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     Aujourd’hui est un grand jour. Je le sens à la tension qui règne parmi mes geôliers. Ils ne cessent de s’invectiver depuis l’aube. Une personnalité importante doit assister au spectacle. Pour moi, cela ne change rien.

Dans quelques instants, je pénètrerai dans l’arène. Ils m’ont déplacée de la cellule, et j’attends sous l’une des nombreuses trappes du Colisée.

 

     Il y a quelques mois, j’aurais tout fait pour m’échapper, et j’aurais même égorgé un de mes gardiens, s’il le fallait. Je sais maintenant que c’est inutile, et je garde mes forces pour là-haut. Le seul salut que je puisse espérer viendra de l’arène. Le combat, le sang, c’est tout ce qu’ils souhaitent. J’entends déjà la clameur du peuple enfler. On a dû m’annoncer.

 

     Depuis quelques semaines, chacune de mes apparitions provoque cette hystérie que je ne peux m’expliquer. Je combats pour survivre, je ne tue que lorsque cela est nécessaire, mais ils désirent toujours plus, tranquillement assis qu’ils sont dans leurs hauts gradins. Ils viennent savourer leur plaisir. Le plaisir de voir, de sentir le sang des autres couler. Le mien n’a toujours coulé qu’en faible quantité, au contraire de celui de mes adversaires.

 

     Le passage s’ouvre, et le soleil envahit le souterrain. L’astre est au zénith, et la chaleur étouffante. Je m’avance lentement. Le sable de l’arène brûle mes pieds nus. La chaleur de l’air, ajoutée à celle qui monte des tribunes, rend l’atmosphère très pesante. Cela ne me dérange pas, moi, la Lionne du Katanga. Je vivais encore sous le soleil brûlant de l’Afrique, dans les Hautes Steppes, il y a quelques années, lorsque cet Empire sur le déclin s’est emparé de moi.

 

     Mes adversaires semblent plus souffrir de cette chaleur. J’ai rapidement fait le tour de l’arène, et n’ai repéré que deux combattants, un rétiaire et un mirmillon. Leur armure va les gêner, mais leurs bras ne tremblent pas, ils ne semblent pas me craindre. Je les sens très expérimentés, mais je ne perdrai pas aujourd’hui. Dans la loge qui se trouve en face de moi, quelqu’un se lève, et s’adresse à la foule.

 

     Le grondement déferle alors sur nous trois. Ce vacarme me rappelle le déplacement des hardes de gnous, dans mon pays natal. J’aimerais pouvoir encore en chasser. Mais la mélancolie n’a pas sa place ici. Seules la cruauté et la violence règnent en ces lieux. Les deux guerriers s’avancent vers moi prudemment. Le filet du rétiaire est déjà prêt, il n’attend plus que d’être à bonne distance pour me le lancer. J’ai déjà goûté à ce genre d’arme, et ne souhaite pas renouveler l’expérience. Le mirmillon se tient entre moi et son allié, le glaive et le bouclier en main.

 

     Lorsqu’enfin ils atteignent le centre de l’arène, j’entame ma ronde. Je tourne autour d’eux, ne les quittant jamais du regard, et les invectivant dans ma langue natale. Ils parlent, eux aussi, mais entre eux. Ils ne me quittent pas non plus du regard, mais le mirmillon, qui s’intercale constamment entre moi et le rétiaire, commence à fatiguer. Je peux sentir la sueur qui coule sous son casque d’acier. J’accélère ma course, et me rapproche d’eux un peu plus à chaque tour que je réalise. Je sais que si le filet m’attrape, je suis perdue. Mais il ne m’aura pas.

 

     Je me jette subitement vers eux. Je ne lâche pas le rétiaire des yeux et, à l’instant où je vois son bras droit se contracter, je dévie ma trajectoire pour attaquer le mirmillon. Comme je l’avais pensé, il s’est décalé pour laissant le champ libre au rétiaire. Mais il n’a pas pour autant lâché sa garde. Je bondis et tente de le faire chuter en lui retombant dessus. Il anticipe en roulant en arrière et je sens son glaive me caresser le flance gauche. Je finis ma course quelques mètres plus loin. Mon sang tâche le sable de l’arène, mais il n’est pas le seul. J’ai entamé son cuir de mes armes acérées. Son torse porte ma marque. Il éprouve quelques difficultés à se relever.

 

     Le rétiaire est à ses côtés rapidement, et me menace de son trident, pour me tenir à distance. Il n’a pas encore récupéré son filet. Il me fixe, puis nos regards convergent vers le même point, où gît sa précieuse arme. Il est le plus proche, mais ma rapidité joue en ma faveur. Il recule, le trident fermement tenu à deux mains. J’ai le choix, entre lui laisser reprendre le filet et m’occuper du mirmillon encore au sol, ou m’occuper définitivement du rétiaire. Je choisis la seconde option.

 

     J’ignore ma première victime et m’élance vers le rétiaire. Mon flanc me fait souffrir, mais l’ivresse du combat me donne l’énergie nécessaire. La foule accompagne ma course de ses encouragements, mais le rétiaire n’entend que le cri terrible qui monte de ma gorge. Il s’est figé et a opté pour une position défensive, le trident tendu vers moi. Il me faudra l’éviter à tout prix. J’opte pour une attaque au sol, dans les jambes. Il est surpris, et ne baisse pas à temps son arme. Je sens tout de même le contact du métal sur le sommet de la tête. Ses hurlements m’apprennent que mon attaque a réussi. Il est au sol, les jambes en sang. Il est fini.

 

     Je m’approche de lui lentement. La panique se lit dans son regard quand du sang qui ne peut être que le mien vient obscurcir ma vision. Il m’a touchée, alors, et plus gravement que je ne le pensais. Il aura une mort rapide. Je me jette sur lui, et emportée par ma sauvagerie, je l’éventre en répandant ses entrailles sur l’arène. Je laisse mon instinct de tueuse reprendre le dessus quelques instants, et me repaît de sa chair alors que la foule sombre dans l’hystérie la plus totale.

 

     "Leona ! Leona !" La foule scande mon nom. Je me relève, et tente de retrouver le mirmillon. Il est étendu dans une flque de sang, là où je l’avais laissé. Ses blessures ont eu raison de sa vaillance. Mon nom continue d’être repris par la foule, mais je n’en ai cure. La gloire ne m’intéresse pas. A cet instant, je souhaite simplement revoir le calme et placide soleil africain, sentir les hautes herbes caresser mes flancs. Les chasses avec mes soeurs me manquent. Je rentre mes griffes et m’allonge sur le sable brûlant. Ici, le soleil est cruel, tout comme le sont les hommes. Ma fourrure perd peu à peu la couleur du sable pour s’imprégner de celle du sang. Ma vue se brouille, mais mon esprit entame son dernier voyage.

 

     Je suis de retour en Afrique, et je parcours inlassablement la savane. Rome, je ne tue plus pour ton bon plaisir. J’étais libre, tu m’as fait gladiatrice. Aujourd’hui, je savoure enfin le repos auquel j’aspire depuis que j’ai pénétré cette maudite arène. Dans quelques jours, Rome, tu m’auras déjà oubliée, mais l’Afrique, elle, me rappelle déjà.


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