Montréal
Noé achevait son histoire :
_ … après l'hôpital, je n'eus plus aucune nouvelle d'Amîn et de Tray. Le soir même les USA instauraient la loi martiale, la perte de ces documents ayant apparemment pressé leurs projets. La suite tu la connais, la guerre, la pulsion Russe… En tant que blessé je fus transféré au Groenland avec ma sœur où nous sommes restés jusqu'à ce que l'Asie tente de le conquérir. L'année suivante je fus déporté sur Aïo, la CITL craignant une nouvelle attaque Asiatique. Je n’avais plus aucune nouvelle de ma sœur la croyant décédée après que l’on soit séparé par les multiples attaques lancées contre notre base. J’ai surveillé les mutations et les immigrations vers l’Australie mais n’ait pas trouvé signe de sa survie.
Le silence fit place. Naïa restait silencieuse, le souffle coupé.
_ Bien, nous devrions nous rendre là-bas, si elle est encore en vie elle doit y être restée. À ce que j'ai compris elle reste attachée à la CITL par son travail. Avec ces documents nous saurons ce que Naem prépare et ils nous permettront peut être de le localiser.
Dès lors qu’ils sortirent de la banque, le bruit des combats les rattrapa. Une explosion retentit du côté de la place qu'ils avaient quittée et dans la rue qui faisait face à la banque, la bataille faisait maintenant rage. L'Est était bondé de soldats du Nouveau Monde. L'Ouest était tenu par les habitants et d'autres forces armées stationnées en ville. Ils ne pouvaient rejoindre un côté comme l'autre de la rue, sans risquer d'être touchés par des balles perdues. À l'abri sur le parvis de la banque, ils cherchèrent un moyen de regagner la direction du Storm sans encombre.
Mais les troupes nouvelles s'écartèrent au bruit assimilable à celui d'un tank. Alors apparut dans l'admiration totale des Kosaks un mur roulant de la taille d'une semi-remorque, mais à l'aspect plus résistant, perforé d'une centaine de trous. Une rampe de tir de mortiers.
Noé se retourna, et, agrippant Naïa par le bras, il l'entraîna à l'Ouest dans l'ultime espoir de rejoindre les habitants, zigzaguant entre les nevs carbonisées, les véhicules et les corps jalonnant la voie telle un champ de mines. Il eut d'abord l'impression que le temps ralentissait, que la rue s'allongeait inexorablement, semblant douée de la volonté de ne pas les laisser vivre. Les balles sifflaient à leurs oreilles et plusieurs explosions les projetaient de temps à autre contre un véhicule. Ils n'osaient se retourner de peur de perdre du temps.
Soudain, tout s'accéléra : une rafale de balle fit sauter les vitres de tous les véhicules stationnés et une dizaine d'explosions simultanées germèrent dans l’avenue, telles de grandes fleurs s'épanouissant puis fanant à grande vitesse dans de larges volutes de feu puis de fumée. L'une d'entre elles projeta Noé et Naïa derrière un camion de transit de fonds renversé. Il ne leur restait plus que trois cents mètres à parcourir mais à découvert ce serait difficile...
Naïa grimpa par l'arrière dans le fourgon et se glissa difficilement à l'avant. Celui-ci se gisait sur le côté, le châssis face à l'Est et aux forces nouvelles. Il était difficile de l'utiliser mais c'était leur seule chance. Noé se plaça à l'extrémité avant du camion et ajusta de ses Desert Scorps le haut des bâtiments surplombant les forces ennemies, qui commençaient à s'aventurer de quelques mètres dans la rue. Il tira une dizaine de balles sur chaque immeuble puis rejoignit Naïa qui venait de shunter les fils de démarreur.
Un bourdonnement se fit entendre, les générateurs EMP[1] du véhicule se mirent en marche et le champ magnétique fut lui aussi rétablit.
_ Ca marche ! s'écria Naïa, mais pour dégager…
_ T'occupe ! Il faut atteindre le bout de la rue !
Noé utilisa le bouton sur sa crosse fit exploser les projectiles tirés au sommet des immeubles. Alors que la façade d’un ou deux étages de part et d’autre de la rue s’effondrait sur les soldats du Nouveau-Monde, le camion se releva de lui-même, lévitant à quelques centimètres. Naïa écrasa l'accélérateur et le blindé bondit en avant, parcourant ainsi le reste de la rue vers la milice locale. Le mur de poussière créé par l'explosion n'empêcha pas les Kosaks de tirer. Une rafale de balles toucha un des générateurs EMP à la base du fourgon, détruisant l’assiette du véhicule. Celui-ci pivota, se coucha toujours planant, puits parti en vrille.
Un son strident retentit du côté des troupes du Nouveau Monde : le mur de mortier était actif. Dans un fracas assourdissant, il cracha une centaine d'obus qui traversèrent le mur de poussière puis arpentèrent la rue d’une vitesse impressionnante. Le camion transportant Angie et Noé, s'écrasa à l'angle du carrefour alors que les obus sapaient les colonnes de la banque qui s’effondrèrent. Les carcasses de véhicules jonchant la rue furent projetées vers les forces de défense de la ville, balayant l’opposition des habitants dans une série d'explosions meurtrières. Le bitume était à présent masqué par plusieurs tonnes de béton de cadavres et de feu. Des volutes de fumée suggéraient le récent passage d'une rivière de lave. Vision de cauchemar remémorant à certains Kosaks la guerre qui venait de s'achever et leur proche victoire sur la cité.
Le blindé gisait dans l’épicerie situé au coin du carrefour maintenant vide d’opposants. De la fenêtre avant s'échappait la mousse expansive blanche qui avait depuis longtemps remplacé les airbags. L'arrière du fourgon était enfoncé, mais son encastrement dans le petit magasin l'avait protégé du tir de mortier. La portière arrière conservait un mouvement de balancier dans un petit grincement. Le silence régnait à nouveau sur l’avenue maintenant acquise au Nouveau-Monde. Les troupes étaient effectivement passées à la rue suivante, préparant un nouveau tir d’obus.
***
Eisen et Tetsuo n'étaient plus qu'à deux kilomètres du Storm lorsque les immeubles se firent plus espacés, leur offrant ainsi une vue d'ensemble sur la banlieue de Montréal. Le soleil était pratiquement couché et laissait son empreinte scintillante sur le Saint Laurent. Tetsuo se figea, flottant dans les airs à plus d'une trentaine de mètres du sol. Un silence oppressant avait fait place au bruit incessant des batailles. Etait-ce fini ? La milice avait-elle capitulé ? Etait-ce une pause ? Mais les oiseaux ? On ne les entendait plus et les rares véhicules du trafic aérien ne semblaient pas non plus émettre de son. Tetsuo héla Eisen en vain, aucun son ne sortit de sa bouche. Son coéquipier qui l'avait aussi compris se retourna et dans un silence mortuaire tenta de lui crier quelques chose. Celui-ci ne pu que lire sur les lèvres :
_ Les Dô-Lô ! Ils vont tirer !
_ Non, ils n’ont pas déjà…
Il réfléchit un instant se demandant s'il avait correctement reconfiguré le générateur pour une telle attaque. Une vague d’angoisse le surmonta, espérant n’avoir rien oublié. Oui, il pourrait repousser assez d'énergie pour éviter une grosse catastrophe mais ne pourrait résister à un tel tir. Il leur fallait à présent accélérer l’allure et quitter les lieux au plus vite.
D'un commun accord ils coupèrent leurs ceintures et commencèrent à tomber dans le vide, la tête en avant, les bras le long du corps, le sol se rapprochant à grande vitesse. Les immeubles n'étaient plus que de larges bandes grises à leurs yeux, et le sol se rapprochait dangereusement. Le vent leur cinglait les oreilles et pourtant aucun son ne se faisait entendre. Tetsuo gardait les yeux rivés sur son altimètre, se gardant de vérifier qu’il saurait remettre en route son équipement de lévitation.
Puis comme convenu à l'avance ils écartèrent leurs bras et relancèrent leurs ceintures à pleine puissance. La portance leur fit prendre une vitesse vertigineuse, la ceinture ne pouvant la leur faire prendre elle pouvait néanmoins l'entretenir. A présent ils filaient à l’horizontale, survolant le sol de quelques mètres, laissant défiler derrière eux les véhicules, maisons et immeubles, arbres et buissons, rues et boulevards de plus en plus vite. Ils atteindraient sûrement le Storm plus tôt.
Mais les ceintures eurent des ratés et Tetsuo se retourna, sachant qu’ils étaient pourtant toujours dans le champ d’action du générateur :
_ Ils ont tiré !
Et comme sous l'effet d'une onde magnétique, le champ ELW se fit visible à l'image de vagues vertes, bleues et jaunes, animées d'un mouvement circulaire vers les frontières de la ville… Les Pornevs avaient déclenché leurs tirs simultanément et le générateur, ne pouvant développer assez d'énergie pour contrer totalement l’attaque, explosa, rasant plusieurs pâtés de maison du même coup. L'invisible onde de choc, due aux tirs, qui suivit fut plus mortelle : les immeubles vacillèrent, les maisons s'effondrèrent et les véhicules de tous types furent projetés en tous sens, déchiquetés, effrité tels de vulgaires morceaux de papier, projetés dans les airs et retombant parfois sur les troupes armées.
La ville était sans défense et livrée aux essaims de nevs qui fondirent sur la cité, tirant sur les habitants, hommes, femmes et enfants, balayant toute forme de vie sans plus de scrupules qu'un grille pain toastant ses tranches. Et dire que ces vaisseaux étaient pilotés par des humains… eut le temps de penser Tetsuo avant que l'onde de choc ne les projette violemment eux-mêmes dans les eaux du Saint Laurent.
Sonnés ils réussirent tout de même à gagner la surface. Eisen repéra sa position sur son bracelet GPS : le Storm ne se trouvait plus très loin, mais derrière un bois qui longeait les rives du fleuve.
_ Pourquoi nous a-t-on donné cette mission en Automne, fit son coéquipier, en barbotant. Il y a quelques temps l'eau aurait été plus chaude…
_ Nous devons regagner le vaisseau et récupérer Noé et Naïa s'ils sont encore en vie… les nevs mettent la ville à feu et à sang et à présent, rien de peut plus les arrêter.
Eisen sortit fixa un grappin sur son automatique avant de tirer vers la rive. Celui-ci s'enroula autour d'une barrière qui bordait l'ancienne piste piétonne à présent inutilisée. Tetsuo s'attacha nonchalamment à son coéquipier qui entreprit d'actionner le treuil les ramenant sur la terre ferme. Une fois hors de l'eau, après avoir retrouvé leur équilibre toujours sonnés par l’onde de choc, ils entrèrent dans le bois puis passèrent un mur de pierre et continuèrent vers leur lieu d'atterrissage.
_ Je ne me rappelle pas avoir passé de mur tout à l'heure… remarqua Eisen.
_ J'ai cru voir que ce bois s'étendait sur une bonne longueur. Bizarre qu'ils ne l'aient pas aussi rasé pour se chauffer…
_ Nous sommes juste à l'ancienne limite de la ville, il se peut que les forces nouvelles aient investi les lieux.
Ce disant il avait marqué un temps d'arrêt : ils arrivaient dans une clairière où se dressait un manoir très mal entretenu mais tout de même habité : plusieurs lampes de cour éclairaient sa façade de pierre. L'accueil ne se fit pas attendre, une demi-douzaine de chiens sortirent d’une gentilhommière et se ruèrent en direction des bois.
_ Va y avoir du sport…
_ Le Storm est plus à l'Ouest, il faudrait…
_ Pas le temps, les cabots approchent !
En effet les molosses venaient de les repérer et accélérèrent l’allure. C'était exactement le genre de chien que l'on aime dans une niche à garder la maison, plutôt qu'à ses trousses. Pour leur échapper il leur fallait franchir un mur de taille identique à celui qui les séparait à présent du fleuve. Ce même mur qui les séparait du Storm se trouvait derrière le château, derrière la meute de chiens…
_ Si les chiens sont là, les maîtres ne sont pas loin.
La réponse ne tarda pas, des coups de feu furent tirés du fond du bois. Eisen sortit une arme et ajusta les chiens :
_ Il ne t'arrive jamais de te tromper ?
_ J'aimerai, répondit Tetsuo se couvrant les yeux.
Eisen tira deux, trois puis cinq et six grenades aveuglantes. Le château, les chiens et le bois apparurent dans un éclair fantastique puis disparurent aussi subitement dans un noir total après qu'Eisen ait tiré les ampoules des lampadaires. Les chiens piaillaient et zigzaguaient, tentant de se repérer.
Ils s'élancèrent alors en courant vers le château, passèrent les chiens et contournèrent la bâtisse par la gauche. Des Kosaks surgirent à l'orée du bois, armés jusqu'aux dents, et tirèrent dans leur direction en vain. Les fuyards atteignirent le fameux mur qui s'était, heureusement, effondré sous l'onde de choc des Dô-Lô.
Les gardes du château talonnaient leurs proies, les entrevoyant par intermittences, tirant sans plus de succès. Plus que quelques mètres et ils les auraient, la forêt débouchant sur une lisière où ils avaient découvert quelques heures plus tôt un vaisseau ennemi. Ils y avaient tout de suite placé des unités pour garder l'éventuel retour des propriétaires. Les feuilles leurs cinglaient le visage et les buissons d'épines les ralentissaient mais la clairière était à présent visible. Ils ne pouvaient leur échapper, ils se trouvaient peut-être déjà dans les mains des sentinelles. Les soldats pénétrèrent enfin dans la clairière, mais, stupeur ! Les gardes n’avaient vu les deux hommes.
S'en suivit un débat appuyé par quelques hausses de ton. Personne ne faisait attention au Storm qui venait d'activer son bouclier. Puis en quelques secondes, il décolla et s’envola vers un champ une centaine de mètres plus loin récupérer les Eisen et Tetsuo qui l'avaient guidé à l'aide de leurs bracelets. Maintenant qu’ils avaient enfin regagné le vaisseau, il ne leur restait plus qu'à récupérer leurs coéquipiers…
Le Storm reprit de l'altitude emportant les agents du CRIJ vers la ville.
_ Peut-on les localiser ?
_ Non, l'onde de choc a dû endommager leurs émetteurs, rejoignons le point de rendez-vous.
_ Je veux bien mais d'après l'écran les quais n'existent plus.
Tetsuo jeta un regard par le hublot. La secousse avait effectivement détruit les quais et le Saint Laurent avait étendu son lit dans les rues adjacentes. Certains immeubles s’étaient écroulés dans le fleuve où seuls quelques étages émergés témoignaient de leur présence. Plus vers le centre, ils distinguaient l'endroit où se trouvait auparavant le générateur ELW qui n'était plus qu'une piscine de fortune sur une quelques pâtés de maison alentours.
_ Si je n'avais pas trafiqué le générateur, on les aurait recherchés au microscope…
_ Alors ne le range pas tout de suite, il se peut qu'on en ait finalement besoin.
Eisen désignait deux personnes courant à travers la ville et, quelques rues derrière, des Kosaks. Il se retourna alors, prêt à utiliser les canons du Storm, mais Tetsuo le retint d'un geste ferme.
_ Ne prenons pas part à la bataille, on les récupère et on se taille.
Eisen recula. Il fallait faire vite, les Kosaks pouvaient êtres évités mais deux douzaines de nevs venaient de sortir du nuage de fumée témoignant de la destruction du générateur.
_ Je ne pense pas que l'on va pouvoir s'y mesurer, le Storm a subit des dégâts électriques avec la chute du bouclier de la ville.
_ Dépêchons-nous alors !
Sur ce Tetsuo arma les filets destinés à la capture de fugitifs et tira en direction de Noé et Naïa une fois à leur hauteur. Mais rien ne sortit alors que les nevs se rapprochaient inexorablement. Eisen se leva pour tenter de réparer l'ouverture des filets, mais une rafale de balles toucha le Storm qui était heureusement protégé par son bouclier, ce qui ne l'empêcha pas de faire une embardée sous le choc. Tetsuo qui pilotait évita de justesse un immeuble.
_ Il faut absolument les récupérer ! Je suis incapable de conduire un tel engin, je ne suis pas formé pour cette classe de vaisseau ! cria-t-il, tentant de couvrir le bourdonnement des nevs à leur poursuite.
Apparemment le choc avait débloqué le filet et celui-ci fut lancé sur un immeuble. Tetsuo le décrocha, et entama une suite de manœuvres d’évitement, ramenant le Storm à l’aplomb de Noé et Angie. Eisen les réajusta, tira et une fois le nouveau filet sur eux, commanda le retour de celui vers le Storm qui reprit de l'altitude, accélérant de plus en plus. Le sas arrière s'ouvrit et laissa entrer leurs coéquipiers pleins de poussière et légèrement blessés. Naïa entra dans le cockpit et tendit les mains vers le manche virtuel sur lequel Tetsuo s'acharnait.
_ Laisse moi t'aider… On rattache ses ceintures !
Elle se retourna, ils avaient compris la leçon et ne s'étaient pas fait priés, se cramponnant à leurs sièges.
_ Direction le pôle Nord !
_ Quoi ?! crièrent Eisen et Tetsuo d'une seule voix.
Le Storm prit alors une formidable accélération ne leur laissant pas le temps de répliquer. Les nevs ne s'avouèrent pas vaincues et surgirent des nuages en formation serrée. Une rude bataille s'annonçait…
De temps en temps, ressortant de l'océan de coton qu’étaient les cumulus, apparaissaient leurs poursuivantes. Visibles ou non, elles ne stoppaient leurs incessantes rafales qui ne laissaient pas le temps à l'équipage du Storm d'oublier leur présence. Le bouclier du vaisseau parait toute attaque mais ne pourrait durer indéfiniment... Tetsuo actionna deux boutons sur le côté de son accoudoir et un clavier vint prendre part devant lui, pivotant de chaque côté de son siège alors qu'un écran descendait lentement à hauteur de ses yeux. Il se mit à pianoter tranquillement :
_ Huit nevs, ç'aurait pu être pire.
Eisen arma les canons à photons qui pivotèrent sur les flancs du vaisseau, ajustant ainsi leurs poursuivantes. Le Storm cracha plusieurs rafales et deux nevs touchées partirent en vrille tels les furtifs de l'armée de l'air, effectuant plusieurs figures qui méritaient une très bonne note aux JO, avant de s'écraser lamentablement dans une forêt en contrebas. Une autre nev explosa et les cinq restantes l'évitèrent de justesse avant de disparaître à nouveau dans les nuages.
_ Elles m’énervent, elles m’énervent ! s’agitait Eisen. Ces lâches n’ont pas le courage de nous affronter !
_ Je ne crois pas, répliqua Tetsuo, elles nous suivent au radar. Il faudrait les semer, ajouta-t-il à l'attention de Naïa.
_ Le moteur secondaire est déjà en charge mais il lui faut encore quelques minutes.
Ce disant elle avait activé plusieurs interrupteurs au plafond. Restait à attendre sagement.
Mais l'écran de Tetsuo se mit à clignoter et l'ordinateur de bord se mit à siffler un air bien connu : alarme générale !
_ Je t'en prie, dis-moi que c'est ton réveil, fit Eisen rivé sur l’écran des canons.
_ Les nevs nous ont aligné pour un tir de Dô-Lô… et vu la largeur du tir de Pornev, nous ne pourrons pas y échapper avec des manœuvres d’évitement.
_ J'aurais préféré le réveil, fit Noé. Eisen, arme les filets de proximité !
Quelques secondes plus tard une trentaine de mines de proximité furent lâchées à l’arrière du Storm et tombèrent tranquillement vers le sol. Elles oscillaient sans raison apparente en traversant les nuages, retenues par un filet magnétique invisible.
_ Plus qu'une minute avant le départ ! fit Naïa.
Mais ses coéquipiers ne l'écoutaient pas et fixaient le tableau de bord. Les Pornevs n’allaient pas tarder à tirer et seule une nev était prise au filet. Quelques secondes plus tard deux, puis quatre. Il en manquait une. Noé s'apprêtait à fermer le filet lorsque la dernière fut elle aussi prise. Le filet se referma brutalement et les mines de proximité entrèrent en contact avec les parois des nevs qui explosèrent, entraînant avec elles les débris de vaisseaux qui tombaient lentement sur la ville.
_ Ouf ! Reste 20 secondes avant l'accélération.
_ Je crois que les Pornevs nous gardent toujours en ligne de mire. Mais le radar n'indique aucun autre poursuivant.
Naïa fit descendre le Storm sous la couverture nuageuse, qui s’écarta lentement révélant lentement à tous une armada de nevs qui les attendaient sagement une centaine de mètres plus bas, quadrillant le ciel et ajustant le tir Dô-Lô. Derrière elles ils pouvaient apercevoir la ville en toile de fond et cinq Pornevs, épaulards aux yeux opaques et vitreux derrière lesquels des centaines de techniciens devaient s’acharner à préparer le tir au plus vite. Les nevs formaient un essaim géant autour, pratiquement immobile, se retenant de tirer sachant leur proie hors de portée.
_ Il y en a plus d’un millier ! Et ils vont tirer ! cria Tetsuo.
Son écran affichait à présent un compte à rebours du tir des Pornevs : 5 secondes, 4, 3, 2…
_ C'est bon ! cria Naïa. Accrochez-vous !
1 seconde.
La queue du Storm supportant trois moteurs se mit à tourner de plus en plus vite. Les réacteurs s’enclenchèrent dans un claquement sourd propulsant le vaisseau à une vitesse vertigineuse, laissant dans le ciel une ligne de feu, rayant la grande fresque étoilée d'une strie orange vif.
0 ! Les tirs des Pornevs dirigé en ligne droite manquèrent de peu le Storm qui continua de s'éloigner, toujours plus vite. Les rayons Dô-Lô croisèrent les stries dessinées par le vaisseau fugitif, semblant pris dans une gigantesque toile d’araignée lumineuse, et se perdirent dans les nuages puis dans l'espace. Manqué.
Dans le Storm, les agents du CRIJ étaient plaqués au fond de leurs sièges, secoués en tous sens part les vibrations parcourant la coque. Il leur semblait que le vaisseau allait partir en morceaux et eux avec.
_ 2 ! … 3 ! … 4 ! comptait Naïa.
_ Qu'est ce qu'elle fait là ? cria difficilement Eisen
_ … 5 ! …. Mach 6 ! jubila-t-elle avant de couper l'accélération.
Le vaisseau filait à toute allure et à travers le cockpit ils pouvaient voir les lacs gelés défiler à grande vitesse.
Puis après une course sur plus d'une centaine de kilomètres, elle arrêta totalement le Storm, tourna la tête vers Noé qui se levait lentement de son siège, ayant du mal à tenir sa tête droite.
_ Chochotte ! fit-t-elle en manquant de tomber à la renverse. C'est un petit plus que j'ai ajouté à cette vielle carcasse…
Elle sourit, fière d’elle :
_ Des réacteurs de cargos lourds du Site B, ça consomme beaucoup mais je me suis dit que ça pourrait toujours servir. Ce n'est pas si mal, je ne pensais pas la coque tiendrait ! ajouta-t-elle en tâtant la paroi du Storm.
Ses coéquipiers la regardaient, hébétés, ne parvenant à saisir ce qui la faisait sourire. Tetsuo se remit d'abord lentement puis normalement à pianoter sur son clavier, alors que Noé et Eisen vérifiaient les dégâts subits par leur chasseur.
_ Nous sommes hors de portée des nevs, nous avons franchis le champ d'action des Pornevs… Il semblerait qu’Akdov veuille vraiment nous mettre la main dessus.
_ Un des réacteurs est mort, la paroi a fondu sur le flanc droit et un des ailerons est défectueux, énuméra Eisen.
_ Il me faudra environ une journée de réparation si on veut voyager à plein régime, annonça alors Naïa. Mais je ne pense pas que cela nous empêche de continuer tranquillement notre route, si on ne se fait pas courser à nouveau…
Noé était à présent remis et repensait aux évènements en ville et plus particulièrement à la présence de Pornevs.
_ Je ne comprends pas comment Akdov a pris connaissance de nos intentions…
_ Il avait l'air surtout furax : mettre un tel paquet pour nous empêcher de quitter la ville était un peu disproportionné. Soit on est dangereux pour ses plans, soit les documents que nous avons ont une plus grande valeur que ce que nous pensions, pensa Tetsuo.
_ Nous n’avons pas les documents.
_ Quoi ? fit Eisen… Alors pourquoi nous ont-ils…
_ Akdov ne pouvait le savoir, la sœur de Noé nous a précédés et nous rejoignons la base CITL du Groenland pour la rencontrer, répondit Naïa. Peut-être qu’avec ces documents nous saurons où se trouve Naem.
_ La sœur de…
Noé continua pensivement :
_ Nous avons peu de temps, je connais Naem, s’il a volé les fioles maintenant c’est qu’il compte s’en servir sous peu. Akdov savait que nous le cherchions et en nous voyant aller à Montréal il a cru qu’il s’y trouvait. Ce qui sous entend que Naem ne travaille pas vraiment pour le Nouveau-Monde. En ce moment Akdov nous croit en possession de ce pourquoi il ne voulait pas que nous quittions la ville.
Tetsuo le coupa :
_ Apparemment nous avons sous estimé sa volonté, fit-il toujours devant son écran. Il nous envoie quelque chose...
Ses coéquipiers se regardèrent étonnés :
_ J'espère que ce n'est pas des fleurs, fit Eisen, j'suis allergique au pollen.
_ Non, je pense que tout le monde ici est allergique à son cadeau. Attendez, je me connecte à leur serveur tactique, que je vérifie les infos…
Ils se regardèrent, haussant les sourcils.
_ En effet, Noé tu es le principal objectif de l'Ange Noir qu’il vient de lancer, continua-t-il en se pinçant les lèvres. Il semble croire que si tu trouves Naem, il fera d’une pierre deux coups.
Puis se rendant compte de la gravité de la situation, il se reprit :
_ Désolé.
Au moment même une soute d'un des Pornevs s'ouvrait sur la ville dévastée de Montréal. La merveille des technologies russes en sortit lentement : un long vaisseau ovale noir et luisant, comme incrusté de mille diamants, affublé d'une lance fourchée à mi-longueur sur son flanc droit. La justice divine selon les néophytes. Véritable chef d'oeuvre à mi-chemin entre électronique et organique, il était capable de multiples mutations et si son camouflage thermo-optique datait un peu, ne lui octroyant qu’une invisibilité partielle, sa menace n'en était pas moins grande. Lent, froid, précis, implacable, l'intelligence démoniaque, la justice maléfique pour les aficionados.
"Grâce à sa pile atomique il peut tenir des dizaines de siècles, attendant docilement le jour où sa proie sera accessible… ce même jour sa lance la plantera déclenchant ainsi le feu de Dieu, le souffle de Satan." Telles étaient les paroles que le Général Raivac, ancien leader de la RPE, avait prononcées lors de sa présentation.
Le président des Etats-Unis l'avait, malheureusement pour lui, inauguré en 2061 : la maison blanche n'était plus que poussière au dessus d'un trou d'une centaine de mètres de profondeur… le second vaisseau avait anéanti d'une frappe la flotte britannique et US.
Sa cible venait à présent d'être nommée et lui était définitivement attribuée. Ce troisième assassin venait à peine de sortir de l'usine et déjà son but était fixé. Pendant une semaine il subirait différentes mutations, ses composés organiques digéreront l'électronique et il sera alors totalement malléable, libre d'arborer n'importe quelle apparence… La course commencera pour sa cible qui ne pourra le différencier du décor…
Dans le Storm, tous regardèrent Noé avec compassion. Le reste de la mission promettait d'être dur à vivre…