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Artie : C’est l’un de ces moments, où votre vie change de cap ; mais on ne s’en rend pas compte tout de suite, bien sûr, ce n’est que bien après, en regardant en arrière, que l’on parvient à distinguer le point où s’est infléchi le sillage.

 Higuain : J’ai rencontré Artie dans un train, à l’époque où mes recherches m’emmenaient à en prendre souvent. C’était un gentil garçon, et nous avons eu une discussion plaisante, et puis je n’y ai plus pensé.

 Artie : Higuain était plus mince à l’époque, ou moins voûté, ou bien une combinaison des deux. Sa barbe était déjà blanche, mais plus courte. Il avait l’air d’un savant, avec ses grosses lunettes carrées ; mais même sans ça je lui aurais parlé de mes travaux, à l’époque c’était tout ce dont je savais parler, vraiment, c’était comme si un amas microstructural s’était hissé au centre de mon existence et en avait organisé tous les aspects en orbites successives.

 Higuain : Je me souviens qu’il a mentionné une petite amie ; et aussi, qu’il a dit quelque chose sur des forêts de dislocations.

 Artie : De mon mieux, je lui ai décrit le merveilleux paysage de l’infiniment petit : les lacunes qui transitent dans la matière par un réseau de sources et de puits ; les dislocations, qui s’assemblent en forêts et provoquent parfois des avalanches… Je ne crois pas l’avoir beaucoup impressionné, malgré tout. Je lui ai aussi montré une photo de Nadia, ma petite amie de l’époque.

 Diogo : C’est Higuain qui m’a recommandé Artie. J’ai toujours besoin d’assistants à l’atelier, vous savez ? Je leur confie les tâches les plus simples, ce qui me laisse plus de temps pour mes propres investigations, lesquelles, je dois bien le dire, sont hors de portée pour un étudiant. Si je me souviens bien, ils avaient fait connaissance dans un train, et puis, ils s’étaient perdus de vue quelque temps. Ils venaient juste de reprendre contact, et Artie, qui était nouveau en ville, cherchait du travail.

 Higuain : Ce que vous devez savoir, à propos d’Artie, c’est qu’il n’a pas le sens de l’orientation. Mais alors, pas du tout !

 Artie : Je n’ai pas le sens de l’orientation. En fait, c’est pire que ça… Quelque fois, je fais des sortes de crises d’angoisse, et je ne sais plus du tout où je suis. Mais, plutôt que de m’arrêter et de réfléchir un moment pour me rappeler mon chemin, ou même, pour demander de l’aide à quelqu’un, je me mets à avancer, droit devant moi ! A chaque intersection, je prends à droite, ou à gauche, certain de reconnaître tel ou tel bâtiment… Mais plus le temps passe, plus je suis perdu.

 Nadia : Artie, c’est un idiot. Pas méchant, mais… Plein de bizarreries. C’est le genre de garçon qui va dire à la fille qui lui plait qu’il ne la mérite pas, qu’elle est trop bien pour lui, vous voyez ce que je veux dire ? Ce que je me demande, c’est pourquoi nous les filles on ne prend jamais ce genre de discours au pied de la lettre.

 Diogo : Un cas étrange, non ? Mais, après tout, nous avons tous nos lubies, n’est-ce pas…. Il m’a raconté que certaines fois il avait marché plusieurs jours d’affilée, complètement à la dérive ; jusqu’à tomber d’épuisement.

 Higuain : Je lui ai laissé mes coordonnées, même si je n’en escomptais pas grand-chose. Il m’a salué, toujours poliment, et je l’ai vu descendre à son arrêt. C’était en septembre ; dehors, il pleuvait, ou il faisait gris, je ne sais plus.

 Guy : Je connais bien M… J’y ai vécu quelque temps. C’était après la séparation de Nutcracker. J’avais quelques amis qui vivaient là et ils ont proposé de m’héberger. J’ai voulu me lancer dans le hip-hop mais je ne valais pas un clou. En tout cas, c’est une sacrée grande ville, M… On croit en être arrivé au bout et un autre quartier pousse là, après le précédent, sans prévenir. Ça a dû être quelque chose, pour Artie, quand il en est sorti. Je n’ai pas voulu le croire la première fois qu’il me la raconté.

 Artie : Je me rappelle très bien de mon périple hors de M… C’est juste que même comme ça, je n’arrive pas à y trouver le moindre sens. Je suis sorti de la gare côté Est, et non pas côté Sud, où m’attendait mon bus ; et après… Je savais que je devais descendre un grand escalier, alors, faute d’escalier, j’ai suivi le boulevard qui menait au bord de mer. J’ai commencé à comprendre que quelque chose clochait quand je me suis retrouvé à arpenter une série de rues de plus en plus étroites, c’était clair que mon bus ne passerait jamais par là. Mais j’ai quand même pensé qu’il valait mieux continuer, et qu’une fois arrivé à la mer je saurais me réorienter.

 Guy : En contrebas de la gare, c’est le port industriel. Même maintenant, c’est le genre d’endroit où les touristes ne s’attardent pas. Alors, à l’époque…

 Artie : Le plus incroyable, c’est qu’il était presque impossible d’atteindre la mer. Je suis arrivé à un talus qui surplombait une voie rapide, et pendant un moment j’ai suivi le terre-plein grillagé qui la longeait. L’air était mouillé et sentait l’asphalte… J’ai fini par trouver un passage souterrain qui descendait sous la route. En bas il y avait une odeur d’ammoniaque, franchement désagréable. Les murs étaient couverts d’une vieille mosaïque dont le motif était depuis longtemps indéchiffrable, trop de carreaux étaient manquants et les autres étaient jaunis et graisseux. Il y avait quelqu’un qui dormait sous des cartons, homme ou femme, je n’ai pas su dire, et j’ai pensé qu’il valait mieux continuer mon chemin. C’est dur, vous ne trouvez pas ? Il y a tant de gens dans le besoin, et l’entraide que l’on peut apporter paraît toujours si aléatoirement prodiguée.

 Higuain : Je m’intéressais beaucoup aux cartes, à l’époque. Je crois même pouvoir dire qu’elles constituaient le point central de mes recherches. J’en avais moi-même une en ma possession, dont je voulais faire attester l’authenticité, et c’était d’ailleurs précisément la raison de mon voyage. Mais plus généralement, je consacrais une large part de mon temps à l’étude de cartes de toutes sortes, cartes de lieux réels ou imaginaires.

 Artie : De l’autre côté c’était pire, toujours pas de mer en vue, pour tout dire il faisait tout noir, au-dessus de ma tête le tablier du pont vrombissait au passage des voitures et faisait pleuvoir une suie graisseuse qui recouvrait tout… Mais je me rends compte que je vous embête à vous raconter tout ça, vous n’avez pas envie d’entendre ce genre de choses, je vais tâcher d’aller plus vite… J’ai pris à droite en suivant le tracé de la route au-dessus de moi et j’ai marché un long moment. Il faisait si noir que quand j’ai enfin rencontré quelqu’un ce n’est qu’en lui rentrant dedans que je me suis rendu compte de sa présence. Nous n’avons pas échangé de paroles mais il a dû comprendre que j’avais faim à force de marcher, alors, comme il n’avait rien à manger, nous avons partagé sa bière en silence. Dans l’obscurité je pouvais voir le blanc de ses yeux qui roulaient dans leurs orbites. Pour le remercier, je lui ai laissé le balluchon d’habits que je portais avec moi, de toute façon j’en avais assez de le porter. J’ai juste gardé mon baladeur, et, avec un vieil enregistrement d’un concert de The Dadaïsts aux oreilles, je me suis remis en route.

 Nadia : Je vous ai parlé de ses goûts musicaux ? En dehors de son boulot, c’est la seule chose qui l’intéressait. Toujours à vouloir me faire écouter le dernier groupe Norvégien ou Moldave qu’il avait découvert… Alors que bon, pour moi, qui n’écoutais que du trip hop à l’époque, tous ces trucs hard rock étaient complètement interchangeables.

 Higuain : Bien entendu, en matière de fiction j’étais dès à l’époque bien conscient qu’il ne fallait pas se méprendre sur la fonction principale des cartes, c’est-à-dire, précisément l’inverse de celle qu’on leur attribue généralement : loin d’être destinées à fournir au lecteur les repères nécessaires pour qu’il se situe, elles visent par une accumulation de détails à faire céder la barrière de son incrédulité, de sorte qu’il consente à s’y perdre.

 Artie : Je ne sais pas combien de temps ça a pu durer… A un moment, un groupe de jeunes m’a poursuivi, ce qu’ils voulaient c’était mon blouson, mais je crois que si je les avais laissés faire ils ne se seraient pas arrêtés là, alors je me suis mis à courir. Ils n’avaient pas envie de se lancer à mes trousses, pas vraiment, et je n’ai pas eu de mal à les distancer ; mais quand j’ai eu fini de les semer pour de bon, j’étais encore plus perdu qu’auparavant. Sans que je ne m’en rende compte la voie rapide avait obliqué et moi j’étais passé de son pied à ceux de barres d’immeubles mal éclairées.

 Higuain : J’étais aussi parvenu à la conclusion qu’une application trop mécanique de ce principe pouvait dans certains cas conduire à un maillage trop régulier d’indications, étiré sur une surface trop grande ; et qui, comme la confiture proverbiale, ne parvient pas à masquer son caractère superficiel. C’est donc dans l’équilibre subtil d’une alternance de zones laissées blanches et d’autres fourmillant d’annotations en pattes de mouches que se tresse le berceau où l’imagination du lecteur pourra se nicher et croitre… Ce qui m’amène à la question qui m’animait en premier lieu à l’époque : comment concilier cette fascination pour les cartes, largement documentée par ailleurs, avec la figure non moins populaire du chevalier errant, dont les récits abondent ?

 Artie : Tout se ressemblait, et j’ai tourné en rond un moment. Les constellations auprès desquelles j’essayais de me repérer étaient les fenêtres allumées des tours et elles changeaient sans cesse. Il y avait quelqu’un assis dans un pliant près d’une entrée, j’ai bien dû y passer devant trois ou quatre fois, mais, quand je me suis décidé à lui demander mon chemin, j’ai entendu les grognements du chien à ses pieds et j’ai préféré tracer.

 Higuain : Cette notion d’errance m’apparaît parfois comme consubstantielle de l’axiome défendu par une minorité, selon lequel il n’existe pas de carte pour l’imagination. A mois que le vagabondage du héros ne soit qu’une manifestation de sa psyché instable, de son incapacité à nouer des liens durables avec autrui, dissimulée sous ses atours bienveillants ?

 Artie : Quand même, la ville a fini par desserrer son étreinte, un doigt à la fois. Les tours se sont mises à dériver les unes par rapport aux autres comme des icebergs en perdition, ouvrant des chenaux où, bon ! Je pouvais me glisser. Dans tous les interstices il y avait des broussailles qui s’accrochaient, et j’ai fini par atteindre une pinède malingre qui subsistait entre les îlots de béton. Il faisait noir et je me suis pris les pieds quelques fois dans des racines ; je crois que j’étais bien soulagé de m’être tiré de ce mauvais pas, même si je ne savais pas encore où j’allais déboucher.

 Higuain : La solution la plus élégante à ce problème qui m’ait été donnée d’entendre est celle qui consiste à considérer que c’est la caractéristique essentielle du héros que de nier l’existence des cartes ; que c’est seulement en se refusant l’accès à ce puits de connaissance par ailleurs ouvert à tous qu’il transforme son voyage en odyssée. La carte, connue du seul lecteur, devient alors l’œilleton par lequel il assiste au spectacle impudique de l’abandon total du protagoniste à sa destinée.

 Artie : La vue s’est ouverte, tout d’un coup. Et quelle vue ! Je me suis frotté les yeux quelques fois, je voulais être sûr que ce que je voyais était bien réel, et n’allait pas se dérober sous mes pieds au moment où je m’y avancerais. Sur la gauche, la mer était comme une vasque, toute noire, à la surface de laquelle les rayons de lune faisaient des entrechats. C’était une grosse lune, bien jaune comme un fruit bien mûr ; elle devait avoir cette nuit-là un sourire de réconfort pour chaque oisillon comme moi perdu loin de son nid. Devant moi, la route suivait une pente douce vers ce qui ressemblait à un village de pêcheurs, plongé en plein songe en cette heure tardive. Les rues étaient désertes, et leur tracé batailleur se découpait dans le noir, à la lueur orangée des lampadaires. C’était seulement vers le port qu’il y avait un peu d’activité ; enfin, on voyait au moins une voiture longer de temps à autre les quais. Je me suis demandé si c’était toujours la même qui passait et repassait encore, peut-être que tous ceux qui étaient dehors à pareille heure étaient aussi perdus que moi. Mais ce qui frappait l’attention avec le plus de force se trouvait au-delà, à flanc d’une colline au pied de laquelle serpentait la voie de chemin de fer par où j’avais dû arriver en ville quelques heures plus tôt. C’était une raffinerie, qu’on avait bâtie là pour profiter de la proximité de la mer. Je n’y avais pas prêté grande attention de jour, mais, de nuit, le spectacle qu’elle offrait était tel qu’il était presque impossible d’en détourner les yeux. Il y avait des citernes, de toutes tailles et de toutes formes, certaines ogivales et dressées vers le ciel comme des flèches de cathédrale, d’autre râblées ou même aplaties comme des soucoupes. Sur chacune était peinte une série de chiffres et de lettres destinées à l’identifier, et chacune était épaulée par une échelle ou une rampe qui lui barrait le flanc. Si j’arrivais à voir tous ces détails de nuit, et même à cette distance, c’est que l’installation était équipée d’un système d’éclairage composé de dizaines, non, de centaines de spots lumineux qui en peuplaient chaque recoin comme des nuées de vers luisants. Leur concentration augmentait encore au niveau de quelques points qui devaient revêtir une importance spécifique parmi la forêt de tuyaux qui quadrillait le site, certains descendant par paliers d’une cuve à la suivante, d’autres procédant par virages serrés qui vous mettaient au défi de suivre leur tracé, d’autre encore, disparaissant dans le sol avant d’en resurgir un peu plus loin, mais même là, les lueurs restaient disjointes et brossaient de la scène une ébauche impressionniste. Un peu à l’écart, une série de cheminées massées les unes contre les autres comme des orgues étaient enveloppées de rubans de fumée jaunes et orangés qui serpentaient à leurs pieds, pareils à des cerbères. C’était difficile de croire qu’il pouvait y avoir âme qui vive dans cette usine, on aurait plutôt dit une coulée brûlante jaillie de la terre elle-même, et accompagnée avec ça de son chœur d’esprits gémissants. Mais c’était aussi très beau, d’une certaine façon, enfin, peut-être pas vraiment beau, mais fascinant, et je suis resté un long moment sans rien faire d’autre que d’admirer le spectacle. Dans mes oreilles, The Dadaïsts déversaient le crescendo vrombissant de leur morceau « Karl Marx Serenade » : le feu roulant de la batterie, les nappes de guitares distordues, le phrasé martelé du chanteur… Tout cela s’accordait parfaitement à cette vision baroque dont je faisais l’expérience.

 Guy : The Dadaïsts, quel groupe ! On a fait leur première partie une fois, dans leur ville natale. C’était vraiment quelque chose… Enfin, jusqu’à ce que la police arrive, et mette fin au concert.

 Higuain : C’est une fois le décor dressé que le drame peut se jouer. Le Héros, perdu au milieu de nulle part, au seuil d’un danger mortel dont il ne soupçonne même pas la présence… C’est bien entendu un schéma très classique, que l’on retrouve sous diverses déclinaisons dans de nombreuses œuvres.

 Diogo : Malheureusement, Higuain est prompt à s’abandonner à des élans empathiques lorsqu’il évoque ses recherches, et il semble même qu’il les considère comme une étape nécessaire dans le cheminement de sa compréhension. Pour ma part, je pense que c’est à cause de cette faiblesse qu’il ne pourra atteindre son Shambala personnel, si vous me suivez. Je préfère m’en tenir à une analyse rigoureuse des faits pour ce qui est de mes propres travaux, et cela m’a toujours bien servi.

 Artie : Tout ça pour dire, la suite, c’est que j’ai suivi la route qui descendait jusqu’au port, mais de cette partie-là je ne me souviens plus très bien, je crois que je n’étais plus tout à fait moi-même alors… Une fois sur place, je suis monté sur un des bateaux et je me suis allongé dans les plis d’un grand filet de pêche. Pour ce qui est de l’odeur, je dois bien dire, ça ne sentait pas très bon ; et puis, il ne faisait pas très chaud ; Mais je me suis dit qu’au moins là-dessous personne ne viendrait me déranger, en tout cas, c’est la conclusion à laquelle a dû parvenir la dernière parcelle de mon esprit qui fonctionnait encore à ce moment-là, car ensuite je me suis endormi bien vite.

 Nadia : Quand même, il pouvait être craquant aussi, si vulnérable et si… candide ? Il y avait toujours ces moments où je ne voulais qu’une chose, c’était le prendre dans les bras et le consoler, et peu importe les grands principes ou ce que je pouvais en penser par ailleurs. C’est l’instinct maternel qui se ligue contre nous, en fin de compte ! Mêmes nos hormones nous trahissent, on n’y peut rien.

 Diogo : La vérité, je vais vous la dire. Nous ne sommes que des particules infinitésimales, propulsées par des forces qui dépassent notre entendement. L’errance, ça n’a rien à voir avec l’aventure : c’est le mouvement Brownien qui se perpétue, toujours identique à lui-même.

 Higuain : Bien sûr, si vous avez parlé à Diogo, vous avez dû vous rendre compte de la façon qu’il a de me dépeindre en romantique, en naïf ; et quant à lui, il ne manque pas de se présenter sous le jour flatteur d’un esprit cartésien, épris de rigueur et de travail. Mais ne vous y laissez pas prendre : ces forces, dont il parle comme s’il espérait en se consacrant à leur étude y puiser la matière d’un nouveau principe thermodynamique, la dévotion qu’elles lui inspirent évoque bien plutôt la posture courbée d’un adepte de l’Horreur Cosmique faisant aveu de son insignifiance, et se complaisant de fait dans une forme de fatalisme cynique. Que voulez-vous ? Nous avons eu cette querelle bien des fois par le passé, sans que cela n’entame en rien notre bonne entente.

 

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Artie : L’aube blanchissait la mer à mon réveil. Et oui, la mer ! Le bateau avait pris le large pendant que je dormais, avec moi à son bord.

 Gretchen : Je connais bien les pêcheurs de la baie. Nous n’avons pas toujours été d’accord, par le passé : beaucoup ne parviennent pas à comprendre que le poisson qu’ils épargnent aujourd’hui les fera vivre demain, et certains se fichent carrément des dégâts qu’occasionnent leurs filets en ratissant les fonds marins. Mais ils aiment sincèrement la mer, à leur façon.

 Artie : Il m’a fallu quelques minutes pour me dégager de sous le filet où j’avais trouvé refuge, et pour que mes yeux s’habituent au flot de lumière qui se déversait depuis l’horizon. A l’arrière, le moteur était plongé dans un demi-sommeil crachotant, et rependait dans l’air des effluves de mazout qui se mêlaient agréablement à d’autres parfums, rouille, vernis, iode, pour ne citer que ceux-là, qui circulaient d’un bord à l’autre sur les ailes d’une brise légère.

 Gretchen : Comme tous les membres de la communauté, les pêcheurs ont eu à pâtir de la proximité des industriels, plus d’une fois ils ont dû suspendre leur activité à cause de rejets de polluants en excès. Cela a créé une forme de solidarité entre nous, et, parfois, une certaine méfiance envers les étrangers.

 Artie : A part moi à bord il n’y avait que le capitaine du bateau, et quand il m’a vu émergeant de son filet il s’est figé complètement, peut-être qu’il me prenait pour une sorte d’ondine ou quelque chose, allez savoir ? J’ai essayé d’engager la conversation, de lui expliquer ce qui s’était passé mais il n’a pas réagi. Il était jeune, enfin, pas beaucoup plus vieux que moi je pense, mais ses traits creusés par l’air marin et le soleil affichaient une expression que je n’arrivais pas à déchiffrer. Pour finir il s’est enfermé dans sa cabine, et juste après j’ai senti que nous changions de cap. Il n’y avait pas grand-chose que je pouvais faire, alors, je me suis accoudé au bastingage, et j’ai profité de la balade.

  Guy : Je me souviens bien de ce jour-là. Je me suis levé tôt, pour faire ma tournée. A cette époque, je livrais mes empanadas à une quinzaine de points chauds et de sandwicheries de la région. Vers midi, j’ai avalé un casse-croute. Comme il faisait beau, je me suis allongé dans l’herbe pour faire une sieste. Mais ça n’a pas duré : à mon réveil, j’étais transi de froid. Une mauvaise brume s’était levée de la mer et j’ai eu un drôle de pressentiment… Comme si un coup tordu se préparait.

 Artie : Nous avons fini par arriver en vue de la lagune. La matinée était déjà bien avancée, et j’avais très faim. Le capitaine est sorti de sa cabine, enfin, et je m’attendais à tout sauf à ce qui s’est produit ensuite : il brandissait un sabre, non, plutôt une machette, qu’il pointait dans ma direction. De son autre main il a désigné le plat-bord et j’ai compris à sa tête que ça ne valait pas la peine de discuter, j’avais déjà tenté ma chance de ce côté-là, sans succès. Je me suis hissé dessus, avec des gestes aussi lents que possible, je ne voulais rien faire qu’il puisse prendre comme une provocation. Tout juste ai-je osé un regard en bas, pas de requins en vue, c’est bien tout ce qui manquait à la scène en définitive. Il n’avait toujours pas dit un mot, et quand au dernier moment je lui ai demandé son nom, pas que ça me soit d’une grande utilité vues les circonstances, mais disons, par civilité, il a fait un geste menaçant avec son arme et je me suis jeté à l’eau, sans un regard en arrière.

 Gretchen : L’écosystème de la baie abrite une variété d’espèces inouïe, dont les riverains ont à peine conscience pour la plupart d’entre eux. En plus des sandres et des bénitiers, il y a des bancs entiers de barracudas, et même une variété endémique de murène.

 Artie : Je n’étais qu’à quelques centaines de mètres du rivage, mais l’eau était froide et la houle jouait contre moi, me repoussant vers le large. J’avais l’estomac vide, et très vite je me suis senti à bout de forces. C’est l’une de ces fois où ça ne s’est pas joué à grand-chose, je crois bien. J’ai vu une tour au loin, peut-être un phare ; je pourrais jurer qu’il y avait aussi une silhouette accoudée à un balcon, qui semblait me faire signe, et je me suis remis à nager avec plus d’énergie. Autour de moi un bouillonnement qui n’était pas dû aux seuls courant agitait la surface, je distinguais tout juste les formes qui s’ébrouaient en-dessous, des formes élastiques aux froids reflets de métal, étaient-elles là pour me porter secours ou pour m’attirer vers le fond, je ne me suis pas attardé pour le savoir.

 Guy : Un phare ? Oui, j’ai déjà entendu Artie raconter son histoire… Mais, ça ne tient pas debout. Il doit bien y avoir soixante-dix ou quatre-vingt kilomètres du phare de l’île Brune à l’endroit où je l’ai trouvé, tremblant de boue et grelottant. Et il n’y en a pas d’autre dans la région… La seule tour qu’il y ait dans le coin, c’est le grenier à foin de la manade Ramiro. Mais, il n’est pas si grand que ça, et puis il est trop enfoncé dans les terres pour qu’on puisse le voir de la côte.

 Artie : Avec un dernier effort, j’ai fini par atteindre la plage. Je ne sais pas combien de temps ça a pu prendre. J’aurais sans doute dû me reposer un peu, et j’en avais bien besoin après tout, mais j’étais si content d’avoir rejoint la terre ferme que je me suis remis en route tout de suite, ça, ou la peur d’être grignoté par les crabes si je m’allongeais sur le sable. Au milieu du bois flotté j’ai trouvé un bâton qui m’a paru convenir, et je m’en suis servi ensuite pour tâter le terrain devant moi. C’est-à-dire : la zone où j’avais débarqué s’est révélée être une vraie tourbière au-dessus de laquelle un épais brouillard stationnait, attendant du vent marin qu’il lui donne un cap à suivre… Alors, bien sûr ! Malgré mes précautions, je suis tombé quelques fois, si bien que si vous m’aviez croisé vous m’auriez pris sûrement pour une créature des marais moi aussi, crottée et nauséabonde, et vous auriez tourné les talons.

 Gretchen : Lorsque Guy est venu ce jour-là, j’ai reconnu le bruit de sa camionnette avant de la voir remonter l’allée. Je ne savais pas qu’il allait venir, et lui non plus, sans doute ; et encore moins accompagné. C’est bien Guy, ça – le Saint Bernard des salins ! Ca a toujours été comme ça avec lui, des mois passent sans qu’on ait de ses nouvelles, et puis il réapparait sans s’annoncer, plongé dans les histoires les plus invraisemblables.

 Guy : Je ne vois pas ce que j’aurais pu faire d’autre. Je ne connais pas les gens du coin, pas très bien en tout cas. Gretchen, elle, on peut lui faire confiance, et c’est chez elle que je suis allé.

 Gretchen : Guy connait tout le monde dans la région. Je veux dire, c’est un peu notre célébrité locale ! Ceux à qui il n’a pas rendu service une fois ou autre se comptent sur les doigts d’une main, et si vous étiez nouveau dans les parages il ne lui faudrait sans doute pas plus de deux ou trois coups de fil pour trouver quelqu’un prêt à vous héberger sur son canapé. Si c’est à moi qu’il a pensé ce jour-là, c’est sans doute son côté sentimental.

 Artie : Plus je marchais, et moins j’avais l’impression d’avancer. Le terrain, parfaitement plat, se répétait tel qu’en lui-même selon un nombre réduit de déclinaisons dont les nuances subtiles me devinrent vite familières : broussailles, roseaux, mares, et ainsi de suite. C’était tout à fait comme si j’avais été projeté dans le plan de son motif élémentaire représentatif, pour en arpenter le contour périodique sans jamais y trouver de fin. A un moment j’ai vu un taureau dans un pré, je me suis approché pour voir mais il n’y avait personne, alors j’ai repris mon chemin, abandonnant là le seul jalon qui témoignait de ma progression.

 Guy : Artie marchait le long de la route du littoral quand je l’ai trouvé. Ce n’était même pas vraiment le fruit du hasard : j’avais ce mauvais pressentiment et pour tirer les choses au clair j’avais décidé de sillonner les environs tout l’après-midi, au cas où.

 Gretchen : Guy a ouvert la porte arrière du fourgon et quand j’ai vu cet escogriffe qui en sortait, pouilleux et famélique, ma première réaction a été de me demander où il avait bien pu trouver un spécimen aussi misérable. Il avait l’air hébété et ne répondait pas à nos questions, alors j’ai pensé qu’il ne parlait pas notre langue, que c’était peut-être un migrant ou quelque chose comme ça. On aurait vraiment dit qu’il était dehors depuis des semaines.

 Artie : Le ciel était tout noir au-dessus de ma tête, et je ne saurais pas dire quelle heure il pouvait bien être quand j’ai fini par arriver à la route. J’ai repris confiance, en me disant qu’à partir de là les choses ne pouvaient que s’améliorer. J’ai tenu mon bâton à la verticale, et puis je l’ai lâché pour voir de quel côté il retombait, et c’est comme ça que j’ai choisi la direction à prendre. Pas que ça ait changé grand-chose, d’ailleurs.

 Guy : J’aurais aussi bien pu l’écraser, en fait. Je l’ai dépassé alors qu'il longeait le bas-côté. En l’apercevant, j’ai su que mon intuition ne m’avait pas trompé. C’était assez évident à le voir qu’il avait besoin d’aide et je me suis arrêté pour savoir à qui j’avais affaire.

 Artie : Je n’ai pas entendu la camionnette approcher. J’étais trop fatigué, peut-être, pour y prêter attention ; ou alors c’était la faute de mes écouteurs, je les portais toujours même si le baladeur quant à lui ne fonctionnait plus depuis son séjour dans l’eau, et le son qu’ils émettaient évoquait le ressac, comme ces coquillages au fond desquels on entend le chant de la mer. Peut-être les courants s’étaient-ils imprimés sur les bandes magnétiques ?

 Guy : Je suis sorti du fourgon. J’avais laissé les phares allumés pour y voir quelque chose car le jour tombait rapidement. Je me suis approché, mais lentement, et en prenant soin de maintenir une distance raisonnable entre nous. On ne sait jamais, après tout.

 Artie : Avec la lumière des phares qui m’aveuglait, je n’ai pas reconnu Guy quand il s’est avancé vers moi. Et même sans ça, je n’aurais sans doute pas réalisé qui se trouvait là, juste en face de moi ! Je veux dire, comment imaginer que j’allais tomber comme ça, dans un coin perdu de marécage, sur Guy Malluco, le fameux guitariste/chanteur de Nutcracker ? L’inventeur de la Danse de la Mort ? Même maintenant, en y repensant, j’ai du mal à y croire…

  Guy : Je me suis demandé s’il n’était pas un peu simplet au départ. Ou peut-être drogué. La façon qu’il avait de répondre à mes questions, Je peux vous aider, Oui, Vous êtes perdu, Je crois, Vous voulez que je vous dépose quelque part, Où ça, Ca, c’est ce que je vous demande, Oh, Vous habitez dans le coin, Peut-être, non, enfin, je ne crois pas, Une connaissance à vous alors, Non plus… Il n’y avait rien de plus à en tirer, et j’ai été bien soulagé quand il a accepté de monter dans le fourgon.

 Gretchen : Sale comme il était, il ne sentait pas mauvais, au contraire ; il dégageait une odeur de cannelle et de sirop, comme un bonhomme en pain d’épice qu’on aurait trempé dans de la mélasse. Nous l’avons enroulé dans une couverture avant de le faire entrer dans le petit salon. Je lui ai servi un grand bol de thé au lotus, et Guy a sorti de sa camionnette quelques empanadas. On espérait que ça le remonterait un peu, et qu’il finirait par sortir de son hébétude.

 Artie : A l’arrière du fourgon il n’y avait pas de siège, et je me suis assis sur une cagette retournée. J’ai replié mes jambes, genoux sous le menton, il fallait bien ça pour s’accommoder du manque de place. Tout autour de moi il y avait des caisses empilées les unes sur les autres et qui étaient remplies de pâtisseries et à chaque nid de poule un nuage de sucre s’élevait dans l’air avant de retomber sur moi en pluie fine.

 Guy : Gretchen et moi avons discuté un peu à part et elle a accepté de le loger quelques jours. Quand il a eu fini de manger, nous l’avons fait monter à la salle de bain à l’étage, pour qu’il prenne une douche. Gretchen lui a mis de vieux habits de Marlon de côté, et puis elle est retournée s’occuper du bébé.

 Artie : Il y avait dans la maison une odeur de naphtaline qui flottait, et aussi de vieux feu de bois. Je m’y suis tout de suite senti à l’aise.

  Gretchen : Je suis remontée un peu plus tard. Artie était propre et il avait enfilé de vieilles frusques de Marlon : un tee-shirt, des blue-jeans, une paire de tennis… Les pantalons lui arrivaient à mi-mollet mais même attifé comme un épouvantail, j’ai été surprise de le trouver beau garçon. Quand il m’a vue avec le bébé, il a eu l’air complétement désemparé, mais ça n’a duré qu’un instant, juste après son visage s’est éclairé et je me suis dit : c’est bon, ça va aller. Je lui ai demandé s’il avait besoin de quelque chose et il a dit qu’il voulait juste se reposer. On lui a installé la chauffeuse dans la chambre du petit et moins de cinq minutes plus tard il dormait à poings fermés.

 Guy : Marlon était absent, je crois qu’il accompagnait les Midjets en tournée. Je ne pensais pas qu’il y avait de risque mais j’ai quand même proposé à Gretchen de rester là pour la nuit.

 Gretchen : Quel équipage on faisait ! Moi dans le grand lit avec Milo, Guy sur le sofa, et Artie dans la chambre de bébé.

 Guy : Dehors, le bref crépuscule d’octobre a cédé à la nuit et j’ai tâché de m’endormir moi aussi, sans trop repenser à cette étrange journée. Enfin de compte, il n’y avait vraiment pas de raison de s’en faire : en tout, Artie a dormi pas loin de soixante-douze heures d’affilée.

 Gretchen : Et à son réveil, il se portait comme un charme.

 

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Artie : Les premiers jours chez Gretchen ont été… Frénétiques !

 Gretchen : Au début, je me suis demandé s’il n’en faisait pas trop, peut-être pour se faire pardonner la façon dont il avait débarqué dans nos vies, ou pour nous décourager de lui poser des questions sur ce qui l’avait amené là.

 Guy : Je me sentais un peu coupable de l’avoir imposé à Gretchen, surtout que Marlon n’était pas là. Je n’étais pas sûr de pouvoir lui faire confiance. En le prenant avec moi, je me suis dit que je pourrais le garder à l’œil et me faire mon idée sur lui.

 Gretchen : Il prenait une douche et un café en vitesse, avant de sortir dans le petit jour que Guy passe le prendre…

 Artie : … Je m’en souviens très bien, de me familiariser avec cette grande maison en arpentant ses pièces encore plongées dans un épais sommeil…

 Guy : … On faisait ensemble la route qui mène de Ici à Là, radio à fond, fenêtres grandes ouvertes...

 Artie : … L’air sentait le genêt et l’eucalyptus, et, à d’autres endroits, la vase des marécages…

 Guy : … Après avoir fini d’empaqueter la fournée du jour, à l’atelier, on chargeait la fourgonnette et on se remettait route…

 Artie : … Le jour se levait alors par degrés successifs sur les lagunes et c’était tout un spectacle, ou quelque fois non, les bancs de brumes s’attardaient jusqu’à midi, mais pendant qu’on livrait Guy se faisait plus loquace, comme si quelque chose dans son horloge interne se mettait en branle à ce moment-là…

 Guy : … J’ai essayé d’en apprendre plus sur lui, mais le plus souvent on se retrouvait à parler musique. Encore que, et j’ai tout de suite mis ça à son crédit, il ne m’ait jamais posé de question sur l’époque où je jouais dans Nutcracker…

 Artie : … Pas que l’envie m’en ait manqué, loin de là !

 Marko : Nutcracker est le genre de groupe autours desquels il y a plein d’histoires qui circulent. C’est ce genre de groupe là. Et bien sûr, c’est impossible de démêler le vrai du faux, pour qui n’a pas vécu ça de l’intérieur. Tenez : si j’en crois tous les gens qui m’ont dit un jour ou l’autre les avoir vu jouer, il y aurait de quoi remplir des stades entiers ! Alors que leur plus gros concert, c’était devant quoi, deux cents personnes au maximum ?

 Gretchen : Il réapparaissait en début d’après-midi, quelquefois il prenait son dessert en arrivant…

 Artie : … Mais avant que je continue, il faut que je vous parle de la maison, je veux dire, de celle de Gretchen et Marlon ! J’ai vécu dans beaucoup d’autres endroits par la suite, mais aucune ne m’a fait une telle impression. Vous devez vous imaginer, tout d’abord, ce n’était pas une maison à l’origine, c’était une petite gare désaffectée qu’ils avaient décidé d’investir, je n’ai jamais eu le fin mot de l’histoire s’ils en avaient vraiment eu l’autorisation, mais peu importe. La salle principale, celle qui avait dû être autrefois le hall des voyageurs, ils l’avaient réaménagée en grand salon qui servait aussi quelque fois de lieu d’exposition pour certains de leurs amis artistes. S’y côtoyaient une collection de marimbas, de vieux flyers, une série de peintures style art brut où des silhouettes de fil de fer se débattaient au milieu d’explosions de gouache multicolore, des rayonnages de livres et de vinyles tous d’occasion, d’épais tapis jetés les uns par-dessus les autres, des poufs, une pile de fanzines dont le prix était indiqué dans une monnaie n’ayant plus cours et dont les pages jaunies étaient cassantes comme des hosties, et puis, car avec tout ça il restait encore de la place, un parc pour le petit, des hochets, une collection de puzzles auxquels manquaient pour la plupart une pièce au moins, des petites voitures en métal… Suspendue au mur comme une arme antique, portant les stigmates des batailles passées, mais – à ce que m’a dit Marlon bien plus tard – toujours accordée malgré tout, je l’ai vue là, la fameuse basse avec son smiley. Je dois dire que je suis souvent resté de longs moments à l’admirer, toutes les fois où j’avais l’impression que personne ne prêtait attention à moi.

 Marko : Ce que je peux vous dire par contre, c’est que leurs concerts étaient aussi fous que ce que les gens le racontent. Oh, bien sûr, ils ne mangeaient pas de chauves-souris vivantes sur scène comme j’ai pu l’entendre parfois… Peut-être que vous avez vu cette photo de Marlon, balançant sa basse au-dessus de sa tête, comme si c’était une hache ou un gourdin ? Il y avait quelque chose de primitif et de si intense quand ils jouaient, on avait l’impression que n’importe quoi pouvait arriver comme ça, sans prévenir. Le plus souvent, ils finissaient par démolir leurs instruments, et après, il leur fallait des semaines pour réunir assez d’argent pour les faire réparer… Pas facile de mener une carrière conventionnelle dans ces conditions !

 Artie : Ils avaient fait construire un grand âtre au centre de la pièce, et la chaleur du feu se répandait jusqu’aux deux chambres, la leur et celle du bébé, en mezzanine. Il fallait bien ça car un des murs était percé de deux grandes arches qui avaient dû à une époque permettre aux voyageurs de transiter vers et depuis le quai, et le système de porte coulissante qui y avait été installé après coup ne permettait pas de retenir convenablement la chaleur. De l’autre côté, les guichets et les bureaux avaient laissé la place au petit salon par lequel j’avais été introduit, à la cuisine, et, à l’étage, à la salle de bain ainsi qu’à une grande pièce qui servait tout à la fois de remise, de salle de jeux, et de local répétition pour les groupes de passage.

 Gretchen : Marlon et moi aimons avoir des invités à la maison. Nous ne manquons pas de place ! Ces dernières années, nous avons vu passer de toutes sortes : musiciens ou artistes, mais aussi simples visiteurs de passage et pauvres gens pris au piège de la précarité. Et nous veillons à demander à chacun de laisser derrière lui quelque chose qui témoigne de son passage, n’importe quoi vraiment, pour nous aider à nous souvenir de lui.

 Guy : Le plan de travail de leur cuisine, c’est moi qui leur ai trouvé. Un jour que j’étais chez un de mes clients, il m’a dit qu’il voulait s’en débarrasser, alors nous l’avons chargé dans ma fourgonnette, et voilà. Bien sûr, ensuite il a encore fallu le couper aux bonnes dimensions, le poncer et le repeindre, mais je suis plutôt fier du résultat final.

 Ivy : J’étais avec un type qui me cognait à l’époque, et ils m’ont hébergée pour me tenir à l’abri et me permettre de retrouver mes marques. Au final, je suis restée toute une saison chez eux et, pour les remercier, j’ai montré à Gretchen comment faire un petit jardin aromatique à côté de la maison.

 Ellis : Je leur ai laissé un manifeste situationniste mais quand j’y suis retourné, c’était deux ou trois ans plus tard, je l’ai retrouvé aux WC sous une pile de mots croisés. Au début, j’ai trouvé ça inapproprié bien sûr, mais en y réfléchissant bien, je me suis dit que si certains proposaient de commencer la révolution depuis la chambre à coucher, peut-être que ça pouvait aussi fonctionner depuis les toilettes.

 Cookie : Ce fichu potager… J’y ai passé tellement de temps à bêcher et bêcher encore que mes mains se sont couvertes d’ampoules. Le soir, je ne pouvais même plus tenir ma guitare à la fin.

 Marin : Dans le petit salon il y a une affiche que j’ai faite. On y voit Gretchen avec ses nattes et ses taches de rousseur. Elle est grande comme une montagne et coiffée d’un casque de Valkyrie, et commande au pays entier pendant que Marlon en dévale les pentes en skateboard.

 Marko : Avec Marlon, on a construit le skate-park sur une partie de l’ancien quai. Comme les plateformes de part et d’autre de la voie sont surélevées, on en a utilisé une portion pour faire un half-pipe. Et on a même enlevé deux tronçons du rail qu’on a suspendus au-dessus du vide pour s’en servir comme rampes. C’est plutôt extra, et on est souvent quelques-uns à s’y retrouver le week-end.

 Sonia : Il y a un verger d’amandiers derrière la voie de chemin de fer. Il a appartient à ma famille, mais nous les laissons l’exploiter. Les gens d’ici pensent que mon grand-père est un homme dur, sans cœur. Mais ce n’est pas vrai. Quand je lui ai demandé de leur laisser accès à ces terres parce que nous n’étions pas assez nombreux pour les cultiver, il a presque tout de suite accepté, sans attendre de remerciement en retour.

 Artie : Ce que j’ai laissé à cette maison… Je ne peux pas vous dire ce que j’y ai laissé, mais si un jour vous y allez vous aussi, je pense que vous verrez – vous verrez et vous comprendrez.

 Gretchen : L’après-midi, Artie me secondait dans mes activités journalières…

 Artie : … Gretchen est une vraie hyperactive, toujours occupée par monts et par vaux !

 Gretchen : … C’était l’époque de la récolte des dernières amandes, qu’il faut ensuite trier et écaler…

 Artie : … Elle m’envoyait aussi souvent dans le réduit derrière la maison, où Marlon et elle avaient installé un copieur dont ils se servaient pour faire des tirages de tracts qu’il fallait ensuite distribuer ou coller…

 Gretchen : … Au potager, il fallait préparer la terre pour les plants de radis, et repiquer les salades…

 Artie : « Tu n’es pas ce que tu possèdes ! » « Le Capitalisme a volé ma virginité » « Le système t’a abandonné / Ne t’abandonnes pas »…

 Gretchen : … En cuisine, c’était la préparation des purées pour le petit…

 Artie : … Il y avait toujours, comme qui dirait, un tas de casseroles sur le feu à la fois ! Pour les voisins, pour la maraude de la soupe populaire, c’étaient toujours d’énormes marmites qui glougloutaient sur les fourneaux…

 Gretchen : … Je me suis vite rendu compte qu’avoir Artie avec moi en cuisine était plus un embarras qu’autre chose, il restait là, bras ballants à attendre mes consignes, et, lorsqu’il s’empressait de les exécuter, sa joyeuse incompétence avait vite fait de reprendre le dessus. Du coup, je préférais largement lui confier Milo, ils se sont tout de suite bien entendu tous les deux.

 Artie : C’est tout à fait mon genre de zigue, Milo ! Une compote et un yaourt pour son goûter et vous l’avez rendu heureux. Et si vous le voyiez prendre ses inhalations, stoïque comme un petit soldat, vous en auriez le cœur tout gonflé de fierté vous aussi.

 Gretchen : Les médecins ont détecté son insuffisance respiratoire quand il avait huit mois. Il faisait tellement de bruit en respirant la nuit qu’on n’en arrivait plus à fermer l’œil avec Marlon. Nous avons dû en passer par beaucoup de moments difficiles, comme tant d’autres familles de la région qui ont été confrontées aux mêmes problèmes. C’était un vrai soulagement de voir qu’avec Artie au moins il acceptait de prendre son traitement sans trop se débattre ou hurler.

 Guy : Il y a eu des sit-in devant l’usine pour réclamer une enquête sanitaire. Des mères des environs, surtout, et un ou deux élus. Mais à chaque fois les résultats des expertises ont été mis au secret et les choses ont continué comme avant.

 Artie : C’est Guy qui m’a fait découvrir le Coin du Bois, et tous les gens qui gravitaient autour. Le soir il passait me prendre, et on allait voir un concert ensemble.

 Marko : Le Coin du Bois ! Le Coin du Bois !

 Marin : Le Coin du Bois, c’est un peu, disons, notre Taliesin du Vert Printemps à nous. Y gravitent en cercles informels les poètes, les troubadours et les vauriens de toute la région.

 Cookie : C’est une grange ! Une saleté de grange miteuse, qui tomberait en morceaux avec ça si on ne la retapait pas du sol au plafond chaque été. Ne croyez pas toutes les idioties que les zonards du coin vont vous raconter à son sujet.

 Guy : Effectivement, c’était une grange à l’origine. Par bien des côtés, c’en est encore une d’ailleurs. Elle est entièrement construite en bois, il n’y en a pas beaucoup comme ça dans la région.

 Marko : Elle était abandonnée depuis si longtemps que plus personne n’avait même idée de à qui elle avait pu appartenir. Quand j’étais môme on y allait pour s’y flanquer la frousse, du genre, se mettre au défi d’y passer une nuit entière tout seul. Et puis, il y a une dizaine d’années, elle a été réinvestie par quelques activistes du cru, qui l’ont réaménagée en salle de concerts associative. Vous ne serez pas surpris d’apprendre que Gretchen, Marlon et Guy en étaient, parmi d’autres.

 Artie : En passant pour la première fois sous la grande porte à linteau, je me souviens avoir été saisi par cette odeur de paille qui flottait dans l’air. Ce n’était pas ce à quoi je me serais attendu, bien sûr, mais je n’étais pas au bout de mes surprises ! Les rayons de la lune projetaient au travers d’une grande lucarne le spectacle en ombres portées des silhouettes des clients du bar, à l’étage, et à cette lumière bleutée répondait le rougeoiement d’un système de spots qui éclairait la petite scène qui occupait le mur du fond, en bas. Au rez-de-chaussée, il faisait sombre et de l’entrée où je me trouvais je distinguais à peine les musiciens qui ne ménageaient pourtant pas leurs efforts, et si j’ai reconnu HalfWhool Hill immédiatement c’est bien plutôt grâce aux accords familiers de leur chanson « Broken Ankle Blues » dont le déluge de décibels m’enveloppa dès mon arrivée. Le chanteur Marko, à quatre pattes, plongeait son micro dans la fosse pour permettre à chaque spectateur d’entonner le refrain à son tour, pendant qu’Erik, juché sur une enceinte, commandait avec sa guitare à une partie du public qui sautait et courait en cercles alternativement et soulevait des nuages de poussière. C’était là l’une des autres particularités de la salle, son sol en terre battue qui avait tôt fait de blanchir les habits d’abord, puis de coller aux peaux baignées de sueur, si bien que nous finissions tous par ressembler aux membres d’une tribu de sauvages peinturlurés et réunis pour quelque sabbat sacrilège, et ce nous-là m’inclut car il ne me fallut pas longtemps pour trouver à mon goût ces festivités et à m’y joindre de bon cœur.

 Guy : Je ne sais pas à quel genre de concerts Artie avait l’habitude d’assister avant de débarquer chez nous. En tout cas, il faut reconnaitre qu’il s’est plutôt bien acclimaté. Il avait cette drôle de danse syncopée, un peu raide, comme s’il donnait des coups de pieds et de poings dans le vide… Je me demande s’il se rendait compte de la façon dont les gens le regardaient, quand il faisait ça. On était tous un peu interloqués, moi compris. Et pourtant, tout le monde a fini par l’adopter. C’était comme si quelqu’un qui arrivant dans votre pays se mettait à apprendre votre langue. Même si après des années il conservait un drôle d’accent et quelques coutumes bizarres vous lui seriez reconnaissant de ses efforts.

 Artie : Sur scène, en plus du groupe il y avait des membres du public qui se hissaient depuis la fosse et y replongeaient aussitôt. A un moment la bousculade a pris de l’ampleur et un des amplis est tombé, il y a eu un larsen terrible et ça a interrompu le concert.

 Marko : Une soirée tout à fait ordinaire au Coin du Bois, en somme !

 Guy : En général, chaque soir il y a deux ou trois groupes qui jouent. Souvent des groupes locaux qui reviennent plusieurs fois dans la semaine. Et entre chaque set, un interlude.

 Marko : On a eu des jongleurs, des danseurs, des cracheurs de feu… Même un montreur d’ours une fois ! Mais il faut bien le dire, le plus souvent c’est juste Marin qui tourne les grandes pages de ses bandes dessinées en déclamant son texte, pendant que la sono diffuse un rythme de synthétiseur préenregistré. Il y a quand même un regain d’attention les soirs où Ivy vient interpréter quelques-uns de ses poèmes, en s’accompagnant de son tambourin… Je peux vous dire que certains des gars ne rateraient ça pour rien au monde !

 Marin : Il n’y a pas grand monde qui m’écoute, en général. C’est un peu décourageant. Ce serait sans doute plus facile pour moi de capter leur attention si j’avais un beau décolleté et de quoi le remplir.

 Ivy : Il vaut mieux laisser parler les imbéciles, pas vrai ? En moyenne, il doit y avoir trois ou quatre personnes dans la salle qui sont capables de s’intéresser vraiment à ce que je fais. Mais c’est toujours plus que dans les galeries d’art que je fréquentais auparavant.

 Cookie : Il n’y a qu’un seul mot qui rime avec « interlude », et c’est « bière » !

 Artie : A l’étage il y a un bar, auquel on accède par un escalier extérieur. C’est une plateforme en U dont l’ouverture au centre permet de voir la scène en dessous. L’ambiance qui y règne est très différente du rez-de-chaussée, plus interlope, si vous voulez. Il y fait si sombre que vous ne pouvez jamais être sûr de qui s’y trouve et de ce qui s’y passe exactement.

 Cookie : Ils servaient une bière pas mal à l’époque, mais plus maintenant. Là-haut il n’y a plus qu’une bande de vieux hippies qui se retrouvent ensemble pour s’asseoir en cercle et fumer le calumet de la paix.

 Marko : Il n’y a plus d’alcool en vente au Coin du Bois depuis la nuit ou Jaume Brillant s’est noyé dans le ruisseau qui coule juste à côté. Ca a provoqué pas mal de remous à l’époque, on a même pensé que la salle allait devoir fermer. Je n’ai jamais eu tous les détails de l’histoire, mais à ce qu’on raconte il était saoul comme une barrique et il s’est mis à poursuivre Ivy, et qu’elle venait de le laisser tomber. Elle n’en a jamais rien dit en tout cas.            

 Artie : En bas, les NoTalent venaient de commencer leur set, mais ils n’ont pas eu le temps de jouer plus de trois ou quatre morceaux, car les gardians sont arrivés.

 Marin : S’il y a dans la région un ordre établi, alors personne ne l’incarne mieux que les gardians de la manade Ramiro. Tels deux principes cosmiques antagonistes, il est donc inévitable que nos deux communautés ne s’affrontent continuellement.             

 Sonia : C’est João qui a insisté pour qu’on y aille, comme toujours. Je lui ai dit que notre grand-père serait furieux s’il y avait une bagarre, que nous n’avions rien à faire avec ces gens-là. Mais, c’est plus fort que lui.

 Artie : Une demi-douzaine de cavaliers venait de faire irruption dans la salle, ils allaient de droite et de gauche en repoussant la foule comme ils l’auraient fait de têtes de bétail. Ils soulevaient tant de poussière que les gens en bas suffoquaient, ils se sont mis à les huer et à leur crier d’arrêter leur manège. D’en haut, il était difficile de distinguer ce qui se passait au juste, mais j’ai quand même repéré celui qui semblait être le chef, et qui était accompagné d’une cavalière montée en croupe, sauter à terre pour défier la foule. Aussitôt un large cercle s’est formé autour de lui, il faut dire qu’il en imposait malgré son jeune âge avec sa mine sombre et son costume traditionnel, ample chemise blanche et foulard rouge, il aurait suffi qu’il touche au poignard passé à sa ceinture pour que la situation dégénère pour de bon. Pendant un instant, j’ai tout de même pensé que les choses allaient en rester là, j’ai échangé un regard avec Guy qui m’a fait signe de ne pas bouger, en fait c’est bien simple tout était immobile, jusqu’aux particules en suspension dans l’air... Jusqu’à ce que NoTalent ne se mette à entonner « The Vegetarian Fado ».

 Cookie : Si je me rappelle bien, j’ai dédié la chanson « à tous nos amis les baiseurs de bovins », pour être sûr qu’il n’y ait pas de malentendu.

 Artie : Les premiers coups ont volé presque aussitôt, il était difficile de dire qui avait le dessus ni même qui frappait qui et ça a bientôt été le chaos généralisé, sur scène Cookie hurlait dans son micro et ricanait, on aurait dit un commentateur sportif sous amphétamines, et pour autant que je pouvais en juger il avait l’air très heureux de la situation. J’ai juste eu le temps de me demander ce qu’était devenue la fille qui accompagnait les gardians au milieu de tout ça, tout de suite après Guy m’a attrapé par la manche et m’a entraîné dehors, par l’escalier extérieur d’où nous sommes revenus sur le parking. L’échauffourée n’a pas duré bien longtemps au final car au bout d’une minute ou deux la cavalcade a repris, j’ai vu le chef et sa compagne filer en trombe à quelques mètres de nous à peine. Ils étaient suivis de près par leurs compagnons qui lançaient des hourras en battant les flancs de leurs montures pour les exhorter à aller plus vite encore, mais l’un d’entre eux au moins était touché, il se tenait la tête d’où coulait un filet de sang, ça je n’en ai pas eu la certitude sur le moment mais seulement en revenant sur place le lendemain, lorsque j’ai vu les taches noires par terre qui formaient un pointillé jusqu’à la route.

 Marko : Quelques ecchymoses, un peu de matériel cassé, l’un dans l’autre ça s’est bien réglé cette fois-là. Il n’y a guère que le Puant, qui jouait de la batterie dans Notalent, qui ait laissé deux dents dans l’affaire, mais de l’avis général ça ne l’a pas rendu plus laid qu’auparavant.

 

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Artie : Ça a duré… Le temps que ça a duré !

 Gretchen : Ça a duré une quinzaine de jours, jusqu’à ce que Marlon rentre de sa tournée.

 Artie : Ce n’est pas qu’il m’ait mis dehors, hein ? Même si c’est l’impression que ça pouvait donner. C’est juste que Marlon a les deux pieds bien ancrés sur terre, ça a peut-être à voir avec son ancien rôle de bassiste, allez savoir, en tout cas il s’attend à ce qu’il en soit de même pour les autres. Nous avons eu une franche discussion et, vous savez, ce n’est pas facile de passer outre ses avis.

 Gretchen : Le lendemain de son arrivée à peine, Marlon a pris Artie à part et ils sont allés discuter dans le verger derrière la maison. Je désherbais dans le jardin aromatique, je ne pense pas entièrement pouvoir dire que ce n’était pas une excuse, et de temps à autres je jetais un œil dans leur direction. Je pouvais les voir de l’autre côté de la voie ferrée, assis sur deux souches à quelques mètres l’un de l’autre. Il faisait froid, et gris. Artie je ne pouvais pas voir son visage car il était caché par une branche, mais en voyant Marlon impassible face à lui j’ai compris avec un pincement au cœur qu’il allait partir, et même si le vent qui faisait voler les feuilles ne parvenait pas à porter leurs paroles jusqu’à moi.

 Guy : Ce que je n’ai pas réussi à faire en deux semaines, Marlon y est parvenu en deux jours.

 Gretchen : Le soir dans la chambre, j’ai demandé à Marlon de quoi ils avaient parlé, mais il n’a rien laissé filtrer. A compter de ce jour, Artie s’est fait plus distant, ce n’était plus la réserve aimable sur laquelle il était resté jusque-là, on le sentait préoccupé mais seul lui et Marlon savaient de quoi il retournait au juste. Il continuait de sortir le soir avec Guy mais dans la journée on ne le voyait presque plus, il passait des heures seul dans la remise en haut à taper sur la vieille machine à écrire et à rêvasser. Il n’y a qu’avec Milo qu’il semblait retrouver l’insouciance qui avait été la sienne les premiers temps. Et au bout de trois jours, il nous a annoncé qu’il partait s’installer en ville.

 Marin : J’ai rencontré Artie au Coin du Bois et on s’est vite rendu compte qu’on avait beaucoup de points communs, au-delà de nos goûts musicaux. On a tous les deux un bagage universitaire, ce qui fait de nous une sous-espèce iconoclaste au sein de la faune iconoclaste qui fréquente le Coin du Bois. Mais pour être honnête, ce n’est pas de ça dont on a parlé en premier ; ce qui nous a rapprochés au départ, ce qu’Artie aimait bien mes bandes dessinées, et qu’en tant qu’ancien collectionneur il partageait pas mal de mes références. C’est pour ça que quand il m’a dit qu’il se cherchait un point de chute, je lui ai tout de suite proposé d’aménager avec moi. La maison était bien assez grande et de toute façon ça faisait un moment que j’avais envie d’avoir un colocataire pour me tenir compagnie.

 Gretchen : J’étais, genre… Marin ? Vraiment ?

 Guy : J’étais un peu partagé par rapport à la décision d’Artie. Je trouvais ça bien qu’il parte de chez Gretchen. Pas parce que c’est moi qui l’y avais amené, ce n’était pas ça. Mais même s’il faisait beaucoup d’efforts pour s’intégrer et même si ça avait l’air de lui plaire, j’avais l’impression que c’était une forme de stagnation pour lui. Que son heure n’était pas venue de se poser, et qu’il avait encore du chemin à parcourir avant ça. D’un autre côté, je me disais… Marin ? Vraiment ?

 Marko : Marin fréquente la scène depuis un petit moment, mais il n’est pas très populaire pour autant. Il a un travail, vous savez ? Je veux dire, un travail de bureau. Dans l’informatique, quelque chose comme ça… Il a essayé de m’expliquer une fois, au Coin du Bois, mais pour ainsi dire je n’y ai rien compris. Et il gagne pas mal, en plus. C’est le genre de chose qui met les gens d’ici mal à l’aise.

 Marin : Quand on en vient à aborder certains sujets, il y a tout une frange de gens parmi ceux qui fréquentent le Coin du Bois qui peuvent se révéler obtus. Ca relève presque de la superstition, à ce niveau-là. Malheureusement, ça s’applique à tout ce qui concerne de l’emploi salarié conventionnel et, dans mon cas, ils n’arrivent pas à faire la différence entre ce que je fais et n’importe quel boulot de gratte-papier, ou même, ce qui est pire à leurs yeux, d’employé de banque.

 Marko : Quand il est arrivé dans la région, Marin s’est installé dans une grande villa qu’il a louée dans un des lotissements en périphérie de Pasalacqua.

 Marin : Tout, dans Pasalacqua, est périphérique. C’est comme un système solaire dont l’étoile se serait affaissée sur elle-même après s’être transformée en naine blanche, sans qu’aucune des planètes autour ne daigne interrompre son manège pour prendre note de ce changement. Il n’y a guère que les autochtones qui parlent de la « Vieille ville » pour désigner les deux rues plus commerçantes, au centre.

 Gretchen : Ce n’est pas un mauvais gamin, au fond, mais il est un peu « hors sol », d’une certaine façon. Il donne l’impression de se complaire dans un état de déconnexion par rapport à tous les aspects essentiels de l’existence. Il s’est installé dans la plus anonyme des banlieues…

 Marko : … Il passe son temps le nez plongé dans ses bédés ou devant son écran d’ordinateur…

 Ellis : … S’il ne peut décrire facilement son travail c’est parce qu’il appartient à la cohorte sans fin qui s’étire entre les chaînes de production et le consommateur, dans le seul but de pérenniser l’omniprésence du travail en tant que pierre angulaire de la société…

 Gretchen : … Mais ça pourrait aussi bien n’être qu’une phase pour lui, au fond je pense qu’il se cherche encore.

 Marin : Bien sûr, je n’attends pas des rouges du Coin du Bois qu’ils apprécient ce que je fais par ailleurs. Mais je peux compter sur d’autres soutiens…

 Diogo : De tous les étudiants que j’ai supervisés, Marin Vandest est l’un des rares qui ait fait preuve d’un authentique potentiel. Son désintérêt manifeste pour les considérations bassement matérielles de la vie quotidienne le destine naturellement aux plus hautes sphères de la pensée.

 Le Superviseur : Chez VIZION, nous avons à cœur de donner à nos collaborateurs l’opportunité de s’épanouir, et je peux vous confirmer que M. Vandest fait partie de nos éléments les plus prometteurs. Il a commencé tout en bas de l’échelle, mais, en moins de trois ans, il est parvenu à intégrer notre pôle de consultants R&D. C’est tout à fait remarquable.

 Marin : J’ai commencé chez VIZION à l’époque où j’étais encore étudiant. J’avais besoin d’argent, et j’ai pris ce poste à la centrale d’appel. Ce n’était pas trop mon truc au départ, d’écouter chaque jour quarante ou cinquante personnes me raconter l’une après l’autre leurs malheurs, et de leur répondre avec des répliques scriptées à l’avance. Pour être honnête, je peux vous dire que les premiers temps j’avais la boule au ventre en passant devant la file de box où une trentaine de collègues étaient déjà en poste, avant de prendre le mien. Inspirer bien fort, me couper du brouhaha, décrocher ce premier appel, prendre une voix de basse et murmurer, pour la première fois de la journée « Votre existence vient de prendre un tour meilleur, le professeur Zéphyr vous écoute »… Tout ça est vite devenu une sorte routine qui me permettait de me mettre en condition et de camper mon rôle de marabout avec le sérieux requis. J’ai vite compris que le truc, c’est que vous devez y croire, au moins un peu, pour que les gens y croient aussi. C’est comme ça que me suis pris au jeu petit à petit et j’ai commencé à prendre des notes sur chacune des personnes qui appelaient. Même si la plupart ne rappelaient jamais, ça me donnait l’impression, je ne sais pas, de me rapprocher d’une certaine forme de compréhension en quelque sorte.

 Le Superviseur : C’est à ce moment-là que nous avons commencé à le suivre avec plus d’intérêt. Malheureusement, trop peu de nos téléopérateurs témoignent d’un tel niveau d’engagement dans leurs activités.

 Diogo : C’est une matière première qui, quoiqu’abondante, peut sembler ingrate, terne, répétitive ; mais avec le recul adéquat, il est possible d’y radiographier l’état d’âme d’une société écartelée entre la rationalité matérialiste du monde moderne et son appétence ancestrale pour le surnaturel. J’ai eu l’occasion de consulter les fiches que rédigeait Marin lors d’une mes missions d’expertise, et je dois reconnaître que j’ai été impressionné par l’acuité de son esprit analytique.

 Marin : Et dire que j’ai failli tout plaquer, au moment même où je touchais au but ! Il faut dire qu’à l’époque j’hésitais vraiment à me consacrer à plein temps à la musique. On avait un groupe, les « Pêches Moldues », on n’était pas mauvais du tout. Je crois même pouvoir dire qu’on était assez précurseurs par rapport à toute cette vague folk « retour à la terre » qui marche si bien à la radio ces derniers temps. Ce qui s’est passé, c’est que, à force de tenir mon rôle de mage guérisseur dix heures par jour chez VIZION, voilà que sans même m’en rendre compte je me suis mis à chanter avec un fort accent africain en plein milieu de notre set, alors qu’on jouait dans une soirée micro libre. Les autres membres du groupe se sont arrêtés presque tout de suite, ils étaient atterrés, mais pas autant que les quatre ou cinq noirs qui se trouvaient dans le public. Ils ont dû croire que je me payais leur tête, car aussitôt ils ont voulu me casser la mienne ! Quelques bouteilles ont volé sur scène et on a filé avant que ça ne dégénère. Après ça, je me suis fait saquer du groupe et j’étais tellement abattu que j’étais prêt à démissionner aussi sec de chez VIZION. Au lieu de quoi, j’ai eu une promotion !

 Le Superviseur : Bien sûr, hors de question pour nous de laisser filer un tel talent. Nous l’avons immédiatement promu au service création.

 Diogo : Je connais quelques cadres chez VIZION et j’ai fait jouer mon influencent pour qu’ils le repêchent, c’est aussi simple que ça. Et, dans le même temps, j’ai commencé à superviser ses travaux.

 Marin : Il y a deux équipes dans le service création : une qui développe les algorithmes sur lesquels sont basées les répliques scriptées qu’utilisent les téléopérateurs, et l’autre qui est en charge de la conception les flyers : visuel, message, typo... C’est dans celle-ci que j’ai atterri et, pendant dix mois environ, j’y ai passé de bons moments. Chaque lundi, on avait un brief pendant lequel on discutait des sujets d’actualité…

 Le Superviseur : … « Dr Baba : Grand spécialiste international compétences reconnues garantie contre le mauvais œil piratage informatique accident corporel trottinette électrique désenvoutement prédiction coupe du monde déduction fiscale travaille à distance » …

 Marin : … On ne laissait pas pour autant de côté les classiques, auxquels on s’efforçait d’injecter un peu de sang neuf…

 Le Superviseur : … « Maitre Sissokho : puissante magie sur dix générations avec moi l’être aimé reviendra plus vite qu’un chien unijambiste attiré par un chapelet de saucisses par une longue soirée d’hiver sous la pluie »…

 Marin : … On a aussi essayé de donner dans l’avant-gardisme, en déstructurant le message…

 Le Superviseur : … « Monsieur Getatchew : Puissant maître bodhisattva malchance viril retour animal compagnie argent sorbet yuzu réussite examen jacquard »…

 Marin : Mais il faut bien reconnaître que ça n’a pas pris, cette fois-là.

 Diogo : Ces activités quotidiennes ne conduisaient, je le crains, qu’à un gaspillage futile des précieuses aptitudes de Marin. Et c’est à cette époque-là qu’il s’est mis sur la piste de Fiodor.

 Marko : Mais attendez un peu ! Franchement… Il y a vraiment quelqu’un que ça intéresse, ces histoires ?

 Guy : Et il s’est passé un mois avant qu’on ne revoie Artie. C’était pour la soirée qui fêtait le retour des Midjets au Coin du Bois. J’aurais voulu lui parler à ce moment-là, mais il s’est esquivé aussitôt le concert fini.

 Marko : Ils ont joué dix-neuf morceaux en vingt-huit minutes, leur record ! C’était vraiment génial… Et je n’en ai pas perdu une miette depuis la civière.

 Gretchen : HalfWhool Hill faisait la première partie ce soir-là et Marko, le chanteur, s’est mis en tête de reproduire une cascade fameuse que Guy avait faite à l’époque de Nutcracker. Pendant un concert dans un gymnase, Guy s’était balancé la tête en bas à un panier de basket, jambes repliées en travers du cerceau tout en continuant à chanter, alors Marko a essayé le même truc en se suspendant à une des chaînes qui pendaient du balcon. Seulement, la chaîne a cassé et il est tombé en plein sur la batterie.

 Marko : J’ai eu quinze points de suture en tout. Et une attelle au poignet, que j’ai dû garder deux semaines. Et puis on a dû racheter une partie de notre kit de batterie. Franchement : si c’était à refaire, je n’hésiterais pas une seconde.

 Guy : Ce que beaucoup de gens ignorent, c’est que quand je me suis accroché à ce panier de basket moi aussi j’ai fini par tomber, la tête la première sur la batterie.

 Higuain : J’ai bien connu Knudsen Amundin, le fondateur de VIZION. Je crois même pouvoir dire que nous étions amis. L’époque était bien différente, évidemment… Aujourd’hui les jeunes rêvent d’émuler ses exploits d’entrepreneur, mais ils s’arrêtent à la partie la plus superficielle de ses accomplissements, telle que l’incarne le conglomérat qu’est devenu VIZION aujourd’hui. La répétition, bien sûr, est un des motifs clés qui permettent de perpétuer tous les grands mythes, même si cela peut parfois se faire au détriment de leur substance originelle.

 Ellis : « Tout ce qui était autrefois vécu directement se trouve éloigné dans une représentation. »

 Marin : Tout le monde, dans ce milieu, connaît Knudsen Amundin. C’est un de ces gars qui ont commencé tous seuls dans leur garage, et qui se sont taillé un empire. C’est lui qui a codé Khroumir, le noyau originel autour duquel s’articule l’écosystème de VIZION. A l’époque, ses travaux sur l’utilisation des réseaux neuronaux dans une perspective mythopoïétique étaient révolutionnaires. Quand j’ai rencontré Fiodor, j’ai su que c’était ma chance de faire mes preuves à mon tour, et je me suis jeté dans l’aventure à corps perdu.

  Le Superviseur : Nous avons à cœur de préserver la flamme de l’esprit pionnier que notre fondateur, Knudsen Amundin, a insufflé au groupe.

 Higuain : Il est parti, vous savez ? Knudsen… Il s’est volatilisé. Il est retourné dans ses contrées du Nord, et certains disent qu’il y règne en despote sur une poignée de zélateurs. A mon avis, ce ne sont que des ragots. Quoi qu’il en soit, cela aussi – sa disparition mystérieuse – participe de la vitalité de sa légende.

 Marko : C’était étrange, personne ne savais ce qui se passait avec Artie. C’était comme s’il était là, sans y être. Tenez : pendant que j’étais en convalescence, il a appelé pour prendre de mes nouvelles, c’était gentil de sa part, après tout on ne se connaissait pas de très longue date… Mais il a dû prononcer une dizaine de mots au maximum pendant la conversation. Et au moment de raccrocher, je me sentais vaguement embarrassé, sans vraiment savoir pourquoi.

 Guy : Il vous a parlé des trois lettres ?

 Gretchen : Je n’ai jamais su ce que contenaient ces lettres, ni à qui elles étaient destinées. Mais vu le temps qu’il avait passé à les taper, c’était clair qu’elles tenaient à cœur à Artie.

 Marin : Artie se trimballait partout avec ce vieux sac à dos en toile à l’intérieur duquel il gardait trois lettres, dans de grosses enveloppes de papier kraft. Le matin, il amenait son sac avec lui en partant au cybercafé, depuis lequel il avait repris ses travaux de thèse. Ne me demandez pas comment il arrivait à se connecter à distance aux serveurs informatiques de son ancien laboratoire, hein ? Il ne me l’a jamais expliqué, et peu importe au fond. Je le rejoignais un peu plus tard dans la journée pour m’occuper de mes propres recherches et il était là, avec le sac soigneusement fermé et posé sur une chaise à côté de lui comme si ça avait été un invité de marque, ou, disons, sa petite amie. A midi, il l’ouvrait pour y prendre son casse-croute, mais ça ne durait rien qu’un instant, à peine le temps de distinguer les trois enveloppes sur lesquelles il n’y avait ni nom ni adresse d’indiqués. Et le soir, il repartait avec, comme s’il n’avait eu aucune autre intention depuis le début que de lui faire prendre l’air. Même quand on allait au Coin du Bois il le confiait à la surveillance de celui qui était de service au bar. Ça n’aurait pas suffi à garder le secret gardé bien longtemps sur son contenu, mais le fait est qu’Artie fermait son sac avec un nœud de corde tel que je n’en ai jamais vu de pareil et malgré mon prénom, je n’ai jamais été capable de le défaire. C’était devenu un mystère entre nous de savoir ce que contenaient ces lettres et je crois bien qu’une fois ou l’autre certains des gars auraient bien laissé leur curiosité les pousser à mettre un coup de canif au travers du sac, ça je veux dire, ç’aurait été après avoir offert quelques verres au barman pour gagner sa sympathie, mais à chaque fois c’était comme si Artie avait des antennes car il rappliquait juste au moment fatidique pour nous demander ce qu’on fabriquait avec son sac.

 Marko : Marin et quelques autres au Coin du Bois devenaient complètement fous avec cette histoire de sac impossible à dénouer et de lettres mystérieuses. Mais s’il y bien une chose que la vie m’a apprise c’est qu’on ne doit pas interférer quand un homme se trouve face à ses propres problèmes, comme c’était manifestement le cas de Artie à ce moment-là.

 Ivy : Ah, ce fameux sac… A croire que tous les voyous et les révolutionnaires amateurs qui fréquentent le Coin du Bois cachent sous leurs manières de durs à cuire une âme de commère ! Bien sûr que je le sais, ce que contenaient les lettres et à qui elles étaient destinées. Et vous voulez savoir comment j’ai fait ? C’est simple : j’ai pris Artie entre quatre yeux, et je le lui ai demandé.

 Guy : Les semaines ont filé, et cette situation irrésolue est devenue presque normale aux yeux de tous. Artie n’était plus « le petit nouveau » mais « le type silencieux avec son sac ». Zippy et Donnie des Midjets ont même écrit une chanson à son sujet, « Welcome to bag-end », qu’ils ont joué une poignée de fois en concert. Quant à moi, je dois dire que je ne m’en préoccupais pas autant que j’aurais peut-être dû. J’avais renoncé à essayer de parler à Artie, je me disais que ça ne donnerait rien de lui entonner un couplet moralisateur, sauf à le braquer davantage. Et c’est à ce moment-là que l’état de Milo s’est soudain dégradé.

 Gretchen : Ça a commencé une nuit, quelques temps avant Noel. Milo a fait une crise, et on a dû l’emmener d’urgence à l’hôpital pour lui faire des nébulisations. Les docteurs l’ont gardé en observation. Ils nous ont dit qu’il fallait impérativement qu’il change d’air, qu’il aille dans une région moins polluée pour que son état de santé puisse s’améliorer durablement. De retour à la maison j’étais en train de préparer nos affaires, j’avais prévu de l’emmener passer quelques jours chez mes parents, quand l’hôpital a rappelé. Ils… Ils avaient dû mettre le petit sous respirateur, car son état continuait d’empirer.

 Marko : Il y a eu un très chouette concert pour Noël. Ellis et The Dadaïsts se sont reformés pour l’occasion, et ils ont joué tous leurs tubes. Et la première partie était assurée par The Bees, ils avaient des effets pyrotechniques et tout si bien qu’à un moment il y a même eu un départ d’incendie quand un des feux de Bengale est tombé de la scène. Mais, pour tout vous dire, le cœur n’y était pas vraiment. Marlon et Gretchen, qui avaient l’habitude de venir chaque année pour l’occasion, avaient dû rester à l’hôpital pour veiller sur le petit, et on avait tous une boule à l’estomac en pensant à eux. Guy, même s’il nous avait livré une caisse de beignets de patates douces en cadeau plus tôt dans l’après-midi, était introuvable. Artie non plus n’était pas là, la plupart des gens n’y ont pas prêté attention mais il s’en est quand même trouvé quelques-uns pour le traiter d’ingrat et l’accuser de manquer de cœur. Lui qui s’entendait si bien avec le petit !

 Marin : Le soir de Noel, Artie a trouvé un vague prétexte pour s’esquiver, et il m’a laissé en plan. Cela faisait quelques jours qu’il avait l’air préoccupé. Pour ainsi dire, je trouvais sa compagnie de plus en plus lugubre et j’aurais bien aimé qu’il parte pour de bon. J’étais seul devant mon ordinateur, et en dernier recours j’ai consulté Fiodor. Il m’a écrit qu’il avait trois annonces à me faire, et je peux vous dire que ça a suffi à me faire passer l’effet des quelques bières que j’avais avalées en guise de souper. Il m’a dit…

 Fiodor :

 1)     1)…Artie ne reviendra plus jamais ici

 2)     De lui, tu dois te méfier. Bien qu’il ne le sache pas encore, il cherche par son propre chemin à accéder aux mêmes secrets que toi, et seul l’un de vous deux verra sa quête couronnée de succès.

Et 3)…

 Marko : Ce n’est que le lendemain qu’on a appris ce qui s’était passé. Quelqu’un s’était introduit sur le site de la raffinerie pendant la nuit, et avait saboté l’installation.

 Gretchen : C’était un miracle… Vraiment ! Du moins, c’est ce que j’ai pensé sur le moment. La pollution s’est arrêtée et une dizaine de jours plus tard, Milo a pu revenir avec nous à la maison. Ce n’est qu’à ce moment-là que j’ai compris que dans la vraie vie, il y a un prix à payer pour chaque chose, même les miracles. Pendant qu’on était au chevet de Milo, Guy s’était évanoui dans la nature, de nouveau. Et lorsque j’ai revu Artie, il portait le costume des gardians de la manade Ramiro.

 

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Portrait de Iggy Grunnson
Iggy Grunnson a répondu au sujet : #21753 il y a 6 mois 3 semaines
Bon, j'ai publié le premier chapitre du premier volume de "débranché". Ce n'était pas prémédité, mais c'était sans doute un peu inévitable.

C'est un texte qui date un peu (2020) et je n'attends pas forcément de retours très détaillés. Si je le publie, c'est d'une part pour mettre un peu d'activité sur le site, et d'autre part pour vous donner une idée de ce à quoi ressemble l'histoire, au moment où j'en termine le 3e volume. Mais je suis quand même preneur de vos avis!

Je pense publier 1 à 2 chapitres par semaines, ça devrait permettre d'occuper jusqu'à la fin de l'année en comptant le volume 1 et le volume 2. A partir de là, j'aurai brûlé toutes mes réserves, et les chroniques seront plus ou moins livrées à elles-mêmes pour ce qui me concerne.

Pour parler plus précisément de l'histoire : Débranché est en quelque sorte une suite au "Congrès", que j'avais publié pour les 10 ans des chroniques, même si le scope et l'ambition vont bien au-delà. J'avais proposé à Imperator d'en écrire un épisode il y a presque 7 ans de cela. Autant dire que c'est un projet de longue haleine!

Débranché est une sorte de fable, teintée de réalisme magique. C'est une étiquette à laquelle je tiens, d'une part parce qu'elle renvoie à tout un ensemble d'auteurs (José Saramago, Gabriel Garcia Marquez, Julio Cortazar...) que j'aime beaucoup - et dont certains personnages font une apparition dans mon histoire! - mais surtout parce qu'elle dit bien la façon dont la frontière entre le "réel" et la "magie" est piétinée continuellement par les personnages, sans qu'ils ne donnent l'impression de s'en rendre compte.

C'est aussi une histoire sur les histoires, et le rôle qu'elles jouent dans nos vies ; à ce titre, c'est en effet une sorte d'histoire des Chroniques, et elle doit beaucoup à John Crowley et à son Parlement des Fées.

Le premier volume, quant à lui, est en grande partie une étude de faisabilité grandeur nature, je voulais voir si j'étais effectivement capable d'écrire cette histoire si différente dans la forme et dans le fond par rapport à ce que j'avais fait auparavant.Du coup j'espère que vous me pardonnerez si le texte donne parfois l'impression de partir dans tous les sens!

Je n'en dis pas plus, je préfère vous laisser à votre lecture!

Iggy
Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #21754 il y a 6 mois 3 semaines
Plutôt un chapitre par semaine, sinon on va finir par louper trop de wagons!
Portrait de Iggy Grunnson
Iggy Grunnson a répondu au sujet : #21757 il y a 6 mois 2 semaines
Deuxième chapitre publié, pas que je sente une grande trépidation mais bon!

Iggy
Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #21758 il y a 6 mois 1 semaine
Juste un mot pour te dire que j'avais bien lu le chapitre 1. Mais entre ma mon boulot, ma vie privé et la coupe du monde de rugby... ça laisse pas beaucoup de temps pour commenter.
En gros, au départ, le fait de voir qu'un dialogue, j'avoue que j'y suis allé à reculons. Mais il ne faut pas longtemps pur comprendre que ce n'est pas un vrai dialogue, mais plutôt un récit à plusieurs voix.
Petite remarque: tu as vraiment une ponctuation capricieuse: des virgules qui ne doivent pas exister ou des virgules qui clairement manquent... mais pas trop de point-virgules 
Pur ce qui est du reste, je trouve au contraire que tu m'a captivé assez vite (alors qu'encore une fois je le sentais mal parti). C'est d'ailleurs intéressant le rôle que tu donnes à chaque voix et parfois le côté méta-discours qu'elles donnent, sans que cela ne fasse trop lourd. Parfois, ça crée même comme un certain décalage humoristique.
Bon, avec ce 1er chapitre, j'ai du mal à voir où cela va aller et encore plus à voir le rapport avec les chroniques, mais je suppose que ça va venir. En fait, tout ça, cela m'a globalement surpris de toi. On sent ici une écriture moins instinctive, moins sur la narration. Y a un côté ludique assez plaisant d'ailleurs (y compris dans le plaisir qu'on sent que tu as pris à écrire). Je m'attendais à des passages trépidants, mais à la place j'ai un récit qui prend son temps pur se mettre en lace. Et ça, j'aime bien.

J'essaie de trouver du temps pour lire le chapitre 2 avant les vacances.
Portrait de Iggy Grunnson
Iggy Grunnson a répondu au sujet : #21760 il y a 6 mois 1 semaine
Bon ben pour la coupe du monde ça devrait être plus tranquille maintenant

Blague à part, merci pour ton retour Zara! Je suis assez rassuré car globalement tu as bien saisi mes intentions.

L'humour notamment, et/ou le côté ludique, ça faisait bien longtemps que je voulais revenir à ça (après "l'éternel vagabond", pour ceux qui s'en souviennent... C'est loin!), c'est vrai qu'avec les aventures d'Amphitryon j'étais un peu coincé dans une surenchère mélodramatique alors qu'au fond j'aime bien rigoler comme tout le monde!

Sur le style, bon, je me cherche un peu par moments, ou disons que j'essaie de passer d'un style très (trop?) ornementé avec Amphitryon (pour lequel il y avait une envie d'impressionner un peu trop systématique) à quelque chose qui évoque plus un style oral, même si je reste conscient qu'en matière d'écriture le langage parlé reste toujours une affaire de conventions (comprendre : un personnage ne parle jamais comme le ferait un vrai humain). En tout je pense que c'est ce qui t'inspire ton commentaire sur le placement un peu aléatoire des virgules, ça correspond moins au respect des règles de syntaxe "classiques" qu'à une tentative de "rendre" le côté heurté du langage oral, avec ses hésitations, ses blancs...

Sinon sur le côté "histoire des chroniques" je crois que j'ai un peu survendu le truc Disons que c'est une des couches de l'histoire, c'est à dire qu'il y a plusieurs communautés qui se croisent et l'une d'elles correspond en gros aux chroniqueurs (ou du moins, à une version fictive des chroniqueurs).
Mais plus fondamentalement, c'est vrai qu'avec cette histoire j'ai essayé de mettre en pratique ce que j'avais proposé de façon un peu théorique avec le congrès. L'idée, c'était d'essayer de résoudre le problème de l'univers partagé des chroniques, ou plutôt celui de sa disparition, i.e. le fait de tous "parler la même langue" à l'époque warhammer était sans doute une de nos forces, pour partager sur nos histoires, s'emprunter des personnages, etc. Quand on est chacun parti dans son univers (même si ça n'était pas un mal en soi) c'est un peu comme la tour de Babel, comme si on s'était réveillés un beau matin en parlant tous une langue différente, ça a contribué à un éloignement progressif... Imaginer une solution à base de portails interdimmensionnels pour nous permettre de continuer à partager un socle commun, ça n'a jamais trop pris, ça fait sans doute trop "cliché" de fantasy à une époque où on cherchait justement à y échapper. Donc mon idée avec le congrès, que j'ai reprise ici, c'était de faire vivre un processus beaucoup plus diffus, sans en expliciter les règles, avec comme principe directeur que c'est par un effort d'imagination que les gens pourraient finir par basculer d'une dimension à l'autre. Je vends un peu la mèche sur la suite, mais l'objectif c'est qu'à la fin on ne sache plus si on a affaire à un professeur (Higuain) qui rêve qu'il est un roi nain sous sa montagne (Iggy) ou au contraire un roi nain qui rêve qu'il est un professeur...



Iggy


 
Portrait de Iggy Grunnson
Iggy Grunnson a répondu au sujet : #21761 il y a 5 mois 3 semaines
Le 4e chapitre est en ligne, avis aux intéressés... S'il y en a!
Portrait de Iggy Grunnson
Iggy Grunnson a répondu au sujet : #21767 il y a 4 mois 2 semaines
Pour une raison qui m'échappe, le Captcha ne marche plus, je n'arrive donc pas à modifier le texte pour y rajouter le 5e chapitre.

Je vous mets donc le lien vers la version complète, sait-on jamais :

archive.org/details/debranche_vol1

Iggy