« Votre monde ».
Le titre de la dissertation rendait celle-ci étonnamment compliquée, mais Frédérick s’appliqua malgré tout à confectionner un nouveau chef d’œuvre de médiocrité, principalement parce qu’il le fallait. Il cherchait dans ses souvenirs des références qu’il pourrait citer, Platon, Rousseau. Il se maudissait de n’avoir pas au moins lu, à défaut de comprendre, davantage d’ouvrages pour compléter son travail. L’assurance d’avoir la note maximale ne changeait rien à son dévouement au travail. Tout le monde obtenait ou s’approchait de la note maximale, mais Frédérick avait entendu dire que les employeurs lisaient parfois de vieux travaux d’élèves pour prendre en faute un postulant et rejeter sa demande. Aussi n’avait-il jamais rendu un papier qui n’ait eu droit à tout son maigre talent. Par chance, il connaissait la règle de base, à savoir ne jamais donner son avis.
Le reste de la classe se composait d’une partie d’élèves qui avaient fini après trois paragraphes et d’une autre partie qui n’avaient toujours pas commencé. Le professeur, le regard vide, notait d’avance les travaux et les corrections à apporter d’une main qui ne lui appartenait depuis longtemps plus tout en jouant avec le bouchon de son petit flacon.
Au dehors, un magnifique soleil illuminait les arbres en bas dans la cours et les montagnes hautes et inaccessibles, couvertes de forêt, dans la plus parfaite image de l’insolent printemps que chantent les oiseaux dès qu’on leur en laisse l’occasion. Frédérick ne se laissa toutefois pas distraire, d’autant qu’il savait la vue gâchée par les barreaux aux fenêtres.
Le temps écoulé, chacun rendit sa ou ses feuilles de papier et sortit de la salle de classe. Frédérick travailla jusqu’au tout dernier moment, pour le cas où un futur employeur devait s’intéresser à son comportement en classe. Il remarqua, lorsqu’il sortit enfin à son tour, certains élèves prendre leurs médicaments en groupes de quatre à cinq. Rien de particulièrement spécial. Il rejoignit Stéphane, son meilleur ami, et allèrent ensemble prendre le train qui devait les ramener chez eux.
La vie de Frédérick n’était pas mauvaise. Bien sûr, il n’avait pas trouvé d’apprentissage, ce qui tenait de la norme au fond, et avait dû se rabattre sur les études, mais son avenir se présentait bien, d’autant qu’il y mettait tout son cœur et toute son âme. Il était impossible à quiconque d’échouer dans ses études à condition de payer les frais de scolarité et les horaires étaient extrêmement légers. Plus chanceux que la majorité de ses camarades, il avait obtenu un emploi d’étudiant la nuit chez Mc-Connald qui lui permettait de soulager un peu le poids financier qu’il représentait pour ses parents. Il en avait aussi un autre, non payé, chez Detritus SA, qu’il était parvenu à décrocher pour compléter ses futures compétences professionnelles. Son rêve était de pouvoir, un jour, avoir assez d’argent pour se payer un vrai stage en entreprise. Enfin, et cela ne rendait pas sa vie non moins merveilleuse, il était amoureux d’une fille qui s’asseyait toujours devant lui.
En bref, Frédérick voulait et aimait vivre.
Le lendemain, un mardi, il revint en classe. Sa sœur, au chômage, était partie en même temps que lui gagner de l’argent. Ses parents avaient de nouveau veillé sur eux toute la nuit avec tout l’amour que deux êtres humains peuvent offrir à leur progéniture. Stéphane l’accueillit en classe avec son sourire de circonstance et commença à discuter météorologie, qui semblait être une passion. Ils étaient huitante-trois pour poursuivre le cours.
Peu de choses se produisirent ce jour-là. En remontant de la pause, Frédérick surprit un élève qui sciait les barreaux à une fenêtre avec un zêle parfaitement compréhensible. Par pudeur, il décida de le laisser seul pour continuer son ouvrage, tout autant d’ailleurs par crainte de s’attirer des problèmes en gênant son camarade de classe. Lorsque le professeur revint enfin à son tour, avec ses habituelles quinze minutes de retard, il vit la fenêtre ouverte et les barreaux sciés, mais ne s’en formalisa pas et, tout en jouant avec le bouchon de son petit flacon, débuta son cours en déversant un flot de paroles dont Frédérick s’abreuva largement malgré le ton plat et monocorde. Dans le couloir, en sortant des cours, il remarqua les groupes de trois élèves qui prenaient leurs médicaments. Il songea à aborder la fille qu’il aimait, mais se rappela qu’il était gros, gras et boutonneux.
Il rejoignit Stéphane, son meilleur ami, et allèrent ensemble prendre le train qui devait les ramener chez eux. Frédérick retrouva son foyer, sa sœur enfermée dans sa chambre et son père comme sa mère qui faisaient et défaisaient toujours les mêmes nœuds. Ils l’accueillirent joyeusement, avant de le laisser partir travailler.
Le lendemain, un mercredi, il revint en classe. Sa sœur, au chômage, était partie en même temps que lui gagner de l’argent. Ses parents avaient de nouveau veillé sur eux toute la nuit avec tout l’amour que deux êtres humains peuvent offrir à leur progéniture. Stéphane l’accueillit en classe avec son sourire de circonstance et commença à discuter météorologie, qui semblait être une passion. Ils étaient soixante-deux pour poursuivre le cours.
Peu de choses se produisirent ce jour-là. En allant aux toilettes, Frédérick dût faire des contorsions de gymnaste pour éviter le sang de quelques élèves par trop irrespectueux des autres et ainsi éviter de salir ses vêtements et donner un impossible surcroît de travail à ses parents. Le professeur leur parla d’un sujet quelconque en jouant avec le bouchon de son petit flacon. Il croisa, dans le couloir, un groupe de deux étudiants qui prenaient leurs médicaments. Bien sûr, il songea à aborder la fille qu’il aimait, mais se rappela qu’il était gros, gras et boutonneux.
Il rejoignit Stéphane, son meilleur ami, et allèrent ensemble prendre le train qui devait les ramener chez eux. Frédérick retrouva son foyer, sa sœur enfermée dans sa chambre et son père comme sa mère qui faisaient et défaisaient toujours les mêmes nœuds. Ils l’accueillirent joyeusement, avant de le laisser partir travailler.
Le lendemain, un jeudi, il revint en classe. Sa sœur, au chômage, n’était pas partie en même temps que lui parce qu’elle ne s’était pas réveillée. Ses parents étaient restés aussi longtemps que possible veiller sur elle toute la matinée avec tout l’amour que deux êtres humains peuvent offrir à leur progéniture. Stéphane l’accueillit en classe avec son sourire de circonstance et commença à discuter météorologie, qui semblait être une passion. Ils étaient quarante-cinq pour poursuivre le cours.
Peu de choses se produisirent ce jour-là. Le cours se déroula selon les standards dans la tripotation du bouchon du petit flacon et il n’y avait plus que trois élèves dans le couloir qui prenaient leurs médicaments. Stéphane avoua, dans une conversation, avoir battu son records d’envoi journalier de CV, ce qui provoqua une vague de félicitations et emmena tout le groupe au bar le plus proche, à l’exception de Frédérick qui n’avait pas le temps d’aller boire un verre et tenait à éviter de salir sa réputation en se montrant dans lieu où l’on consommait de l’alcool, au cas où cette nouvelle devait un jour arriver aux oreilles d’un éventuel employeur. En se rendant à la gare, il se retrouva face à un mendiant en complet cravate qui, l’air misérable, lui demanda de l’aide parce qu’il était trop lâche pour s’occuper de lui-même. Il donna à Frédérick plusieurs milliers de francs, probablement toute sa fortune, que celui-ci conserva tout en refusant d’accéder aux demandes du mendiant qui ne se soucia plus de l’argent et alla chercher quelqu’un d’autre vers qui essayer.
Il prit le train qui devait le ramener chez lui et retrouva son foyer, ainsi que son père comme sa mère, aussi tristes que jaloux, qui faisaient et défaisaient toujours les mêmes nœuds. Ils l’accueillirent joyeusement, avant de le laisser partir travailler.
Le lendemain, un vendredi, il revint en classe. Ses parents avaient veillé sur lui toute la nuit avec tout l’amour que deux êtres humains peuvent offrir à leur progéniture. Stéphane l’accueillit avec son sourire de circonstance et ne parla pas. Ils étaient vingt-et-un pour poursuivre le cours.
Peu de choses se produisirent ce jour-là. En jouant avec le bouchon de son flacon, le professeur le laissa tomber au sol et fut forcé d’arrêter de parler pour le ramasser. Le couloir était vide. Frédérick avait perdu son travail chez Mc Connald la veille, mais se convainquit malgré tout que la chance jouait en sa faveur grâce à l’argent du mendiant qui allait l’aider à payer son stage en entreprise. Dans sa tête, un grand avenir se dessinait devant lui, qu’il essayer de colorier à grand renfort d’imagination. Il aborda la fille dont il était amoureux et appris qu’elle n’aimait pas les hommes gros, gras et boutonneux.
Il rejoignit Stéphane, son meilleur ami. À la gare, celui-ci lui déclara : « Ta sœur me manque. ». Frédérick lui mit la main sur l’épaule. Il comprenait, mais on ne disait rien dans ce genre de cas. Ils échangèrent un dernier regard rempli de la plus profonde et honnête amitié, de celle que même la mort ne peut briser. Le train qui allait les ramener chez eux arriva et Stéphane se le prit. Frédérick retrouva son foyer et son père comme sa mère qui faisaient et défaisaient toujours les mêmes nœuds. Ils l’accueillirent joyeusement, avant de le laisser partir travailler.
Il passa tout le temps libre du week-end que son travail à Detritus SA lui laissait pour étudier les examens qu’il aurait six mois plus tard. Il savait que pour mettre toutes les chances de son côté, il lui fallait commencer tôt et être le meilleur, même si les notes desdits examens avaient déjà été décidées et qu’il avait obtenu la note maximale, ce dont ses parents étaient très fiers.
Le lundi suivant, il revint en classe. Ses parents avaient veillé sur lui chaque nuit avec tout l’amour que deux êtres humains peuvent offrir à leur progéniture et toute la force de leur volonté. Ils lui avaient dit au-revoir le matin. Il était seul en classe pour poursuivre le cours.
Le professeur le regarda et Frédérick regarda le professeur. Par habitude, celui-ci fit son cours et Frédérick fut encore plus attentif qu’auparavant. Il regrettait que le jeu du bouchon ne perturbent davantage le flot de paroles qui tantôt ralentissait, tantôt accélérait. Arrivé à la pause, le professeur rendit sa rédaction à Frédérick où il avait marqué en commentaire : « C’est absolument excellent, mot pour mot ce que l’on attend d’un travail de ce genre. ». Comme toujours le papier portait des traces d’humidité. Frédérick alla en pause en traversant le couloir vide, revint à la fin de la pause en retraversant le couloir vide et ne s’étonna pas de voir que son professeur s’était endormi sur son bureau après avoir finalement bu son petit flacon. Il ne se soucia pas de le rappeler à ses devoirs et se tourna résolument vers l’avenir.
Il prit le train qui devait le ramener chez lui. Il retrouva son foyer et son père et sa mère qui avaient utilisé les nœuds qu’ils avaient tant de fois faits, défaits et refaits. Leurs visages souriant l’accueillirent. Frédérick se souvint qu’il lui fallait allait travailler.
Le lendemain, un mardi probablement, Frédérick se réveilla avec l’impression que Dieu lui-même avait veillé sur lui toute la nuit sans jamais défaillir, avec tout l’amour qu’un être ominiscient, omnipotent et immortel peut offrir à sa progéniture, et s’en trouva réconforté. La vie, plus que jamais, lui souriait. Il était libre, il était jeune et sa fortune nouvellement acquise ainsi qu’une rente de l’état allaient lui permettre, si la banque lui octroyait un prêt, ce qu’elle faisait sans trop poser de questions d’habitude, il pourrait très probablement trouver et se payer un stage en entreprise.
Plus que l’argent, plus que la réussite, plus que la gloire ou l’amour, Frédérick avait entre ses mains la seule chose qu’il désirait.
Frédérick avait une chance de pouvoir vivre.
Et il allait s’y accrocher quoi qu’il arrive…