La finesse de Gloug’
Le kikoup’ décrivit un large arc de cercle pour finir sa course encastré dans le crâne de la pitoyable créature.
Gloug’ Gorge-profonde venait de faire une victime de plus.
Depuis quelques heures déjà il combattait dans cette galerie sombre et puante des ennemis supérieurs en nombre.
Ses troupes (des gobelins pour la plupart) se battaient avec la même hargne que lui. L’ivresse collective du combat générait une ambiance capable de pousser n’importe quelle peau-verte à venir participer à cette orgie de haine et de sang…
Face à cette implacable machine de guerre se tenaient d’innombrables guerriers passant de vie à trépas au rythme des attaques de la waaagh sans que quiconque ne se préoccupe de leur misérable existence : des skavens.
Les hommes-rats avaient surgis des profondeurs de la terre et l’affrontement s’était tout naturellement déclenché sans qu’aucune des deux parties intéressées n’envisage une autre possibilité.
Depuis quelques mois maintenant, les combats faisaient rage dans les cavernes, et sans cesse, il venait toujours plus de skavens que les peaux-vertes n’en pouvaient abattre…
Gloug’ avait eu la lourde charge d’administrer ce territoire soumis au règne de Zargal, le « Roi du Roc » .
‘Administrer’ est cela dit un bien grand mot pour décrire l’activité de Gloug’. Ce dernier se contentait en fait de distribuer des taloches, de manger à satiété et de jouir des plaisirs de sa condition d’orque.
Les skavens avaient surgi un jour, bouleversant son quotidien. Cette invasion n’était toutefois pas pour lui déplaire. Comme tout orque, Gloug’ aimait croiser le kikoup’, et s’adonner à cette discipline avec des ennemis aussi faibles le mettait à l’abri du risque de passer l’arme à gauche.
Ce pourquoi, avec allégresse il se lançait chaque jour dans la bataille entraînant avec lui des centaines de gobelins et quelques autres orques.
Bien entendu, de nombreux gobelins avaient péri sous les coups des skavens, mais avec un chef aussi persuasif que Gloug’, les autres ne pouvaient oser s’enfuir.
En cet instant, Gloug’ affichait le sourire d’un enfant comblé de bonheur et son bras maniait la lourde arme traditionnelle du peuple orque avec une dextérité acquise au fil des nombreuses batailles.
Dans le feu de l’action, tandis que sa lame tranchait le bras poilu d’un skaven, il crut entendre son nom… Ou bien était-ce un cri d’agonie ?
Cette idée fut bien vite oubliée, et quelques hommes-rats trépassèrent avant que Gloug’ n’entende de nouveau et de façon plus claire un hurlement familier : « Gloooooouuuuug’ ! ».
L’orque porta son regard en arrière. Le messager gobelin nommé Niork hurlait des choses à son encontre.
« Boss’, ya… gob… qui re… …ston… des el… ses gars… sait plus… …gal ! »
Le bruit de la bataille était trop fort et Gloug’ ne comprenait rien au charabia de Niork ! Il lui fit signe de s’approcher tout en décapitant un skaven qui passait non loin.
Le gobelin se fraya un chemin dans la mêlée et finit par rejoindre son maître qui s’était saisi d’un skaven et l’étranglait d’une main.
« Boss’, ya un p’tit gobelin qui revient d’une grosse baston contre des elfes avec ses gars et il sait plus comment rentrer chez Zargal ! »
Gloug’ avait compris malgré les gémissements de son infortunée victime.
« Il veut parler au boss’ alors j’l’ai fait attendre dans vot’ tente ! »
L’orque réfléchit un instant. Il serra les doigts un peu plus fort, ce qui généra un bruit d’os brisés et signifia la mort du skaven.
« Dis à ce craquelot que j’arrive dans une minute ! »
Niork s’empressa d’acquiescer avant de quitter la bataille.
Non loin de l’entrée de la caverne où se jouait le sanglant affrontement, une vingtaine de gobelins vêtus de haillons attendaient la venue de Gloug’.
A quelques mètres de la petite troupe, un gros troll bossu mâchouillait un skaven mort depuis longtemps. Le monstre montait la garde à l’entrée de la hutte de Gloug’. Hutte à l’intérieur de laquelle patientait un chétif petit gobelin nommé Raknut…
L’amertume de Yalniss
Un mois s’était écoulé depuis la bataille contre les orques dans la plaine des âmes criantes. Yalniss le Sage entretenait toujours les mêmes regrets, car bien que ce fut là une incontestable victoire sur l’envahisseur ennemi, les pertes elfes, sans être importantes en nombre, avaient toutefois déchiré une partie de son être.
Smoon Dway-Inn avait succombé à l’assaut des orques, précédé de peu par sa fidèle et noble monture : le griffon Plume de Dragon. Yalniss avait eu grand peine à annoncer si triste nouvelle à son prince lors de son retour à Daroir-Fenris. Car, bien qu’à la base, un lien de seigneur à vassal les unissait, il n’en demeurait pas moins que Smoon comptait parmi les amis les plus dévoués de Syrius.
Les deux elfes avaient fait connaissance lors d’une campagne guerrière en Ulthuan durant laquelle les forces elfiques s’étaient vues confrontées à une terrible invasion d’engeances chaotiques venues du Nord. Interpellés par un sentiment réciproque de respect vis à vis du courage de l’autre, les deux elfes se lièrent d’une solide amitié qui accompagna chacune de leurs interactions jusqu’à ce jour maudit où la lame rouillée d’un orque vînt mettre fin à la vie de Smoon. Héros respecté et admiré de tous ceux qui avaient eu la chance de croiser sa route, sa perte avait semé à Daroir-Fenris un deuil insurmontable.
Yalniss plus que quiconque pouvait comprendre à quel point la mort de Smoon avait particulièrement touché Syrius.
Il se trouva, lors du terrible affrontement, que l’archimage était parvenu à un prodige digne des plus grands maîtres des arts mystiques. Concentrant les vents de magie et manipulant ces derniers, il avait réussi à rappeler l’âme du brave héro de l’antichambre de la mort. Par l’entremise d’un sortilège très puissant, le fantôme de Smoon eut l’opportunité d’exercer une légitime vengeance en terrassant d’un coup le seigneur de cette waaagh sanguinaire. Pendant ces quelques instants durant lesquels l’âme de Smoon se matérialisa pour donner libre court à cette ultime revanche, Yalniss dut maintenir un lien psychique lui coûtant des efforts mentaux qui auraient rendu fou n’importe quel mortel. C’est par ce lien que Smoon lui adressa son dernier message au monde des vivants ; un message d’amitié destiné à son seigneur et ami de longue date. Yalniss ne manqua pas de faire part des dernières pensées de Smoon à son prince, faisant naître dans les yeux de celui-ci des larmes témoignant la peine qu’il pouvait ressentir.
Cependant, Yalniss avait lu autre chose dans l’esprit de Smoon. Il s’était retrouvé face à un flot d’émotions teinté à la fois d’amertume, de peur, de doute, mais surtout d’une fierté inébranlable et d’un immense respect.
Ces deux sentiments, Yalniss l’avait compris, étaient tournés vers Syrius, et cela confortait l’archimage dans la haute opinion qu’il se faisait de son prince. Un tel dévouement venant d’un elfe aussi droit, courageux et admirable que Smoon ne pouvait trouver refuge que chez un individu au moins aussi méritant…
La mort de Smoon avait toutefois occulté en partie un autre événement tout aussi tragique. Lorsqu’un tel héros passe de vie à trépas, la perte des autres guerriers semble parfois de moindre importance.
Lors de la bataille, bien d’autres elfes avaient succombé face à la folie des orques. Yalniss avait vu périr à ses côtés de farouches combattants, mais c’est à son apprenti qu’il songeait maintenant.
Jeune elfe pas encore centenaire, Zanias Vent-du-Nord était mort en tentant de porter secours à Smoon. Son geste bien sur n’avait pas été oublié et dédaigné par les autres, mais Yalniss ne pouvait s’empêcher de penser que ce jeune mage méritait plus d’égards. Pour lui avoir enseigné les arts mystiques pendant de longues années et suivi ses progrès dans l’apprentissage d’une discipline aussi exigeante que la maîtrise de la haute magie, Yalniss savait à quel point Zanias avait été un elfe de grande valeur. Il l’avait connu persévérant et assidu dans son travail. Il gardait de lui le souvenir d’un être consciencieux, généreux et doué d’une grande intelligence. Il n’avait toutefois jamais eu l’occasion de mettre à l’épreuve son courage… jusqu’au jour de la bataille.
Zanias, dans un élan de bravoure digne de n’importe quel héros, avait tenté l’épée à la main de porter secours à Smoon. La lame d’un orque sauvage mit un terme à sa toute jeune existence, jetant dans l’oubli un avenir si prometteur. Yalniss ne pouvait se résoudre à se contenter des funérailles de Zanias sans lui accorder un ultime hommage…
L’archimage fut tiré de ses pensées par l’arrivée de deux initiés des arts mystiques. Myrkin Aliounis et Vinss le rêveur se tenaient à l’entrée de la bibliothèque. Yalniss leur fit signe de la tête, les autorisant par ce geste à venir le rejoindre.
Myrkin était vêtu d’une longue robe de mage, son visage était fin et ferme à la fois. Il tenait à la main un bâton d’ébène et un sérieux cérémoniel se lisait sur ses traits.
Vinss, quant à lui, contrastait avec l’aspect solennel de Myrkin. Il était vêtu d’une toge très classique sur laquelle était brodée l’héraldique de la famille Fenris. De longues tresses, des cuissardes et le fourreau d’une épée venaient compléter son apparence.
Bien que les deux elfes affichaient des styles vestimentaires très différents et étaient connus de Yalniss pour avoir des tempéraments opposés, il se dégageait d’eux la même flamme mystique ; une grande puissance occulte était leur apanage.
Myrkin fut le plus prompt à parler.
"Maître Yalniss, nous avons tous été touchés par la perte de Zanias Vent-du-Nord… Sa bravoure ne sera jamais oubliée par le peuple elfique, et ses prouesses seront chantées de Saphery à Caledor…"
"ASSEZ !" ; la voix de Yalniss résonna dans la grande pièce, se répercutant dans les crânes de Myrkin et de Vinss. L’expression des deux elfes trahit alors leur surprise devant la réaction de l’archimage.
"Va directement au but, Myrkin !", le ton de Yalniss était autoritaire et froid.
Vinss intervînt alors.
"Ce que Myrkin veut dire, seigneur, c’est que vous allez choisir un nouveau disciple… Et ce sera pour celui que vous daignerez accepter à vos côtés un grand honneur et une grande fierté…"
La franchise de Vinss apaisa Yalniss. Vinss poursuivit.
"Myrkin et moi sommes tous deux désireux de prétendre à ce statut. Nous espérions que vous nous départageriez et choisiriez l’un de nous."
Ce disant, Vinss baissa respectueusement la tête. Yalniss reconsidéra les deux elfes. Ils étaient fiers, mais demeuraient très respectueux de sa position et des traditions elfiques. Même si l’agacement l’avait gagné au début de l’interaction, Yalniss devait reconnaître que leur requête n’était en aucun cas déplacée. Ils avaient respecté le protocole et la courtoisie et chacun d’eux espérait légitimement profiter de l’enseignement d’un maître des arts mystiques de Saphery.
De longues secondes s’écoulèrent et Yalniss finit par s’exprimer.
"Bien… Vous méritez tous deux de succéder à Zanias. Myrkin, ta maîtrise des vents magiques est subtile et précise, tu es très intelligent, tes progrès sont évidents de semaine en semaine et je suis persuadé que tu feras un disciple très digne. Quant à toi, Vinss, même si ton tempérament t’a déjà valu quelques soucis à la tour de Hoeth, personne ne met en doute tes capacités, et je suis convaincu que ton destin sera de siéger auprès des plus grands archimages elfiques… Toutefois…"
Yalniss marqua une pause.
"Je ne puis me résoudre à choisir l’un de vous. Non pas que je sois incapable de vous départager, mais ma peine est encore trop récente. La perte de Zanias a déchiré une partie de mon âme et son souvenir me hante chaque jour. Je me dois de lui rendre un hommage posthume. Ce pourquoi j’ai décidé de ne pas choisir de nouveau disciple avant dix ans, jour pour jour."
Myrkin et Vinss durent contenir leur surprise et leur déception, ils parvinrent à se tenir impassibles devant l’archimage qui poursuivit.
"Lorsque dix années se seront écoulées, celui que je désignerai comme étant le plus digne de succéder à Zanias deviendra mon disciple… D’ici là, je ne puis que vous encourager à perfectionner votre art."
Yalniss leur adressa un dernier regard et quitta la bibliothèque le cœur un peu plus léger…
Le retour de Raknut
"Alors comme ça, tu t’appelles Raknut ?"
Couvert de sang skaven et imprégné de l’odeur qui règne dans les galeries où il se battait quelques minutes auparavant, Gloug’ était sale et puant.
"Raknut le brave" insista Raknut.
"Mouai, peu importe, et Rohrk alors ? C’est pas censé être lui le boss ?"
Légèrement embarrassé, Raknut se hasarda quand même à répondre.
"Heu… Ben, Rohrk est mort. C’est les elfes qui l’ont eu !"
"Et vous avez récupéré ce que voulait Zargal ?" Ce disant, Gloug’ commençait à sucer un os de skaven.
"Ben, non pas possible, les elfes étaient plus nombreux que nous !"… Vil mensonge…
"Bah, tu t’arrangeras avec Zargal après tout, c’est pas mon problème !"
Raknut n’avait en effet pas vraiment réfléchi à ce qu’il pourrait dire au Roi du Roc une fois de retour… Mais, qu’importe, le plus important pour l’instant étant de rentrer au Roc du Dragon pour faire valider par Zargal son nouveau statut !
"Et qu’est ce que tu attends de moi au juste, petite raclure ?" ; Gloug’ mordit un coup sec dans l’os de skaven, brisant une partie de ce dernier en petits morceaux qu’il mâchait bruyamment.
"Ben, avec mes p’tits gars, on s’est perdu ! Ceux qui connaissaient le chemin du retour sont tous morts pendant la baston… Y faut juste qu’on retourne chez Zargal !"
"C’est tout ?" demanda Gloug’.
"C’est tout !" répliqua Raknut en hochant la tête de haut en bas.
Gloug’ se leva, avalant ce qui restait de l’os de skaven.
"Bon, je vais demander à un gob de vous emmener chez Zargal, et comme ça on n’en parle plus et moi je peux retourner motiver mes gars dans les tunnels !", tout en grognant, Gloug’ se saisit d’un kikoup’ presque plus gros que Raknut sur un râtelier d’armes, il sortit son imposante masse de la tente et hurla : "Goooooooof ? Goooooooof ?"
Un petit gobelin accourut quelques instants plus tard.
"Goof ! Tu vas prendre un loup et tu vas aider Raknut et sa bande à rentrer à la forteresse du Roc du Dragon, c’est bien compris ?" Comme après chacun de ses ordres, Gloug’ prit un air mauvais.
Goof répondit sans réfléchir : "Oui boss’ !"
Les gobelins partirent moins d’une demi heure après, Goof en tête. Ils traversèrent un bois d’épineux et longèrent un torrent pour finalement gravir une haute colline.
Parvenus tout en haut, Goof indiqua une direction et les peaux vertes repartirent de plus belle à travers plaines, rocailles et forêts.
Ils marchèrent toute la journée et épuisés montèrent un campement en début de soirée. Ils rassemblèrent quelques morceaux de bois et allumèrent des petits feux pour les aider à supporter la froidure de l’hiver. Raknut chargea la moitié de la troupe de trouver de quoi manger… Une seule tente fut dressée, et dans la plus pure tradition gobelinoïde, c’est Raknut qui y prit place.
Le début de soirée était tranquille. Pas de soucis à l’horizon ; Raknut affichait un sourire plein d’autosatisfaction mâchouillant un vieux rat grillé. La vie de gobelin n’était finalement pas si mal, pourvu qu’aucun orque ne traînait dans le coin, car dès lors que les gobelins devaient souffrir la présence d’un de leurs massifs cousins, ce dernier avait la fâcheuse tendance à prendre le commandement et à distribuer des taloches toute la journée aux plus petits que lui. Absorbé par ses pensées, Raknut ne décela pas les créatures qui s’approchaient, ses sens occultes auraient pu toutefois percevoir une source magique non loin, mais ce vieux rat était décidément bien trop délicieux…
Raknut découvrit donc la menace en même temps que les autres gobelins quand un éclair d’essence mystique frappa l’une des peaux-vertes. Le malheureux fut instantanément grillé sur place tandis que trois autres éclairs s’échappaient de son corps meurtri pour frapper trois de ses compagnons.
Aussitôt, la panique gagna le campement. Les gobelins courraient dans tous les sens sans savoir d’où venait le danger. Raknut fut renversé par un gob un peu plus gros que les autres nommé Grasscouye.
Grasscouye se saisit d’une lance et hurla aux autres de reprendre courage ! La plupart ne l’écoutèrent pas, mais quelques uns finirent quand même par prendre une dague traînant non loin ou un petit sabre rouillé, conscients que leur seule chance de survivre était de faire face à l’ennemi inconnu qui avait déjà foudroyé quatre des leurs.
Raknut, se rendant compte de ce noyau de résistance qui se créait, se releva et bondit sur son fidèle chien de combat avant de rejoindre les dix gobelins prêts à en découdre, bien décidé à ne pas laisser Grasscouye usurper son statut de chef.
"Allez, les gars ! On va se les faire !!!" clama Raknut en levant son glaive.
"On va se faire qui, chef ?" demanda Toutizob, qui tenait un bouclier dans chaque main…
"Commence par donner un bouclier à Manouk ! Et toi, Manouk, donne une épée à Toutizob !" ; c’est tout ce que Raknut trouva à dire, incapable qu’il était à déterminer la position de l’ennemi.
Comme en réponse à la question de Toutizob, un rugissement monta en provenance des quelques arbres situés à moins d’une vingtaine de mètres des gobelins désormais rassemblés autour de Raknut.
Tous les gobs virent alors Buldegaz, un de leurs compagnons, faire un vol plané qui débuta derrière un arbre et s’acheva juste devant eux.
Le corps de Buldegaz était lacéré, il y manquait aussi une jambe… De toute évidence, Buldegaz n’avait pas survécu à cette cascade.
Le courage déjà mit à rude épreuve de ces quelques gobs commençait à sérieusement s’effriter. La panique acheva les restes de bravoure de Pitrus, Zoulb, et Krelouk ; trois des leurs, lorsque le responsable de la mort de Buldegaz apparut de derrière le gros arbre d’où avait commencé le vol plané du petit gob gisant maintenant au sol.
Raknut avala une grosse quantité de salive en voyant l’immense créature qui s’avançait vers eux : un énorme rat d’apparence vaguement humanoïde se tenant sur deux pattes, pourvu de trois bras monstrueux et de dents vraiment peu engageantes. Des muscles saillants, des griffes sales et crochues et des yeux irradiant une lueur malsaine parachevaient l’immonde apparition.
Le moral des gobelins avait résisté à la chute de Buldegaz, au premier grognement et à l’apparition du rat-ogre, mais le second grognement de ce dernier eut raison des derniers vestiges de courage des misérables gobs.
Ils fuirent tous à l’opposé de ce terrifiant monstre sous les injonctions de Raknut à reprendre le combat.
Raknut agissait sous l’impulsion de son instinct de survie qui lui dictait de prendre la fuite le plus loin possible du rat-ogre en poussant les autres à aller mourir à sa place ; il était incapable de réfléchir à quoique ce soit. S’il avait pu prendre le temps d’analyser la situation, il aurait certainement compris que des skavens venaient de leur tendre une embuscade après avoir été alertés par les feux que les peaux-vertes avaient allumés pour se réchauffer… Raknut aurait pu aussi deviner que l’éclair à l’origine de l’attaque était l’œuvre d’un de leurs technomages ; ces parodies de sorciers qui utilisent le métal corrompu du nom de malepierre pour invoquer leurs maléfices. Raknut serait peut-être même parvenu à comprendre que le campement était déjà encerclé et que lui et les quelques autres gobs qui fuyaient à ses côtés se dirigeaient tout droit vers un contingent d’une quinzaine d’hommes rats embusqués qui n’attendait qu’eux…
Pitrus, Zoulb et Krelouk avaient pris un peu d’avance sur les autres gobs, ils furent les premiers à constater la présence des guerriers skavens.
Une lame vint trancher la tête de Pitrus d’un coup sec.
Zoulb fut transpercé en de multiples endroits par quatre skavens.
Un poignard fiché dans le bras, le pauvre Krelouk trouva la mort bien plus tard, suite aux effets du poison dont étaient enduites les lames des skavens.
Réalisant la situation en voyant s’envoler la tête de Pitrus, Raknut stoppa net la course de sa monture tandis que Grasscouye se lançait dans la bataille ; décidé à tenter sa chance auprès de ces skavens plutôt que face au rat-ogre dont le pas lourd se faisait de plus en plus proche.
Toutizob, Manouk, Goof, Trocloss, Branlbuc et Zmarf ; les six autres gobelins qui s’étaient enfuis aux côtés de Raknut, et Grasscouye se joignirent à ce dernier dans l’espoir de parvenir à s’échapper en abattant quelques skavens.
Raknut, fidèle à lui-même, resta en retrait en encourageant les sept gobelins qui ne furent rapidement plus que six, Branlbuc s’étant fait transpercer le cœur par la lame d’un skaven.
Raknut entendit claquer le son d’un fouet, il tourna la tête pour constater que le rat-ogre était déjà là ! Un skaven se tenait en retrait derrière le monstre, lui assenant des coups de fouet pour le motiver à continuer le carnage.
Quelques mètres derrière le skaven au fouet, Raknut constata la présence d’un autre homme rat ; celui-ci avait toutefois une allure peu commune. Il s’en dégageait une énergie magique évidente à détecter pour l’initié. Le technomage tenait dans sa patte poilue un caillou noir irradiant une lumière de couleur changeante. Raknut perçut les fluctuations dans les courants magiques ; ces derniers convergeaient d’intense façon vers la pierre noire. Il eut tout juste le temps de dresser un rempart mystique lorsqu’un nouvel éclair s’échappa du bâton surmonté d’une autre pierre noire que brandissait le technomage. L’éclair, destiné à Raknut, vînt ricocher sur le bouclier magique et enflamma dans un fracas un arbre centenaire.
Au même moment, Grasscouye plongea son glaive dans le corps d’un skaven tuant ainsi son second adversaire, alors que Zmarf, complètement submergé, était transpercé par trois lames en même temps.
Dans quelques secondes, le rat-ogre serait sur les gobelins, prêt à abattre sur eux ses pattes griffues. La situation était vraiment désespérée.
Un autre coup de fouet claqua, faisant cette fois sursauter le skaven qui pourtant en manipulait un depuis le début de l’assaut. Ce coup là, il n’en était pas l’instigateur !
Un rugissement bien différent de celui du rat-ogre retentit alors, bientôt suivit par un second provenant d’une position située au-delà des guerriers skavens que combattaient encore Grasscouye, Goof, Toutizob, Manouk et Troclos.
Tous les protagonistes de cette scène sanglante s’arrêtèrent de concert ! Selon toute vraisemblance, aucun d’entre eux n’attendait le moindre renfort.
Un autre coup de fouet se fit entendre, claquement autrement plus bruyant que ceux produit par le skaven qui affichait un air encore plus surpris que les autres. Le sol avait commencé à trembler comme sous les pas de quelques lourdes créatures… Le bruit grandissant offrait une seule certitude : la, ou les choses s’approchaient…
Les guerriers skavens et les gobelins, silencieux et immobiles, regardaient tous dans la même direction dans l’espoir de voir apparaître de derrière un arbre ou un rocher l’origine de tous ces mystères.
Grasscouye profita du fait que ses adversaires lui tournaient le dos pour lancer une attaque sournoise ! Il planta son glaive entre les épaules d’un skaven à l’endroit où il supposait trouver son cœur.
A ce moment précis, les autres spectateurs purent voir arriver les quatre immenses trolls des cavernes sous les râles du skaven agonisant.
Les trolls ne perdirent pas un seul instant ; ils se joignirent aux gobelins et le combat reprit de plus belle !
Le rat-ogre se jeta dans la mêlée en grognant, suivi de près par le skaven au fouet, tandis que le technomage préparait un nouveau sort.
L’un des trolls entama un corps à corps féroce avec le rat-ogre ; se saisissant d’une souche comme d’une massue improvisée, il la fracassa sur le crâne de la sauvage créature qui ne tarda pas à réagir à l’assaut ! Deux de ses bras se saisirent ceux du troll alors que le troisième le frappa au visage. Suite à ce coup d’une extrême violence, les deux monstres tombèrent à la renverse, écrasant de ce fait Toutizob ainsi que l’un des guerriers skavens. Le rat-ogre ne perdit pas un seul instant et bondit sur son adversaire, mordant sauvagement son cou en le maintenant immobilisé à l’aide de ses trois bras.
Un autre acteur de ce combat opiniâtre entra en jeu : un orque ridé, vraisemblablement très vieux, revêtu d’une armure de cuir grise, arborant une barbe blanche et brandissant un long fouet hurla son cri de guerre en réduisant en miettes le crâne d’un skaven d’un coup de poing. Cet orque là avait suivi de peu la charge des trolls. Sa première attaque ayant terrassé l’une des créatures, il poursuivit sur sa lancée et s’attaqua au skaven armé d’un fouet. L’échange de coups fut très bref ; l’homme rat tenta d’entailler la chair du peau-verte à l’aide d’une lame recourbée, sans succès. La réplique fut immédiate : l’orque se saisit de son kikoup’ et trancha le bras gauche du malheureux avant de l’achever d’un autre coup qui le sectionna en deux à hauteur de la taille.
Un nouvel éclair fusa, en direction d’un troll cette fois ci. La chair à l’endroit de l’impact fut calcinée et la créature émit ce qui semblait correspondre à un hurlement de douleur avant de s’écrouler dans un fracas qui fit trembler la terre.
Raknut s’était éloigné depuis un moment du carnage. Profitant du combat entre le rat-ogre et l’un des trolls, il s’était engouffré dans la brèche et observait maintenant le combat de loin, caché derrière un arbre.
Il vit l’orque user de son fouet avec une dextérité qu’il ne soupçonnait pas. La liane de cuir claqua sur le technomage, lui arrachant la moitié du visage.
Goof, Grasscouye, Manouk et Troclos avaient survécu à l’affrontement et, efficacement secondés par les trolls, ils étaient parvenus à exterminer les derniers skavens.
Il ne restait plus que le rat-ogre qui était visiblement venu à bout du monstre avec lequel il avait férocement lutté. Le mystérieux orque à la barbe blanche ordonna aux deux trolls toujours debout de l’attaquer et l’affaire fut vite réglée. Le rat-ogre ne put longtemps faire face à ces deux forces de la nature…
L’orque essuya le sang qui maculait son kikoup’ et se tourna vers les quatre gobs qui avaient survécu à l’assaut des skavens.
"Qui c’est qui commande, ici ?"
Raknut répondit en accourant vers l’orque.
"C’est moi ! C’est moi !", Raknut agitait les bras. "Je suis Raknut le brave !"
L’orque dévisagea le frêle gobelin avant de rétorquer.
"Moi, c’est Olgoth ! Et ça, c’est Triax, Camlar, Zyogtra et Drur !", ce disant, il désignait les quatre trolls. Visiblement, celui qui avait encaissé l’éclair invoqué par le technomage un peu plus tôt n’avait pas succombé. L’autre, qui avait du subir les assauts du rat-ogre se relevait lentement. Les trolls étant connus pour leurs incroyables facultés de régénération, Raknut n’en fut pas étonné.
Olgoth s’approcha de Raknut et l’interrogea de nouveau.
"Qu’est ce que vous faites dans le coin ? Z’êtes sur mon territoire ! Si vous voulez continuer à vivre, va falloir m’obéir !!!"
Exactement ce que craignait Raknut ! Avec un orque dans les parages, son autorité fondait comme neige au soleil ! Sans espoir de faire changer d’avis Olgoth, Raknut répliqua quand même.
"Meuh non ! C’est pas ton territoire ici ! C’est celui de Zargal !"
Zargal… Ce nom là eut un effet inattendu sur Olgoth ! Ses yeux s’écarquillèrent, il fronça des sourcils qu’il n’avait pas et finit par grogner quelque chose.
"Très bien, tu vas me conduire à ce Zargal et j’épargnerai ta vie !"
Les remords de Syrius
La soirée était fraîche... Il était tombé quelques flocons de neige en fin d’après midi, témoins de la saison hivernale. Le soleil faisait mine de se coucher et le calme régnait à Daroir-Fenris.
Syrius Fenris passait en revue certaines de ses troupes dans la cour du palais...
Les Inflexibles tout d’abord... Ces lanciers étaient vétérans de nombreuses batailles aux cotés de leur prince. Leurs costumes mauves contrastaient avec leurs scintillantes armures d’ithilmar. Leur étendard arborait la rune Sarathai, symbole de leur courage. Syrius n’y trouva rien à redire ; respect, sérieux et discipline étaient leur apanage...
Vint ensuite le tour des Semeurs de Mort. Des cavaliers venus de Caledor portant les traditionnelles armures des princes dragons d’autrefois. Le rouge de leurs armures et le noir de leurs vêtements leur donnaient un aspect agressif et menaçant. Les pointes de leurs lances brillaient, reflétant la lumière du soleil couchant.
Hilmiaje des songes, le plus vaillant des officiers de Syrius se tenait auprès d’eux. Lui-même issu de Caledor, il était bien souvent celui qui menait la charge de cavalerie dans le feu de la bataille. Syrius porta le regard sur son ami, et lui signifia son approbation d’un hochement de tête.
Les Crinières de Feu étaient les suivants. Syrius n’avait de cesse d’être impressionné par les prouesses de ces soldats venus du royaume de Chrace. Le seigneur Fay Anion ; un ami de feu son père, était à leur tête. Ces elfes là étaient plus musclés et avaient la réputation de ne jamais prendre la fuite sur un champ de bataille. Ils étaient équipés d’armures parfaitement lustrées et de lourdes haches. Chacun avait sur ses épaules la peau d’un lion chassé dans les montagnes de Chrace, au Nord d’Ulthuan. Les Crinières de Feu avaient participé à la lointaine campagne achevée dans les terres des elfes noirs par Janus Fenris. Déjà à cette époque, Fay et ses braves combattaient sous les armes de la famille Fenris. Ils étaient impeccables...
Syrius passa ensuite devant les Dents du Dragon ; tel était le nom des maîtres des épées de Hoeth arrivés du royaume de Saphery en Ulthuan quelques années auparavant pour servir sous les ordres du prince haut elfe. Comme de coutume, Li Ann Jin paradait avec eux. Il avait débarqué avec ces fiers soldats sous les ordres des grands maîtres de l’ordre pour porter assistance à Syrius. Ce dernier éprouvait un intérêt particulier pour ces guerriers qui, outre le fait qu’ils étaient originaires du même royaume, avaient suivi les mêmes enseignements que lui ; ceux prodigués à la tour de Hoeth... Les robes blanches immaculées des Dents du Dragon symbolisaient la mort, et leurs longues épées teintées d’un bleu profondément mystique étaient leurs instruments. Encore une fois, la formation satisfaisait le prince Syrius.
Ces quatre régiments constituaient l’élite de ses forces, les troupes qui devaient ne jamais faillir !
Immobiles et silencieux, les guerriers elfes attendaient que leur prince leur accorde la permission de disposer. Mais, Syrius était ailleurs. Son regard était absorbé par un point situé juste à côté de l’impeccable formation des Dents du Dragon… Là où d’habitude se tenait Smoon Dway-Inn lors des revues… Syrius revoyait son ami, fier et droit, tenant sa hallebarde, lui adressant un sourire comme à chaque fois.
Hilmiaje remarqua l’attitude de son prince, il baissa les yeux en repensant à cette bataille à laquelle il avait participé. Bataille au cours de laquelle il avait lui-même failli perdre la vie face au seigneur de guerre ennemi. Le souvenir de la bravoure de Smoon l’envahit une nouvelle fois ; Smoon n’avait-il pas donné sa vie pour protéger le flanc de la cavalerie lourde qu’Hilmiage avait commandé durant l’assaut ?! Une telle offrande ne saurait jamais trouver une compensation, si ce n’est dans le cœur d’Hilmiaje qui se promettait en cet instant une nouvelle fois de chérir la mémoire du héros pour les siècles à venir…
Les secondes passèrent puis Syrius s’adressa aux guerriers elfes.
"Nous combattons pour la gloire d’Ulthuan, je suis fier de vous et je suis sûr que notre reine à qui nous avons tous prêté allégeance ne l’est pas moins !" Syrius marqua une pose avant de reprendre d’un ton plus déterminé que jamais.
"Smoon croyait en l’avenir ! Il a donné sa vie pour nous tous… afin que nous poursuivions cette noble tâche, pour la gloire de notre si belle patrie !"
"Je me souviendrai toujours de Smoon, de son courage, de sa valeur… et je sais que chacun de vous en fera de même. A l’avenir, sachons nous montrer dignes de lui…"
Syrius permit alors à ses troupes de disposer et quitta la cour du palais pour regagner ses appartements. Il supportait difficilement le mensonge, surtout lorsqu’il en était l’instigateur, mais il n’avait pas d’autre alternative. Comment faire part à quiconque de cette si sombre vérité qu’il était le seul à détenir ? Cela faisait une dizaine d’année maintenant qu’avait débutée cette quête qu’il lui incombait de mener à terme, tant d’années qu’il gardait ce lourd secret et qu’il trompait la confiance de ces braves elfes venus des quatre coins d’Ulthuan en pensant œuvrer pour la gloire d’Ulthuan et de la reine éternelle. Ses mensonges et ses tromperies avaient désormais coûté la vie à l’un de ses amis les plus fidèles. Syrius se haïssait…