Thibre Modran se retourna quand le sergent fit son apparition dans le dortoir. La dizaine de nains présents se levèrent d’un bond et se mirent au garde à vous.
La voix grave du sergent résonna dans la petite salle, soulevant des grimaces de la part de plusieurs nains dont Thibre. Ce dernier avait le crâne en feu, il n’aurait pas du continuer de boire passé le quatrième tonneau, au moins il ne se serait pas senti viser par le sermon du sergent.
« _ Vous n’avez pas honte, bande de gnomes glabres, cria le sergent. Même une bande de troll puant n’aurait pas fait autant de dégâts. Grimlorg n’a pas besoin de vous...
Thibre chercha Thybalt Roquefer du regard, le grand nain à la barbe blonde et aux yeux verts portaient encore les marques du désastre.
_ Mablung.
_ Oui sergent, répondit son second en s’avançant.
_ Dresse moi la liste des coupables et qu’ils viennent dans mon bureau, conclu t’il en criant. Et dépêchez vous.
_ A vos ordres. »
Mablung attendit que la porte se soit refermée avant de se retourner et de regarder les nains d’un air narquois. Thibre sourit en voyant les hématomes sur la figure de ce dernier, il prit presque autant de plaisir à les contempler qu’à les lui faire. Mablung intercepta son regard, et parut sur le point de se jeter sur lui. Il y eut de l’agitation dans les rangs, et Mablung se ressaisit aussitôt. Sa voix fluette s’éleva quand il donna la liste des noms. Thibre, Thybalt et quelques autres sortirent de la pièce pour aller voir le sergent accompagné d’un Mablung rayonnant d’une joie mauvaise à l’idée de les voir se prendre un savon, les autres retournèrent se coucher maugréant contre le sergent et les fautifs.
A plusieurs milliers de kilomètre de la, Bertem et Aladir qui venaient de se lever allèrent relever les deux elfes qui avaient été de garde durant la nuit. La fatigue et le stress se lisaient sur leurs visages. Ils avaient passé les deux dernières semaines à attendre que l’ennemi ne se montre à nouveau mais rien ne s’était passé. Cette attente avait rongé les nerfs des défenseurs car comme ils n’avaient aucune nouvelle de Thérans et des deux messagers qu’ils avaient envoyés, ils commençaient à s’imaginer le pire. La semaine qui commençait, s’annonçait comme dure car ni Aladir, ni Bertem n’avaient d’idées pour remonter le moral de leurs hommes. De plus ils commençaient aussi à se laisser gagner par le découragement.
Deux ou trois heures plus tard, deux elfes vinrent les remplacer. Ils profitèrent de cette pause pour aller se restaurer, dans l’ancienne auberge de Lakzlo. Lorsqu’ils eurent presque finis leurs repas, ils entendirent les deux gardes crier leurs noms. Bertem lâcha son assiette et courut épée au clair jusqu’aux portes de la ville rejoindre les deux guerriers, pendant qu’Aladir se précipita à l’étage pour rassembler tous les autres elfes. Bertem ne fut pas surpris de voir des étendards orques et gobelins apparaître à la lisière de la forêt, mais de la présence de Ladiba, un des pisteurs du général Amde.
« _ Nous devons tenir le plus longtemps possible Bertem, dit-il à peine descendu de cheval, il y a une plus d’un millier de monstres qui s’approchent de Lakzlo et le général veut que nous lui fassions gagner un peu de temps avant l’assaut de Thérans.
_ Quoi ? Bertem s’étrangla presque en parlant tant il était choqué par cet ordre.
_ Pas de temps à perdre, prononça Ladiba, fortifions nous.
Alors qu’il allait entraîner Bertem et les deux elfes à l’intérieur, Bertem le stoppa et attendit qu’Aladir et les autres arrivent.
_ Maintenant vous êtes tous au courant de l’ordre d’Amde. Je ne vous demande pas de le suivre. Que ceux d’entre vous qui pensent que c’est de la folie s’en aille. »
Aucun des elfes présents ne réagis à cette déclaration. Sur leurs visages on ne pouvait lire que la résignation et la peur. Ils regardèrent les silhouettes massives des orques sortir du sous-bois peu de temps après. Cette vision les motiva comme jamais et ils fermèrent ce qui restait des portes de la ville avant de chercher un moyen de défense efficace et pas trop fatiguant.
Thibre jeta un regard à Thybalt, ce dernier lui fit comprendre qu’il n’en pouvait plus même s’ils avaient bientôt fini, cela faisait quand même plus de deux heures qu’ils nettoyaient le hall principal. Thibre donna un grand coup de pied dans une chaise proche. Le bois explosa devant la rage du nain. Tout ça pour avoir démolit une taverne, l’adjoint du sergent et une dizaine d’autres nains. Si l’on avait plus le droit de s’amuser. De plus Mablung n’arrêtait pas de leur donner des ordres, Thibre brûlait d’envie de se jeter sur lui et de le massacrer une deuxième fois.
Bertem regarda en direction de la porte. Il l’a vit trembler sous les coups du bélier rudimentaire que les orques venaient de construire. Il rigola intérieurement du manque de connaissance militaire de ces monstres, comment pouvaient t’ils venir envahir une ville sans même un bélier ? Son questionnement prit fin lorsqu’il répara le signal d’Aladir. Il était en place avec ses hommes. Le premier coup serait pour les elfes, c’était déjà ça. Comme les craquements venant de la porte devenaient de plus en plus inquiétants, Bertem dégaina son épée et intima à Ladiba et à ses hommes de saisir leurs arcs. Alors que les secondes passèrent la tension monta d’un cran chez les elfes gris. Bertem passa en revue ses hommes et vit que plusieurs d’entre eux avaient le visage déformé par la peur, ils savaient qu’ils ne verraient sans doute pas le jour se lever et cela les effrayaient. Lorsque la porte céda sous les assauts répétés, tous les elfes sursautèrent, leur volonté manquant de disparaître.
Un flot de peaux vertes se déversa dans les rues. Aladir attendit que la moitié des monstres fut passé avant d’entamer les hostilités. Des toits des maisons environnantes, ses hommes déversèrent de l’huile. Bertem, Ladiba et les siens profitèrent de la surprise pour passer à l’action et ils envoyèrent une pluie de flèches enflammées sur les monstres. La surprise et la douleur apparurent sur les visages des monstres entrain de brûler vif. Un orque réussit à passer et se jeta sur Bertem, suivit peu de temps après par d’autres. Bertem fut plus rapide que son adversaire, et il le transperça. Il eut à peine le temps d’enlever son épée qu’un autre monstre était sur lui. Il para de justesse un violent de coup de hache, et se retrouva au sol. Du pied il projeta de la poussière au visage de son adversaire, il profita du répit pour se relever et estourbir l’orque. Tout autour de lui les elfes se battaient et bien qu’Aladir et ses hommes les aient rejoint, ils se faisaient repousser petit à petit. Bertem jura, pour chaque monstre abattu, deux en prenaient la place.
Mablung regarda les nains finir le travail avant de leur donner du repos. Il fut heureux de voir Thibre furieux et serra les poings espérant se retrouver seul avec lui un moment. Les nains commencèrent à quitter la salle, aucun d’entre eux ne regarda Mablung en passant à côté de lui sauf Thibre qui le dévisagea un grand sourire aux lèvres. Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase pour Mablung et il projeta son poing à la figure du nain. Thibre surprit perdit l’équilibre et vit Mablung lui bondir dessus. Il roula sur lui-même, évitant du coup la charge de l’adjoint. Il se releva rapidement et répondit au coup de Mablung. Il reprit très vite le dessus car il était beaucoup plus costaud que son adversaire. Son poing s’écrasa sur le nez du nain qui éclata, projetant du sang sur sa tunique. Mablung partit en arrière, sonné par le coup. Thibre voulut profiter de ce passage à vide pour le mettre à terre, mais un poing ganté s’abattit sur lui. Thibre tomba à genoux la respiration coupée. Il chercha qui l’avait frappé et vit que c’était le sergent. Ce dernier regarda son adjoint avant de donner un violent coup de pied dans la mâchoire. Thibre sombra dans l’inconscience.
A l’autre bout du monde, Bertem para un coup de sabre avant de riposter. Il ouvrit la gorge de son adversaire de part et d’autre. Le sang gicla sur l’armure de l’elfe. Bertem regarda rapidement autour de lui et vit que les elfes avaient formés un dernier carré. Il chargea les monstres lui bloquant le passage, les écartant comme des fétus de paille avant de rejoindre les siens. Il comprit que la bataille n’allait plus durer longtemps car la plupart des elfes étaient blessés. Même Aladir n’était pas indemne, il avait un œil en moins à cause d’une lame qui avait éclaté. Les éclats lui avaient lacéré le coté droit du visage. Ladiba voulut montrer l’exemple en chargeant les monstres, mais une lance lui transperça la poitrine. Il tomba à genoux, son adversaire voulut lui donner le coup de grâce mais Bertem réussit à le prendre de vitesse. Il allongea Ladiba au sol, ce dernier réussit à articuler un désolé pour l’ordre avant de mourir dans les bras de Bertem. Ce dernier lui ferma les yeux et se releva, des flammes dansant devant ses yeux. Il allait se jeter sur les monstres mais Aladir le retint par le bras. Cet instant de déconcentration lui fut fatal. A cause de son champ de vision réduit il ne vit pas venir un coup de hache. Il s’écroula sur le sol, le corps presque en deux morceaux. Bertem en eut les larmes aux yeux. Il réintégra le carré et entonna un champ funéraire. Les elfes survivant le reprirent en cœur et se préparèrent à mourir.
Thybalt donna une grande claque à Thibre, ce dernier grogna et ouvrit les yeux. Il essaya de parler mais une douleur vivace lui traversa la mâchoire. Thybalt le releva et l’emmena au dortoir. Le temps que Thybalt n’arrive au dortoir, Thibre s’était à nouveau évanouit, la douleur devait être trop intense pensa t’il. Thybalt espéra que Thibre pourrait reparler rapidement car il aurait besoin de son aide pour les patrouilles qu’ils allaient bientôt faire.
Bertem recula pour éviter un coup, et son épaule percuta un mur. Il regarda les cadavres de ses hommes et jura, mourir ici, alors que la guerre débutait à peine. Il leva son épée et poussa un cri de rage, il allait venger leurs morts. Son assaut surpris les monstres qui ne surent pas comment réagir. Bertem en profita et son épée fendit l’air, envoyant plusieurs monstres rejoindre leurs ancêtres. Alors que les monstres s’écartèrent de devant lui, il reçu un coup sur le crâne. Il s’écroula sur le sol et entendit les hurlements de victoire des peaux vertes. Avant de sombrer dans l’inconscience il sentit qu’on le soulevait de terre.