Vote utilisateur: 4 / 5

Etoiles activesEtoiles activesEtoiles activesEtoiles activesEtoiles inactives
 

La pluie continue. Ça dit bien faire une demi-heure que j’écoute les gouttes qui s’égouttent. Le plafond commence à suinter et je m’en fous. Putain de temps.
Un train se rapproche. Pas besoin de regarder l’heure, c’est l’express de Phoenix qui passe avec ses dix minutes de retard, comme d’habitude. Son passage fait vibrer l’immeuble, comme d’habitude. Les vibrations détachent une goutte qui s’écrase entre mes deux yeux. Bull’s eye.
J’essuie l’eau qui me coule dans l’œil droit et du même mouvement tâtonne le plancher à la recherche du briquet. Je le saisis et rallume le cigarillo qui squatte mes lèvres.
Parait que fumer tue. C’est vrai qu’à Basin City, les fumeurs ont la vie plus courte. Y’a pas meilleur cible qu’une cigarette brûlant dans la nuit.
Une nouvelle goutte tombe et éteint le cigarillo. Un autre signe pour que j’arrête de fumer. Je n’attends pas la troisième goutte pour me lever, enfiler mon imper et sortir. 

L’éclair illumine la rue déserte alors que je sors de l’immeuble. Je n’ose pas penser au nombre d’armes qui doivent profiter du tonnerre qui suit pour camoufler leurs éclats. Quoique il y a longtemps que les flingues ne se cachent plus. Ils se promènent à visage découvert dans les rues de Sin City et y font la loi. 
Je saute dans la Chrysler qui me sert de véhicule depuis deux semaines et lance l’engin sur les routes. Je ne croise personne avant de débouler sur Union Boulevard. Mauvaise soirée.
Le temps d’arriver aux docks et j’ai la bouche sèche. Je rallume pour la troisième fois le cigarillo qui n’a toujours pas quitté mes lèvres. Bouche sèche et enfumée. Putain faut que j’arrête de fumer.  
Je m’arrête près de l’entrepôt d’une quelconque compagnie d’import-export.  La pluie s’arrête et même si le ciel reste couvert, je sors de la bagnole. C’est l’heure.
La camionnette Ford est à l’endroit habituel, cachée entre deux piles de containers. Je fais un petit signe de la main à l’attention du guetteur. C’est bon je prends le relais à partir de là. Bonne nuit mec.
 Je sors les clés du véhicule de ma poche et ouvre la porte. Contact. Le réservoir est plein, la radio absente afin d’éviter les distractions et il y a un Browning HP dans la boite à gant. Comme d’habitude.
Le moteur toussote un peu au démarrage, pas de problème, j’ai l’habitude avec les E-series. Suffit de pas trop pousser le moteur les 5 premières minutes et après tout est parfait. Toujours comme ça avec les Américaines, 5 minutes de préliminaires et après tout est possible.
Il doit être aux alentours de deux heures quand je quitte la ville pour commencer à grimper les collines. Jusqu’ici tout vas bien. Comme d’habitude.

Dix minutes et un cigarillo passent avant que les sirènes ne résonnent. Je jette un coup d’œil au rétroviseur gauche avant de me ranger sur le bas coté. Pendant que le flic sort de sa bagnole, je sort le flingue et l’enfourne dans ma poche droite. Comme d’habitude.
-Officier.
-Gardez vos mains sur le volant.
C’est à partir de là que ça commence à merder.
Premièrement, j’ai jamais eu affaire à lui. Deuxièmement, le mec a plutôt une tronche de beau gosse des quartiers huppés de Sacred Oaks que de membre du Basin City Police Departement. Troisièmement, il a un accent à découper à la tronçonneuse, mais je n’arrive pas à dire d’où. Et surtout, quand je laisse tomber la phrase habituelle d’ouverture, il ne bronche pas.
-Dites donc, Officier, savez pas qui a gagné le match ce soir ? Je me suis fait piquer ma radio et j’ai dû partir avant la fin de la partie…
-Qu’est-ce que vous faites ici à cette heure ?
Merde, il est pas dans le coup. Vite, j’enchaîne avec une excuse bidon :
-Ben, c’est que je dois être à Wickenburg, pour aller à la messe dominicale avec ma tante alors…
-Wickenburg ?! Mais faut passer par l’I10 pour y aller !
-Sauf votre respect Officier, y’a moyen d’aller chercher l’I40 par là, dis-je tout en pointant la route devant nous. Et je trouve que le nord de l’Arizona est tellement plus beau !
-Mouais…Permis, papiers du véhicule. Allez-y lentement, rajoute-t-il en voyant mon bras s’étendre vers la boîte à gants.
J’ai bien fait d’en sortir le flingue.
Je lui refile ce qu’il demande et il retourne dans son véhicule. C’est pas un flic dans le coup sinon il aurait reconnu le code et c’est pas un nouveau, il connaît trop bien la région.
Et c’est encore moins un ripou sinon il aurait demandé des billets au lieu des papiers. Ça veut dire que c’est un vrai de vrai. Un d’idéaliste pur et dur. Pas moyen de le corrompre et il me croira jamais si je lui dis que j’ai une livraison pour la Ferme Roark. Pas avec ma gueule d’immigré clandestin.
Va falloir jouer serré, parce que si je livre pas la marchandise ce soir, je suis mort. Et si jamais je suis obligé de le descendre, le patron ne me couvrira pas. Et je peux quand même pas le laisser voir le chargement que j’ai à l’arrière. Avec les six putes camées jusqu’à l’os qui roupillent, les choses risquent donc de tourner assez mal. Dilemme.
Je vais le descendre, pas le choix. Immédiatement j’ai la bouche sèche. Je prends un autre cigarillo dans ma poche intérieure. Bouche sèche et enfumée. Putain faut que j’arrête de fumer.
J’entends le flic claquer sa portière et j’enlève le cran de sûreté du 9mm. Attendre. Attendre qu’il te tende tes papiers. Là, pas avant.
Il tape à la fenêtre. J’actionne la manivelle de la main gauche et de la droite commence à sortir le feu de mon imper. Attendre.
-Voila monsieur. Tout est en ordre. Mais…
Maintenant. Je ne bouge pas. Quelque chose dans sa voix m’empêche de bouger. Je crois que je viens d’identifier son accent.
-…Votre feu arrière gauche est cassé. Veuillez le réparer au plus vite.
-Je fais réparer ça à Wickenburg, demain sans faute Officier !  
-Bonne soirée monsieur.
-Bonne soirée Officier.
J’y crois pas. Il est partit, comme ça. Après un avertissement sur mes feux arrières. Probablement un des dix flics honnêtes de Sin City, il m’arrête et me laisse repartir sans même un blâme.  Ça sent l’embrouille à dix pieds.
J’ai le réflexe de regarder dans mon rétro avant de démarrer. Rien. L’enfoiré n’est pas remonté dans sa bagnole. J’entends un bruit du coté droit. L’embrouille commence.
J’ai tout juste le temps de mettre mon Browning dans la poche gauche avant que le prétendu flic n’entre et s’assoie à la place du mort, son Desert Eagle pointé sur ma tempe.
-C’est pas l’arme réglementaire ça…
-Ta gueule ! Qu’est-ce que tu transportes ?
C’est alors que je remarque les deux petits trous mal raccommodés au niveau de son cœur. Je fais donc affaire avec un représentant de la Mafia. Les filles de Old Town préfèrent égorger les flics pour obtenir leurs uniformes et les mecs de Wallenquist préfèrent aligner les billets quand ils doivent se déguiser en poulets.
La Mafia. Probablement la famille Magliozzi. Quand à mon passager, vu son accent, je dirais qu’il débarque fraîchement de sa Sicile natale. Probablement le fils d’un des Don de la Cosa Nostra qui vient faire ses classes chez son oncle Don Giacco Magliozzi.
L’autre s’impatiente alors je lui dis la vérité pur et simple, enfin la vérité telle qu’elle devrait l’être :
-Aucune idée.
-Fait pas le con Pedro !
Connards d’Italiens. Pour ces blancs becs, latino = Pedro.  
-Je sais pas. Je suis juste leur putain de chauffeur.  
-Tu vas m’ouvrir les portes arrière alors !
-Peux pas. Les serrures arrières son différentes de celles de devant. Et toutes les parois de la camionnette ont étés renforcés. Ça va te prendre un plus gros calibre pour voir ce que j’ai là derrière. Et faudrait faire très attention pour ne pas abîmer la marchandise.  
-Ta gueule Pedro !
Connard de rital.  
Il sort son téléphone et commence à marmonner en italien. Deux minutes après avoir raccroché, une Ford en tout point semblable à celle que je conduis nous dépasse. Bien préparés les mafiosi.
Ils comptent donc ramener la camionnette en ville et l’ouvrir avec en douceur avec le matos adéquat tout envoyant une autre équipe pour prendre le contrôle de la Ferme. Ils doivent être persuadés que Roark s’est lancé dans le trafic et que son domaine familial lui sert de labo et d’entrepôt. S’ils avaient la moindre idée de ce que je transporte…   
Je dois quand même avouer qu’ils m’impressionnent ces crétins. Préparer un véhicule de rechange, remplacer le flic habituel par l’un des leurs et synchroniser toute l’opération…Ils devaient planifier leur coup depuis un bon moment. Et tout ça parce qu’ils soupçonnent que je transporte de l’héro.  
Bon, alors, dans l’ordre : supprimer le clown à ma droite et remonter à la ferme pour aider les collègues à finir le cirque qui va bientôt commencer.
-Maintenant, tu vas démarrer et faire tout ce que je te dis. Lentement
-Ok Boss.
-Tu vas nous faire un joli demi tour et après tu descends à 50 à l’heure, pas plus.
-Ok Boss.
Crétin. T’aurais gagné à avoir déjà conduit une E-serie. Et à mettre ta ceinture.
J’effectue un demi tour sans accroche. C’est quand l’aiguille arrive sur le 40 que les secousses commencent. J’écrase la pédale et l’aiguille saute sur le 50. Sous l’effet de l’accélération et des cahots du moteur, le Desert Eagle s’envole lui aussi.
L’Aigle du Désert ne quitte pas les mains de mon ange gardien, mais il bouge assez pour que je sorte de sa ligne de tir. Immédiatement, de la main droite je tourne le volant sur la gauche pour effectuer un dérapage lequel finit de déstabiliser mon passager qui s’écrase contre sa fenêtre. Alors, je sors mon flingue de ma poche gauche et loge trois balles dans le ventre du mafioso.
Crétins d’européens, ils ne mettent jamais leur ceinture.
L’enfoiré lâche son arme et commence à gémir. J’arrête le véhicule, ramasse le semi-automatique et je le balance par la fenêtre.
-Combien ? Combien d’hommes dans votre foutue camionnette ?  
Le ‘’vas te faire foutre, connard’’ que j’obtiens en réponse ne me satisfait pas. Je lui tire une balle dans chaque genou et le rital me lâche ‘’connard’’. Bon on progresse. Je pointe le Browning sur ces bijoux de famille et il me répond : 
-Dix…dix plus le chauffeur.
Merde, onze contre les deux à l’entrée, c’est un peu juste. Même si je compte les trois mecs qui sont dans la ferme pour décharger, y a quand même un léger désavantage numérique.
J’assomme mon passager, Roark pourra toujours en tirer une bonne rançon. Puis, je m’allume mon dernier cigarillo –j’ai perdu l’autre dans la bataille- avant de lancer la Ford. J’ai bien 5 minutes de retard alors autant faire vite.

Je négocie le dernier virage avant le poste de garde et tout à coup le brasier m’aveugle. La E-Serie est en flammes devant la barrière et deux silhouettes familières contemplent la scène.
Je descends de la bagnole et me dirige vers Lenny et Benny. Les deux jumeaux ont le sourire aux lèvres et m’accueillent au beau milieu d’un fou rire. Malades. Efficaces, mais malades.
-Voila l’Cubain ! T’arrives à temps pour la fin du feu d’artifice !
-Salut les mecs…Alors, comment ça c’est passé ?
-Ben, tout con, j’ai descendu le chauffeur lorsque je l’ai eu dans le viseur et Benny a balancé une grenade sous le réservoir.
-Et boum ! Boum ! Boum ! Boum !
-Ouais…Mais comment vous avez su que c’était bidon ? Que c’était pas moi qui conduisait la camionnette ?
-Ben, d’abord y’a le retard. Cinq bonnes minutes de retard alors que d’habitude t’es toujours à l’heure…et puis…
-Dis lui, Lenny, dis lui !         
-Le mec qui conduisait, le chauffeur là…
-Ouais…
- Il fumait pas. Y’avait pas le point rouge habituel qu’il y a toujours au bout de tes lèvres.
Je souris et jette ce qui reste de mon cigarillo dans le brasier. Lenny me tend son paquet de Lucky, mais je refuse d’un signe de tête. Je ne touche pas aux Américaines.

Connectez-vous pour commenter