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“Sploutch, sploutch.”

L’une après l’autre, elle soulève ses bottes dans un bruit de succion. Depuis des semaines il pleut sur ces plaines détrempées, cela semble des mois. Écartant de son visage ses longs cheveux sombres plaqués sur sa tête par la pluie, elle peste contre son couvre-chef récemment acquis. Voile de la nuit lui donne un super bonus aux dégâts, mais finalement, elle préfèrerait un chaperon doublé et chaud, qui la protègerait mieux des intempéries. Heureusement, elle devrait bientôt être arrivée à la Tour Sombre, le repaire du Mal. Aucune garantie quant à l’état de la toiture, il parait que c’est plus une ruine qu’une tour, mais ce sera toujours mieux que cette humide désolation.

L’idée de se trouver enfin un abri lui redonne des forces. Tout en marchant d’un bon pas, ses pensées dérivent vers Samantha, sa petite chatte noire qu’elle n’a pas revue depuis quelques jours. La dernière fois, elle s’en rappelle bien, elle l’a aperçue juste après avoir abattu une énorme goule, qui lui a donné pas mal de fil à retordre. La créature se déplaçait à toute vitesse, et avait trouvé le moyen d’esquiver toutes ses boules de feu. Il lui avait fallu épuiser toute son énergie en sorts de zone pour en venir à bout. Cela dit, ça en valait largement la peine, puisqu’elle avait pu récupérer sur le cadavre ses merveilleuses nouvelles bottes presque neuves, Chemin des sables,  ainsi que les gants Poing de mage qu’elle convoitait ardemment. Samantha avait reniflé la charogne avec méfiance, avant de disparaître dans un fourré. Ses petites absences ne sont pas inhabituelles, loin de là. La chatte disparaît parfois une semaine entière, mais elle revient toujours.

Comparés à ladite goule, les zombies, c’est de la rigolade. Elle en a croisé un grand nombre depuis son départ du campement d’Akara. Pas vraiment menaçants, ils se balancent lentement d’un pied sur l’autre comme les troncs d’une forêt moribonde animés par le vent, en poussant des râles qui ressemblent assez au grincement d’un vieux toit. Akara lui a demandé de purifier la lande de ces cadavres en décomposition. On peut se demander pourquoi, tant ils sont en accord avec le paysage et la météo. Elle leur lance des traits de foudre sans même y penser, ajoutant parfois un petit coup de bâton pour faire bonne mesure. Dire qu’ils parviennent à se faire découper en deux par son bâton, c’est incroyable. Comment ces pourritures ambulantes peuvent-elles encore tenir debout ? Cependant, le plus curieux est peut-être qu’elle découvre régulièrement des pièces d’or sur leurs dépouilles. Ils les cachent sûrement parmi les lambeaux de leur abdomen, ou entre deux vertèbres.

 

La tour est enfin en vue… du moins ce qu’il en reste : un amas de grosses pierres émoussées, émergeant paresseusement du brouillard perpétuel qui règne sur la région. Au milieu de l’éboulis, la sorcière repère quelques marches, le haut d’un escalier qui s’enfonce sous terre vers les étages inférieurs de la tour. S’agissant du seul chemin visible, il reste peu de doute sur ce qu’on attend d’elle. Un frisson la parcourt alors qu’elle scrute les profondeurs obscures. Allumant d’une pensée son bâton, elle descend prudemment les marches glissantes.

Elle atteint rapidement un palier, et une autre volée de marches, qui la conduisent dans un couloir bas de plafond, baigné d’une lumière bleue diffuse. Elle laisse dans son sillage une traînée de flaques d’eau en forme de pas, qui se découpent plus sombres sur la couche de poussière. La tour ne semble pas accueillir beaucoup de visiteurs. Le halo lumineux provient d’une pièce à sa droite, accompagné d’un bourdonnement sourd. Elle reconnaît immédiatement de la magie, c’est certain, mais de quel genre ? La couleur évoque le froid et la glace, mais elle sent une énergie bien différente, puissante et ancienne. Poussée par la curiosité, elle approche sans trop s’en rendre compte du pas de la porte, avant de s’arrêter net, interdite.

Un anneau, une onde. Une toile stellaire, vibrante, tendue sur une arche de pierre. Elle n’a jamais rien vu de tel. Elle tourne autour, fascinée, découvrant ici et là des symbole ésotériques. Elle en déchiffre certains, le temps... L’univers. Immobile. Le mouvement. D’autres lui sont inconnus. Difficile de donner un sens à cet assemblage de concepts abstraits. Le dernier ressemble à une falaise, ou une faille. Eh bien, tout un programme !

“Hé, salut, Sam !”

Un petit bout de museau et le coin d’un œil sont apparus dans l’encoignure de la porte. Rien de tel qu’une magie puissante pour attirer les chats. Peut-être que la perspective de rester au sec pendant quelques heures a pu jouer aussi. Après s’être copieusement ébrouée, la chatte s’approche lentement de l’artefact magique. Les vibrations énergétiques semblent la perturber, et ses poils se dressent un peu plus haut à chaque pas.

“Je ne crois pas que…”

Elle n’a pas le temps de finir sa phrase que la boule de poils s’est élancée, droit dans la singularité. Saisie d’effroi, sa maîtresse n’ose plus cligner des yeux, s’attendant à une explosion, une fin du monde, quelque chose. Mais il ne semble rien se passer. La surface vibre, rayonne de pouvoir, et en y regardant de plus près, elle se demande s’il n’y a pas des formes de l’autre côté, comme dans un mauvais miroir. Sont-ce des démons ? Dans ce cas, pourrait-il s’agir d’un portail vers le plan des Enfers, demeure du Seigneur de la Terreur, là où convergent les destinées de tous les héros ?

“Ma foi, on verra bien”, dit-elle en lançant une armure de glace sur elle-même.

Franchissant à son tour le portail, elle ferme les yeux. C’est un petit pas pour une sorcière, mais on ne sait jamais où les petits pas peuvent nous mener.

 

 

*     *

  *

 

 

Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas l’antre de Diablo.

Regardant autour d’elle, la sorcière se demande où elle a atterri. Elle se trouve sur un chemin bordé de végétation, sans trace de Samantha. La cambrousse, ça, elle connait, mais pas mal de détails clochent, à commencer par la quantité impressionnante d’arbres en fleurs. Faisant quelques pas alentour, elle n’entend que des chants d’oiseau et le froufroutement d’un ruisseau derrière une haie. S’agit-il d’une ferme, d’un jardin privé ? A première vue, cet endroit ne semble aucunement souillé par le Mal. L’image du Seigneur de la Terreur se promenant parmi les jardinets la fait pouffer de rire.

Elle se reprend tout à coup en entendant des bruits de pas. Sur le qui-vive, elle prépare son sort d’orbe de glace, persuadée de l’arrivée de démons. Enfin, un peu d’action !

Mais les êtres qui avancent sur le sentier semblent d’allure humaine. Pas bien grands et plutôt menus, ils ont une tête bizarre, certes, mais ne sont nullement atteints de pourriture généralisée ou de démonisme.

En guise de salut, elle brandit son bâton Oculus devant elle, hésitant quant à la conduite à suivre. Un paysan armé d’une brouette s’approche d’elle, lentement. Armé n’est peut-être pas le bon terme. Il semble transporter des choux. C’est peut-être une ruse ! En plus il a les yeux tout plissés, c’est louche.

Un autre “démon” arrive, de l’autre côté de la route. Celui-ci porte un costume bariolé et une sorte de coiffe pas du tout pratique, avec des fanfreluches qui pendouillent. Il marche à petits pas, sans doute à cause de la longue jupe qui restreint ses mouvements. Mais qu’est-ce que c’est que cet accoutrement ? Impossible pour lui de se battre en tout cas, c’est toujours ça de gagné.

Poursuivant leur chemin sans hâte, ils la regardent du coin de l’œil, seule concession de leur retenue naturelle à la curiosité. Elle n’a jamais vu des gens aussi peu menaçants. “Ni@#*!”, dit le charretier dans une langue incompréhensible sans lever les yeux de la route. L’autre empoudré fait mine de la snober, et attend de l’avoir complètement dépassée pour lui lancer un dédaigneux “£{ §µ¤ de où|²#an”.

“Ton chapeau il est moche !” adresse-t-elle à son dos qui s’éloigne, sans provoquer la moindre réaction.

Elle n’a pas vraiment le temps de se poser plus de questions que le défilé continue, avec un groupe d’enfants chargés de hauts paniers, avançant à la file indienne et au pas de course. Moins taciturnes que leurs aînés, ils bavardent gaiement entre eux dans leur langue pleine de sons bizarres, de raclements et de diphtongues prolongées. Certains lui font de grands sourires et des clins d’œil. Grâce à eux elle se sent un peu plus bienvenue, dans ce pays étrange aux arbres et à l’activité florissante. Vu le trafic, elle doit être dans une sorte de cité, dont les bâtiments lui sont pour l’heure masqués par les arbres. Il est grand temps d’explorer un peu.

 

Plusieurs heures plus tard, elle s’arrête à l’ombre d’une haute bâtisse pour reprendre son souffle. Elle commence à avoir sérieusement mal aux pieds, à force de marcher sur des pavés.

Cet endroit est incroyable. Les rues tracées au cordeau sillonnent la ville en tous sens, bordées de statues et de parcs. Elles fourmillent littéralement de piétons, plus ou moins grommelants et affairés. Elle a traversé des quartiers résidentiels somptueux, à l’architecture exotique, chaque demeure  décorée jusqu’aux tuiles. Également des quartiers d’affaires, comportant nombre de bâtiments imposants. Au détour d’une ruelle, elle a découvert une place de marché emplie d’odeurs appétissantes. Les étals regorgeaient d’épices, de riches soieries, ainsi que de petites figurines en pierre verte. Elle a même pu se payer un plat de soupe alliant différentes variétés de légumes non identifiés. Le vendeur regardait bizarrement la monnaie qu’elle lui tendait, fort heureusement ici comme ailleurs les pièces d’or restent des pièces d’or.

Et puis il y a les vergers immenses, les curieux animaux colorés qui flottent au-dessus des jardins au gré du vent, les élégants palais dressés vers le ciel, les temples dédiés à tout un tas de divinités différentes, les cortèges de musiciens et de jongleurs ambulants qui animent les rues… Elle ne s’habitue toujours pas aux traits des gens qu’elle rencontre : ils ont tous les cheveux noirs comme l’aile du corbeau, le nez écrasé, les yeux plissés comme s’ils étaient tout le temps en train de regarder le soleil. Peut-être pas des démons à proprement parler, mais ils ne semblent pas tout à fait humains non plus. Et ils sont tous tellement occupés !

En voilà une autre qui n’a pas l’air nette. C’est une femme cette fois, petite, voûtée, qui désigne en gesticulant l’amulette du Soleil levant que la sorcière porte toujours autour du cou. Son regard franc a quelque chose de lumineux, presque mystique. Peut-être est-elle initiée aux arcanes de la magie de feu ? Difficile de lui poser la question par signes. La vieille dame a l’air surexcitée, elle pousse des petits cris joyeux, avant de s’agenouiller devant elle en prière.

“Oh, ce n’est pas nécessaire !” lui dit-elle, gênée, avant de se rappeler qu’elles ne parlent pas la même langue. La femme marmonne des imprécations pendant un long moment, le front au sol, pendant que la sorcière la contemple, très embarrassée, priant pour que personne ne les rejoigne. Elle se relève finalement, tout sourire, avant de tourner les talons. Drôle de rencontre, qui la laisse un peu hébétée. Après quelques instants, un sourire lui monte aux lèvres alors qu’elle hoche les épaules : ce n’est quand même pas tous les jours qu’on se fait révérer ! Elle cache néanmoins l’amulette sous son armure de vipère, avant de chercher un endroit abrité pour faire la sieste.

Ce n’est pas les arbres qui manquent dans le coin. Son choix se porte sur un petit parc comportant une jolie cabane ouverte sur les côtés, en bois laqué. Par prudence, elle lance un enchantement sur sa ceinture Arachnide qui devrait la réveiller dès que quelqu’un arrive dans les cent mètres. Autant éviter les mauvaises surprises.

Distant des rues environnantes, le parc est aussi paisible que désert à cette heure de la journée. Le vent tiède porte des senteurs tantôt florales ou épicées. Les milliers de bruits de la cité se joignent pour former une mélopée qui l’enveloppe et la berce.

 

C’est l’alarme de sa ceinture qui la tire de son assoupissement. Le son familier résonne dans sa tête, audible pour elle seule. Elle retient une grimace en tentant de se rappeler pourquoi elle a choisi la mélodie ridicule de “elle est chouette la petite démonette” comme alerte. Ça devait être le dernier soir de beuverie au campement d’Akara. Il faut dire que les rogues font une gnôle vachement sympa, qu’elles appellent le tord-boyaux du bois sombre. Elles ont aussi un jeu : celles qui n’ont pas tué leur quota de zombies journalier paient leur tournée, et il y en avait quelques-unes ce soir-là. C’est regrettable, mais bon, on peut toujours réparer les dégâts. La sorcière feuillette quelques instants son grimoire avant de tomber sur le sort de changement d’alarme de proximité : “§èl€ Rdeµ$eùr èw@yé” dit-elle lentement, déchiffrant avec difficulté les caractères magiques entre les taches de gnôle. Voilà, l’ode à la brume mystique de Zombach, ça sera mieux pour se réveiller.

Bon, c’est pas tout ça mais il parait que quelqu’un approche. Au loin ne voyant rien venir, elle se retourne pour trouver Samantha couchée contre elle, scrutant un bouquet d’arbres : elle a sûrement senti quelque chose. En effet à ce moment, un tourbillon de lumière se matérialise devant leurs yeux, qui laisse bientôt apparaître un personnage de haute stature, vêtu d’un costume rouge et jaune. Il porte un arc et un carquois dans le dos, ce qui ne manque pas d’inquiéter la sorcière. Par précaution, elle place son bâton devant elle. Interprétant mal son geste, l’homme prend un air farouche et brandit alors son arc, flèche encochée.

Ni une ni deux, la sorcière de guerre ne réfléchit même plus : lorsque sa vie est menacée, les longues années d’entraînement à l’école de sorcellerie reprennent le dessus. Elle envoie immédiatement une boule de feu réflexe, et commence à incanter un météore. Après avoir survécu à son apprentissage, une seule ligne de conduite est restée gravée en elle dans ce genre de cas : un ennemi carbonisé est un bon ennemi.

Pourtant, point de méchoui cette fois-ci : l’homme semble s’évanouir dans l’air au moment où la boule de feu arrive sur lui. Etait-ce un sorcier comme elle ? La question restera sans réponse, et une odeur de fumée lui suggère qu’elle ne le reverra plus. Le projectile enflammé a atterri dans l’herbe sèche, qui s’embrase immédiatement.  Il aurait peut-être été de bon ton d’utiliser un autre élément que le feu, dans cet environnement qui manifestement est beaucoup moins humide que les landes désolées... La chute du météore, qu’elle a laissé partir “au cas où” alors qu’il n’y avait déjà plus trace de son attaquant, finit d’embraser les arbres. Ha, un coup brutal ! De grands cris comment à s’élever, ainsi que le martèlement furieux d’un gong. Des villageois aux cents coups accourent, certains portant de lourds pots d’eau. Les flammes commencent à lécher le kiosque ainsi qu’un petit temple attenant : la cité est en feu !

Cela semble être un bon moment pour essayer ce nouveau sort de téléportation. Elle n’avait pas encore eu l’occasion de tester ses limites : ça marche bien sur quelques dizaines de mètres, mais que se passe-t-il si elle demande un déplacement à l’autre bout du monde ? Voyant de la fumée de plus en plus noire s’élever des toits des habitations, elle ressent un besoin impérieux de répondre à cette question sans plus attendre. Canalisant son énergie magique dans ses anneaux Étoile naine et Feu follet, elle initie la décharge de pouvoir la plus violente qu’elle ait jamais tenté. Avec un peu de chance, cela devrait la porter loin de ces terres inflammables. Une pensée pour Sam la traverse, puis elle sent une déflagration dans l’air, alors que l’obscurité l’enveloppe.

 

 

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“Bonjour, et bienvenue au centre d'enrichissement assisté par ordinateur d'Aperture Science.”

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Portrait de Vuld Edone
Vuld Edone a répondu au sujet : #21585 il y a 6 ans 1 mois
Oh eh,
Attention : Spoiler !
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J'ajoute ça à mon indécente liste de choses à faire en retard.