- Maître ?
- Oui ?
- Voilà bientôt six ans que je vous suis partout où vous allez, que j’écoute ce
que vous avez à dire et que j’apprends ce que vous voulez bien m’enseigner.
J’ai tout abandonné pour suivre votre enseignement, amour, famille et
profession. Ne pensez-vous pas qu’il est temps, maintenant, après tout ce
chemin, de répondre à ma question ?
- Six ans dis-tu ? Tu as donc réussi à compter le temps passé ? Il faut croire
que cela ne fait donc pas assez longtemps.
- Six ans de trop si vous voulez mon avis. Quand je suis venu à vous, je ne
pensais pas devoir vous vouer ma vie, mais seulement recevoir la libération.
Vous m’avez promis une réponse et, jusqu’à présent, vous n’avez fait que me
poussez toujours et encore le long de ce chemin qui n’en finit plus. Cessons
donc ce manège et permettez à celui que vous appelez élève de connaître la
seule chose qu’il veut vraiment apprendre, et non des idioties et imbécilités
dont il n’a que faire.
- Tu risque de regretter ces derniers mots, mais puisqu’il en est ainsi… Soit,
arrêtons-nous un moment et parlons.
- Bien.
- Tu as allumé le feu ? Préparé le repas ? Les chevaux se sont endormis ? Non,
je te demande cela afin qu’il n’entende pas ce qui va se dire ce soir…
- Maître, ne tournez pas autour du pot et répondez-moi.
- Patience, patience… Tu as décidé aujourd’hui d’écourter ta formation, de
couper court à toute la préparation que je voulais te donner. Soit, il faut
croire que tu te sens prêt. Seulement, si j’avais put achever ce que j’ai
commencé, tu aurais put donner la réponse par toi-même, et non de ma bouche. Tu
crois cette formation achevée, alors admettons ce fait : réponds toi-même à la
question, ou tout du moins, essaie. Je te promets que, avant que nous ne
repartions, tu auras ta réponse, quoi qu’il t’en coûte.
- Je vous reconnais bien là, à trouver une sortie, à retourner à l’autre ce que
vous devriez accomplir vous-même… Je relève le défi et je vais vous prouvez que
ce chemin que vous voyez là ne sert à rien, qu’il ne mène à rien de nécessaire
à la réponse.
- Bien, bien. Formule la question et commence, comme je te l’ai appris.
- Soit. La question est la suivante, et avec tout ses débouchés : Comment
peut-on être heureux ?
- Je me rappelle que tu avais demandé tout d’abord ton but dans la vie… Quand
je t’avais répondu que c’était d’être heureux, tu m’as tout de suite posé la
seconde interrogation, celle qui t’as mené là. Peux-tu y répondre, mon jeune
élève ?
- Voyons… Je pourrais commencer par essayer une réponse du côté de ceux qui
sont heureux. En effet, s’ils sont heureux, c’est qu’il y a une cause et cette
cause doit être possible à trouver. Premièrement, la plupart de ceux qui sont
heureux n’ont eut que très peu de douleurs à vivre, très peu d’épreuves, de
traumatismes comme ceux qu’apporte la guerre…
- Je t’arrête immédiatement. Tu veux dire que quelqu’un traumatisé par la
guerre ne peut pas être heureux ? Certains, selon toi, sont incapables
d’atteindre le bonheur, quoi qu’ils fassent et quoi qu’ils pensent ? N’est-ce
pas là te résoudre à peut-être devoir dire que tu ne peux pas être heureux, car
tu fais partie d’une des catégorie qui tu pourrais citer ? L’accepterais-tu ?
En le sachant, crois-tu t’y résoudre ?
- Certes, non… Quoique… Vous embrouillez tout avec vos hypothèses farfelues.
- Je veux simplement te prévenir que tu es en train de te condamner à n’être
jamais heureux…
- Soit, tentons une autre piste. De toute manière, on trouve des gens heureux
riche, des gens heureux pauvres, sain d’esprit ou torturé par la folie.
- Et encore ! On trouve, dans les gens heureux, des guerriers et des paysans,
des nobles et des esclaves, des yeux bleu et des yeux verts. J’ajouterais aussi
que l’on peut y voir des poils longs et courts, des nains et des géants, des
nez crochus et droits. N’importe qui semble pouvoir atteindre le bonheur, quel
que soit sa situation dans la société ou son apparence physique. J’ai vu un
moins que rien se déclarer satisfait de la vie alors qu’il se faisait rouer de
coups, et un dandy puant de parfum rire en se levant et en se couchant. Même
les agonisants peuvent l’être, semble-t-il.
- Est-ce donc vous ou moins qui parle ? Vous m’avez dit de répondre par
moi-même, et voilà que vous prenez les choses en main. Dois-je conclure que
vous ne me croyez pas capable d’aboutir, ou êtes-vous trop inquiet de me voir
bien proche du but ?
- Que de manigance. Je me suis emporté, je l’avoue, mais je tenais à vous
assurez que vous faisiez fausse route dans vos déductions et revenir là-dessus
nous aurais fait perdre un temps fou. Après tout, je suis encore votre maître
et je tiens à vous guider jusqu’à la réponse que vous convoitez.
- Bien. Je sais ! La foi permet d’être heureux. Après tout, cela répond à toute
nos questions et notre besoin de croyance est très fort. Un quidam ne croyant
en rien est rapidement soulevé de question et s’en retrouve précipité dans un
océan de tristes interrogations sans possibilités de réponse. L’attrait des
sectes vient de là. Les êtres faibles acceptent d’en faire partie sous
n’importe quelle condition, car elles leur apportent le bonheur.
- Intéressante théorie, mais qui est malheureusement fausse, ou du moins en
partie. Les sectes sont là pour fournir aux faibles un abri contre la réalité.
Certains ont compris que les gens ont besoin d’affection, ce que la société ne leur
donne pas. D’autres ont besoin de puissance, ce que, à nouveau, la société
rechigne à leur prêter. Des sectaires peuvent être heureux, je n’en disconviens
pas, mais en aucun cas ce bonheur n’est dût à la secte elle-même qui, au
contraire, ne cherche pas, la plupart du temps, leur bonheur, mais le profit.
C’est là faire une condamnation générale et je m’en excuse, mais même les
sectes guidées par des illuminés y croyant vraiment, comme les plus importantes
que tout le monde accepte comme normales, jusqu’aux plus petites que l’on
traque sans vergogne, ne sont qu’un refuge pour des âmes cherchant à s’abriter
de la réalité.
- Pourtant,…
- Non, je suis désolé, mais ce n’est pas la bonne réponse. Si j’entrais demain
dans le premier temple venu, ou quelque soit le nom que l’on donnera à
celui-là, que je décidais de me vouer corps et âme à une cause, je n’en serais
pas heureux, il faudrait autre chose. Pourtant, tu n’es pas loin. Mais,
d’ailleurs, certains sont heureux sans être activement pratiquant, non ? Et si
c’était aussi simple, ne l’aurais-tu pas déjà fait ?
- Bon, arrêtons donc là l’idée de la religion et de la croyance. Que
pensez-vous de vivre comme les animaux ? Eux sont heureux, non ?
- Est-ce parce qu’ils vivent traqués, dans la peur de mourir ou de ne pas
réussir à trouver de proie à tuer ? Crois-tu que la vie d’un animal se puisse
se résoudre à gambader gaiement dans la forêt ? Toujours à l’affût, les bêtes
ne pensent heureusement pas à la mort, sans quoi elles seraient impitoyablement
vouées à la peur et au désarroi. Penses-tu pouvoir être heureux avec l’idée que
ta mort est proche ?
- Oui, pourquoi pas ?
- Tu ne réfléchis donc pas ! Tu as peur de la mort, comme tout homme, car nous,
nous sommes conscient de la fin de la vie et cela provoque en nous une terreur
que la religion calme en grande partie. Attends un moment…
- Voilà, mon jeune élève. Regarde autour de toi et admire la beauté de la mort.
Toujours stoïque ? Voyons ce qu’il en sera lorsque la scie t’aura découpé le
cœur. Ah, j’oubliais… Tu pourrais encore vouloir rétorquer que tu as peur de la
douleur… Quoi ? Oui, je vais le faire, que crois-tu ? Si c’est là le seul moyen
de te le prouver, je vais sur le champ te tuer. Mais la lame étant trop brutal,
je vais y préférer l’injection. Le produit que tu vois là est une invention de
mon esprit, un magnifique palliatif à tout les poisons. Sans douleur, sans
bruit, il va t’endormir tout doucement et tu ne te réveillera plus jamais. Une
simple injection et s’en sera fini de toi.
- Allons, arrêtez maître, c’est assez.
- Non, ce n’est pas assez. Tu dois essayez, tu vas comprendre la mort. N’es-tu
d’ailleurs pas heureux de pouvoir y goûter ? Il paraît pourtant que tu auras
là-bas réponse à tout. N’est-ce pas merveilleux. Ne me demande pas, je n’en
sais rien, car tout ceux que j’ai tué n’en sont jamais revenu.
- Maître, assez plaisanté…
- Arrête de gigoter, je risque de casser l’aiguille dans ton bras. Tu veux
vraiment que je m’attaque à toi à la hache ? Voilà qui est plus sage. Plus que
quelque secondes et ce sera bon. Calme-toi, au moment même où cet infime bout
de métal entrera dans ta peau, le cauchemar s’arrêtera.
- Arrêtez, mais arrêtez !
- Attends, j’en ai bientôt fini.
- Stop, je vous en supplie.
- À voir ta sueur, tes tremblotements, je vais finir par croire que toi aussi
tu as peur. Voilà, c’est fait. Tu as l’air étonné. Me croyais-tu assez fou pour
te tuer ? Je n’avais pourtant pas l’air si terrible. Le décor peut-être ? Et
bien si tu préfère le feu, je vais te donner le feu.
- Merci, maître.
- Alors, convaincu ?
- Ce n’est pas du jeu !
- Je n’ai jamais dit que c’était un jeu.
- Bien, bien.
- Donc, selon vous, les animaux ne sont pas heureux parce qu’ils ont peur de la
mort.
- Stupide élève ! J’ai dit que l’homme avait peur de la mort, ce qui l’empêche
de vivre heureux comme un animal.
- Alors les animaux sont heureux ?
- Ils le sont, à leur manière. Ne crois pas pouvoir les comparer à nous. Nous,
nous pensons et eux ils vivent, c’est tout. Ce n’est pas tout à fait le
bonheur, car c’est un bonheur muet, il n’en sont pas conscient. Jamais un
animal ne t’avouera être heureux, ce que fera un être humain.
- Alors je dois chercher ailleurs…
- tu dois chercher ailleurs.
- Je sais ! L’amour bien sûr. Je l’avais oublié, mais c’est l’amour qui rend
heureux.
- Certain sont heureux sans avoir de femme, et des femmes sont heureuses sans
avoir connu d’homme.
- Ceux-là sont amoureux d’eux-mêmes.
- Admettons. Dès lors, quelle est ta théorie ?
- Je me souviens parfaitement avoir entendu énormément de gens pleurer et se
lamenter après un être aimé. Je me souviens de leurs vœux, de leur certitude
d’atteindre avec ça une satisfaction ultime. Avoir l’élu ou l’élue de leur cœur
était leur porte de sortie.
- Soit, et alors ?
- Avez-vous déjà observé deux êtres s’aimant l’un l’autre se retrouver ?
Certains sont touchants de naïveté, n’arrivant à croire leur bonheur, d’autre
sont brûlants d’aller plus avant et mangent à pleine dent dans la vie qu’ils
trouvent soudain bien agréable, au côté de leur moitié.
- Ah l’amour… Je me souviens y avoir crut, un jour… Mais trêve de blagues et de
bavardages. L’amour, mon pauvre petit, et je suis
peiné d’avoir à te l’apprendre, est complètement lié à l’instinct.
Grossièrement, et comme je n’ai pas le temps de tout détailler, je dirais qu’il
y a deux sortes d’amour. Le premier est purement instinctif, le second est
simplement lié à un besoin d’affection. C’est par celui-là que je vais
commencer. Un être a besoin d’affection, c’est un fait. Que ce soit par la
pensée, par le geste d’un autre ou par n’importe quelle forme, un être voulant
rester normal aura besoin d’affection. Hors, elle se trouve bien facilement
auprès d’une personne de l’autre sexe qui, soudain, peut se donner à vous. L’un
pour l’autre, comblant les vides. Un « je t’aime » vaut de l’or dans ces
situations, et le conjoint n’a pas besoin d’être joli pour être choisi, il doit
simplement vous plaindre un peu, sans pour autant vous prendre en pitié. Le
conjoint doit apporter un soutien moral et se doit d’écouter attentivement l’autre,
de façon à devenir le récipient de toutes ses frustrations, ce qui, des fois,
tourne mal. À nouveau, l’amour est en fait un refuge dont on a besoin pour
vivre, comme l’est la religion. Seulement, c’est un refuge parmi d’autre et qui
protège de choses dont l’on peut trouver d’autre moyen pour les écarter. Les
mots ne sont pas simples à trouver, mais dis-toi que ça n’apporte pas le
bonheur, mais du réconfort.
- Si vous le dites…
- Le second amour, le plus fréquent, est un amour instinctif. Là, il faut que
la fille soit belle, ou tout du moins à nos yeux. En effet, l’instinct veut
nous conduire à faire ce que l’on doit faire dans la vie. Nous sommes, à la
base, des animaux. Notre seule et principale différence avec eux est notre
capacité à penser. Seulement, c’est là la seule, et elle n’exclu pas le fait
que nous soyons programmés pour vivre, faire des enfants et mourir. Ainsi,
notre instinct nous pousse à avoir peur de la mort, ce qui nous amène à vivre
afin d’avoir le temps de faire des enfants. De la même manière, l’instinct nous
pousse à chercher une conjointe ou un conjoint pour, passe moi l’expression, la
reproduction. Mais je vois que je suis peut-être un peu trop cru avec mon
langage… Je t’indispose peut-être ? Allons, continuons. Sans les lois, si tu
vois une fille belle, toi, tu lui saute dessus et tout ce qui s’ensuit. Sans
l’éducation, et si elle te trouve beau, elle en fait de même. Alors oui,
évidemment, les choses ne se passent pas ainsi dans la vie de tout les jours.
Il faut faire la cour, se marier, etc… Mais les lois et la vie en société ont
fait les choses ainsi. Je ne pense pas avoir à te détailler tout cela, mais
l’important est de comprendre qu’au fond, grâce au pseudo amour, ou tout du
moins à ce que l’on nomme ainsi, nous faisons des enfants qui permettent à la
race de survivre, ce qui est finalement notre seul travail sur terre. Ne
t’insurge pas, c’est ainsi. Tu le sais, je le sais, beaucoup s’en doutent :
nous sommes là, peut-être par la grâce de Dieu, pour faire des gosses et mourir.
Où est-le bonheur là-dedans ? C’est à toi de me le dire, n’oublie pas. En tout
cas, avec le temps, le couple ne se trouve plus aussi attirant et, s’il n’est
basé que sur l’amour instinctif, il finit par rompre, en tout cas pour le
couple, car la société trouve cela bien vilain. La plupart du temps, les deux
amours sont là, et le couple continue malgré tout, en élevant ses enfants qui,
à leur tour, tomberont amoureux et feront des enfants en croyant avoir ainsi
atteint le bonheur.
- Mais ils l’ont atteint, maître ! Ils sont ensemble, heureux et rien ne les
séparera jamais !
- On croirait entendre un enfant racontant un conte
de fée. Réveille-toi, mon élève. Je croyais t’avoir mieux formé. Les seuls
couples qui vivent ce que tu dis sont composés de gens qui y croient dur comme
fer et qui s’imposent cette optique. Amoureux par volonté. Cela fait peut-être
mal à entendre, mais le plus merveilleux couple, qui s’aime encore après un âge
ô combien vénérable, n’est en fait qu’une illusion qu’ont créé deux fous qui se
refusent à trahir leur honneur et leur foi. Comme il est avilissant de
reconnaître que l’on aime plus celui ou celle que l’on croyait tant adorer !
Qu’il est décevant de se voir ainsi trompé par une vie que l’on croyait
maîtriser ! Que faire ? Continuer comme si de rien n’était ? Tout avouer ? Dans
tout les cas, l’on se rend compte qu’il y a un problème et que, qu’on le
veuille ou non, il n’y a plus d’amour.
- Certains vous tueraient pour avoir dit ça.
- Je sais, tout comme il est dur, voire impossible d’accepter notre rôle dans
la vie. « Je suis né pour mener mon peuple au devant de grandes victoires ! ».
« Je suis né pour inventer la guillotine, la route pavée ou pour écrire de
merveilleux bouquins ! ». Et le petit de la rue
se dit : « Mais pourquoi suis-je né, moi ? ». Comment veux-tu leur répondre : «
Mais, mes vieux, les uns comme les autres vous n’êtes nés que pour baiser et
élever vos gosses avant de crever, le reste n’étant que facultatif. ». Tu te
ferais pendre sur le moment, ou traiter de fou. L’esprit humain refuse de
l’admettre et ceux qui l’admette en cherche le sens, mais c’est là une autre
question.
- En effet, car l’on s’écarte. Mais je veux bien accepter que l’amour n’est pas
la clé. Mais, attendez… Vous dites que la vie est en fait simplement le besoin
de vivre, copuler et mourir, n’est-ce pas ? Alors peut-être faut-il avant tout
accepter ce fait et vivre avec ?
- Admettons, la suite ?
- Si j’ai compris où vous voulez en venir, la société n’est en fait qu’une
vaste ombre, cachant la vérité, cachant cette vérité.
- Et bien ?
- Séparons-nous de la société, enlevant le draps et acceptons la vérité.
- Et cela fera-t-il de toi un homme heureux ?
- Oui.
- Je ne te sens pas convaincu. Je pense que tu viens de comprendre que la
réalité n’est pas joyeuse, au contraire. Tu n’y trouvera pas le bonheur parce
qu’elle est froide, glaciale. tre heureux en sachant que ton destin est celui
de n’importe qui, qu’il ne sert finalement qu’à perpétuer une espèce qui se
posera la même question que toi sans pouvoir y répondre ? Une espèce sans sens,
existant uniquement grâce à l’évolution et qui, un jour ou l’autre, disparaîtra
?
- Pourtant c’est par là qu’est le bonheur, j’en suis sûr. Vous essayer de
m’égarer, mais je ne me laisserai pas prendre. Une fois que l’on a accepter la
réalité, il est possible d’avancer mentalement et d’atteindre un autre niveau
de compréhension et…
- Mon jeune élève, tu t’égare complètement. L’autre niveau dont tu parle ne
sera qu’une illusion de compréhension, une malheureuse idée sans raison.
Certains disent avoir un autre niveau, entre autre par la méditation… Mais la
méditation n’est-elle pas tout simplement le moyen de tout oublier un moment ?
N’est-ce pas cacher la vérité ?
- Mais alors où se cache le bonheur, maître ? Je n’y comprends plus rien. Ce
n’est d’abord pas dans la vie primitive, ni dans l’amour et pas dans une pensée
supérieure. Au fond, vous avez éliminé une par une toutes les possibilités.
- Assez rigolé, mon jeune élève. Je veux bien te donner la réponse que tu me
demande, et ce malgré l’insolence dont tu as fait preuve, l’arrogance qui es la
tienne et tout ce que tu m’a fait subir pendant six ans. Je vais te donner la
réponse parce que ce sera ma vengeance. Mais avant cela, je tiens juste à
parler d’une chose avec toi.
- Vois-tu, mon jeune élève, je pourrais te dire : « le bonheur se trouve là »
et te donner une dose d’arguments suffisants pour te le prouver, comme de
grands penseurs peuvent te prouver que l’amour est la clé, comme d’autre te
feront croire d’un claquement de doigt que c’est en fait dans la méditation ou
dans la foi. J’ai connu un être qui pouvait te faire gober ce qu’il voulait, du
moment qu’il le voulait. En quelques paroles, il pouvait faire changer un
auditoire complet d’avis et pousser les plus têtus à changer d’opinion. Il m’a
même eut, une fois, en me montrant que j’étais un grand imbécile, ce en quoi il
avait raison d’ailleurs. Enfin, quoi qu’il en soit, je tiens à te montrer qu’il
me serait facile, comme le font d’autre, de te donner un morceau à ronger et de
m’en tirer ainsi. Mais j’en ai décidé autrement. Tu as voulu me défier, tu vas
devoir payer et je vais donc tout t’avouer.
- …
- Les gens peuvent être heureux, oui. Je peux l’être, le premier venu peut
l’être, tu peux l’être. Ce n’est pas facile, mais pas si dur que ça en a l’air.
Avant de tout te révéler, je tiens à t’avertir : ce sera assez court, car
atteindre le bonheur n’est pas un long périple, au contraire. Seulement, ce
n’est pas la façon d’atteindre le bonheur qui ennuie, mais ce que ça implique.
Ainsi, peut-être ne te rendra-tu même pas compte que la réponse aura été donnée
lorsque je l’aurais donnée et peut-être aussi te faudra-t-il un moment pour te
rendre compte de ce qu’elle implique et pourquoi j’en ai si peur et que je
refuse de m’y soumettre.
- …
- Assez parlé et commençons. L’être humain, vois-tu, pense, ce qui est son
grand tort et ce qui fait de lui un être humain. Seulement, il a d’autres
caractéristiques et l’une d’elle est de vouloir toujours plus. Renommée,
gloire, fortune et belle compagne sont les plus courantes des demandes et la
plupart des gens désespèrent de ne jamais les atteindre. Entre temps, ils en
rêvent. Pour ceux qui, par une chance inouïe, les possèdent toutes, ce qui est
rare, elle veulent plus. Plus de gloire, plus de renommée, plus d’argent. Viens
le moment où les personnes pouvant tout s’offrir veulent autre chose. Certaines
veulent une vie normale, d’autre cherchent la connaissance et au fond, rien ne
se fait. Et même si ces vœux étaient exaucés, ces personnes n’hésiteraient pas,
malgré elles, à demander plus, jusqu’à vouloir la place de Dieu lui-même, ou ce
qui peut y ressembler. Bref, de bas en haut, chacun rêve à ce qu’il ne peut
espérer posséder et ça le rend fou. Évidemment que certains petits amusants
décident soudain de ne plus vouloir que ce qu’ils possèdent, dans un élan de
libération, pour ne pas faire comme tout le monde. Soudain, c’est le bonheur.
Car, il ne faut pas se leurrer, ces personnes veulent plus et, par moment,
elles craquent, mais comme pour les amoureux qui décident de le rester, elle
ont la volonté pour se satisfaire de ce qu’elles ont, même si ce n’est pas
grand chose, même si c’est tout. L’être humain tend à avoir ce qu’il ne peut
avoir, ne l’oublie pas. Il est limité par ses capacités et ne sera donc jamais
assouvi. Pour être heureux, il faut simplement décider d’être heureux et donc
de ne plus grogner ou pester contre le sort, de ne plus se plaindre de son
salaire et de ne plus lorgner sur la voisine ou la voiture du patron. Il faut
se forcer à ne plus se poser de question pour ne pas voir que tout le bonheur
qui nous entoure est en fait créé par nous-même et qu’il s’écroulera au moment
où on le comprendra. Ne plus réfléchir, faire comme si l’on était heureux et le
croire. Voilà la solution. Seulement, c’est là accepter lâchement sa place, se
plier aux règles, courber le dos sous le fouet du destin.
- …
- Pourquoi crois-tu que je sois malheureux alors que je sais comment ne plus
l’être ? Entre autre, en fait, parce que je n’ai pas la volonté de lâcher
prise, de me vouer à ignorer l’absurdité de la vie. Certains se sont rebellés
contre un despote tyrannique, je me suis rebellé contre la vie, une vie indigne
dont le seul but est de vivre, copuler et crever et dont le reste n’est qu’un tissu
d’illusions qui nous cachent la vérité. Je ne veux pas retourner dans ce cercle
sans fin, dans cet enfer aux parois miroirs. Faire semblant de soudainement
aimer quelqu’un ? Lui dire que je l’aimerai à jamais alors que je sais le
contraire, la prendre dans mes bras sans sentir que je fais là ce que la vie
m’ordonne, que je suis l’esclave d’une existence que je hais et que tout homme,
au fond de lui, insulte et déteste au possible ? Avoir un enfant et l’élever
gentiment, patiemment, tout en sachant que c’est là le seul résultat de ma vie,
ce petit bambin et ses sœurs, que ce sera là la
seule chose que j’aurais vraiment faite ? Ce serais accepter l’esclavage de ma
vie et je ne veux pas l’accepter. Entends-moi bien, je suis fou. Fou en tout
cas au sens où l’entend l’humanité. Je me suis condamné par moi-même à n’être
jamais heureux car je considère que je suis supérieur aux animaux et que si je
pense, ce n’est pas pour faire un enfant en fermant les yeux avant ma mort
certaine. Le chemin fut long pour que je comprenne toutes les illusions, que je
les enlèvent une à une, celles que j’avais créés et celles que vit. Il m’a
fallu bien de la patience pour comprendre la fatalité de la vie, pour
comprendre que je ne pourrais rien changer et que, que je parle ou que je me
taise, que je m’insurge ou pas, que je suive la nature ou pas, rien ne
changera. Immuable, notre servitude est assurée. Tu voulais savoir le bonheur,
la clé du bonheur? Soit un imbécile heureux, un idiot qui ne veut pas
reconnaître son utilité, qui accepte de croire qu’il était là pour aimer celle
qu’il n’aime déjà plus ou pou travailler à tel poste ou pour aider telle
personne. Tu sera heureux, je te l’assure, heureux et je te regarderais avec la
malsaine satisfaction de te savoir aussi bête et en tentant de croire que je te
suis différent.
- …
- Mais c’est faux, je ne te serais pas différent. Je mourrais aussi, j’aurais
été un imbécile aussi, mais un imbécile malheureux, ce qui est pire. Vois-tu,
dans la vie, nous sommes tous des imbéciles, de grands imbéciles. Nous croyons
dominer quelque chose, mais c’est faux, nous pensons contrôler nos vies, mais
c’est faux. Toutes nos illusions sont fausses et nous avons même réussi à
déguiser la mort. Et pourtant non, tout est faux. Je ne serais jamais heureux pour
avoir voulu goûter au fruit défendu, la connaissance. Autant Adam et Ève
s’aperçurent-ils qu’ils étaient nus, autant je m’aperçois que je ne suis qu’un
jouet, un pion dans un échiquier qui me dépasse. Je ne sers à rien, car, quoi
que je fasse, ce monde continuera à vivre. Je me rends compte que, malgré
toutes les déductions que je peux faire, mes connaissances autant en
mathématiques qu’en astronomie ou en biologie, je ne peut rien changer, je suis
incapable de sortir l’humanité de l’infernal cycle dans lequel elle est
confinée. Mais tu ne parle pas. Tu refuse de croire… Après tout, c’est ton
droit, tu ne sera heureux qu’ainsi. Je te le promets, tu sera heureux, car tu
me prends déjà pour un fou, quoique… Je crois avoir touché un point sensible.
Tu vas hésiter, longtemps, très longtemps. « As-t-il raison ? ». « As-t-il tort
? ». Tes questions resteront sans réponses et tu devra choisir. Si j’ait tort,
tu devra tenter à nouveau de trouver le bonheur et tu ne le trouvera pas, ou
alors tu t’entourera d’illusions et tu t’y sentira heureux. Si j’ai raison, tu
sera toujours malheureux, car tu connaîtra la finalité de l’homme et tu ne
pourra que pleurer car c’est immuable. Tu te rebellera au début, tu ira
chercher un moyen de te sauver et peut-être de sauver les autres. Tu iras dans
chaque temple de chaque religion, dans chaque secte chercher une solution et tu
n’en trouvera pas. Alors, et seulement alors, peut-être, pourra-tu accepter
enfin le sens de ta vie et de la vie en général. Alors j’espère que tu reviendra
ici, en ce lieu où je t’attendrais et que tu te mettra à côté de moi, sans rien
dire, en me montrant juste du regard que tu t’es résigné et ensemble, oui,
ensemble, nous pourrons attendre la mort de pied ferme en narguant encore et
toujours notre destin, comme deux idiots qui ont trop réfléchi.
- Allons, mon jeune élève, le feu s’est éteint et le jour commence à se
montrer. Voit la couleur sur les feuilles et la disparition de l’ombre. Admire
le soleil et ses miracles, tu n’as rien d’autre à faire. J’ai tenu promesse, le
chemin s’arrête là. Tu va devoir continuer seul. Je vais rester ici, à
t’attendre, car je sais que tu es intelligent, dans le sens où tu réfléchis
beaucoup. Je sens en toi l’envie de liberté, je sens en toi ce sentiment de
haine face à l’asservissement et je sens à quel point tu t’es senti asservi. Je
sais que c’est pour ça que tu es venu me voir, c’est pour cela que tu m’as
demandé le sens de ta vie et c’est pour cela que je t’ai emmené avec moi, en
voyage en te parlant du bonheur. Le bonheur n’est, finalement, qu’une illusion,
une bête illusion. L’être humain ne sera jamais heureux, mais il peut croire
qu’il l’est, comme l’animale ne sais pas qu’il ne l’est pas. Un ami à moi a dit
un jour que l’homme ne peut être heureux que s’il ne sait pas qu’il ne peut pas
l’être. Cet ami m’est très proche, tu l’as déjà rencontré quand je t’ai parlé.
Quand tu reviendra, j’aurais beaucoup de choses à t’apprendre, sur l’amour, sur
la vie et les oiseaux. Pour le moment, je te dis au-revoir et à bientôt, car
l’on se reverra. Tu n’es pas comme les autres, tu es pire que les autres. Eux
ont la chance d’avoir un caractère docile et ne pense que très peu et quand il
pense, ils ont si peur de ce qu’ils pourraient découvrir qu’ils arrêtent à
l’instant. Toi, tu pense plus, tu as le courage d’aller jusqu’au bout, quoi
qu’il t’en coûte. J’ai peut-être eut tort de tout te dire si vite, mais tu
l’aurais appris par toi-même un jour ou l’autre, et peut-être pas de manière si
facile et indolore.
- Encore une chose, mon ami… Ne crois pas tout ce que l’on te dit. Si tu parle
de ce que je t’ai dit à une personne intelligente qui refuse de l’admettre,
elle aura tôt fait de te prouver le contraire et te ré-enfoncera dans un paquet
incroyable d’illusions que tu gobera les unes après les autres. Tu finira par
être assez fort pour les voir et les rejeter, mais tu es encore si
influençable, en ce moment. Méfie-toi, car si je suis fou de vouloir me
confronter à la réalité, d’autre sont fou de tout faire pour, une fois l’avoir
aperçu, l’avoir rejetée en bloc et continuer à la rejeter. Ces personnes, pour
se convaincre elles-mêmes, tentent de convaincre toutes les autres, elles ont
obnubilées par ce besoin, car chaque fois qu’elles réussissent, elles se
sentent un peu rassurées, ou tout du moins se créé l’illusion d’être rassuré,
ce qui ne dure pas longtemps. Vois-tu, la vérité blesse comme l’on dit, et à
plus forte raison parce que la vérité est la pire chose au monde, c’est un peu
le diable, oui, le diable. On en a peur, un seul regard sur elle nous fais
trembler et on la fuit comme la peste.
- …
- Ce qui m’amuse le plus dans ce que je t’ai dit, c’est que plein de grands
génies l’ont découvert, et certains l’ont rejeté, d’autre l’ont caché et les
derniers l’on accepté. Ils ont tous voulu en parler et tous ses sont tu, de
peur d’être pris pour des fous. Ils ont inventé des illusions derrière
lesquelles ils ont put vivre et d’autres en sont morts. Je n’ai pas le temps de
tout te prouver et te détailler, mais sache que ce drame fut et est connu, que
beaucoup le savent et vivent avec, le savent et meurent avec, sans jamais être
heureux, bien que certains essaient d’en rire, d’en rire jaune. Allons, il est
temps. Monte sur ton cheval, continue ta route. Nos ancêtres ont vécu pour que
tu puisse vivre et aujourd’hui, tout le monde vit pour que nos enfants puissent
vivre. L’humanité a vécu sans toi et elle te survivra. Tu va enrager, tu va
pleurer, tu va, par moment, réussir à rester indifférent, et tu mourra sans
avoir rien put y faire, juste un peu plus conscient que les autres. Qui de eux
ou de nous sont les plus intelligents ? Je n’en sais rien, eux je pense. Nous
avons été assez bête pour manger au fruit de la connaissance et nous avons
découvert ce qui nous échappe, car le sens de cette vie sans sens nous dépasse
complètement. Incapable d’en percevoir autre chose que l’aberration, l’humain
est condamné, s’il veut être heureux, à l’ignorer. Mais j’ai trop parlé. Allez
hop, pars.
- Maître ?
- Oui, mon ami ?
- À bientôt…
- À bientôt, mon ami…
L’empereur s’assit, un petit sourire au coin de
la bouche, regarda encore le soleil un instant puis, amusé, laissa là son
enveloppe vide pour s’en aller ailleurs, là d’où, immortel, il pourrait à
nouveau contempler ses immenses statues, ses temples et palais colossaux, sa
titanesque gamma et son invincible armée. Il pourrait jouir un instant de son
omnipotence avant de, une nouvelle fois, retourner sur terre chercher ce qui
lui manque.
Petit conte philosophique
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- Écrit par Imperator
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