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     Très incivilement, en effet, une meute de monstres velus sortis de nulle part venait d’agresser nos héros à peine présentés. La clairière dans laquelle ils venaient de s’arrêter était par malchance un repaire de terribles Chats-foin, ainsi nommés à la fois en raison du bruit assourdissant qu’ils faisaient la nuit

et de leur classification dans l’espèce des félidés par Lowindyl le Naturaliste Fou, qui comme son nom l’indique avait depuis longtemps perdu ses billes lorsqu’il entreprit la rédaction de son Traité sur la classification et la taxidermie des espèces monstrueuses, ouvrage intéressant et atypique s’il en est, ledit Lowindyl classant par exemple les girafes dans la sous-espèce des Hauts Rongeurs, les canards dans celle des Klaxons à Double Tonalité et les Hobbits dans la même famille que les Cucurbitacés Filandreux. Néanmoins, il faisait autorité car d’une part il avait été le premier à entreprendre une telle classification, et d’autre part il avait reçu en son temps l’appui de Maxilaire XXIV, tyran de Castelmoche, connu pour son sens de l’humour particulier et son goût pour l’écartèlement de ses opposants politiques, et ce puissant Maxilaire avait décrété, sans mâcher ses mots, qu’il aurait une dent contre tous ceux qui ne seraient pas, comme lui, convaincus du bien fondé des théories du sieur Lowindyl.     Quoi qu’il en soit, la compagnie du Barde Empale venait de tomber dans une fourbe embuscade de terribles Chats-foin, et ne nous écartons pas du sujet je vous prie. Un violent combat s’était engagé, plein de rage et de fureur, et si Siani avait quelques difficultés à cause de la bouse qui lui piquait les yeux, dans l’ensemble nos héros ne s’en sortaient pas trop mal. Les terribles Chats-foin étaient à trois contre un (il y en avait donc 18, j’ai fait le calcul mais vous pouvez revérifier) mais leur petite taille les empêchait de faire de trop gros dégâts, la nature est bien faite. Ils ressemblaient à d’affreux petits trucs jaunes rondouillards avec une queue en zébra et des oreilles pointues, et poussaient d’horribles hurlements agaçants au possible. Leur façon de combattre était grotesque, et leurs dandinements plus ridicules qu’impressionnants leur permettaient tout juste d’esquiver les coups de leurs adversaires. Ceci dit, alors que les aventuriers commençaient à penser que cette mise en bouche avant le donjon n’était pas si désagréable, qu’un peu d’exercice leur faisait du bien après la traversée chiante et éprouvante de la forêt des hauts de machin, et que les terribles Chats-foin n’avaient de terrible que le calembour stupide contenu dans leur nom, tous furent surpris par un évènement inattendu (ce qui est le propre des évènements surprenants, je vous l’accorde). Tyrcevon venait juste de pourfendre de son épée un premier monstre en s’écriant « Preum’s ! C’est pas moi qui suis d’vaisselle ce soir ! » d’une voix triomphante, quand le bidule transpercé se mit a fumer de la plus curieuse façon.- Qu’est ce qu’y nous fait le gremlin ? C’est pas des manières d’agoniser tout ça- C’est pas un gremlin c’est un Chat-foin ! T’as jamais lu du Lowindyl ? crut bon d’ajouter Siani.- Un terrible Chat-foin, renchérit Sibea, qui à défaut de trouver un sort dans son grimoire venait de trouver son manuel des monstres.- Grunt, fit judicieusement remarquer Bramkar.- Mais fais gaffe, merde ! fit Perina. Il est en train de dissoudre ta lame regarde !- Ah l’enflure !     Les sucs gastriques contenus dans l’estomac des terribles Chats-foin, comme l’aurait su Tyrcevon s’il avait lu le bouquin de Lowindyl, figurent parmi les plus puissants acides au monde. Assez peu utilisé, cet acide dissout a peu près tout ce qu’il touche, ce qui pose des problèmes de conditionnement car mis à part l’estomac de chat-foin, aucun récipient n’est assez résistant pour le contenir. Néanmoins, un apothicaire sagace du nom de Boudeman avait un jour réussi a créer un aérosol en estomac de Chat-foin, l’avait rempli du précieux liquide et l’avait vendu à quelques clients à l’occasion de la fête des belle-mères. Il avait eu un certain succès avant d’être assigné en justice par une belle-mère rescapée et, malgré une belle défense de son avocat (qui se trouvait être le gendre de la belle-mère en question), Boudeman fut condamné à boire une fiole de son propre produit. Mais revenons à nos (terribles) Chats-foin.     Tyrcevon venait d’extraire sa lame du corps sans vie de son adversaire, et arborait une petite mine devant la moitie d’épée encore fumante qu’il tenait piteusement en main, s’apitoyant sur le sort injuste qui l’avait privé de son arme. Mal lui en prit, car ce faisant il avait oublié les deux derniers Chats-foin (terribles Chats-foin, ouais je sais) qu'il lui restait à combattre, en vertu des règles de répartition équitable des adversaires. Et avant qu’il ait le temps de réagir, un des monstres s’était jeté sur lui dans un miaulement atroce et l’avait profondément griffé au ventre (il avait tenté en fait de le décapiter en escomptant sans doute un jet de dés exceptionnel mais la bedaine de Tyrcevon lui conférant +3 à la CA, le terrible Chat-foin avait été stoppé dans son élan et n’avait pu atteindre notre héros qu’au niveau du nombril.) Il faut que je vous entretienne maintenant de la griffe de Chat-foin, rétractile et aiguisée comme un rasoir, et qui… non ? Bon. Bref, disons qu’il avait une sale blessure au ventre, qu’il pissait le sang en hurlant comme un goret qu’on égorge (un petit goret, ceux qui poussent les cris les plus suraigus) et voilà.- C’est malin il s’est fait mal, dit Sibea.- Bon c’est pas le tout, comment est-ce qu’on va occire ces saloperies sans bousiller nos lames, fit Ferog qui tenait a sa hache. Et mets-la en veilleuse Tyr’ on s’entend plus combattre.Le pauvre prêtre était en effet allongé sur le sol, son terrible adversaire toujours occupé à lui farfouiller les entrailles à la lame de rasoir.- Débarrassez-le au moins de ce machin ou il va clamser !- Penses-tu, il a une couche de graisse suffisante pour qu’on lui plonge un poignard dans le bide sans atteindre l’estomac.- Et ça c’est quoi ? fit remarquer Perina en désignant l’abdomen de Tyrcevon du bout de sa lame, tout en décapitant un des terribles Chats-foin.- Qu’est-ce que j’en sais moi, chuis pas médecin.- Vu d’ici ça ressemble à la rate. Mais je serai formel après l’autopsie, dit Siani sur un ton docte.- Arrête un peu avec ton docte et bousille-moi cette bestiole avant qu’elle lui ait dévoré ce qui lui reste de boyaux.- A vos ordres eu’mdame, répondit l’elfe en shootant dans la bestiole qui alla valdinguer dans les airs avant de s’empaler sur la corne d’une vache qui passait par là.     Le bovidé prit un air surpris et poussa très bovinement un meuglement profond, avant que l’acide du terrible Chat-foin ne lui coule sur la tête. Sous la douleur, l’animal meugla de plus belle et pris de panique, se mit a courir droit devant lui, tentant de se débarrasser du cadavre dont les jus le rongeaient. Le reste du troupeau, voyant que l’un de ses représentants était en détresse, décida dans un bel élan de solidarité bovine de lui emboîter le sabot et galopa à sa poursuite. Les secondes qui suivirent furent assez confuses pour tout le monde, le troupeau de vaches folles s’immisçant inopinément au milieu de l’échauffourée en provoquant des réactions aussi diverses que variées dont voici un aperçu, à lire dans le désordre et en une seule fois :- Oh mon dieu ! Elles foncent droit sur nous !- Meuh !- Grunt !- Par ma barbe et celle de mes ancêtres (puissent-ils reposer en paix dans leurs tombeaux de pierre) ! Des steaks !- Et meeerde !- D’après Lowindyl, je pense que nous voici en présence d’un troupeau de magnifiques spécimens de Broutameuhs-lactés, qui… Eh ! Non ! Au secouuuurs !- COUIIIINE !- Argeuuuhgl…     La plus terrible confusion s’ensuivit, mêlant homme, femme, nain, demi-orque, demi-elfe, elfe, terribles Chats-foin, vache blessée et vaches non blessées dans un chaos de poussière, de sang, de tripes, d’yeux projetés hors de leurs orbites et d’objets divers envoyés dans les airs. Il fallut deux bonnes minutes à la poussière et au calme pour retomber, laissant apparaître un spectacle de désolation digne des plus terribles scènes que l’œil humain peut enregistrer avant de sombrer dans un coma profond et salutaire. Le faciès hideux de Cthulhu (perte de Santé Mentale 1D100 pts), la tête de la gorgone Méduse (paralysie complète du sujet en cas d’échec au jet de volonté), le réveil de la Tarasque (gros ennuis en perspective) ou ma chambre avant son rangement annuel (cataclysme intersidéral) ne sont que de pâles visions en comparaison de ce qui attendait nos aventuriers lorsqu’ils ouvrirent leurs paupières endolories. Les vaches avaient disparu, (probablement happées par un vortex maléfique qui était sans doute ouvert dans les buissons, pensa Sibea), les terribles Chats-foin n’étaient plus qu’une immense bouillie de courge jaune répartie sur le sol de la clairière (ça explose bien, un Chat-foin), et nos six héros avaient tous des plaies et des bosses, allant de l’ongle cassé à l’ablation partielle de l’abdomen. Tyrcevon, qui était bien entendu le plus à plaindre, agonisait dans son coin en réclamant l’extrême-onction qui lui permettrait de rejoindre Malax au paradis des jambonneaux. Bramkar fut le premier à réagir.- Grunt !- Comme tu dis ! Pour un premier combat, se faire doubler par des vaches c’est pas banal. Quelle équipe de bras cassés on fait...- A propos de bras, tu peux remettre mon épaule en place s’il te plaît ? demanda Ferog a Perina.- Avec plaisir, répondit la voleuse avec un grand sourire un peu inquiétant sur les lèvres. « CLOC » fit l’épaule du Nain. « OUAAAAAAAAAYOUYOUILLE » fit le propriétaire de l’épaule en question.- Je sais, je sais, la douleur est insoutenable…- Sadique ! grommela Ferog.- Oh mon dieu ! Ils ont tué Tyrcevon ! s’écria Sibea.- Bâtards !- T’énerve pas, on va tenter quelque chose. Qui a des compétences en médecine ?… Pas tous à la fois !- Moi j’ai un CAP couture, dit soudainement Sibea en levant le doigt avec un grand sourire aux lèvres.- Tu pourrais pas lui faire un sort de soins plutôt ?- C’est à dire que… j’ai pas vraiment eu le temps de réviser mes sorts hier soir… Ma grand-mère était malade, et j’ai dû garder ma petite sœur pendant que ma maman allait la voir... J’ai un mot d’excuses signé.- Ca va pour cette fois. Allez, soigne-le avant qu’il crève sur place. On a déjà assez foutu la merde dans la prairie, pas la peine de rajouter un cadavre.- Laissez-moi voir… Mmm ça va pas être simple de lui recoudre l’estomac, il a mangé des spaghettis à midi.- A mon avis c’est la rate, dit Siani d’un ton docte.- On t’a rien demandé à toi. Et puis le ton docte, tu peux te le mettre où je pense.- En tout cas ça lui servira de leçon s'il survit : plus jamais de spaghettis avant le combat. D’ailleurs, c’est dans le manuel de l’aventurier.- Bon, attention, je plante l’aiguille… et c’est partiiii. Hi hi hi j’adore la couture.- Tu nous préviens quand tu as fini, moi j’ai la dalle, on va en profiter pour faire une pause casse-croûte, dit Perina.- Ca tombe bien j’ai réussi a dégommer une vache au passage, fit Ferog qui entreprit de la désosser. Quelqu’un fait le feu ?- Grunt, répondit Bramkar qui aimait les barbecues.      Un steak saignant, trois à point et un carbonisé plus tard, Sibea achevait de recoudre le blessé de la main droite tout en finissant son sandwich à l’aide de la gauche.- Ayéééééé !- Voyons voir ça…- En tout cas, ça tiendra. J’ai fait un point de croix double.- Attends mais il est mort, là ! T’aurais pas pu faire gaffe non ?- Il est mort, tu crois ? Peut-être qu’il s’est endormi ?- En général quand les gens dorment sans respirer, les yeux ouverts avec plein de mouches dessus ça veut dire qu’ils sont morts. Ou alors c’est bien imité. Quelle nunuche celle-là !     Décontenancée a la fois par la mort de son camarade et par la remarque désobligeante de la voleuse, Sibea fondit en larmes. Bramkar, voyant une occasion de tâter la marchandise, s’approcha et de l’air le plus compatissant qu’il pouvait prit la petite magicienne dans ses bras. Cette dernière se mit à pleurer de plus belle, laissant échapper entre deux sanglots quelques mots comme « elle est méchante Perinaaaa » ou « c’est pas ma faute je l’ferai puuuuuu ! » qui brisèrent le cœur des trois mâles du groupe. Poussant un profond soupir, la voleuse médita quelques instants, les yeux fermés, la base du nez entre le pouce et l’index, puis quand les sanglots de sa collègue se furent espacés, elle dit :- C’est fini, ça y est ? Je peux en placer une ?- Snif… fit Sibea.- Grunt… ajouta Bramkar.- Nous sommes tout ouïe, dit Siani.- Ouais, exactement. Vas-y, parle et nous on ouille, renchérit Ferog.- Bon. Il se trouve que je connais un sortilège qui peut éventuellement le ramener a la vie. Mais…- Attends je croyais que tu étais voleuse ?- Chuis multiclassée roublarde/prêtresse vaudou, ça te pose un problème ?- Aucun, aucun, répondit le nain en jetant un regard méfiant à sa camarade. Celui qui a des problèmes, en ce moment, c’est plutôt Tyr’. Tu le ressuscites, alors ?- C’est pas si simple. Il me faut un poulet, une bougie et un éventail d’ivoire.- Où tu veux qu’on trouve tout ça ? C’est le bled, ici.- Il y avait des vaches, il doit bien y avoir une ferme.- On peut toujours aller voir, mais même si on trouve le poulet et les bougies, ça m’étonnerait que les bouseux du coin s’éventent a l’ivoire, surtout que les Éléphants sont plutôt rares dans les parages.- Ca on pourra le trouver dans le donjon, c’est un objet de collection assez couru par les gardiens de fin de niveau qui s’intéressent à l’art.- Et si le gardien de notre donjon ne s’intéresse pas à l’art, qu’est ce qu’on fait de Tyr’ ?- On le laisse aux fourmis et aux asticots, ils ne demandent qu’à s’occuper de lui.- Charmant… Et pour le moment, qu’est ce qu’on fait du cadavre ?- Si tu veux le porter te gêne pas, pour ma part je tiens à mes lombaires.- Bon, ben on va le laisser là alors…     Les cinq compagnons se remirent donc en route, espérant trouver au fond de la clairière une hypothétique ferme dans laquelle ils se procureraient les ingrédients nécessaires à la résurrection du lourdaud qui venait de se faire bêtement occire par le concours de la cruauté d’un monstre assoiffé de sang et l’incompétence d’une demi-elfe peu calée en médecine. Ceci dit j’ai complètement oublié de vous parler du terrible secret de notre ami nain, et voici déjà la fin du chapitre. Ca presse pas, remettons ça a plus tard si vous le voulez bien. 
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