Montréal
La silhouette du Storm sortit des nuages. Sur l'écran de contrôle, le soleil couchant dessinait la ville en ombres chinoises, les immeubles se découpant sur le ciel rougeoyant. En d'autres temps, les quartiers riches étaient bordés de chênes qui, en cette saison, donnaient une couleur orangée à la ville. Mais la guerre civile faisait rage et le blocus autour de la ville empêchait tout import de ressources. Les arbres de la ville étaient alors abattus pour chauffer les foyers pourvus de cheminées, durant le rude hiver qui s'annonçait.
Les balises aériennes n'étaient plus en état de fonctionner depuis la pulsion et la prise de l’Amérique par le Nouveau Monde. La circulation au dessus de la ville était un vrai foutoir : le code aérien ne servait plus à rien et les seules polices armées étaient occupées à contenir les troupes d'Akdov aux frontières de la ville.
Celui ci, ne voyant aucun intérêt immédiat à prendre la cité, se contentait de cantonner les habitants à l'intérieur puis de développer un pseudo marché noir vendant ainsi les vivres à prix exorbitant aux riches citadins qui croyaient alors faire affaires. Cela créait aussi une zone de libre échange où nombre d’informations et de mercenaires étaient disponibles pour des actions couvertes chez ses ennemis.
Le Storm amorça sa descente vers une ferme à proximité de la ville. La lumière commençait à se dissiper et Naïa profita de l'ombre inopiné d'un nuage pour accélérer l'atterrissage qui passa alors inaperçu des éventuelles patrouilles proches. Tetsuo eut tout de même le temps de repérer un générateur ELW[1] au centre de la métropole.
L'électricité filaire n'était plus nécessaire en ville : l'énergie arrivait par ondes dans les paraboles dont chacune des habitations était équipée ce qui avait dopé l’accessibilité aux réseaux et la mobilité des appareils électriques. Cette avancée avait d’ailleurs mené à la création de boucliers pour certaines villes, dont Montréal, qui avaient eu le temps de mettre en place les dispositifs nécessaires avant la guerre.
_ Nous pourrions utiliser nos autoporteurs, suggéra Eisen qui avait aussi repéré le générateur.
La CITL comptait masse de scientifiques parmi sa population. Ceux ci s'étaient regroupés au début de la guerre, venant de tous pays, pour éviter d’être tués dans les combats ou mis à contribution dans la recherche et le développement d’armes. La dernière innovation de ces scientifiques était une ceinture légère qui, en présence d'ondes ELW, générait une force contraire à la pesanteur. Des récepteurs synaptiques sur les tempes de l'utilisateur contrôlaient l'intensité de cette force par la pensée. À l'origine, cette ceinture était sensée permettre des prélèvements en zones dangereuses ou pour toute opération de sauvetage risquée.
Mais le CRIJ s'y était rapidement intéressé pour les évacuations impromptues de situations périlleuses et autres atouts tactiques. L’agence maintenait à présent l’invention sous une chape de silence, niant l’aboutissement des recherches et jouant sur le côté conspirationniste des personnes annonçant avoir été témoins de l’utilisation desdites ceintures.
Pourtant ces autoporteurs avaient un défaut majeur, peu de personnes pouvaient s'en servir : la synchronisation des ondes cérébrales était le fruit d'un entraînement particulièrement long et coûteux. Les agents du CRIJ y avaient d’office accès mais, en dehors de l’agence, très peu de citoyens Condéférés pouvaient se vanter de savoir les utiliser.
Tetsuo sortit donc une petite valise des soutes du Storm. En l'ouvrant, ses coéquipiers découvrirent quatre bandes grises métallisées qui pouvaient passer inaperçues sous les vêtements. Après qu'ils aient tous passé leur ceinture, Tetsuo leur fixa les pastilles métalliques réceptrices. Le style vestimentaire du CRIJ justifiait en quelque sorte de tels assujettissements aux yeux des civils.
_ Comment ferons-nous pour récupérer le dossier ? La banque doit être fermée à cette heure, si elle n'a pas été rasée auparavant, fit remarquer Testuo.
_ Les documents sont là-bas depuis sept ans maintenant. Je ne suis pas prêt à payer la consigne, et je n'ai plus la clef du coffre De toute façon, répondit Noé. Je suggère donc un emprunt à long terme… et donc une entrée par effraction.
Ils se mirent en marche vers la ville qui ne se trouvait pas très loin, discutant des points de détails du plan. La nuit tombait lorsqu'ils atteignirent la cité et peu avant une patrouille leur avait ordonné d'être à l'heure pour le couvre-feu, ce qui ne leur laissait plus qu'une heure pour se déplacer sans se cacher. Un léger bip provenant de leur ceinture leur appris qu'elles pouvaient à présent fonctionner…
_ Nous ne nous en servirons qu'en cas d’urgence : personne ne doit savoir que le CRIJ est présent ici. Nous sommes en territoire ennemi, cela ne ferait qu'aggraver les choses, expliqua Noé. Eisen, dorénavant, tu t'occupes de notre couverture ainsi que Tetsuo. Si tel en est le besoin je prendrais la parole devant les habitants. Toi Naïa…
_ Je regarde ? s'enquit-elle.
_ Par exemple.
Nouveau-Monde
Le bureau du général Akdov était plongé dans l'obscurité, faiblement éclairé par le halo lumineux de l’agglomération en contrebas. Logé au sommet de l'Empire State Building, une grande baie vitrée embrassait sa ville avec son trafic, son peuple, ses hommes, son empire. Depuis toujours il s'était juré de faire mordre la poussière aux Américains bien qu’il en ait depuis longtemps oublié la véritable raison. Mais l'envie restait, comme une tâche sur son CV. La puissance, les USA l'avaient démontrée en s'attaquant à la Russie, suite à son opposition quant aux bombardements incessants sur l'Orient. A croire qu'ils s'acharnaient à planter et essayer d'y faire pousser des bombes… Mais la riposte fut claire et rapide : il ne fallut qu'un trimestre à la RPE, Réunion des Pays de l'Est pour mettre à genoux le géant Américain.
L'Asie en profita pour envahir ce qui restait de la Russie, affaiblie par l’attaque américaine et le déport de ses troupes outre océan pacifique, surprenant ainsi l'Etat d'Europe qui pensait être seul à y avoir songé. L'Europe s’allia bon gré mal gré avec l'Asie, les USA ne furent plus et l’ex-Russie avait déménagé en Occident, ne pouvant défendre ses anciennes terres radioactives.
Tout ceci avait été difficile à vivre pour la population mondiale qui émigra majoritairement vers l'Afrique, le Groenland et l'Australie. Ce fut une période que nul homme politique, historien, journaliste et habitant de tous pays ne pu suivre ou savoir ce qui c'était réellement passé.
Il restait encore en mémoire l'appellation des deux premières guerres mondiales au siècle précédent… mais en d'autres circonstances celle-ci en aurait fait sourire plus d'un. Le conflit majeur qui venait de s'achever avait impliqué la planète entière et aucun état n'y fut neutre, d'où le fait que chaque pays rapportait l’histoire à sa sauce.
A présent que se décantaient les évènements, chacun prenait conscience de l’étendue des hostilités qui avaient eu lieu. Sur les neuf originels, plus de six milliards de personnes avaient trouvé la mort dans les attaques, la famine et les maladies qui avaient suivi. Ceci ne laissait pas non plus Akdov insensible bien ne voit pas ce que l’on pouvait y faire à présent pour réparer quoique ce soit.
Une silhouette apparut sur le terminal du général qui pivota avec sa chaise et pris la communication.
_ CMos au rapport, crachota le terminal.
_ Qu'avez vous appris camarade ?
_ Le CRIJ est dépêché pour l'enquête. Ils viennent en Nouvelle Terre pour en apprendre plus.
_ Où ?
_ Montréal selon notre relais.
_ Merci camarade, s'il y a du nouveau, n'hésitez pas à me le faire savoir. Je vous fais parvenir votre Caviar.
Sur ce le général ne laissa pas le temps de répondre à son agent et éteignit le moniteur. Puis il se leva et se dirigea vers la vitre. Son empire. Celui ci pouvait pourtant s'effondrer à cause de quelques cafards. Un homme aussi bien sapé que coincé entra.
_ Vous m'avez demandé mon général.
_ Oui… une caisse de caviar pour Cmos et une demi-douzaine de Pornev pour Montréal. Nettoyez la ville.
Il n'avait prit la peine de se tourner. Sa ville.
_ Fait-on des prisonniers mon général ?
Celui-ci restait silencieux, contemplant l'étendue de son territoire. Il se souvint alors qu'un grand homme, avait un jour pleuré car il ne lui restait plus rien à conquérir. Quelle stupidité. Quel était son nom déjà ?
Le secrétaire se risqua :
_ Mon général…? Sont-ce là tous vos ordres …? Faut-il …
_ Ai-je l'habitude de faire des prisonniers ? grogna-t-il. J'ai dit que je prenais la ville, pas ses habitants.
_ B…bien mon général.
Le secrétaire tourna les talons et se réfugia dans son bureau derrière son téléphone.
Montréal
Les agents du CRIJ atteignirent rapidement une des places centrales de la ville. Des années auparavant les rues auraient été remplies de badauds flânant et faisant leurs achats. Les magasins auraient été remplis et déjà quelques décorations de Noël auraient fait leur apparition.
Mais à présent, il en était tout autre. Les bâtiments étaient décrépis et de longues files d’attentes dans les boulangeries et épiceries continuaient sur les trottoirs. Le prix de la nourriture avait flambé et par endroits des rixes se déclenchaient. Dans les ruelles sombres des hommes vendaient à prix exorbitant des faux passeports et autres billets d’avions vers des destinations prétendument sereines. L’ambiance était définitivement loin de l’avant guerre.
Noé se rappelait les moments passés ici avec Angie et Amîn. Bizarrement il n’avait que trop peu de souvenirs de cette autre époque. D’autres étaient plus clairs, comme une blessure à l’âme, telle l'arrivée dans leur vie de l'homme à la mallette. Tout s'était enchaîné si vite.
Ils avaient tout de même pris le temps d'enfermer les documents à la banque, cette même banque qui se trouvait plus au sud à environ cinq cent mètres. Il leur suffisait de descendre la rue qui s'offrait à eux et ils y seraient. Quelque chose chez Noé l’avertit qu’une mission de ce genre ne pouvait se dérouler avec autant de facilité. Il observa les lieux, se rappelant la topographie du centre-ville. Vers le Sud-ouest, une rue partait en direction du générateur ELW, garant du bouclier électromagnétique et au Nord-ouest, une avenue menait vers les hauteurs de la ville et les riches cités.
Sur la place, les troupes militaires commençaient à se faire plus nombreuses, le couvre-feu étant imminent. Les gens rentraient chez eux, vers leurs soucis et la promesse d’autres journées aussi difficiles, regrettant de ne pouvoir continuer à se balader comme ils pouvaient le faire avant la pulsion. La place avait beau être bondée, personne ne remarqua trois gigantesques silhouettes beige sortir des nuages.
Et pour cause, le cloaking, ou technologie de camouflage, était un des fers de lance de la RPE. Le fuselage des Pornevs était tapissé d’une couche d’écrans OLED qui reflétaient ce que des milliers de micro caméras filmaient de l’autre pan de l’appareil. Même si l’on pouvait distinguer un scintillement du décor lorsque l’on posait les yeux sur les vaisseaux, un œil inattentif ou une basse luminosité fondait presque parfaitement l’appareil dans le décor. Ainsi seule une légère partie de leur armature était visible bien que se fondant dans le gris des nuages.
Le soleil disparaissant derrière les immeubles, la luminosité se faisant moindre, l’éclairage public s’alluma. Le dixième de seconde que prirent les écrans pour s’adapter au halo lumineux de la ville, fut critique aux vaisseaux. Quelques citadins, attirés par ces formes occupant presque tout le ciel se mirent à hurler en prenant leurs jambes à leur cou. Le bouclier de la ville fut alors activé, action reconnaissable par un scintillement rapide du ciel refermant une coupole magnétique sur la cité.
S’en suivit un massif mouvement de foule qui bizarrement, ne semblait pas vider la place, comme si la population courrait en tous sens sans aucun but. A y regarder de plus près, les civils partis étaient remplacés par les forces de police, quelques militaires et une partie de milice. Le sang des membres du CRIJ ne fit qu'un tour en découvrant ce qui se préparait : les soutes des navires s'ouvraient pour cracher leurs essaims de nevs sur la ville. Découverts, les Pornevs déployaient leur armement en des centaines de vaisseaux monoplaces et légers de très petite taille.
Le bouclier de la cité ne leur permettait pas de pénétrer dans l’espace protégé mais les nevs ne tentaient pas d'attaquer, elles avaient plutôt l'air de rejoindre l’aplomb du générateur ELW ou de reconnaître la ville, se postant au dessus des carrefours. Puis parvint l'information que les troupes Nouvelles s’étaient aisément avancées en centre ville, guidées par les nevs…
Les agents se regardèrent.
_ Akdov ! lança Naïa.
_ Il a eu vent de notre venue. Nous devons prendre les documents et partir d'ici au plus vite, leur cria Noé, s'efforçant de couvrir le bourdonnement des nevs.
En effet les troupes Nouvelles atteignaient la place. L’attaque avait due être lancée avant même l’arrivée des Pornevs, quelques temps après le passage de Noé et ses coéquipiers aux points de contrôle.
_ En avant ! criaient certains.
_ Allons-y ! criaient les autres.
Les soldats se motivaient les uns les autres, certains la jouant commando, d'autres plutôt opportunistes, pénétrant de forces dans les rares magasins et pillant ce qu’ils y trouvaient. Dans l'ensemble il faut le dire, c'était un bordel monstre. Il était de quelque notoriété que les troupes stationnées autour des points de libres échanges étaient composées en partie de la population américaine vaincue et enrôlée après la pulsion.
Un lieutenant se dressa et parodia Geronimo dans un long cri de guerre sensé lancer une attaque massive de ses troupes. Un officier sûrement aviné. Mais peu de ses Kosaks daignèrent bouger. La place grouillait de défenseurs qui ne devaient être armés que de couteaux, de chiens ou de battes de base-ball… autant d'armes qui s'écrasaient sous la puissance des automatiques et fusils d’assaut.
L’officier restait hébété :
_ Qu'attendez-vous bande de couillons ?! beugla-t-il.
Certains semblaient prendre peur de l'armement des habitants.
_ Mieux armés que nous ? Des haches, des caniches… voilà leur armement ! Il nous faut prendre le générateur, c'est la clef ! Laissez-moi vous…
Il ne pu terminer sa phrase, une rocket lui emporta la tête lui coupant la parole de la même façon ainsi que la liberté de répondre aux soldats l’entourant, qui disparurent dans l’explosion. Une longue rafale de balles suivit. Les couteaux avaient fait place aux KF7 : les habitants et les troupes de sécurité de la ville ne faisaient plus qu'un et n'avaient rien à envier aux barbares qu'étaient les Kosaks. S'en suivit une bataille désordonnée que peu de personnes purent se vanter de raconter… ou d’en être sorti…
Naïa s'était élancée vers la banque, ne perdant pas de vue l'objectif de la mission, se frayant un chemin entre fuyards et combattants. Eisen et Tetsuo se mirent à couvert et sortirent leurs armes. Noé se retourna criant à ses hommes de rejoindre le Storm avant de les récupérer sur les rives du Saint Laurent, leur soulignant qu'il ne fallait surtout pas perdre le générateur du bouclier. Ce dernier ordre était à l'intention de Tetsuo.
A ce moment une dizaine de batteries anti-aériennes s’activèrent en tous points de la ville, tentant de prendre de cours l’activation des boucliers des assaillants. Leur canon reculait doucement avant de décharger leur flot de photons illuminant le ciel, découvrant une demi-douzaine de Pornevs au total stationnant au dessus de Montréal. Trois autres étaient en effet restés au dessus des nuages attendant le bon moment pour entrer en scène. Leurs boucliers repoussèrent les décharges, coupant de suite le camouflage optique.
L’un d'entre eux, moins prompt à lever ses défenses, pris une dizaine de décharges fatales dans le flanc. Des étincelles électriques parcoururent sa coque, neutralisant la navigation, son camouflage et rendant impossible l’activation de toute défense. Il oscilla quelques secondes, comment perdant l’équilibre sur un improbable filin et commença à perdre de l'altitude… l'atterrissage promettait d'être spectaculaire.
Noé compris se qui se préparait, le Pornev fatalement touché allait s’échouer sur le toit d’un immeuble d’une vingtaine d’étages. Le vaisseau hors service, trop lourd à soutenir, passa lentement le bouclier de la ville, n'étant plus qu'un poids mort et inactif en chute libre. Mais son atterrissage courba le bâtiment sous l'impact qui pencha dangereusement vers la rue que Naïa venait de prendre. Le Pornev, explosa de toutes parts arrosant les alentours de débris.
Le bourdonnement des nevs avait pratiquement couvert le bruit de l'explosion et Naïa qui courait à perdre haleine ne semblait pas se soucier de l'immeuble s’effondrait sur la rue. Noé activa son autoporteur et partit à quelques mètres du sol à une vitesse effarante. Les ceintures n’étaient conçues que pour une personne mais il ne lui fallait pas pour autant prendre trop de vitesse, au risque de casser un membre à Naïa. Il la prit sous son épaule au passage et repartirent tous deux, dans un dernier bond, avant de heurter le sol et de rouler avec elle de l'autre côté du carrefour. L'immeuble termina sa chute sur les habitants qui couraient en tous sens, bouchant ainsi la rue de son armature, soulevant un monstrueux nuage de poussière et soufflant tonnes de déchets et débris alentours.
Noé relevé, encore hébété, chercha des yeux la banque. Naïa, un peu sonnée, ouvrit la bouche pour le remercier mais celui ci fut plus prompt :
_ De rien. Récupérons les documents et filons.
***
Les troupes d'Akdov gagnaient du terrain malgré l'armement des citadins. Ceux-ci commençaient à se croire perdus : la place n'était pas prise mais ça n'allait pas tarder. Le générateur ELW se trouvait dans l'avenue opposée aux troupes et il ne leur faudrait que peu de temps pour désactiver le bouclier une fois celle-ci prise.
_ S'ils prennent le générateur les Pornevs ne feront qu'une bouchée de la ville, cria Tetsuo. Il va falloir les retenir un peu le temps que je le reconfigure.
Eisen s’était équipé d'une Beretta gros calibre fixée à ses poignets dont la crosse s'appuyait contre ses épaules.
_ Fait le maximum, il faut que l'on gagne du temps pour qu'ils récupèrent les documents. Mais je viens pas te chercher, dès que le chemin est libre je retourne au Storm.
Tetsuo se prépara à partir, lévitant à quelques centimètres du sol attendant une quelconque pause.
_ Alors fait moi un beau trou, que je puisse aussi revenir. Je suis prêt, couvre-moi !
Tetsuo s’élança. Eisen se releva derrière la voiture, retournée contre un mur, qui les avait jusqu'à maintenant protégés et laissés dans l'indifférence totale. Ses automatiques crachèrent le feu et balayèrent les premières lignes ennemies. Les Kosaks étaient soulevés dans les airs et inexorablement propulsés vers le reste des troupes. Leur champ de vision plutôt réduit par la poussière de l’immeuble écroulé, trois, cinq puis sept lignes ennemies furent envoyées au tapis de la sorte, avant qu’ils ne comprennent d’où venaient les tirs.
Eisen se remit à couvert, rechargeant ses Desert Scorps, tout tremblant d’adrénaline, heureux de l’effet de son tir de couverture. Il préféra attendre un peu avant de lancer la phase suivante. Tetsuo avait atteint l'autre côté de la esplanade et se dirigeait à présent vers l'entrée du générateur. Un silence sur la place permis à beaucoup de citadins de se rendre compte des dégâts. Personne ne savait d'où venait l'homme qui venait de tirer, mais question ménage c'était pas mal.
Eisen fut interrompu par une rafale de balles qui dura un temps qu'il cru interminable. Les pare brises volaient en éclats et les véhicules stationnés explosaient en chaîne. Plus haut, les nevs s'étaient mises en tête de faire la circulation, décimant par dizaines les véhicules de particuliers tentant de fuir la bataille. Ceux-ci tombaient en pluie drue sur la ville et explosaient en tous sens, recréant une ambiance d'apocalypse. Les bornes d'incendies éclatèrent à leur tour sous les balles arrosant la place d’eau qui se mélangeait à l'essence, au sang et à la terre. Feu, eau, cadavres, carcasses et combattants, la place en était remplie.
***
Noé et Naïa arrivèrent à la hauteur de la Banque. Celle-ci se dressait sur une douzaine de colonnes qui formaient le parvis. Grande et majestueusement… délabrée. Apparemment la pulsion des Russes ne s'était pas fait ressentir qu'économiquement. La banque aurait pu être envahie par une horde d'éléphants, que son état n'aurait pu être pire bien qu’elle semblait toujours ouverte de jour. Noé s'approcha de la grande porte en fer qui ne tenait plus que sur trois gonds malgré la tonne qu'elle devait peser. Devant le champ de répulsion était bel et bien actif.
Il étudiait une manière de le contourner quand Naïa l'agrippa par les épaules et le poussa derrière les colonnes. Une vingtaine de voitures de police défilèrent dans la rue en direction du front puis prirent vers le Sud-est où semblaient se rapprocher les forces armées. L’une d’entre elle explosa un peu plus loin et entra en collision avec la suivante.
Noé revint auprès du clavier qui attendait le code pour ouvrir la porte.
_ Je n'avais pas pensé à ça ! Tout le bâtiment est protégé par le champ… ajouta-t-il prenant un peu de recul.
_ Laisse moi faire, proposa Naïa, il se peut que ce que j'ai appris durant la formation du CRIJ puisse nous aider ici.
Elle raccorda sa ceinture de lévitation aux fils qu’elle venait de shunter du boîtier de contrôle.
_ Eloignons nous, le générateur va alimenter le champ de la banque à travers la ceinture.
Une fois à couvert elle commanda mentalement la ceinture pour un envol rapide. Celle-ci se leva dans une giclée d'étincelles. Le champ s'intensifia ainsi que toutes les lumières du quartier. Puis les récepteurs ELW du champ magnétique fondirent, le désactivant. Le quartier était à présent hors tension, tous les immeubles sur trois blocs étaient privés d'énergie, conséquence d’une sécurité du générateur principal de la ville.
Naïa se massa les tempes…
_ Quand je vais raconter aux scientifiques de Canberra ce que l’on peut faire avec leur ceinture, ça va sûrement leur donner des idées !
_ Elles ne sont pas faites pour, objecta Noé.
_ Je sais, un petit mal de crâne, ça va passer. Bien sûr c'est pas très discret mais la porte est ouverte.
En effet celle-ci pivota lentement sur les quelques gonds vers l'intérieur. Noé regarda sa montre : dix heures et demie, la banque serait ouverte un peu plus tard ce soir…
Autant elle paraissait vétuste et délabrée de l'extérieur, autant d'intérieur elle restait luxueuse malgré l’atmosphère âpre et emprunte de poussière. Noé eut l'impression que la banque n'avait pas été nettoyée depuis son dernier passage. Les murs dataient du XIXème, époque à laquelle on s'affairait encore à recréer un sentiment de faste pour les clients, fioritures, ornements en or ou dorés et autres colonnes sculptées. Malgré l'obscurité qui régnait dans la salle, tout cela il pouvait le discerner. La cybernétique avait développé multiples façons d'améliorer son propre corps et augmenter ses facultés sensorielles. Noé n’y avait pas coupé en entrant au CRIJ par l’ajout d’implants intraoculaires élargissant le spectre de ses perceptions de la lumière. On restait loin des fonctions de zoom et photographie recherchées et de tels assujettissements se limitaient souvent à une meilleure vision nocturne.
Tout en se dirigeant vers la salle des coffres, il trébucha néanmoins contre une masse gisante au sol. Se relevant il remarqua alors un corps reposant à côté du bureau d’accueil. Naïa alluma une torche, fixée sur sa combinaison, à l'extrémité de son poignet ainsi qu'une à son épaule. La lumière révéla un homme corpulent assoupi et agrippé à une bouteille de Vodka tel un enfant et sa peluche. Avant de buter contre le corps, Noé n'avait pas perçut le doux ronronnement qui rivalisait maintenant avec un moteur.
Naïa prit Noé par le bras :
_ Viens, montre-moi la salle des coffres.
Avant de repartir ce dernier remarqua le badge aux côtés du saoulard, identifiant le l’ivrogne comme le directeur de la banque. Définitivement, l’économie d’après guerre avait fortement touché cet homme.
Arrivés dans la salle des coffres, Noé se dirigea de suite vers la rangée SB, puis s'arrêta devant le coffre SBA355. Naïa, à ses côtés, sembla remarquer le rapport avec le matricule CRIJ de son chef puis, sans poser de question, entreprit de forcer la serrure avec du plastique. Après une faible détonation le pan métallique masquant l'ouverture fut violement éjecté et se logea dans un mur en face.
Noé songea qu'il faudrait peut-être qu'ils y aillent plus calmement pour le reste de l'enquête sinon ils auraient très vite des problèmes de discrétion. La fumée se dissipant ils découvrirent à leur plus grand malaise que le coffre était vide…
_La femme de ménage tu crois ? avança Naïa ironique.
Le sang de Noé ne fit qu'un tour, quelqu'un les avait précédés ! Il regagna la salle précédente et se dirigea vers le directeur qui reprenait ses esprits, se massant le ventre où Noé avait buté. S'apercevant que sa bouteille de vodka était vide, il entreprit de se relever bien qu’un enfant de six mois ait meilleur équilibre. Voyant qu’il tanguait dangereusement, Noé se plaça devant lui et le maintint par les épaules :
_ Vous me voyez ?
Naïa qui éclairait la scène à distance réprima un sourire lorsque le directeur répondit à Noé par un long renvoi de vodka. Ce dernier détourna la tête.
_ Bien… et où gérez vous les coffres ?
L'homme devait se croire dans un kaléidoscope géant, tant sa réponse nécessita réflexion et mouvements de tête puis, manquant de tomber il désigna péniblement un escalier qui menait à l'étage.
Noé grimpa les marches quatre à quatre, laissant l'amateur d'alcool russe tomber dans un bruit sourd. Quand Naïa le rejoignit il avait déjà entreprit de fouiller l'ordinateur. Quelques minutes plus tard il se figea. Il avait trouvé la personne qui était venue. Son nom lui disait quelque chose… pour sûr : c'était sa sœur, Angie.
Noé s'enfonça dans son siège.
_ Tu connais ? Qui est cette Angelica ?
_ Ma sœur.
Naïa fronça les sourcils.
_ Il serait temps que tu m'expliques tout ça maintenant, les documents, ta sœur, le coffre…
Noé releva la tête et commença à arpenter la salle, entamant l'histoire qui avait rythmé les 7 dernières années de sa vie…
***
Tetsuo avait atteint la salle principale de commande du générateur. Plus personne n'était présent, ils étaient sûrement partis défendre la ville au combat, ou leurs familles au foyer… Il s'attela à pirater le poste central afin d'en changer les codes. Une dizaine de minutes plus tard, une violente déflagration retentit de l'extérieur faisant trembler les murs. Plusieurs moniteurs tombèrent du plafond laissant échapper des gerbes d'étincelles. Tetsuo s’arrêta une seconde, attendant de voir si autre chose s’effondrait.
Puis il interdit l'arrêt du générateur et fit passer le bâtiment en mode haute sécurité. Une fois terminé, seule la destruction du générateur permettrait aux forces Nouvelles de prendre la ville. De plus, à ce niveau de sécurité, un tank lancé à pleine vitesse aurait du mal à passer le champ magnétique de la porte principale du bâtiment. Tetsuo le savait, il laissait plus qu'une alternative aux forces du Nouveau-Monde et celle-ci demandait plus de temps et d'énergie aux Pornev : les canons Do-lô.
Nouvelle génération d'armes pour flottes aériennes, ces canons concentraient un flux calorifique assez puissant pour percer tout bouclier magnétique mais long à charger et très coûteux en énergie. La toute première démonstration fut faite par ses inventeurs, les Russes. Ils avaient percé un canal de cent cinquante mètres de profondeur…de la côte Ouest Américaine à la côte Est en moins de deux jours. Ils n'avaient même pas attendu la fin de leur guerre pour séparer les territoires que les deux généraux au pouvoir (Raivac et Akdov) comptaient se partager. Le record aurait pu être homologué par le Guinness si le siège social de la firme ne s'était pas trouvé sur la route, tout comme le récent New World Trade Center, le Pentagone et Las Vegas.
Plus loin dehors, Eisen se risqua à jeter un œil vers les troupes ennemies. Celles ci zigzaguaient entre les cadavres qu'elles semaient à chaque rafale de balles et ceux qu'il s'était chargé d'éliminer. Derrières elles, il aperçu le canon d’un tank sortir du nuage de poussière. Celui ci tourna lentement vers les bâtiments de l'autre côté de la place puis il cracha dans un bruit sourd un obus qui parti se loger dans un pan de mur. Quelques dixièmes de seconde plus tard la place était agrandie et l'immeuble touché était à présent un peu partout sur celle-ci, en milliers de morceaux de béton.
Eisen se cacha de nouveau et respira un bon coup. Il regarda alors ses Desert Scorps fixés à ses épaules et avec un sourire nerveux, il actionna un bouton sur leur crosse. Aussitôt, les balles d’uranium appauvri qui avaient balayé les soldats quelques minutes auparavant, explosèrent telles des grenades dans un fracas épouvantable. La rue s'était transformée en mur de feu, de débris et de poussière. Tel était l’atout particulier des Desert Scorps, ses projectiles à la base destinés aux canons lourds avaient été si miniaturisés qu’ils avaient été adaptés à de plus petits calibres, tirant des balles explosives télécommandées.
Eisen se couvrit la tête, les explosions se poursuivaient soulevant corps et plaques de béton, les balayant d’avant en arrière au rythme de leur souffle. Le côté gauche du tank se souleva brutalement et fit brusquement basculer le char en feu sur le dos, écrasant ses propres troupes cherchant refuge près de son blindage. Les façades des immeubles adjacents s'effondrèrent de part et d'autre, la rue était enfin bouchée et l'attaque stoppée. Il faudrait du temps aux Kosaks pour passer le mur de feu et de fumée… ce qui fit d'ailleurs penser à Eisen qu'il était chargé d’ouvrir un chemin et non de le boucher.
Tetsuo sortit de l'immeuble et s'arrêta net : la place n'était plus qu'un mélange de pierre, de verre pilé et d'eau souillée. Peu de personnes étaient encore debout, mais il avait aussi l'impression que celle ci était plus grande à présent. Il rejoignit son coéquipier en slalomant à quelques centimètres du sol.
_ Il va falloir penser à plier bagage, la chaleur est insupportable et si on attend plus longtemps on sera bloqué par le feu, hurla-t-il. Nous devons rejoindre le Storm puis récupérer Noé et Naïa.
_ Et comment veux-tu entrer en ville après être ressorti ? La nuit, le bouclier file pas de contremarques… et la sortie est assurée par les forces Nouvelles.
Tous deux avaient les traits tendus à force de crier pour se faire entendre.
_ J'ai laissé une clef électronique pour que nous puissions revenir…
Il regarda les flingues éparpillés autour d'Eisen, chargeurs, grenades, douilles…
_ Tu comptes ouvrir une armurerie ?
_ Je range mes jouets et on y va…
La bataille faisait toujours rage, Tetsuo jeta un œil aux alentours. Deux rues sur quatre étaient bouchées, l'une par un immeuble et une carcasse de Pornev, l'autre par… les cadavres de soldats, un tank et des morceaux de bâtiments. La troisième rue était celle du générateur mais qui les éloignait de leur objectif, restait la rue à l'Ouest qui montait vers les hauteurs de la ville. Aucun combat ne semblait être en cours de ce côté.
Eisen et Tetsuo se mirent en route, survolant les rues à hauteur des toits d'immeubles, évitant ainsi d'être repérés, le champ ELW ne couvrant la ville pas plus haut que ces toits. Bien que haut placés, ils ne distinguaient pas grand chose à cause du nuage de poussière soulevé par le crash du Pornev. Il semblait d’ailleurs à Tetsuo que toute la ville était à l'Est, recréant une ligne de défense, repoussant sans cesse les attaques du Nouveau-Monde mais perdant sûrement du terrain. Bien qu'elles se soient éloignées au Sud, le bourdonnement des nevs était omniprésent, continuant à décimer tout véhicule aéroporté qui tentait de fuir la cité. Il tenta de percer des yeux le brouillard de cendres, cherchant la banque où se trouvaient ses coéquipiers… mais perdit de vue la rue en question cachée par le bâtiment qu’ils dépassaient, suivant Eisen vers la sortie de l’agglomération, vers le Storm.