les raids incessants de cette maudite engeance.
-Pour vous autres marchands, les rumeurs ssemblent parfois aussi mortelles que des balles, fit Hawkins qui s’amusait de tout évidence des inquiétudes de son interlocuteur. Mais ne surestimez pas votre importance ; les bandits ne s’intéressent qu’aux creds et aux armes. Avec tout le respect que je vois dois, ils se fichent complètement de vos allées et venues, si vous voulez mon avis.
-Votre apparent mépris pour notre honorablle corporation me paraît tout à fait déplacé, dit Hammerson avec fermeté, apparemment vexé par la remarque de son interlocuteur. Nous constituons un rouage essentiel de la cité-ruche, et nous avons participé activement au développement du sous-monde. Grâce à nous, de nombreux laissés pour comptes des bas-fonds peuvent aujourd’hui bénéficier des bienfaits de notre technologie, et des lumières bienveillantes de l’Imperium.
- Je n’en doute pas une seconde, répondit Hawkins avec ironie. Mêmes les habitants des lieux les plus sauvages de la ruche connaissent sans doute tout de leur devoir d’adoration envers l’Empereur. Et aussi du travail pour la guilde des esclavagistes. La seule chose qu’ils ignorent, c’est la valeur des matières premières abondantes dans les zones où ils vivent, continua l’arbitrator.
- Il faut croire que malgré tous nos efforrts, il n’auront jamais la moindre notion de bon-sens. Malgré tout, ils ne sont plus aujourd’hui condamnés à la barbarie et à leur massacres tribaux, fit Hammerson avec fierté.
Devant le silence de Hawkins, le marchand se risqua à jeter un coup d’œil au travers d’une des fentes. Le paysage continuait de défiler devant ses yeux, désert abandonné identique à lui même, semblant de lassitude pernicieuse regorgeant en réalité de dangers mortels. Heureusement pour lui, Hammerson ignorait tout de la faune du sous-monde ; car dans le cas contraire, les pillards n’aurait été pour lui qu’un lointain soucis dans un océan de terreur empli de griffes et de crocs. Au dehors, pourtant, la ruche semblait inanimée. Une canicule artificielle serrait sous son implacable étreinte toute vie, et plus rien ne bougeait à présent, la caravane avançant seule dans une atmosphère toujours plus pesante. Tout ceci n’augurait rien de bon, songeait l’agent Smith, l’œil aux aguets. Comme pour se rassurer, il serra contre lui son fusil et reprit sa marche avec vigilance. Son inquiétude, en réalité, était croissante à mesure que le convoi se rapprochait du dôme alpha-14. Ce dôme, dont la seule particularité apparente était sa petite taille, était en fait un repaire de pillards et de mutants bien connu des autorités ; plusieurs purges avaient d’ailleurs été proclamées contre la zone au cours des dernières décénies. Le seul résultat tangible avait été la baisse du nombre de chasseurs de primes dans les environs, et de longues périodes d’insécurité. Le convoi, l’arbitrator ne l’ignorait pas, ne pouvait contourner le dôme sous peine de prolonger le voyage de plusieurs longues semaines, ce qui, aux yeux de la guilde des marchands, était tout à fait inacceptable. Sans le savoir, Smith rejoignit un instant les pensées de Hammerson et se prit à détester ces imbéciles bornés qui ne se lassaient pas de passer outre les dangers de la ruche, avant de s’en mordre invariablement les doigts. Le dôme alpha-14 n’était maintenant plus qu’à une centaine de mètres droit devant, et à présent même l’agent Lukas semblait en proie à une lourde tension ; bientôt ils entreraient dans le labyrinthe de plasti-béton et ils n’auraient plus droit à l’erreur. A l’intérieur du convoi de la guilde, le sergent Hawkins paraissait lui aussi être sorti de sa torpeur et scrutait régulièrement les alentours grâce au périscope installé sur le véhicule. Soudain, il se rassit sur la banquette de cuir noir et reprit la parole d’une voix profonde et basse :
-Nous approchons du dôme Alpha-14. Je vouss conseille de vous cramponner, parce qu’une fois là dedans, ça risque de chauffer un maximum, si les propriétaires décident de nous donner la chasse.
-Vour croyez que ces pillards oseraient s’’attaquer aux forces de l’Adeptus Arbites ? Vous sembliez pourtant si sûr de vous, tout à l’heure, remarqua Hammerson, qui semblait à présent sous l’emprise d’une irrépressible panique.
-Mais je le suis toujours. Nous ne risquonns rien des pillards, je vous l’assure. Mais regardez ces glyphes, répliqua l’arbitrator en tendant à son interlocuteur le périscope. Nous entrons sur le territoire d’une tribu Ratskin et ils risquent bien de ne pas apprécier, continua-t-il.
-Ces maudits sauvages ! Après tout ce que nous avons fait pour eux ! pesta Hammerson.
-Les fameuses lumières de l’empereur, n’esst-ce pas ? Fit Hawkins. Et bien eux ne semblent pas partager les mêmes opinions que nous sur l’Imperium. Ne vous est-il jamais venu à l’idée que s’ils refusaient cette aide que vous leur proposez, c’est qu’ils n’en avaient pas besoin ? Peut être qu’après tout ils peuvent bien vivre sans les bienfaits de votre guilde, et de toute autre d’ailleurs ? Bien entendu, loin de moi l’idée de remettre en cause votre générosité. Votre acharnement à ’venir en aide’ à ces populations est bien connu.
-De tels propos n’ont guère leur place danns la bouche d’un représentant de l’Imperium ! Le marchand semblait maintenant furieux. Changez d’attitude, et tout de suite ! Et sachez le, mon rapport ne passera pas sous silence votre comportement déplorable.
-A moins, bien sûr, que votre aide aux peuuples du sous-monde ne soit qu’un écran de fumée devant vos machinations, un moyen de mieux les exploiter sans froisser l’opinion du peuple...
-C’est oublier que le peuple partage nos iidées, coupa Hammerson. Le sous-monde regorge de richesses, et c’est pour nous un devoir et un honneur que de les exploiter.
-Bien sûr, vous ne faites ça que par devoiir. C’est étonnant de voir le sens que prend ce mot dans votre bouche de marchand, contre-attaqua Hawkins. Quant à l’honneur, je doute même que vous ayez la moindre idée de sa signification . Si vous prétendez aider le sous-monde, ça n’est évidemment pas pour vous assurer le soutien des ruchiers, qui sont pour la plupart aussi bêtes et racistes que vous ; c’est uniquement dans le but de rouler votre propre tranquilité que vous avez trouvé cette excuse. Pour ne plus être réveillé par des cauchemars au milieu de la nuit...
Hammerson se leva, sous l’emprise d’une colère noire ; et Hawkins pensa même un instant qu’il allait le frapper. Tout à coup, l’extérieur du convoyeur tomba dans une profonde obscurité : ils étaient entrés dans le dôme, et cette seule idée suffit au marchand pour retrouver son calme. Les falsh-néons continuaient d’éclairer l’intérieur du véhicule, mais les ténèbres semblaient plus pesantes encore que les désolations qu’ils venaient de traverser. Plusieurs minutes, interminables, s’écoulèrent dans cette atmosphère tendue. Le convoi cheminait dans le dédale d’acier, comme à l’intérieur d’un monstre colossal ; et à chaque instant la peur allait croissante, le moindre cahot devenait la source d’une irrépréssible panique pour Hammerson, qui avait de plus en plus de difficultés à résister à cette furieuse envie de se jeter sous sa banquette. Tout à coup, une détonation vint briser cette atmosphère de tension, et l’agent Lukas s’effondra avec un hurlement. Sa visière, brisée, était couverte de sang et il n’en fallut pas plus aux autres arbitrators pour se réfugier en un instant jusqu’aux plus proches couverts. Smith, accroupi derrière un vieux bidon metallique couvert de rouille, tentait de distinguer quelque chose dans l’obscurité, sans grand succès. Qu’attendaient donc leurs ennemis pour lancer l’assaut ? Quelques secondes s’écoulèrent, et il pensa même qu’ils avaient renoncé lorsque les balles se remirent à fuser de toutes parts. Les rayons lasers illuminèrent un instant le dôme comme un brasier infernal, et l’arbitrator dût se jeter à terre lorsqu’un tir passa juste au-dessus de lui. Il empoigna son fusil, fit feu à plusieurs reprises, sans espoir de toucher qui que ce soit dans cette obscurité. Un instant, il crut apercevoir un ratskin se faufiler au milieu des décombres du dôme ; Smith tenta de le mettre en joue mais il ne fut pas assez rapide et la balle destinée au hors-la-loi termina finalement sa course dans une conduite de fer rouillé. A l’intérieur du convoi de la guilde, Hammerson, tétanisé par la peur, n’osait même esquisser le moindre mouvement. Au plus profond de lui-même, son instinct lui disait de sortir du véhicule et de fuir ce cauchemar ; une féroce lutte intérieure l’animait, et il luttait sans relâche pour ne pas céder. Hawkins, lui, jaugeait la situation, jetant des regards furtifs à l’extérieur. Son attitude, pensa le marchand, reflétait moins la peur que la concentration, et pour la première fois depuis le départ de la caravane quelques jours plus tôt, il eut une pleine confiance dans l’arbitrator.
-Ne craigniez rien, fit Hawkins d’une voixx tranchante. Ces ratskins ne nous prendrons pas pour cible.
-Pourquoi ça ? Questionna Hammerson, incrédule. Notre blindage est trop résistant pour leurs armes primitives, n’est-ce pas ?
-Effectivement, c’est une possibilité. Maiis, s’ils ne nous tirent pas dessus, c’est surtout parce qu’ils risqueraient de me toucher, répondit l’autre sur le ton de la conversation.
-Comment ça ? Je ne...
C’est alors qu’il les vit. Deux trous, d’un ou deux centimètres de diamètres, perçaient l’armure carapace de Hawkins sur le flanc gauche, au niveau des côtes. Du sang séché formait un halo brun autour des blessures. Lentement, l’arbitrator ôta son casque, et de longs cheveux noir de jais tombèrent en cascade sur ses épaules. Ses yeux semblaient ceux d’un démon, et les tatouages qu’il arborait lui donna ient un aspect plus féroce encore. Thanandar tira un pistolet automatique de son holster, et pointa l’arme en direction de Hammerson. Le marchand était maintenant agité de sanglots, et une flaque d’urine grandissait contre ses pieds. Il eût le temps de bredouiller quelques suppliques avant que la balle ne lui pulvérise le crâne dans une gerbe de sang. Thanandar tira à deux reprises dans sa poitrine, et remit l’arme dont le canon fumait encore dans son étui. Puis, fouillant quelques instant son paquetage, il sorti un pain de plastique qu’il fixa contre une des parois du véhicule. Il prit quelques secondes suppémentaires pour régler la minuterie, avant de sortir en trombe, criant aussi fort qu’il le pouvait ces mots, bientôt repris en chœur par les autres ratskins :
-Mort à l’Imperium ! L’esprit de la ruche dirige le sous-monde ! Morts aux colons !
C’était le signal qu’ils attendaient et tous disparurent en quelques instants dans les ruines du dôme, sous le regard perplexe des arbitrators. L’agent Smith hésita un instant avant de décider de renoncer à poursuivre les ratskins. Il ordonna à ses hommes de se regrouper autour de convoi, afin d’évaluer la situation ; Lukas était bel et bien mort et un autre des représentants de l’Impérium avait reçu un bolt dans le bras. Avec une blessure pareille, il ne survivrait sans doute pas dans la jungle sans pitié du sous-monde. A l’intérieur du véhicule de la guilde, un voyant rouge se mit à clignoter de plus en plus rapidement et finalement, tout explosa dans une vague de feu infernale. A quelques lieues de là, tout ce que l’on put apercevoir fut les derniers soubresaut du dôme alpha-14, qui tel un monstre d’acier venait de goûter une nouvelle fois au sang.