Depuis les temps reculés de l’avènement des premiers rois de l’Ouest, quand sous les Monts Brumeux fulminaient encore les Anciens Dragons Pourpres à Rayures Mauves, que le Grand Livre des rancunes des Nains ne comportait en tout et pour tout que sept lignes et demie, trois traces de doigts gras et une tache d’encre

, et que les Dieux, disait-on, se mêlaient encore aux mortels pour folâtrer ou discuter avec eux du tiercé du jour, nombreux étaient ceux qui avaient osé franchir les bordures de la grande et sinistre forêt maudite des Hauts de Totheunaut. Tous étaient des hommes avides de rêve, d’aventure et d’espace, à la recherche de la fortune ; ils rêvaient de mondes souterrains, de mers lointaines peuplées de légendes, ou d’une richesse soudaine qui se conquérrait au détour d’un chemin de la cordillere des Andes Kouïolinoises, et souhaitaient voir le soleil souverain guider leurs pas au cœur du pays Zainkha vers la richesse et l’histoire des mystérieuses cités d’Auch, les imbéciles. Leurs exploits auraient pu remplir l’équivalent d’un annuaire de la région parisienne si ledit annuaire avait existé ; nombreuses étaient les légendes et nombreuses les épopées, chansons de geste et citations diverses à leur sujet, et malgré cela, de mémoire de kobold, nul n’avait jamais ouï dans ces contrées (les profondeurs de la foret maudite des Hauts de Totheunaut, y’en a qui ne suivent pas et qui sont déjà perdus, ça commence bien) quelque chose ressemblant au dialogue suivant :

 

- Eh les mecs ! L’elfe est puceau !

- Mort de rire !

- Oh ça va hein. Je suis encore jeune, je n’ai que cent huit ans après tout.

- Cent huit ans ? Je m’suis fait ma premiere nana à quinze ans !

- Une orque sans doute…

- Pour les elfes faut diviser l’age par sept non ?

- Non ça c’est pour les clébards. Pour les elfes c’est par quatre.

- C’est pas pareil de toute facon.

- Attends c’est pire tu veux dire. En cent huit ans, avec tous les canons que vous avez chez vous les elfes, t’as jamais trouvé le moyen d’en tirer une ?

- L’ennui a ce qu ‘on dit c’est qu’elles sont tellement canons qu’elles sont plus attirées par les autres filles que par les mecs, et donc ils n’ont plus qu’a se la mettre sous le bras en attendant enfin d’en trouver une.

- Cent ans de pratique de l’onanisme, mince ! Montre voir tes poignets…

- L’ona… quoi ?

- T’as qu’a chercher dans le dico.

- Et je suppose que si leurs filles font ça entre elles, y’a pas de raison pour que leurs mecs ne fassent pas la meme chose.

- Ta gueule.

- Arretez de l’embêter moi je trouve ça mignon d’attendre le grand amour avant de s’engager, se préserver pour celui qui…

- Toi la mago tu ferais mieux de pas la ramener, parce qu’avec ta jupe a ras le bonbon et ton decolleté plongeant t’attends qu’une chose c’est que le barbare te saute dessus.

- Beuh ?

- T’as pas remarqué la facon dont elle te reluque l’entre-jambes, toi ? D’ailleurs elle est toute rouge regarde.

- Beuh ?

- Mais non je parlais de la magicienne andouille, pas de ta… Mais remets ton froc gros débile !

- Ah les deux demis ils font la paire.

- Tres drôle. Je savais pas que les Nains pouvaient faire des jeux de mots.

- Fermez-la, je crois que j’ai enfin trouvé la sortie. On doit plus être tres loin maintenant.

- Ben c’est pas trop tôt.

 

     Emergeant des taillis, une noble jeune fille a la peau et aux cheveux d’un noir de jais se redressa fierement, etirant ses muscles endoloris… Tout compte fait on va pas se lancer dans une description en long en large et en travers qui prendrait trois heures pour introduire, au sens figuré et au moyen de circonlocutions quasi-proustiennes et de procédés d’écriture navrants, une voleuse humaine black d’un metre soixante-cinq, avec plein de rondeurs partout la ou il n’en faut pas quand on exerce une profession exigeant de pouvoir se glisser dans divers orifices etroits, et une dague dans chaque botte (il y a toujours des dagues dans les bottes quand on parle de bottes en Heroic-Fantasy vous n’avez pas remarqué ?). Aussi pour simplifier les choses, je ferai les présentations et comme ca on gagnera du temps. Enfin peut-etre. Cette damoiselle répondait donc au doux prénom de Périna, venait des lointaines contrées (par rapport a d’autres plus proches) du sud du continent de Nu, ce qui ne vous avance guere, avait la trentaine aux compteurs (d’années et d’amants) et exercait avec plus ou moins de réussite la profession dénigrée et pourtant si exaltante de voleuse spécialisée, au grand desespoir de feu son pere, de sa mere et de ses dix-sept freres et sœurs, qui étaient tous d’honnetes commercants de Nu a la réputation inattaquable. Shame on her. Vous n’aurez pas ses mensurations, mais comme 99% des héroines d’Heroic Fantasy elle etait pour ainsi dire assez ban… je veux dire tout a fait bai… Bref, vous en savez assez sur mon héroine numéro 1.

     Le noble jeune homme qui la suivait était un initié du clergé de Malax, dieu de la bouffe. Comme tous ses condisciples, il portait fierement quoiqu’avec difficulté dans ces contrées sauvages les attributs de son dieu, a savoir une bedaine proéminente qui commencait a atteindre une taille respectable, ainsi qu’un set du parfait petit moine incluant capuche, goupillon et baton de pelerin, qu’il avait recu de sa marraine pour son quinzieme anniversaire (la meme marraine lui avait également fait ce jour la, en privé, présent d’une partie de sa personne, ce qu’il avait accepté avec ravissement, étant donné qu’elle était assez gironde et encore bien conservee pour une tante par alliance de trente-huit ans. C’est a cet épisode qu’il se référait au cours de la conversation avec l’elfe, car il aimait particulierement mettre en valeur ses prétendus exploits au lit, surtout devant des gens défavorisés par le sort et par un gros bouton sur le nez avec un poil dessus.) Ce pretre dont la dévotion a table attirait l’admiration des foules repondait parfois au nom de Tyrcevon, plus souvent au surnom de Tyr’ et assez souvent aussi a celui de « gros lard », et entrait dans sa vingt-huitieme année au moment du récit qui nous concerne (celui que vous etes en train de lire). Prions pour ce pieux heros, et passons au suivant.

     S’extrayant des fourres sous les yeux ebahis de l’assistance (vous), un noble representant de l’ancienne race des Elfes se prit les pieds dans une racine et chut a terre dans un bruit mat. Siani etait son nom, et si l’espace d’un instant l’idee de pretendre avoir voulu embrasser l’herbe grasse des pres enfin retrouvee apres une si longue marche en foret lui traversa l’esprit, il dut renoncer lorsqu’il s’apercut que d’autres que lui, de paisible bovides en l’occurrence (des vaches, quoi), avaient trouve elles aussi l’herbe a leur gout, etaient meme encore en train de la brouter un peu plus loin et avaient deja ecume l’endroit ou il venait de choir, laissant en guise de signature une bouse bien fraiche juste assez tendre pour accueillir mollement son visage aux traits fins et au nez aquilin. Laissons le se relever sous les quolibets de ses cinq compagnons, et interessons-nous de plus pres a son passe glorieux : en cent huit ans, comme il l’avait mentionne lui-meme, si Siani n’avait pas pu se faire de gonzesse, en revanche il avait aligne les exploits et avait force l’admiration des siens. Bien peu de veuves et d’orphelins ne pouvaient se vanter d’avoir ete secourus par le noble rodeur elfe aux cheveux blonds, au regard altier et au gros bouton sur le nez, et… et tout compte fait ca le gonflait, a tel point qu’il avait parfois envie de passer chaotique mauvais. Les yeux larmoyants des megeres pouilleuses reclamant son aide face au vilain percepteur d’impots, il connaissait. Les tremolos dans la voix, les supplications a genoux en etreignant ses chausses, les quatre ou cinq lardons qui braillaient, pleurnichaient ou au mieux se fourraient l’index dans l’orifice nasal en arriere-plan, il en avait eu plus souvent qu’a son tour, et ca commencait serieusement a lui taper sur le systeme. Et le pire, c’etait les faces simiesques arborant un sourire niais qui etait sa seule recompense (avec parfois un bol de brouet, il serait injuste de ne point le mentionner) lorsqu’il revenait victorieux de ses combats pour la justice, l’equite et la protection du faible. Les « merci » dits d’une voix rocailleuse, la cupidite qui se lisait dans les regards et l’avarice qui transparaissait dans la rapacite a se saisir des ecus retrouves, tout ca lui donnait des envies de meurtre. Bref Siani etait a un tournant de sa carriere, celui qu’on prend quand on realise que finalement, etre bon, poli, honnete et travailleur est plus fatiguant et mene moins loin qu’etre fourbe, asocial, malhonnete et faineant. Voilà pour lui, et au suivant.

     Vous le dites, hein, si cette enumeration pitoyable de mes heros vous gonfle. Si c’est le cas, sautez tout ca et passez directement au plus important : (tous en chœur) LA MEULE ! Il va en effet y avoir un combat juste apres les presentations, c’est prevu dans le Scenario et le Scenario est tout-puissant. Loue soit le saint nom du Scenario. Ceci dit, il ne nous reste que trois heros a voir, ca sera vite torche ne vous inquietez pas.

     Dans tous les bons recits d’heroic-fantasy se trouve au moins un magicien ou une magicienne capable de prodiges en matiere de prodigieux, et les emules de Gandalf se comptent par milliers depuis la premiere edition de Donjons & Dragons, qui remonte a loin maintenant. Le mago du groupe, traditionnellement nul au combat, possede en general une flopee de sorts qui lui conferent une puissance inegalable lorsqu’il passe maitre dans son art. Protege, respecte et chouchoute par ses compagnons, le magicien est le pivot central de l’equipe, celui sur qui on compte en cas de grosse emmerde. Autant le dire tout de suite, Sibea etait, par rapport a ces criteres, une grosse tache dans le role de la magicienne. Nullissime d’entre les nullissimes de son ecole de magie (ou ses parents, magiciens eux-memes, l’avaient envoyee des son plus jeune age), elle n’avait obtenu son diplôme qu’apres entretien prive avec le directeur de l’ecole, qui considerait d’un œil bienveillant autant que libidineux les candidates a la promotion canape. Elle avait recu un 13/20 pour sa prestation, ce qui n’etait pas si mal pour quelqu’un possedant en somme assez peu d’experience en la matiere (elle avait fait un peu d’equitation dans son enfance, et connaissait la facon de preparer les etalons avant la saillie). Son statut de demi-elfe, ses fins cheveux blonds et son visage assez mignon lui avaient sans doute valu un petit bonus, et de toute facon le directeur – comme beaucoup de ses confreres – n’aimait rien moins qu’enseigner a une jeune ame innocente et pure la grande lecon de la vie, comme il disait. Sibea, pour une fois, avait retenu la lecon et savait a present comment mener par le bout du nez la moitie de l’humanite, ce qui vaut bien tous les sortileges du monde. Telle etait la magicienne de la compagnie du Barde Empale, une bien noble jeune fille malgre ses connaissances restreintes de la science des arcanes compensees toutefois par ce que je viens juste de vous expliquer. Suivant.

     Autant la demi-elfe extraite de notre foret precedemment avait pour maitre spirituel le plus celebre barbu du cinema contemporain (avec Maximus peut-etre), autant le massif hominide qui la suivait de pres en s’interrogeant a la fois sur la coloration de ses attributs virils et sur le degre d’interet que la magicienne pouvait bien lui porter etait comme tout ses semblables un clone parfait de Conan. Ce noble demi-orque nomme Bramkar n’echappait helas pas aux poncifs les plus accablants sur les barbares, et possedait la carrure, le look et le vocabulaire qu’on etait en droit d’attendre d’une brute epaisse de son acabit. Aussi, il n’avait eu aucun mal a trouver une place dans une compagnie d’aventuriers lorsque pour lui etait venu le temps des rires et des chants, des viols et des pillages, des massacres et des meules que tout barbare qui se respecte doit perpetrer durant son existence, et il s’etait engage dans la fiere - quoique toute nouvelle - compagnie du barde empale. Il avait une quinzaine d’annees environ, ce qui n’etonnera personne car les barbares demi-orques ont une existence courte et leur croissance est beaucoup plus rapide que celle des autres races (je n’invente rien, c’est dans le manuel du joueur), possedait un pagne et une epee a deux mains assez impressionnante, et etait velu comme un singe. Comme vous le voyez, rien de bien original pour mon barbare. Passons au dernier et au plus passionnant heros de ces aventures, j’ai nomme : le nain !

     A premiere vue, rien ne distinguait Ferog de ses semblables. N’importe quel observateur ordinaire muni d’une check-list pouvait aisement le classer comme un noble nain ordinaire, selon le questionnaire d’Abdul Al-Akrem (auteur du celebre ouvrage Al Nanif, connu plus couramment sous son titre de traduction Nanninomicon) : le personnage en question est-il muni d’une barbe ? (40 pts) Est-il victime d’une verticalite contrariee ? (30 pts) Se situe-t-il a proximite d’une source de biere ? (27 pts) Est-il grossier ? (18 pts) Degage-t-il une odeur prononcee, entetante, intenable, atroce ? (rayez les mentions inutiles) (de 10 a 20 pts) Est-il muni de petits doigts boudines ? (13 pts) Est-il facilement irritable (score superieur a 80% aux tests de stimulation du cortex cephalodegommeur) (18 pts) Est-il avare de ses deniers ? (21 pts) Au cas ou le denier n’ait pas cours dans cet univers, est-il avare d’autre chose ? (21 pts) D’apres votre impression generale, que deduisez-vous de son hygiene dentaire ? (26 pts) Question subsidiaire : son gros orteil est-il le plus long de tous ses doigts de pied ? (0 pts, c’est juste pour vous inciter a rajouter des points dans la cinquieme question si vous arrivez a lui faire enlever ses chaussures). En additionnant tous les points ainsi obtenus, puis en multipliant le resultat par l’age du candidat et en le divisant par le carre de sa pointure, on obtient un score que l’on reporte sur une table logarythmique pour trouver le coefficient nanique du sujet. Si le resultat est inferieur a dix, le candidat est declare inapte a la nannité et doit etre recyclé. Si le resultat est superieur ou egal a 10, on se trouve en presence d’un nain certifie. Si le resultat est superieur ou egal a 20, on parle alors de nain agree. J’espere que vous avez pris des notes, il y aura interrogation la semaine prochaine. Quoi qu’il en soit, Ferog etait bien un nain selon ces criteres rigoureux. Mais rien en lui ne laissait transparaitre son terrible secret que je vais vous reveler a present. Si vous le regardez de plus pres, en effet… ah merde… on parle, on parle et c’est deja l’heure de (and one more time) LA MEULE ! Ils ont commence sans moi. Bon, ben on finira Ferog plus tard, passons au second chapitre.