Groenland
Alrik risqua sa tête hors du tas de déchets qui venait de lui sauver la vie… Le soldat qui l'avait aperçu rebroussait chemin vers la base militaire, la neige qui recouvrait en partie les déchets et le froid régnant dehors dissuadait vite les troupiers d'une ballade extérieure. Mais cette balade, Alrik en avait besoin pour nourrir sa famille qui vivait dans un village de tôles à quelques kilomètres de là. Son père avait été envoyé au Groenland par les forces asiatiques lors d'une attaque en 2064. Les enfants âgés de plus de quatorze ans étaient alors eux aussi dépêchés sur place, dans l’optique de gonfler les troupes et intimider les défenseurs. La bataille se révéla être une totale boucherie et après cet échec oriental, les forces étaient restées stationnées et petit à petit délaissées par leur pays.
Alrik avait dix-sept ans et cela en faisait maintenant trois qu'il aidait son frère à trouver leur repas. Personne dans leur bidonville ne pensait ni ne savait réellement que la guerre était terminée ou encore que le retour dans leur pays leur était possible et sans danger.
Il se retourna vivement, ayant perçut un cri. Son frère, plus âgé de deux ans, se trouvait non loin de là, lui faisant signe de partir. Un autre soldat s'approchait de lui l'arme au poing, le bras tendu. Alrik étouffa un cri de rage et de douleur alors que le troufion tuait son frère d'une balle entre les deux yeux. L'exécution type des forces de Naem. Alrik resta figé, dans l'incapacité de faire le moindre mouvement ne pouvant que regarder le garde qui venait d'abattre son frère repartir comme si rien ne c'était passé.
Cette décharge, ils le savaient, leur était interdite pour maintes raisons mais surtout de par sa proximité du quartier général qui était tombé deux jours auparavant aux mains de Naem. Ils savaient aussi que Naem n'avait ordonné aucune mesure de représailles aux locaux. Mais les soldats qui ne tenaient pas à s'occuper des clochards les éliminaient froidement avant de retourner à leurs occupations qui se limitaient aux pornos, beuveries et parfois à leurs tours de garde.
Alrik ne bougeait plus, il venait de sentir quelque chose de froid s'appliquer contre sa nuque. Un homme des forces de Naem lui ordonna de se lever lentement. Il se retourna pour apercevoir la face de déterré qui le pointait de son arme. L'uniforme vert foncé était recouvert d'une toque en cuir graisseuse et déchirée, destinée à se protéger du froid. Une odeur d'alcool lui frôlait le nez alors qu'il distinguait le visage de cet homme qui peinait à tenir debout. Les cheveux mi longs et gras, la dégaine d'un homme qui vient de se réveiller dans une soue près d'un cochon à en juger par la crasse qui s'accumulait sur ses chaussures… son futal… et ses bras. La tête, le corps et la mentalité du parfait psychopathe. Un sourire sadique déforma le coin de sa lèvre supérieure révélant une rangée de dents jaunâtres… Alrik eut une pensée pour ses parents qui lui avaient toujours dit que les monstres n'existaient pas.
Un autre homme apparu derrière le soldat mais il ne pouvait en discerner les traits, celui-ci faisait écran avec le soleil le couvrant de son ombre. Le soldat se retourna pour en connaître la cause se retrouvant nez à canon avec le flingue d’Eisen… qui fit feu. La tête du militaire bascula en arrière lui brisant la nuque du même mouvement. Alrik sauta de côté pour éviter le corps du garde qui lui tomba sur les jambes. Eisen tendit sa main pour relever le jeune homme éclaboussé de sang. Celui-ci ne sut que faire. D'où venait cet homme ? Il ne l'avait jamais vu auparavant mais il ne pouvait s'agir d'un homme de Naem… Son visage basané et son crâne chauve lui donnaient l'air d'un gars des OP spéciales de la guerre dont son père lui avait conté les détails. Mais il se résigna.
_ Merci articula-t-il.
_ Y'a pas de quoi, j'aimais pas sa tronche.
***
Deux citernes de quarante mètres de longueur pénétrèrent sur coussin d'air dans le hall de la base du Groenland, quelques kilomètres plus loin. Une vingtaine de soldats aux couleurs de Naem se pressèrent au pas de course autour des deux camions. Quelques uns se détachèrent du groupe et déroulèrent un tuyau qu'ils fixèrent au réservoir. Les vannes ouvertes, la citerne se vida peu à peu et sur les deux gigantesques conduits qui gagnaient les niveaux inférieurs, une partie vitrée laissait apparaître la couleur rose fluo du permutant s'écouler. Les soldats débranchèrent la citerne vide et relièrent la seconde pour la même opération.
Mais à l'ouverture des vannes, un boulon retenant le collier du tuyau sauta et une gerbe de liquide projeta un troufion du dessus de la remorque, derrière la troupe qui surveillait le transfert. Un gradé tira une grenade magnétique qui se fixa sur la citerne et isola ainsi tout son flanc droit et quelques soldats, du reste de la base. La bulle se remplissait peu à peu de liquide fluo et les soldats qu'elle retenait prisonniers se contorsionnèrent pour trouver une issue. Mais le biodisrupteur étant en grande concentration et leurs yeux devinrent rouge vifs. Leurs mains étaient secouées de tremblements jusqu'à ce que la bulle soit totalement remplie. Puis ils ne bougèrent plus quelques secondes, comme observant leur public depuis leur cage. L'un des captifs mis la main à sa ceinture et tira au HC8 contre le camion. La coque ne mit pas de temps à rompre et s'affaissa, déversant ses tonnes de permutant dans la salle.
Un gradé comprit de suite qu'ils ne pouvaient y échapper et actionna un levier d'urgence. La sécurité s'amorça et tous les accès furent condamnés. La porte en acier blindé qui fermait le hall tomba d'une bonne quinzaine de mètres avant de s'encastrer dans le sol ne manquant pas au passage de détruire les tympans d'une dizaine de personnes par son fracas.
Deux truffions, libérés de la bulle magnétique, tiraient toujours et furent petit à petit rejoints par d'autres contaminés dégoulinants de ce liquide qui commençait à leur attaquer la peau. Les hommes se déformaient à vue d'œil. Une balle toucha le générateur EMP à la base d'une citerne faisant partir celle-ci en vrille, s’élevant et se rapprochant des conduites de gaz. La plupart des soldats non contaminés et vivants remarquèrent la chose et reculèrent pour prendre la fuite…. Mais où aller ? L'un d'entre eux réussit à forcer une porte qui menait au bunker au dessus du hangar mais prit une balle perdue entre les omoplates. Ses collègues suivirent son idée et commencèrent à gravir les marches qui les séparaient de la liberté.
Le gradé qui se trouvait à genoux releva lentement la tête et ouvrit les yeux rouge vif. Il observait la scène et comprit rapidement quelle en était la fin certaine. Il s'engouffra dans un des minis tanks qui faisaient la fierté du nouveau monde en temps de guerre. La citerne toucha finalement les conduites de gaz qui ne demandaient qu'à le libérer. Un souffle de feu de la largeur de la salle balaya les soldats, en brûlant les moindres recoins, léchant de ses milliers de flammes les murs et avalant goulûment le stock d'oxygène de l’entrepôt…
Les flammes se recroquevillèrent dans le fond du hall avant d'entamer les bidons d'essence qui fournirent un dernier souffle au feu, gagnant ainsi le haut des escaliers du bunker, exterminant les possibles survivants. La salle était propre, désinfectée…et vide de comburant. Les flammes s'en retournèrent aussi vite qu'elles étaient parties… Les conduites de gaz coupées, un lourd silence s'installa dans le hall.
***
Noé sentit qu'il se réveillait. Sa nuque lui faisait horriblement mal mais bizarrement il n'arrivait pas à remuer le reste de son corps. Seuls sa nuque, sa bouche et ses yeux bougeaient. Ses yeux ! Il avait beau les faire cligner, les ouvrir les fermer, les rouvrir et les refermer calmement il n'y voyait rien dans cette foutue pièce… d'ailleurs où était-il ? Il ne se rappelait rien des derniers évènements.
Il tendit l'oreille. Un bruit de pas, des éclats de voix lointains, un bruit d'eau, de liquide que l'on verse dans un récipient métallique. Puis un autre bruit de pas…
_ Comment va-t-il ?
_ Il se remet… reste le coup de jus.
_ Le coup de jus ?
Cette voix Noé la reconnaissait : Eisen. Il ouvrit la bouche pour signaler son réveil mais panne de son… aucun bruit ne sortait de sa gorge, ses cordes vocales étaient out.
_ C'est une solution aqueuse, un mélange de plantes et de médicaments concoctés par notre médecin de village, répondit la femme en montrant sa timbale à Eisen.
Celui-ci réprima une moue de dégoût en voyant le liquide et hochant de la tête :
_ Ah, vous avez un médecin ici ?
Si Noé l'avait pu il aurait sursauté. Eisen ne savait même pas si la personne qui le soignait en était apte.
_ Oui, un militaire. Du coup la rapide remise sur pied est un peu sa spécialité… Avec le froid qui règne dans le coin, on a beaucoup de problèmes avec des évanouissements ou des personnes retenues longtemps dans le blizzard.
_ Si vous le dites…
Noé sentit que l'on appliquait contre ses lèvres un gobelet de fer. Au début il ne voulait en prendre mais la guérisseuse le mis en confiance et sa soif pris le dessus. A la vue de son patient qui commençait à vouloir boire tout le liquide la femme le pria de ralentir sans quoi…. Trop tard. Noé sentit sa gorge le brûler comme si le gobelet de fer ne contenait rien d'autre que de la lave ou de l'acier en fusion. Il aurait pu décrire dans les moindres millimètres le parcours de ce breuvage vers son estomac mais n'en prit le temps. Comme par enchantement et sous l'effet d'un coup de fouet, ses yeux se mirent à voir et son corps se leva de lui-même, sautant du lit pour courir vers la fontaine d'eau la plus proche. Eisen qui avait observé la scène questionna :
_ Qu'y a-t-il exactement dans ce breuvage ?
_ Aucune idée, tout ce que je sais, c'est que le corps subit une sacrée décharge chimique qui rétablit les liaisons nerveuses. Plus fort qu’un électrochoc et version liquide. Mais le médecin commence à vieillir et je le soupçonne de faire quelques erreurs dans les dosages. Que votre ami ne s'inquiète pas de maux de têtes ou élancements pendant la semaine…
_ Intéressant, je vous emprunterais bien la recette.
Eisen regardait maintenant Noé qui, si on ne l'arrêtait pas, finirait par mettre à sec les nappes d'eau souterraines de la région. Il se demanda surtout s'il était possible à un humain de boire autant d'eau sans exploser…
Plus tard et après un repas frugal, les deux agents s'installèrent près d'un bidon où brûlait un feu de déchets. Si l'odeur n'était pas supportable, la chaleur l'était. Le vent commençait à baisser d'intensité et la Lune se levait. Le chef du village vint alors s'asseoir à leur côté et remplit leurs verres d'un liquide jaune fluo.
_ C'est notre alcool local, il a permis à plusieurs d'entre nous de tenir l'hiver qui a suivit notre défaite… Malheureusement à forte dose il détruit les neurones…
Noé le remercia, but une gorgée qui lui rappela le breuvage du médecin, puis se tourna vers Eisen :
_ Explique moi ce que l'on fait là. Je ne me rappelle plus rien après avoir échappé aux nevs.
_ Nous avons volé jusqu'ici mais à quelques kilomètres on a essuyé un tir de canons à photons. Naïa a réussi tant bien que mal à nous poser et dans le crash on a percuté un rocher, toi deux fois puisque ton siège s'est brisé pour embrasser la pierre. Tu étais dans les vapes et Naïa a pensé qu'il valait mieux chercher de l'aide à la base. Je m'y suis d'abord opposé car celle-ci ne nous a pas répondu lors de notre appel de détresse, mais nous n'avions pas d'autre choix. Il y a de ça 3 jours.
Il s'arrêta, but une gorgée de poison avant de reprendre :
_ Le lendemain, ne les voyant pas revenir je me suis éloigné de l'épave du Storm afin de retrouver leur trace. J'ai rencontré un ado qui allait être abattu par un vert et c'est ce petit qui m'a guidé jusqu’ici afin que tu puisses t'y reposer. Je suis retourné plusieurs fois autour de la base avec Alrik pour repérer les lieux, fit-il en fronçant les sourcils, et si tu veux mon avis, ce n'est pas la CITL qui occupe cette base, ça grouille de verts tout autour…
_ De vers ? demanda le chef du village
_ De Verts, les soldats de l'armée de Naem, répondit Eisen, j'ai aussi vu plusieurs hommes de la CITL qui collaboraient. D'après Alrik, Naem ne s'est pas beaucoup battu pour obtenir la base. Ils sont arrivés un jour avant nous avec dix triporteurs chargés d'hommes et d'armes.
_ Dix triporteurs ?! Il compte relancer une guerre ?
_ Apparemment il se sert de cette base comme QG, et je pense que Tetsuo et Naïa y sont malheureusement prisonniers. Je ne comprends pas que la CITL n'ait pas été avertie de la prise de cette base.
Noé termina son verre et soupira comme pour évacuer le résidu de flammes qui semblaient encombrer son estomac.
_ En fait, je pense qu'elle est au courant.
Eisen faillit avaler le gobelet avec le jus qu'il contenait.
_ Comment ?!
_ Je ne peux pas tout t'expliquer ce serait trop long… mais ces deux dernières années j'étais en mission en Eurasie. J'avais pour objectif de rendre compte de leurs actions et en particulier de l'évolution d'un de leur corps d'élite : les Hôs.
_ Les quoi ?
_ Tu le sauras bien assez tôt. Là-bas j'ai appris l'existence potentielle de taupes au sein de la CITL voire du CRIJ ce qui expliquerait que Naem ait pris possession de cette base sans trop de difficultés et que Akdov ait eu vent de notre venue à Montréal. Quelque part, le fait qu’il nous empêche de rejoindre Naem confirme mes doutes. Mais nous n'avons pas le temps d'en parler, nous devons récupérer Naïa et Tetsuo.
_ Maintenant que tu es sur pied il serait temps d'y aller, il se peut que l'Ange Noir ne tarde pas à arriver à maturité et ne décèle ta trace dans le coin.
_ C'est vrai. Je connais bien cette base pour y avoir été déporté au début de la guerre je pourrais nous y guider sans problème. Trouve du matériel d'escalade, je vais au Storm récupérer des armes.
_ Pour le matos d'escalade, pas de problème, j'ai pris tout ce qu'il y avait dans le Storm et pour les armes… lève-toi.
Eisen ouvrit la caisse sur laquelle Noé était assis et en sortit plusieurs flingues et quelques grenades.
_ Je vois que j'ai bien choisit mes coéquipiers…
Eisen sourit. Noé posa sa main sur son épaule :
_ Tu m'as sauvé la vie… j'ai une dette.
_ J'ai ma petite idée là-dessus, répartit son coéquipier.
Quelques heures plus tard ils arrivaient au sommet de la falaise qui surplombait l'entrée de la base. Eisen planta un trépied alors que Noé enfilait un harnais. Ceci fait, ils se penchèrent et observèrent … un paisible silence s'était installé et seul le vent daignait le rompre de temps à autre, soufflant ses flocons de neiges à travers les plaines gelées. Pas de sentinelle ni de patrouille et encore moins de lumière. Seule la lune éclairait les lieux, colorant de son reflet la neige en bleu. Noé commença une descente en rappel le long de la paroi rocheuse.
En quelques bonds il parcourut les quelques mètres qui le séparaient de l'avant poste sécurité qui ressortait de la montagne en un énorme block de béton, tel un bunker, à vingt ou trente mètres du sol. Noé s'arrêta un peu et fit passer la corde entre ses jambes. Il fit signe à Eisen, pris une inspiration et se décolla de la paroi d’une grande impulsion. Arrivé dans les airs et à hauteur des vitres du bunker, Eisen tira violement sur sa corde avant de redonner du mou. Noé exécuta ainsi un salto et frappa de plein pieds la glace qui vola en éclat, le laissant passer, arme au poing et couvrant les lieux.
La radio Eisen crachota :
_ C'est vide ici, apparemment ils se sont mis en tête de refaire la peinture…
Noé regardait avec dégoût les murs couverts de sang mort.
_ Les peintres sont partis ?
_ Techniquement oui…
Eisen rejoignit Noé qui occupait l'escalier descendant vers le hall. Les murs étaient brûlés, tâchés de sang et par endroits subsistaient de petits morceaux d'hommes. L'air y était difficilement respirable mais un vent glacé s'y engouffrait, renouvelant le stock d'oxygène.
_ Je ne sais pas ce qui c'est passé ici, mais je ne pense pas que c'ait été volontaire.
_ En tout cas, il y a eu une sacrée explosion, affirma Noé.
Un bruit de barre de fer se faisait entendre en contrebas. Lointain mais audible. Noé regarda Eisen qui alluma ses torches aux épaules et aux poignets, puis en fit de même avant de descendre les marches. Il ne semblait plus y avoir de vie en bas, restait seulement cette barre qui tapait continuellement par terre, contre des tuyaux, s'arrêtant quelques instants avant de reprendre… Noé approchait de la lourde en fer entrouverte, le vent leur cinglait les oreilles et sifflait par la petite ouverture. En bas de l’escalier la porte butait contre quelque chose qui l'empêchait de s'ouvrir en grand. Eisen se plaqua d'un côté de l'ouverture alors que Noé poussait le lourd battant de fer. Un bidon encore plein d'huile roula et ouvrit un passage assez grand pour un homme.
Les deux agents se figèrent.
Un lourd silence régnait dans la pièce, seule la barre de fer continuait son inébranlable symphonie. Noé fit mine de s'aventurer mais Eisen le retint désignant son oreille. Ils écoutèrent de nouveau, un petit cliquetis se faisait à présent entendre et paraissait se rapprocher. Les deux agents fixaient des yeux le rayon de lumière que la lampe d’Eisen diffusait par l'ouverture. Ils le lorgnaient ce rayon mais ne pouvait savoir si la cause du bruit était un danger ou non, s'il allait arriver par le haut de la porte ou sur les côtés… Noé avança la main mais un léger grognement, ou sourd ronronnement, rompit le silence. Eisen regarda Noé l'éblouissant de sa lampe :
_ Y'a des tigres au Groenland ?
_ La dernière fois que je suis venu y'en avait pas. Eclaire la porte !
Eisen tourna la tête et le rayon de lumière éclaira de nouveau l'ouverture. Il semblait que rien n'avait changé mais un dixième de seconde plus tard Noé distingua la face de monstre qui les regardait fixement. Ils firent un pas en arrière, tenant le truc -ainsi qu'Eisen avait mentalement choisit de le nommer- en joue. De la bave dégoulinait de ce qui semblait être des babines et ses yeux étaient rouge vif comme animés d'une lointaine flamme.
_ Tu bouges… j'te bute ! fit Eisen à l'attention de la bête qui visiblement n'était pas de cet avis et fit mine d’attaquer.
Eisen tint parole et plomba le truc. Ils attendirent encore quelques secondes puis n'entendant plus rien ils ouvrirent complètement le battant découvrant alors que la bête de la taille d'un veau s'avérait être un mélange entre lion, ours et…
_ On dirait un chien !
_ Depuis quand les chiens font cette taille ?
_ Il a tout de même un faux air de Doberman.
_ Un Doberman transgénique alors.
Eisen regarda Noé qui couvrait la salle de sa torche.
_ Le biodisrupteur tu crois ?
_ Naem est ici, il a dû l'amener pour faire ses expériences.
Il toussa, une odeur de brûlé siégeait dans le hall.
_ Ca ne me dit rien qui vaille cet endroit, ajouta-t-il en inspectant la cage d'ascenseur.
_ Oui mais ici l'Ange Noir ne peut t’atteindre, répliqua Eisen s’approchant d’un mini tank d’où il crut avoir entendu quelque bruit.
_ Merci de me le rappeler… cherchons plutôt un moyen de rejoindre les niveaux inférieurs, l'ascenseur est démoli et bloqué entre deux étages.
_ Il y a un escalier au fond, fit Eisen en désignant de son poignet, et donc de sa torche, le fond de la salle.
En effet derrière une citerne renversée, une porte débouchait sur un escalier. Eisen jeta un œil à la citerne, pas trop rassuré.
_ C'est là-dedans qu'ils transportaient leur saloperie… y'a des risques tu crois ?
_ Non… j'pense pas, ça fait longtemps et tout a brûlé ici… et puis je ne pense pas qu'on ait le choix si on veut retrouver Naïa et Tetsuo.
Les deux hommes s'engagèrent dans les escaliers et commencèrent à descendre, l'estomac noué. Le bruit de la barre de fer se rapprochait… ou bien s'en rapprochaient-ils ? Noé priait de ne pas se retrouver face à face ou face à gueule avec un de ces clébards transgéniques. L'air était chargé de poussière et s'ils venaient à rencontrer quelqu'un ou quelque chose, ils ne le sauraient pas avant de se trouver à portée de bras.
Arrivés au premier sous-sol, ils tentèrent d'ouvrir la porte, en vain, son épaisseur éludant la question de la forcer. Ils continuèrent de descendre et l'air semblait de plus en plus chargé de particules et de poussières à mesure qu’ils avançaient. Noé se plaqua contre le mur, couvrant l'escalier et sortit de sa poche un filtre à air qu'il prit dans sa bouche. Eisen fit de même avant de prendre la tête. Une quarantaine de marches plus bas, une autre porte verrouillée, de même pour le niveau suivant.
_ J'espère qu'il y a du monde là-dessous ou quelques portes ouvertes. Combien y a-t-il de sous sols ?
_ Onze ou douze. On vient de passer les bureaux et l'administration. Je pense que Tetsuo et Naïa sont au sixième, les quartiers militaires et la prison. Après, c'est la zone militarisée et au dixième une sortie sur l'océan.
Arrivés au cinquième ils s’arrêtèrent. La porte était entrouverte. Mais avant de repartir ce fut Noé qui retint Eisen, écoutant le silence de marbre.
Après quelques secondes Eisen le rompit :
_ Ben quoi ?
_ Tu entends ?
_ Ben… (nouveau silence) …non.
_ Et le bruit de la barre de fer non plus…
En effet, ils s'y étaient habitués mais ne l’entendaient plus à présent. Noé s'approcha de la porte, la poussant quelque peu.
_ Y'a quelqu'un ?
_ Qui veux tu qui te réponde ?
_ Nous sommes du CRIJ et vous avez vingt secondes pour vous faire connaître.
Noé tendit la main vers Eisen :
_ Ménagère s'il te plaît.
_ Je comprends mieux, reprit Eisen lui tendant à son tour une grenade.
_ Plus que cinq secondes…
Eisen scruta le haut de l'escalier, il lui semblait avoir entendu un bruit. Ce silence allait finir par le rendre fou. Le moindre bruit pouvait être un danger potentiel. Par moment, il lui semblait apercevoir des lumières provenant du haut des marches ou quelques murmures, échange entre quelques personnes dont il ne pouvait saisir le contenu. Son imagination commençait à lui jouer des tours, et même si Noé ne le laissait pas paraître il n'en était pas moins pour lui.
_ Cinq !
Noé dégoupilla et jeta par l'ouverture la boule de métal avant de refermer la porte. La ménagère portait bien son nom : un souffle de feu balaya et nettoya assez silencieusement tous les couloirs.
La porte se rouvrit laissant passer les deux agents, arme au poing. Puis ils entreprirent une inspection des locaux qui ne leur apporta rien. Quelques néons crachotaient encore une faible lueur révélant des traces de bataille et de balles tirées un peu partout ainsi que quelques restes et carcasses de ce qui semblait être de gros chiens.
_ Je n’ai pas l'impression que leurs expériences aient bien fonctionnées.
_ Oui et je ne crois pas non plus que nous en soyons au bout, fit Eisen.
A la voix vibrante de son coéquipier, Noé se retourna. Trois gros chiens avançaient dans le couloir qu’ils venaient de quitter. A leur manière d’humer l’air dans leur direction, sans les regarder, ils semblaient aveugles et ne se diriger que par l'odorat. Un quatrième passa la porte mais revint sur ses pas après qu'un des trois premiers ait signalé une certaine autorité. Une voix venue de nulle part… ou de partout résonna.
_ Bienvenue, sieurs Noé et Eisen. J'ai l'honneur de vous inviter dans mes quartiers… un peu plus en sécurités qu'ici. Vous aurez bien sûr l'obligeance de déposer vos armes…
Les trois chiens tombèrent sur leur flanc comme évanouis. Alors que Noé recherchait un quelconque tireur, Eisen répondit sèchement :
_ Tu peux te toucher !
_ Voilà, en quelque sorte, termina Noé avant de tomber dans les vapes.
Eisen le rejoignit pris d'une soudaine fatigue.
Quelques minutes plus tard la porte d’une cellule s'ouvrit à la volée et Noé fut jeté à l'intérieur comme un vulgaire sac à patates. Il ouvrit les yeux qui s'habituèrent à la lumière juste à temps pour entrevoir Eisen lui atterrir sur les côtes. Celui-ci s'excusa en se relevant, laissant Noé reprendre son souffle. Dans la cellule adjacente Naïa s'avança aux barreaux, puis se retournant vers Tetsuo:
_ Tu vois je pensais qu'on était les seuls capables de se faire prendre…
Noé relava la tête en se massant la nuque.
_ Qu'est ce qui nous attend ?
_ Un dîner !
La voix venait de la porte où se tenait une grande silhouette. Eisen plissa les yeux puis se recula et sourit à Noé :
_ C'est le grille-pain nucléaire.
L'homme sortit de l'ombre faisant ainsi luire son visage métallique dans un rayon de lumière échappé de la seule lucarne de la pièce.
_ Ah ! fit Noé, Naem en personne ! Tu tombes bien on avait quelques trucs à voir ensemble.
_ Je disais donc que je vous invite à un dîner, demain soir… votre dernier repas bien sûr. Je vous laisse prendre vos aises, fit-il en écartant le bras et désignant les cellules, c'est du cinq étoiles.
Il se retourna mais Eisen reprit :
_ Le petit trou, là derrière, c'est pour recharger ? Tu te branches sur le secteur ?
_ Vous rirez moins demain soir, répondit-il avant de partir.
La porte se referma. Noé regarda Naïa puis s'adressant à Tetsuo :
_ Pas de mal ?
_ Le service de chambre est déplorable.
_ Que s'est il passé en surface ?
_ Une fuite de biodisrupteur. Hier matin Naem a fait boucler les cinq premiers niveaux, beaucoup de pertes apparemment. Avant de nous faire prendre, on a eu le temps d'admirer leur fabrique de missiles. Il semblerait que le biod soit presque au point après quelques modifications…
_ J'imagine que nous en apprendrons plus demain. Reposez-vous, on aura besoin de forces.
Noé regarda une dernière fois Naïa avant de s'appuyer au mur et de s'assoupir.
***
Les quatre agents étaient vêtus de l'uniforme vert foncé du Nouveau Monde et Naïa était coiffée d'une casquette militaire maintenant un bandage sur une blessure reçue lors de l’atterrissage du Storm. Tous s'assirent autour de la table rectangulaire des quartiers de Naem sur laquelle étaient disposés six couverts. Celui-ci apparut accompagné d'une femme, aux cheveux courts et blonds, qui devait avoir la trentaine. Elle était habillée comme la garde personnelle d'Akdov avec un blouson boutonné noir, un treillis aux mêmes teintes ainsi qu'un chemisier blanc et une ceinture bordeaux.
_ Je vous présente Oria, ma fiancée.
Chacun des agents la salua d'un signe de tête.
_ Elle faisait partie de la sécurité intérieure du Nouveau Monde.
Une fois assis Naem reprit :
_ Je souhaiterais que ce repas se passe en de bonnes conditions. Après tout nous faisons partie de deux camps différents et nous assumons notre position, nos idées. Prouvons qu'il n'est pas nécessaire d'être des hauts dirigeants ou des amis pour se conduire comme des gentlemen.
Naïa leva son verre.
_ Un toast ?
Tous se tournèrent vers elle.
_ Bien sûr ! À nous… à notre victoire, à votre perte, continua Naem.
Noé leva son verre, souriant.
_ À notre victoire à votre perte, répéta-t-il.
Naem trempa ses lèvres dans son verre puis le reposa calmement. Il prit le temps de jauger ses invités.
_ Bien, dois-je donc jouer mon rôle en discutant avec mes ennemis quelques heures avant leur mort ? Un peu de mégalomanie vous siérait-il ?
_ Vous nous feriez un exposé sur ton empire, votre passé de looser et enfant battu avant de finir sur votre volonté de contrôler le monde ? continua Tetsuo. Non merci.
_ Je suis navré que vous me voyiez ainsi, je vais juste exposer la probable suite des évènements.
_ Peut-on passer directement aux questions ? coupa à nouveau Tetsuo.
Puis sans attendre de réponse :
_ Que comptez-vous faire du biod ?
_ Je pensais que vous l'aviez deviné, répondit Naem d’un ton mi-étonné, mi-méprisant.
_ Nous pensons qu'Akdov a passé commande mais je ne te pense pas tant de son côté, reprit Noé. Si tel était le cas, il n’aurait pas cherché à nous tuer. M’est avis qu’il te croit travailler pour la CITL et pensait que nous allions chercher quelque chose d’important à Montréal qui pourrait t’aider. J’avoue ne pas savoir exactement dans quel camp tu joues.
_ En effet. Lorsque Raivac m'a recruté en 1984 si je me souviens bien, le gouvernement américain venait de me faire tomber, me soupçonnant de traîtrise.
Les coéquipiers de Noé eurent un léger sursaut évaluant l’âge de Naem à plus de cent vingt ans. Mais leur supérieur n’eut pas cette réaction et restait sur le sujet :
_ A juste titre ? Etait-ce là ta première trahison ?
_ La science ne devrait pas se limiter aux seules frontières des pays, répondit Naem. Officiellement j'avais violé la loi du sixième jour. Un général russe, Raivac donc, m'a proposé son mécénat pour que je puisse continuer mes recherches ce qui, à l'époque, m'intéressait plus que tout. Puis on m'a proposé de me venger des USA en leur volant un de leurs plus grands secrets. Mais la transaction a foiré et j'ai eu beau tenté de récupérer ces papiers…
_ Tu n'as pas réussi, sourit Noé.
_ Tu imagines bien que ma mise en échec par trois ados ne m'a pas valu beaucoup d'éloges… ce qui n'est pas le cas de tout le monde, si je ne me trompe c'est grâce à cet état de fait que tu es devenu un des précurseurs au CRIJ.
Naem but une gorgée puis reprit plus gravement :
_ C'est parce que l'on surestime trop l'insignifiance de certaines personnes que les Empires viennent à tomber. Mais trop tard, la guerre éclate et pour garder la vie, j'aide le général Akdov à détruire les Etats-Unis. Vous pensez, à force de faire la guerre chez les autres et de bombarder les voisins, ils avaient perdu l'habitude des matchs à domicile, l'habitude de la peur, la vraie, et de la violence. La plupart de la population s'est rendu compte que lorsque les effets spéciaux n’étaient plus cantonnés à leur télé, c’était moins excitant. Les soldats préféraient rentrer chez eux protéger leur famille, d’où le peu de combats et le nombre de morts…
_ Un peu susceptible dans l'ensemble ? proposa Naïa.
_ Ce n'est pas parce que je n'aimais plus les US que j'aimais la Russie. Je ne partage que très peu leur philosophie militaire. Ainsi pour y revenir, le biod est pour moi.
_ Donc vous voulez bel et bien devenir le maître du monde ! conclut Eisen. Original…
Oria le toisa durement et répondit d’une voix à la fois sèche et impérieuse:
_ La plupart des religions parlent d'un éventuel Paradis, Eldorado, Eden ou Nirvana. Je ne les critique pas pour la bonne raison que je ne peux affirmer ou infirmer leur existence. Mais j'ai un autre point de vue sur le sujet : si tout le monde rêve un jour de liberté, de bonheur ou de paradis, c'est que qu'ils ont quelque part expérimenté les chaînes, le malheur, la douleur ou l'enfer. Alors un de nos buts principaux sur cette planète, lorsque nous venons au monde, devrait être de créer ce paradis… je passe la description du bonheur pour tout le monde. Si l'avidité, l'envie et la haine ne motivaient pas l'homme, pleurer de rage, de peur ou de tristesse serait peut-être inconcevable…
Eisen comptait sur ses doigts :
_ In-con-ce-va-ble… cinq syllabes !
_ Je suis en train de vous expliquer ce que nous comptons faire du monde !
_ Très peu original !
Naem leva la main en voyant la tournure que prenait le repas, il s'écarta laissant le serveur lui déposer une assiette, puis regarda Noé qui réfléchissait.
_ J'imagine qu'elle n'est pas la seule à y avoir songé, n'est ce pas ?
_ Non, elle n'est pas la seule, mais tu penses bien que des hommes comme toi n'y arrangent rien, qu’il y a d’autres méthodes.
_ Nous avons tous les deux la possibilité d'y remédier, de changer ce monde. Toi avec le CRIJ, moi avec le biod. Les autres méthodes n’ont pas vraiment fonctionné. Cet idéal selon lequel l’homme libre aspirera au bien commun est plutôt déchu ! Notre action ne sera peut-être pas grand-chose mais…
_ On sauve l'honneur ?
_ Ou le souvenir pour nos descendants que c’est possible, qu’il faut se battre au sens propre du terme pour y arriver. La différence entre toi et nous c'est que tu as déjà renoncé à l'idée que ce monde puisse exister.
_ Là n'est pas la question, fit Tetsuo, qu'allez vous faire du biod ?
_ Depuis l'avènement des champs magnétiques la production des armes de destruction massive est passée dans le négatif. Vous imaginez, les canons EMP les ont rendus obsolète, on consomme autant d'énergie qu'avec un radiateur pour détruire une bombe de type B dont la capacité dépasse un millier de fois celle d’Hiroshima ! On en arrive même à détruire les radiations occasionnées…
Tous relevèrent la tête.
_ Les Tokamaks ? fit Noé.
_ Soit dit en passant, j'imagine que tu seras heureux de savoir qu'ils sont une réussite et que c'en est un qui nous éclaire actuellement. Nous contrôlons à présent assez bien la technologie en question pour les mettre en place en très peu de temps.
Naem vida son verre.
_ Mais imaginez plutôt un feu d'artifice et au lieu de cartouches brûlées, une simple pluie orangée s'abat sur la ville et ses habitants. La civilisation s'autodétruit et les guerres reprennent.
_ Toujours aussi peu original cette utilisation du biod.
_ C'est ici qu'intervient l’innocent savant que je suis, fit il souriant à Oria. Je compte bien créer une guerre entre le Nouveau Monde et l’Eurasie, les affaiblir et achever le vainqueur s’il y en a un. J'ai dérobé le biod à la CITL pour éviter l'apparition d'un contre armement et, malgré la perte d'une citerne, nous en avons assez pour détruire trois fois la planète. Pendant ce temps nous resterons ici dans cette base pour planifier une nouvelle colonisation de la Terre : prise de contrôle du Site B et lancement de l'opération Huitième Jour, point d’orgue des anciens projets américains.
_ Grâce qu Site B tu voudrais recoloniser la planète, sa faune, sa flore et les hommes ? Qu'est ce qui te fait croire que ça marchera ? Et même que tu contrôleras la suite des évènements ?
_ Ne vous en faites pas pour moi. Si j'avais l'assurance que vous ne me mettriez pas de bâton dans les roues, je vous laisserais la vie sauve et vous expliquerai le tout.
Il prit un ton de connivence :
_ Notamment depuis notre rencontre avec les Hôs, Noé.
_ Je ne sais pas ce qui m'effraye le plus, le fait que je te croie ou la perspective que ton plan fonctionne, répondit celui-ci déviant à nouveau le sujet.
Noé et Naem restèrent silencieux sur les Hôs pendant le repas et plus celui-ci avançait plus Naïa soupçonnait l'existence d'un quelconque évènement entre eux ainsi qu'un changement important chez son ex-partenaire.
_ Apparemment vous avez fait subir quelques modifications au biod…
_ Nous sommes arrivés à le distinguer en deux types. Vous savez que pour le maintenir actif il doit constamment être traversé par un courant électrique, si infime soit-il, et ceci explique son action limitée aux êtres vivants. L'un décuple les capacités physiques et réduit les capacités mentales, quoi de mieux pour un garde du corps ou un soldat sur le champ de bataille ? Celui-ci a une sorte d'antidote administrable dans le quart d'heure suivant l'exposition. L'autre est aussi un mutagène et ses propriétés aléatoires sont encore étudiées, c'est d'ailleurs le seul qui soit mortel à très court terme.
_ Pourquoi ne pas vous allier avec l’Eurasie, en prendre le contrôle en leur proposant de détruire le Nouveau-Monde ? Ou même, pourquoi ne le lancez vous pas vous-même sur la planète ? demanda Eisen curieux.
_ Tu veux me tenter ? Nous le pouvons mais j'aimerai laisser une dernière chance à l'humanité de prouver que la possession d'une arme n'oblige pas son emploi.
_ Oh, que c'est beau ! sourit Naïa.
_ Il sera de toute façon lancée. Vous êtes la preuve vivante que la possession d'une arme inclut son emploi, reprit Tetsuo.
_ Et l'autre raison ? continua Eisen.
_ C'est un jeu à plus grande échelle dont je tire les ficelles. Je n’ai pas de force militaire suffisante pour gérer le tout et me défendre contre une attaque simultanée du Nouveau-Monde et de l’Eurasie. Mieux vaut ainsi les laisser se détruire mutuellement. Avez-vous une autre solution ?
_ A quel problème ? Je vous rappelle que vous en avez créé un de toutes pièces, personne sur Terre n'a l'intention de mourir pour laisser place à une génération conditionnée, répartit sèchement Tetsuo.
_ C'est de cette façon que l’on fait la différence entre bon et mauvais. Le mauvais a de bonnes idéologies mais ses solutions sont trop radicales, pourtant il semblerait que dans la réalité, le bon prenne le parti de tout ce qui transpire le péché et tente au péril de sa vie de sauver ce qui n'en vaut pas le coup.
_ Mais quand Akdov se verra roulé il investira la base, fit Naïa.
_ Qui pourrait la croire opérationnelle ? répondit Oria, vous avez bien vu l'état des premiers niveaux. Le générateur primaire n'est plus utilisé et le tore principal se trouve sous nos pieds. Nous avons condamné les accès supérieurs, seule reste l'ouverture sur l'océan.
La porte s'ouvrit laissant entrer l'amiral Oïc. Noé se figea, ses coéquipiers n'en menaient pas plus large. Naem et Oria se levèrent et le saluèrent. L'amiral se tourna et sourit à ses agents.
_ Encore en vie ? Faut-il croire que je vous aie bien entraîné ou que le général Akdov est un incapable ?
_ La vermine qui bouffait les fondations de la CITL… siffla Naïa. Nous savions bien que Naem ne pouvait diriger une telle opération tout seul.
_ Il faut savoir déplacer ses actions et changer de camp lorsque le vent tourne. Ce n'est qu'une question de priorités, je préfère vivre en traître que mourir en stupide patriote.
Puis, plus sèchement à l'attention de Naem :
_ Pourquoi sont-ils encore en vie ?
_ Nous avons le temps et…
_ Je crains ne pas comprendre… coupa Noé.
_ J'attendais depuis longtemps de pouvoir t'exclure du CRIJ, mais ne pouvais le faire sans éveiller tes soupçons ou ceux des agents partageant tes idées. Après le vol du biod je t'ai confié cette mission sachant pertinemment qu'après ton histoire de documents, tu gagnerais Montréal. Ironie de l'histoire, ce qui t'a promu au CRIJ, devait te tuer.
Il tapota son nez, fier de son flair.
_ Puis nous avons laissé filtré l'info à un espion d'Akdov qui ne perdit pas de temps pour prendre Montréal… c'est bel et bien un incapable.
_ Je vous tuerais de mes propres mains ! mugit Eisen
_ Brrr…. J'en ai froid dans le dos. Dans une autre vie !
Naem reprit avec le sourire :
_ L'amiral doit nous laisser, ainsi qu'Oria pour mettre en place la transaction. Dans une semaine normalement le…
_ La ferme ! coupa Oïc. Que leur prévoyez-vous ?
Naem déglutit :
_ Hem… j'avais pensé à la cathédrale, nos hommes commencent à trouver le temps long.
_ J'aurais aimé jouir du spectacle, fit-il en les balayant du regard.
Il gronda à la manière d'un chien, voyant Tetsuo serrer les dents.
_ Je sais, vous me tuerez… blablabla… prenez rendez-vous avec ma secrétaire, je dois partir.
_ En attendant je suis là pour vous ! se réjouit Naem.
_ Toi, tu prends un ticket, tu fais la queue ! lança Naïa.
_ Je ne crois pas, fit-il se tapotant le torse. Je suis équipé d'un pacemaker assez particulier… si je meurs des missiles chargés de biod partent droit vers l'Eurasie.
Le silence tomba lourdement.
_ Colonel Oria ! lança Oïc.
Elle se leva et déposa un baiser sur les lèvres de Naem puis caressant l'épaule de Naïa :
_ Dans moins d'une semaine…
_ La CITL vous en empêchera !
_ Tu ne comprends pas, susurra-t-elle, la CITL est infiltrée, c'est un vrai gruyère, elle nous suivra ou elle s'écroulera.
Elle tortilla son joli derrière et franchit la porte tel un top model. Naem se leva et continua à l'attention Eisen :
_ Les grille-pains nucléaires savent s'adapter aux nouvelles technologies.
Sur ce il sortit de sa poche une petite fiole luisante d'une couleur bleutée. Il commuta un petit bouton à la base de son poignet ouvrant ainsi un réceptacle.
_ La nanotechnologie alliée au biod, fit il en y insérant la fiole, la voie du futur !
Il referma le compartiment que Eisen avait assimilé à un boîtier à piles et ne bougea plus. Petit à petit les parties métalliques de son visage et de son bras changèrent de couleur puis d'aspect pour enfin donner une apparence d'épiderme à ses membres. Naem n'était plus un cyborg mais de nouveau humain. Tous ne surent que dire.
_ Je savais que ça ferait son petit effet. Recette maison, il faut croire que j'ai toujours mes talents de scientifique; des nano robots ont réorganisé la structure des atomes me composant. Le seul ennui est son autonomie de moins d’une journée, après je laisse la plug se recharger d'elle-même pendant quelques heures.
Eisen ne voyait en lui qu'un homme fier de sa petite trouvaille qui ne s'avérait être pas plus qu'un gadget. Naem se reprit, heureux de son spectacle :
_ Bien, finit de jouer, que la fête commence !
Deux gardes entrèrent et se fixèrent.
_ Début du match dans dix minutes, conduisez les.
Puis à l'attention de ses invités :
_ Il faut bien se divertir ! Ravis de vous avoir connus et bonne chance…
Naïa crut entrevoir chez Naem un sourire de regret à l'égard de Noé avant de quitter la salle.